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Regnum Galliae Regnum Mariae

Saint Ignace de Loyola confesseur

31 Juillet 2020 , Rédigé par Ludovicus

Saint Ignace de Loyola confesseur

Collecte

Dieu, pour propager la plus grande gloire de votre nom, vous avez, par le bienheureux Ignace, procuré à votre Église militante de nouveaux renforts : accordez-nous, avec son secours et combattant à son exemple sur la terre, de mériter d’être couronnés avec lui dans le ciel.

Au deuxième nocturne.

Quatrième leçon. Ignace de noble famille espagnole, et né à Loyola au pays des Cantabres, vécut d’abord à la cour du roi catholique, d’où il passa au service militaire. Ayant été grièvement blessé au siège de Pampelune, la lecture de livres pieux, qui lui tombèrent sous la main, l’enflamma d’un vif désir de marcher sur les traces de Jésus-Christ. Parti pour Mont-Serrat, il suspendit ses armes devant l’autel de la bienheureuse Vierge, et consacrant la nuit à veiller, fit ses débuts dans la milice sacrée. Retiré ensuite à Manrèse, couvert d’un sac qui remplaçait les riches habits qu’il avait donnés à un pauvre, il y demeura une année, mendiant le pain et l’eau dont il se nourrissait, jeûnant tous les jours excepté le dimanche, domptant sa chair au moyen d’une rude chaîne et d’un cilice, couchant sur la dure, et se flagellant jusqu’au sang avec des disciplines de fer. C’est alors que Dieu le favorisa de si grandes lumières, que plus tard il avait coutume de dire : « Quand même les saintes Écritures n’existeraient pas, je serais néanmoins prêt à mourir pour la foi, rien qu’en raison des choses que Dieu m’a dévoilées à Manrèse. » C’est alors également que cet homme, tout à fait ignorant dans les lettres, composa le livre des Exercices, livre admirable qui se recommande de l’approbation du Siège apostolique et du bien qu’en retirent les âmes.

Cinquième leçon. Afin de se rendre plus capable de travailler au salut des âmes, Ignace résolut de s’assurer le secours des lettres, et se mêla aux enfants pour commencer l’étude de la grammaire. Cependant il ne négligeait rien par rapport au salut d’autrui, et on ne saurait dire combien de fatigues et d’affronts il eut à subir en tous lieux, souffrant les plus dures épreuves, la prison et les coups, au point presque d’en mourir, ce qui ne l’empêchait pas d’en souhaiter bien davantage pour la gloire de son Maître. S’étant adjoint neuf compagnons de nations diverses, appartenant à l’Université de Paris, tous maîtres es arts et pourvus de leurs grades en théologie, il jeta les premiers fondements de son Ordre à Paris, sur le mont des Martyrs. L’ayant établi ensuite à Rome, ajoutant aux trois vœux ordinaires un quatrième vœu, relatif aux missions, il le mit sous l’étroite dépendance du Saint-Siège. Paul III d’abord l’admit et le confirma ; bientôt après, d’autres Pontifes et le concile de Trente l’approuvèrent. Ayant envoyé saint François Xavier prêcher l’Évangile aux Indes, et disséminé d’autres missionnaires dans les diverses parties du monde pour propager la religion, Ignace déclara lui-même la guerre à la superstition païenne et à l’hérésie. Cette lutte se continua avec un tel succès que, du sentiment universel appuyé sur le témoignage du souverain Pontife, il était évident que Dieu avait opposé Ignace et son institut à Luther et aux hérétiques d’alors, comme il avait suscité d’autres saints personnages à d’autres époques.

