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Regnum Galliae Regnum Mariae

Saint Paulin de Nole confesseur

22 Juin 2020 , Rédigé par Ludovicus

Saint Paulin de Nole confesseur

Collecte

Dieu, vous avez promis à ceux qui abandonnent tout en ce siècle pour vous, le centuple dans le siècle à venir et la vie éternelle : accordez-nous, dans votre bonté ; que, suivant fidèlement les traces du saint Pontife Paulin, nous ayons la force de mépriser les biens de la terre et de désirer les seuls biens du ciel.

Office

Au deuxième nocturne.

Quatrième leçon. Pontius Meropius Anicius Paulin, né l’an trois cent cinquante-trois de la Rédemption, d’une famille très distinguée de citoyens romains, à Bordeaux, en Aquitaine, fut doué d’une intelligence vive et de mœurs douces. Sous la direction d’Ausone, il brilla de la gloire de l’éloquence et de la poésie. Très noble et très riche, il entra dans la carrière des charges publiques et, à la fleur de l’âge, conquit la dignité de sénateur. Ensuite, en qualité de consul, il se rendit en Italie et, ayant obtenu la province de Campanie, il établit sa résidence à Nole. Là, touché de la lumière divine, et à cause des signes célestes qui illustraient le tombeau de saint Félix, prêtre et martyr, il commença à s’attacher avec plus d’énergie à la véritable foi chrétienne, qu’il méditait déjà dans son esprit. Il renonça donc aux faisceaux et à la hache, qui n’avait encore été souillée par aucune exécution capitale ; retourné en Gaule, il fut ballotté par diverses épreuves et par de grands travaux sur terre et sur mer et perdit un œil ; mais guéri par le bienheureux Martin, évêque de Tours, il fut lavé dans les eaux lustrales du baptême par le bienheureux Delphin, évêque de Bordeaux.

Cinquième leçon. Méprisant les richesses qu’il possédait en abondance, il vendit ses biens, en distribua le prix aux pauvres et, quittant sa femme Therasia, changeant de patrie et brisant les liens de la chair, il se retira en Espagne, s’attachant ainsi à la pauvreté admirable du Christ, plus précieuse à ses yeux que l’univers entier. Un jour qu’à Barcelone, il assistait dévotement aux sacrés mystères, le jour solennel de la naissance du Seigneur, le peuple, transporté d’admiration, l’entoure avec tumulte et, malgré ses résistances, il fut ordonné prêtre par l’évêque Lampidius. Il retourna ensuite en Italie, fonda à Nole, où il avait été amené par le culte de saint Félix, un monastère près du tombeau de ce saint ; s’étant adjoint des compagnons, il commença une vie cénobitique. Illustre déjà par la dignité sénatoriale et la dignité consulaire, embrassant la folie de la croix, à l’admiration du monde presque entier, Paulin, revêtu d’une robe sans valeur, demeurait, au milieu des veilles et des jeûnes, la nuit et le jour, les yeux fixés dans la contemplation des choses célestes. Mais, comme son renom de sainteté croissait de plus en plus, il fut élevé à l’évêché de Nole et, dans l’accomplissement de sa .charge pastorale, il laissa des exemples merveilleux de piété, de sagesse et surtout de charité.

Sixième leçon. Au cours de ces travaux, il avait composé des écrits remplis de sagesse, traitant de la religion et de la foi ; souvent aussi, se laissant aller à la versification, il avait célébré dans des poèmes les actes des saints, acquérant un renom supérieur de poète chrétien. Il s’attacha par l’amitié et par l’admiration tout ce qu’il y avait à cette époque d’hommes éminents par la sainteté et la doctrine. Beaucoup affluaient de toutes parts vers lui, comme chez le maître de la perfection chrétienne. La Campanie ayant été ravagée par les Goths il employa à nourrir les pauvres et à racheter les prisonniers tout son avoir, ne gardant pas même pour lui les choses nécessaires à la vie. Plus tard, lorsque les Vandales ravageaient le même pays, une veuve le supplia de racheter pour elle son fils, pris par les ennemis ; comme il avait absorbé tous ses biens dans l’exercice de la charité, il se livra lui-même en esclavage pour cet enfant, et, jeté dans les fers, il fut emmené en Afrique. Enfin, gratifié de la liberté, non sans le secours visible de Dieu et revenu à Nole, le bon pasteur retrouva ses brebis chéries et là, dans sa soixante dix-huitième année, s’endormit dans le Seigneur d’une fin très tranquille. Son corps, enseveli près du tombeau de saint Félix, fut plus tard, à l’époque des Lombards, transféré à Bénévent, puis sous l’empereur Othon III, à Rome, dans la basilique de Saint-Barthélemy en l’île du Tibre. Mais le pape Pie X ordonna que les dépouilles sacrées de Paulin fussent restituées à Nole et éleva sa fête au rite double pour toute l’Église.

Au troisième nocturne.

Homélie de saint Paulin, Évêque.

Septième leçon. Le Seigneur tout-puissant aurait pu, très chers frères rendre tous les hommes également riches, de façon qu’aucun d’eux n’eût besoin d’un autre ; mais par un dessein de sa bonté infinie, le Seigneur miséricordieux et plein de pitié a ordonné les choses comme il l’a fait, afin d’éprouver vos dispositions. Il a fait le malheureux afin de pouvoir reconnaître celui qui est miséricordieux ; il a fait le pauvre afin de donner à l’homme opulent l’occasion d’agir. Le but des richesses, c’est, pour vous, la pauvreté de votre frère, « si vous avez l’intelligence de l’indigent et du pauvre », si vous ne possédez pas seulement pour vous ce que vous avez reçu ; et cela, parce que Dieu vous a remis en ce siècle la part de votre frère aussi, Dieu voulant vous devoir ce que vous aurez offert spontanément au moyen de ses dons aux indigents, et désirant vous enrichir en retour au jour éternel de la part qu’aura votre frère. C’est par les mains des pauvres, en effet, que le Christ reçoit maintenant, et alors, au jour éternel, il rendra pour eux en son nom.

Huitième leçon. Réconfortez celui qui a faim et vous n’aurez pas de crainte au jour mauvais de la colère qui doit venir. « Bienheureux, en effet, dit Dieu, celui qui a l’intelligence de l’indigent et du pauvre, au jour mauvais le Seigneur le délivrera. » Travaillez donc et cultivez avec soin cette partie de votre terre, mon frère, afin qu’elle fasse germer pour vous une moisson fertile, pleine de la graisse du froment, vous apportant, avec des intérêts élevés, le fruit au centuple de la semence qui se multiplie. Dans la recherche et la culture de cette possession et de ce travail, l’avarice est sainte et salutaire ; car une pareille avidité, qui mérite le royaume du ciel et soupire après le bien éternel, est la racine de tous les biens. Souhaitez donc ardemment de telles richesses et possédez un tel patrimoine que le créancier doit compenser en fruits centuplés, pour enrichir aussi vos héritiers avec vous des biens éternels. Car cette possession est vraiment grande et précieuse, qui ne charge pas son possesseur d’un fardeau temporel, mais l’enrichit d’un revenu éternel.