Sixième leçon. Ce qu’Ignace eut surtout à cœur, ce fut le renouvellement de la piété chez les catholiques. La beauté des temples, l’enseignement du catéchisme, la fréquentation des assemblées saintes et des sacrements durent beaucoup à son action. Il ouvrit partout des collèges pour former la jeunesse dans les lettres et la piété ; à Rome, il fonda le collège Germanique, des refuges pour les femmes perdues et les jeunes filles exposées à se perdre, des maisons pour recueillir tant les orphelins que les catéchumènes des deux sexes ; il s’appliquait encore avec un zèle infatigable à d’autres bonnes œuvres, afin de gagner des âmes à Dieu. Plus d’une fois on l’a entendu dire : « Si le choix m’était donné, j’aimerais mieux vivre incertain de la béatitude, tout en servant Dieu et en travaillant au salut du prochain, que de mourir immédiatement avec l’assurance de la gloire céleste. » Il exerça sur les démons un empire extraordinaire. Saint Philippe de Néri et plusieurs autres ont vu son visage tout radieux d’une lumière surnaturelle. Enfin, après avoir toujours eu sur les lèvres la plus grande gloire de Dieu, et l’avoir aussi cherchée en toutes choses, il quitta la terre dans sa soixante-cinquième année, pour aller s’unir au Seigneur. Ses grands mérites et ses miracles l’ayant rendu illustre dans l’Église, Grégoire XV ajouta son nom au calendrier des Saints, et Pie XI, accédant aux désirs des saints évêques, le déclara et l’établit céleste protecteur de tous ceux qui suivent les retraites dites exercices spirituels.

Au troisième nocturne.

Homélie de saint Grégoire, Pape. Homilía 17 in Evangelia

Septième leçon. Notre Seigneur et Sauveur nous instruit, mes bien-aimés frères, tantôt par ses paroles, et tantôt par ses œuvres. Ses œuvres elles-mêmes sont des préceptes, et quand il agit, même sans rien dire, il nous apprend ce que nous avons à faire. Voilà donc que le Seigneur envoie ses disciples prêcher ; il les envoie deux à deux, parce qu’il y a deux préceptes de la charité : l’amour de Dieu et l’amour du prochain, et qu’il faut être au moins deux pour qu’il y ait lieu de pratiquer la charité. Car, à proprement parler, on n’exerce pas la chanté envers soi-même ; mais l’amour, pour devenir charité, doit avoir pour objet une autre personne.

Huitième leçon. Voilà donc que le Seigneur envoie ses disciples deux à deux pour prêcher ; il nous fait ainsi tacitement comprendre que celui qui n’a point de charité envers le prochain ne doit en aucune manière se charger du ministère de la prédication. C’est avec raison que le Seigneur dit qu’il a envoyé ses disciples devant lui, dans toutes les villes et tous les lieux où il devait venir lui-même. Le Seigneur suit ceux qui l’annoncent. La prédication a lieu d’abord ; et le Seigneur vient établir sa demeure dans nos âmes, quand les paroles de ceux qui nous exhortent l’ont devancé, et qu’ainsi la vérité a été reçue par notre esprit.

Neuvième leçon. Voilà pourquoi Isaïe a dit aux mêmes prédicateurs : « Préparez la voie du Seigneur ; rendez droits les sentiers de notre Dieu ». A son tour le Psalmiste dit aux enfants de Dieu : « Faites un chemin à celui qui monte au-dessus du couchant ». Le Seigneur est en effet monté au-dessus du couchant ; car plus il s’est abaissé dans sa passion, plus il a manifesté sa gloire en sa résurrection. Il est vraiment monté au-dessus du couchant : car, en ressuscitant, il a foulé aux pieds la mort qu’il avait endurée. Nous préparons donc le chemin à Celui qui est monté au-dessus du couchant quand nous vous prêchons sa gloire, afin que lui-même, venant ensuite, éclaire vos âmes par sa présence et son amour.

Bien que le cycle du Temps après la Pentecôte nous ait maintes fois déjà manifesté la sollicitude avec laquelle l’Esprit divin préside à la défense de l’Église, l’enseignement resplendit aujourd’hui d’une manière nouvelle. Au XVIe siècle, un assaut formidable était livré à la cité sainte. Satan avait choisi pour chef de l’attaque un homme tombé comme lui des hauteurs du ciel. Luther, sollicité dans ses jeunes années par les grâces de choix qui font les parfaits, n’avait point su, dans un jour d’égarement, résister à l’esprit de révolte. Comme Lucifer, qui prétendit égaler Dieu, lui se posa en face du vicaire du Très-Haut sur la montagne du Testament ; bientôt, roulant aussi d’abîme en abîme, il entraînait de même à sa suite la troisième partie des étoiles du ciel de la sainte Église. Loi mystérieuse et terrible, que celle qui si souvent laisse à l’homme ou à l’ange déchu, dans les sphères du mal, la principauté qui devait s’exercer par eux pour le bien et l’amour ! Mais l’éternelle Sagesse n’est cependant jamais frustrée dans la divine loyauté de ce jeu sublime commencé avec le monde, et qui régit toujours les temps ; c’est alors qu’à l’encontre de la liberté pervertie de l’ange ou de l’homme, elle met en œuvre cette autre loi de substitution miséricordieuse dont Michel bénéficia le premier.