Neuvième leçon. Veillez donc, mes très chers, avec une sollicitude de tous les instants et un travail assidu pour la justice, non seulement à rechercher les biens éternels, mais à mériter d’éviter des maux sans nombre. Car nous avons besoin d’une grande aide et d’une grande protection ; nous avons besoin de nous appuyer sur des prières nombreuses et incessantes. Notre adversaire, en effet, ne se repose pas et l’ennemi très vigilant bloque toutes nos voies pour nous perdre. En outre, en ce siècle, se jettent sur nos âmes de nombreuses croix, des dangers innombrables, les fléaux des maladies, les feux des fièvres et les flèches des douleurs ; les torches des passions s’allument, partout sont cachés des filets tendus sous nos pas, de toutes parts nous voyons avec terreur des glaives tirés, la vie se passe en embûches et en combats et nous marchons sur des feux recouverts d’une cendre trompeuse. Avant donc de vous exposer, conduits par les circonstances ou par votre volonté, à quelque fléau de telles douleurs, hâtez-vous de devenir agréables et chers au médecin, afin qu’au temps où vous en aurez besoin, vous trouviez tout prêt le remède salutaire. Autre chose est de prier seul pour vous-même, autre chose d’avoir une multitude d’intercesseurs s’empressant pour vous auprès de Dieu.

Dans les jours de l’enfance du Sauveur, Félix de Nole était venu réjouir nos yeux par le spectacle de sa sainteté triomphante et si humble, qui nous révèle sous un de ses aspects les plus doux la puissance de notre Emmanuel. Illuminé de tous les feux de la Pentecôte, Paulin s’élève de cette même ville de Nole à son tour, faisant hommage de sa gloire à celui dont il fut la conquête. La voie sublime par laquelle il devait gagner les sommets des cieux, ne s’offrit point à lui, en effet, tout d’abord ; et ce fut Félix qui, sur le tard déjà, jeta dans son âme les premiers germes du salut.

Héritier d’une fortune immense, à vingt-cinq ans préfet de Rome, sénateur et consul, Paulin était loin de penser qu’il pût y avoir une carrière plus honorable pour lui, plus profitable au monde, que celle où l’engageaient ainsi les traditions de son illustre famille. Et certes alors, au regard des sages de ce siècle, c’était une vie intègre, s’il en fut, que la sienne, entourée des plus nobles amitiés, soutenue par l’estime méritée des petits et des grands, trouvant son repos dans ce culte des lettres qui, dès les années de son adolescence, l’avait rendu l’honneur de la brillante Aquitaine où Bordeaux lui donna le jour. Combien, qui ne le valaient pas, sont aujourd’hui encore proposés pour modèles d’une vie laborieuse et féconde ?

Un jour, cependant, voici que ces existences qui semblent si remplies, n’offrent plus à Paulin lui-même que le spectacle d’hommes « tourbillonnant au milieu de jours vides, et, pour trame de leur vie, tissant d’œuvres vaines une toile d’araignée » ! Que s’est-il donc passé ? C’est qu’un jour, dans la fertile Campanie soumise à son gouvernement, Paulin s’est rencontré près de la tombe de l’humble prêtre proscrit jadis par cette Rome, dont les terribles faisceaux qu’on porte devant lui signifient la puissance ; et les flots d’une lumière nouvelle ont envahi son âme ; Rome et sa puissance sont rentrées dans la nuit, devant l’apparition « des grands droits du Dieu redoutable » A plein cœur, le descendant des vieilles races qui soumirent le monde donne sa foi à Dieu ; le Christ qui se révèle à lui dans la lumière de Félix, a conquis son amour. Assez cherché, assez couru vainement : il trouve enfin ; et ce qu’il trouve, c’est que rien ne vaut mieux que de croire à Jésus-Christ.

Dans la droiture de sa grande âme, il ira jusqu’aux dernières conséquences de ce principe nouveau qui remplace pour lui tous les autres. Jésus a dit : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; et puis viens, suis-moi ». Paulin n’hésite pas. Ce n’est pas lui qui négligera le meilleur, et préférera le moindre ; parfait jusque-là pour le monde, pourrait-il maintenant ne point l’être pour Dieu ? A l’œuvre donc ! déjà ne sont plus à lui ces possessions immenses, que l’on appelait des royaumes ; les divers peuples de l’empire, chez qui s’étendaient au soleil ces incalculables richesses, sont dans la stupeur d’un commerce nouveau : Paulin vend tout, pour acheter la croix et suivre avec elle son Dieu. Car, il le sait : l’abandon des biens de ce monde n’est que l’entrée du stade, et non la course elle-même ; l’athlète n’est pas vainqueur par le seul fait qu’il laisse ses habits, mais il ne se dépouille que pour commencer à combattre ; et le nageur a-t-il donc passé le fleuve, parce que déjà il est nu sur le bord ?