La vocation d’Ignace à la sainteté suit pas à pas dans ses développements la défection luthérienne. Au printemps de l’année 1521, Luther, jetant son défi à toutes les puissances, venait à peine de quitter Worms et de gagner la Wartbourg, qu’Ignace, à Pampelune, était frappé du coup qui devait le retirer du monde et bientôt le conduire à Manrèse. Valeureux comme ses nobles ancêtres, il s’était senti pénétrer dès ses premiers ans de l’ardeur belliqueuse qu’on les vit montrer sur les champs de bataille de la terre des Espagnes ; mais la campagne contre le Maure a pris fin dans les jours mêmes de sa naissance ; se pourrait-il qu’il n’eût, pour satisfaire ses chevaleresques instincts, que les querelles mesquines où la politique des rois va toujours plus s’abaisser ? Le seul vrai Roi resté digne de sa grande âme, se révèle à lui dans l’épreuve qui vient d’arrêter ses projets mondains ; une milice nouvelle s’offre, à son ambition ; une autre croisade commence ; et l’an 1522 voit, des monts de Catalogne à ceux de Thuringe, se développer la divine stratégie dont les Anges seuls ont encore le secret.

Admirable campagne, où l’on dirait que le ciel se contente d’observer l’enfer, lui laissant prendre les devants, ne se gardant que le droit de faire surabonder la grâce là où l’iniquité prétend abonder. De même que, l’année d’auparavant, le premier appel d’Ignace avait suivi de trois semaines la rébellion consommée de Luther : à trois semaines également de distance, voici qu’en celle-ci l’enfer et le ciel produisent leurs élus sous l’armure différente qui convient aux deux camps dont ils seront chefs. Dix mois de manifestations étranges et d’ascèse diabolique ont préparé le lieutenant de Satan dans la retraite forcée qu’il nomme sa Pathmos ; et le 5 mars, en rupture de ban, le transfuge du sacerdoce et du cloître quitte la Wartbourg transformé sous la cuirasse et le casque en chevalier de fausse marque. Le 25 du même mois, dans la glorieuse nuit où le Verbe prit chair, le brillant soldat des armées du royaume catholique, le descendant des Ognès et des Loyola, vêtu d’un sac comme de l’insigne de pauvreté qui révèle ses projets nouveaux, passe en prières au Mont-Serrat sa veille des armes ; il suspend à l’autel de Marie sa vaillante épée, et de là s’en va préludant aux combats inconnus qui l’attendent dans une lutte sans merci contre lui-même.

Au drapeau du libre examen, qui partout déjà fait flotter ses plis orgueilleux, il oppose sur le sien pour unique devise : À la plus grande gloire de Dieu ! Bientôt Paris, où Calvin recrute dans le secret les futurs huguenots, le voit enrôler, pour le compte du Dieu des armées, la compagnie d’avant-poste qui doit dans sa pensée couvrir l’armée chrétienne en éclairant sa marche, porter et recevoir les premiers coups. L’Angleterre vient-elle, aux premiers mois de 1534, d’imiter dans leur défection l’Allemagne et les pays du Nord, que, le 15 août de cette année, les premiers soldats d’Ignace scellent à Montmartre avec lui l’engagement définitif qu’ils doivent renouveler solennellement plus tard à Saint-Paul-hors-les-Murs. Car c’est à Rome qu’est fixé le point de ralliement de la petite troupe, qui s’accroîtra bientôt merveilleusement, mais dont la profession spéciale sera d’être toujours prête à se porter, au moindre signe, sur tous les points où le Chef suprême de l’Église militante jugera bon d’utiliser son zèle pour la défense de la foi ou sa propagation, pour le progrès des âmes dans la doctrine et la vie chrétienne.