Paulin, dans son empressement, a coupé plutôt qu’il n’a détaché le câble qui retenait sa barque au rivage. Le Christ est son nautonier. Aux applaudissements de sa noble épouse Thérasia, qui ne sera plus que sa sœur et son émule, il vogue jusqu’au port assuré de la vie monastique, ne songeant qu’à sauver son âme. Un seul point le tient encore en suspens : se retirera-t-il à Jérusalem, où tant de souvenirs semblent appeler un disciple du Christ ? Mais, avec la franchise de sa forte amitié, Jérôme qu’il a consulté lui répond : « Aux clercs les villes, aux moines la solitude. Ce serait une suprême folie que de quitter le monde, pour vivre au milieu d’une foule plus grande qu’auparavant. Si vous voulez être ce qu’on vous nomme, c’est-à-dire moine, c’est-à-dire seul, que faites-vous dans les villes, qui, à coup sûr, ne sont pas l’habitation des solitaires, mais de la multitude ? Chaque vie a ses modèles. Nos chefs à nous sont les Paul et les Antoine, les Hilarion et les Macaire ; nos guides, Élie, Élisée, tous ces fils des Prophètes qui habitaient dans la campagne et les solitudes, et dressaient leurs tentes près des bords du Jourdain ».

Paulin suivit les conseils du solitaire de Bethléhem ; préférant son titre de moine à l’habitation même de la cité sainte, il chercha le petit champ dont lui parlait Jérôme, au territoire de Nole, mais en dehors de la ville, près de la glorieuse tombe où il avait vu la lumière. Jusqu’à son dernier jour, Félix lui tiendra lieu ici-bas de patrie, d’honneurs, de fortune, de parenté. C’est dans son sein, comme dans un nid très doux, qu’il fera sa croissance, changeant par la vertu de la divine semence du Verbe qui est en lui sa forme terrestre, et recevant dans son être nouveau les célestes ailes, objet de son ambition, qui relèveront jusqu’à Dieu. Que le monde ne compte plus sur lui pour relever ses fêtes, ou lui confier ses charges : absorbé dans la pénitence et l’humiliation volontaire, l’ancien consul n’est plus que le dernier des serviteurs du Christ et le gardien d’un tombeau.

A la nouvelle d’un pareil renoncement donné en spectacle au monde, la joie fut grande parmi les saints du ciel et de la terre ; mais non moindre se manifesta l’étonnement indigné, le scandale des politiques, des prudents du siècle, de tant d’hommes pour qui l’Évangile ne vaut, qu’autant qu’il ne heurte pas les préjugés à courte vue de leur sagesse mondaine. « Que vont dire les grands ? écrivait saint Ambroise. D’une telle famille, d’une telle race, si bien doué, si éloquent, quitter le sénat, arrêter la succession d’une pareille suite d’ancêtres : cela ne se peut supporter. Voilà bien ces hommes, qui, quand il s’agit de leurs fantaisies, ne trouvent point étrange de s’infliger les transformations les plus ridicules ; arrive-t-il qu’un chrétien soucieux de la perfection change de costume, ils crient à l’indignité ! »

Paulin ne s’émut point de ces attaques, pas plus qu’il ne compta que son exemple serait suivi d’un grand nombre. Il savait que Dieu manifeste en quelques-uns ce qui pourrait profiter à tous, s’ils le voulaient, et que cela suffit à justifier sa Providence. Comme le voyageur ne se laisse point détourner de sa route par les aboiements des chiens qui le regardent passer, ceux, disait-il, qui s’engagent dans les étroits sentiers du Seigneur doivent négliger les réflexions des profanes et des sots, se félicitant de déplaire à qui Dieu déplaît ; l’Écriture nous suffit pour savoir que penser d’eux et de nous.

Résolu de ne point répondre, et de laisser les morts ensevelir leurs morts, une exception toutefois s’imposa au cœur de notre saint, par le côté des sentiments les plus délicats, en faveur d’Ausone son ancien maître. Paulin était resté l’élève préféré du rhéteur fameux à l’école de qui venaient se former, dans ces temps, les empereurs eux-mêmes ; Ausone toujours s’était montré pour lui un ami, un père ; l’âme transpercée par le départ de ce fils de sa tendresse, le vieux poète avait exhalé ses plaintes en des accents qui touchèrent celui-ci.

Paulin voulut tâcher d’élever cette âme qui lui était chère au-dessus des futilités de la forme, et des mythologiques vanités où continuait de s’enfermer sa vie ; il justifia donc sa démarche dans un poème dont la grâce exquise devait charmer Ausone, et l’amener peut-être à goûter la profondeur du sens chrétien, qui inspirait à son ancien élève une poésie si nouvelle pour le disciple attardé d’Apollon et des Muses.

« Père, lui disait-il, pourquoi vouloir me rappeler au culte des Muses ? Une autre puissance domine aujourd’hui mon âme, un Dieu plus grand qu’Apollon. Le vrai, le bon, je l’ai trouvé à la source même du bien et de la vérité, en Dieu vu dans son Christ. Échangeant sa divinité pour notre humanité dans un commerce sublime, homme et Dieu, ce maître des vertus transforme notre être, et remplace par de chastes voluptés les plaisirs d’autrefois. Par la foi dans la vie future, il dompte en nous les vaines agitations de la vie présente. Ces richesses que nous semblons mépriser, il ne les rejette pas comme impures ou sans prix ; mais, apprenant à les mieux aimer, il nous les fait confiera Dieu qui, en retour, promet davantage. N’appelez pas stupide celui qui s’adonne au plus avantageux, au plus sûr des négoces. Et la piété, pourrait-elle donc être absente d’un chrétien ? et pourrais-je ne pas vous la témoigner, ô père à qui je dois tout : science, honneurs, renommée ; qui, par vos soins, m’avez, en cultivant ses dons, préparé pour le Christ ! Oui ; le Christ s’apprête à vous récompenser, pour ce fruit qu’a nourri votre sève : ne rejetez pas sa louange, ne reniez pas les eaux parties de vos fontaines. Mon éloignement irrite votre tendresse ; mais pardonnez à qui vous aime, si je fais ce qui est expédient.

J’ai voué mon cœur à Dieu, j’ai cru au Christ ; sur la foi des divins conseils, j’ai acheté des biens du temps la récompense éternelle. Père, je ne puis croire que cela soit par vous taxé de folie. Pareils errements ne m’inspirent aucun repentir, et il me plaît d’être tenu pour insensé par ceux qui suivent une voie contraire ; il me suffit que mon sentiment soit tenu pour sage par le Roi éternel. Tout ce qui est de l’homme est court, infirme, caduc, et, sans le Christ, poussière et ombre ; qu’il approuve ou condamne, tant vaut le jugement que le juge : il meurt, et son jugement passe avec lui. Au moment du dépouillement suprême, elle sera tardive la lamentation, et peu recevable l’excuse de celui qui aura craint les vaines clameurs des langues humaines, et n’aura point redouté la vengeresse colère du Juge divin. Pour moi, je crois, et la crainte est mon aiguillon : je ne veux pas que le dernier jour me saisisse endormi dans les ténèbres, ou chargé de poids tels que je ne puisse m’envoler d’une aile légère au-devant de mon Roi dans les cieux. C’est pourquoi, coupant court aux hésitations, aux attaches, aux plaisirs de ce monde, j’ai voulu parer à tout événement ; vivant encore, j’en ai fini des soucis de l’a vie ; j’ai confié à Dieu mes biens pour les siècles à venir, afin de pouvoir d’un cœur tranquille attendre la terrible mort. Si vous l’approuvez, félicitez un ami riche d’espérances ; sinon, souffrez que je m’en tienne à l’approbation de Jésus-Christ ».

Rien mieux qu’un tel langage ne saurait nous donner une idée de ce qu’étaient nos pères du vieil âge, avec leur simplicité si pleine en même temps de grâce et de force, et cette logique de la foi qui, s’appuyant de la parole de Dieu, n’avait besoin d’aucune autre chose pour atteindre d’un bond tous les héroïsmes. Où trouver rien qui, on peut le dire, se déduise plus naturellement que les résolutions dont Paulin nous fait part ? Quel sens pratique, dans toute la vraie et grande signification du mot, ce Romain garde dans sa sainteté ! On reconnaît bien là l’aimable correspondant de saint Augustin, qui, interrogé par le grand docteur sur son opinion touchant certains points douteux de la vie future, lui répondait d’une façon si charmante : « Vous daignez me demander mon avis sur ce que sera l’occupation des bienheureux, après la résurrection de la chair. Mais si vous saviez comme je m’inquiète bien plus de la vie présente, de ce que j’y suis, de ce que j’y puis faire ! Soyez mon maître et mon médecin ; apprenez-moi à faire la volonté de Dieu, à marcher sur vos traces à la suite du Christ ; que, tout d’abord, j’arrive à mourir comme vous de cette mort évangélique qui précède et assure l’autre ».

Cependant notre saint, qui ne voulait qu’imiter et apprendre, apparaissait bientôt comme l’un des plus lumineux flambeaux de l’Église. L’humble retraite où il prétendait se cacher, était devenue le rendez-vous des plus illustres patriciens et patriciennes, le centre d’attraction de toutes les grandes âmes de ce siècle. Des points les plus divers, Ambroise, Augustin, Jérôme, Martin, et leurs disciples, élevaient la voix dans un concert de louange que nous allions dire unanime, si, pour la plus grande sainteté de son serviteur, Dieu n’avait permis, au commencement, une exception douloureuse. Certains membres du clergé de Rome, émus dans un autre sens qu’il ne convenait des marques de vénération données à ce moine, s’étaient efforcés, non sans succès, de circonvenir sous un prétexte spécieux le Pontife suprême ; Sirice en vint presque à séparer Paulin de sa communion. La mansuétude, la longanimité du serviteur de Dieu, ne tardèrent pas au reste à ramener Sirice lui-même de l’erreur où l’avait mis son entourage, et l’envie dut porter ses morsures ailleurs.

L’espace nous fait défaut pour esquisser plus longuement cette noble existence. La Légende qui lui est consacrée, si courte qu’elle soit, complétera ces pages. Rappelons, en finissant, que la Liturgie est grandement redevable à saint Paulin pour les détails précieux que renferment ses lettres et ses poèmes, principalement sur l’architecture chrétienne et le symbolisme de ses diverses parties, le culte des images, l’honneur rendu aux Saints et à leurs reliques sacrées. Une tradition, qui malheureusement n’est point suffisamment établie pour exclure tous les doutes, fait également remonter jusqu’à lui l’usage liturgique des cloches ; agrandissant les dimensions de la clochette antique, il l’aurait transformée dans ce majestueux instrument si bien digne de devenir le porte-voix de l’Église elle-même, et auquel la Campanie et Nole ont donné leur nom (nolæ, campanæ).

Paulin évêque de Nole, instruit dans les lettres humaines et les saintes Écritures, composa en vers et en prose beaucoup d’œuvres remarquables. Sa charité surtout fut célèbre. Lorsque les Goths ravageaient la Campanie, il consacra tout ce qui lui restait à la nourriture des pauvres et au rachat des captifs, ne se réservant pas même le nécessaire pour vivre. Ce fut alors, raconte saint Augustin, que réduit volontairement à la dernière pauvreté après une extrême opulence, mais immensément riche de sainteté, il fut pris par les barbares et fit cette prière : Seigneur, ne permettez pas que je sois tourmenté pour de l’or ou de l’argent ; car vous savez où sont tous mes biens. Dans la suite, les Vandales infestant ces mêmes contrées, une veuve vint le supplier de lui racheter son fils, et, comme il avait tout dépensé en œuvres de miséricorde, il se livra lui-même en servitude à titre d’échange.

Étant donc passé en Afrique, on lui donna à cultiver le jardin de son maître qui était le gendre du roi. Or il arriva qu’ayant prophétisé à ce maître la mort de son beau-père, et le roi lui-même ayant vu en songe Paulin assis au milieu de deux autres juges, qui lui enlevait un fouet des mains, on reconnut quel grand personnage était ainsi captif ; il fut renvoyé comblé d’honneurs et accompagné de tous les prisonniers de sa ville, dont il obtint la liberté. De retour à Noie, il avait repris sa charge d’évêque, enflammant tout le monde et d’exemple et de parole pour les pratiques de la piété chrétienne, lorsqu’il fut saisi d’une douleur de côté ; bientôt la chambre où il était couché fut ébranlée par un tremblement de terre, et peu après il rendit son âme à Dieu.

Vos biens vous sont maintenant rendus, ô vous qui avez cru à la parole du Seigneur ! Lorsque tant d’autres, en ce siècle qui vit les barbares, cherchèrent vainement à garder leur trésor, le vôtre était en sûreté. Que de lamentations parvinrent jusqu’à vous, dans l’effroyable écroulement de cet empire dont vous aviez été l’un des premiers magistrats ! Assurément ceux de vos collègues dans les honneurs, ceux de vos compagnons d’opulence qui n’avaient point imité votre renoncement volontaire, n’étaient en cela coupables d’aucune faute ; mais à l’heure terrible où la puissance n’était qu’un titre à de plus grands maux, où la richesse ne valait plus à ses possesseurs que désespoir et tortures, combien, même pour ce monde, votre prudence apparut la meilleure ! Vous vous étiez dit que le royaume des cieux souffre violence, et que ce sont les violents qui le ravissent ; mais la violence que vous vous étiez imposée, en brisant pour de meilleures attaches vos liens d’ici-bas, était-elle comparable à celle que plus d’un de vos détracteurs d’alors eut à subir, sans profit pour cette vie et pour l’autre ? Ainsi en arrive-t-il souvent, même en dehors de ces temps lamentables où la ruine semble s’abattre sur l’univers. Les privations que Dieu réclame des siens pour les conduire dans les sentiers de la vie parfaite, n’égalent point la souffrance fréquemment rencontrée par les mondains dans le chemin de leur préférence.

Et combien étaient mal venus à vous reprocher comme une désertion la retraite où vous conviait Jésus-Christ, ces hommes, les Albinus, les Symmaque, dont l’attachement obstiné au paganisme expirant amenait sur Rome ce déluge de colère ! Si l’empire eût pu être sauvé, il l’eût été par vos imitateurs, Pammachius, Aper, et d’autres, trop peu nombreux, qui vous faisaient dire : « O Rome, tu pourrais ne point craindre les menaces portées contre toi dans l’Apocalypse, si tes sénateurs comprenaient toujours ainsi le devoir de leur charge ». Quel contrepoids, en effet, n’eussent pas offert à la vengeance, si le spectacle en eût été moins rare, des réunions pareilles à celle que vous chantez dans l’un de vos plus beaux poèmes ! C’était au lendemain de la formidable invasion de Radagaise ; la vieille Rome, mourante, invoquait plus follement que jamais ses faux dieux ; mais, de Noie, la louange montait vers le Très-Haut, puissante comme le vivant psaltérion dont les accords la faisaient s’élever jusqu’au ciel. Noble instrument, dont les dix cordes s’appelaient, d’une part, Aemilius, Paulin, Apronianus, Pinianus, Asterius ; de l’autre, Albina, Therasia, Avita, Mélanie, Eunomia : tous clarissimes, suivant les traces de Cécile et de Valérien ou voués à Dieu dès l’enfance ; tous semblables en vertu dans un sexe dissemblable, et ne formant qu’un chœur au tombeau de Félix pour l’exécution des hymnes sacrées. A leur suite et avec eux, une troupe nombreuse d’illustres personnages et de vierges chantaient de même au Seigneur, apaisant son courroux contre une terre maudite, et retardant du moins ses coups. Dix justes auraient sauvé Sodome ; mais il fallait plus pour la Babylone ivre du sang des martyrs, pour la mère des fornications et des abominations du monde entier.

La récompense ne vous en est pas moins acquise ; et, même en dehors de vous, votre labeur n’a point été stérile. Stérile, jamais la foi ne peut l’être ; depuis le temps d’Abraham elle n’a point cessé d’être le grand élément de la fécondité pour le monde. Si les Romains dégénérés n’ont point voulu comprendre, en ce IVe siècle, la leçon qui leur était donnée par les héritiers des plus nobles familles de leur empire, s’ils n’ont point su voir où était le salut, de votre foi et de celle de vos illustres compagnons est née pour le ciel une nouvelle race, honneur d’une Rome nouvelle, et dépassant les hauts faits du vieux patriciat. Comme vous, « contemplant à la divine lumière les premiers âges et ceux qui suivirent, nous admirons l’œuvre profonde du Créateur, et cette lignée mystérieuse préparée dans la nuit des siècles antiques aux Romains d’autrefois ».

Gloire donc à vous, qui n’avez point écouté d’une oreille sourde l’Évangile, et, fort de la foi, l’avez emporté sur le prince de ce monde. Rendez à nos temps, si semblables aux vôtres du côté de la ruine, ce franc amour de la vérité, cette simplicité de la foi qui, dans les IVe et Ve siècles, sauvèrent du naufrage la société baptisée. La lumière n’est pas moindre aujourd’hui qu’alors ; elle a même grandi, incessamment accrue par le travail des docteurs et les définitions des pontifes. Mais la vérité, toujours également puissante à sauver les hommes, ne délivre pourtant que ceux qui vivent d’elle ; et voilà pourquoi, hélas ! le dogme, toujours mieux et plus pleinement défini, ne relève pas le monde en nos jours. C’est qu’il ne devrait pas rester lettre morte ; ce n’est point à l’état de théorie spéculative que Jésus-Christ l’a transmis à son Église, et cette Église, quand elle l’expose à ses fils, n’entend pas davantage charmer simplement, par des agréments de style ou l’ampleur de ses développements, les oreilles de ceux qui l’écoutent. La parole de Dieu est une semence ; on la jette en terre, non pour l’y cacher, mais pour qu’elle germe et se fasse jour, dominant toute autre germination autour d’elle parce que son droit comme sa puissance est de s’approprier tous les sucs du sol qui l’a reçue, pour transformer la terre même et lui faire rendre ce que Dieu en attend. Puisse-t-elle du moins, cette divine semence, ô Paulin, produire son plein effet dans tous ceux qui maintenant vous admirent et vous prient ! Sans diminuer l’Écriture, sans prétendre interpréter au gré de nos terrestres penchants ce que disait le Seigneur, vous avez pris à la lettre dans votre loyauté ce qui devait l’être ; et c’est pourquoi, aujourd’hui, vous êtes saint. Que toute parole de Dieu soit également pour nous sans appel ; qu’elle demeure la règle suprême de nos actes et de nos pensées.

 

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