Une bouche illustre a dit en nos temps que « ce qui frappe de prime abord dans l’histoire de la société de Jésus, c’est que pour elle l’âge mûr est contemporain de la première formation. Qui connaît les premiers auteurs de la compagnie, connaît la compagnie entière dans son esprit, dans son but, dans ses entreprises, dans ses procédés, dans ses méthodes. Quelle génération que celle qui préside à ses origines ! Quelle union de science et d’activité, de vie intérieure et de vie militante ! On peut dire que ce sont des hommes universels, des hommes de race gigantesque, en comparaison desquels nous ne sommes que des insectes : de genere giganteo, quibus comparati quasi locustae videbamur ».

Combien plus touchante n’en apparaît pas la simplicité si pleine de charmes de ces premiers Pères de la compagnie, faisant la route qui les sépare de Rome à pied et jeûnant, épuisés, mais le cœur débordant d’allégresse et chantant à demi-voix les psaumes de David ! Quand il fallut, pour répondre aux nécessités de l’heure présente, abandonner dans le nouvel institut les grandes traditions de la prière publique, il en coûta à plusieurs de ces âmes ; ce ne fut pas sans lutte que Marie, sur ce point, dut céder à Marthe : tant de siècles durant, la solennelle célébration des divins Offices avait paru l’indispensable tâche de toute famille religieuse, dont elle formait la dette sociale première, comme elle était l’aliment premier de la sainteté individuelle de ses membres !

Mais l’arrivée de temps nouveaux promenant partout la déchéance et la ruine, appelait une exception aussi insolite alors que douloureuse pour la vaillante compagnie qui dévouait son existence à l’instabilité d’alertes sans fin et de sorties perpétuelles sur les terres ennemies. Ignace le comprit ; et il sacrifia au but particulier qui s’imposait à lui l’attrait personnel qu’il ressentit jusqu’à la fin pour le chant sacré, dont les moindres notes parvenant à son oreille faisaient couler de ses yeux des larmes d’extase. Après sa mort, l’Église, qui jusque-là n’avait point connu d’intérêt primant la splendeur à donner au culte de l’Époux, voulut revenir sur une dérogation qui portait une atteinte si profonde aux instincts les plus chers de son cœur d’Épouse ; on vit Paul IV la révoquer absolument ; mais saint Pie V eut beau lui-même longtemps lutter contre elle, il dut enfin la subir.

Avec les derniers siècles et leurs embûches, l’heure des milices spéciales organisées en camps volants avait sonné pour l’Église. Mais autant il devenait plus difficile chaque jour d’exiger de ces troupes méritantes, absorbées dans de continuels combats au dehors, les habitudes de ceux que protégeaient la Cité sainte et ses anciennes tours de défense : autant Ignace répudiait le contre-sens étrange qui eût voulu réformer les mœurs du peuple chrétien d’après la manière de vivre entraînée par le service de reconnaissances et de grand’garde, auquel il se sacrifiait pour tous. La troisième des dix-huit règles qu’il pose, comme couronnement des EXERCICES SPIRITUELS, pour avoir en nous les vrais sentiments de l’Église orthodoxe, est de recommander aux fidèles les chants de l’Église, les psaumes, et les différentes Heures canoniales au temps marqué pour chacune. Et, en tête de ce livre qui est bien le trésor de la Compagnie de Jésus, établissant les conditions qui permettront de retirer le plus grand fruit possible des mêmes Exercices, il détermine, dans son annotation vingtième, que celui qui le peut devra choisir, pour le temps de leur durée, une habitation d’où il lui soit facile de se rendre aux Offices de Matines et des Vêpres ainsi qu’au divin Sacrifice. Que fait du reste en cela notre Saint, sinon conseiller pour la pratique des Exercices le même esprit dans lequel ils furent composés, en cette retraite bénie de Manrèse où l’assistance quotidienne à la Messe solennelle et aux Offices du soir fut pour lui la source de délices du ciel ?

La victoire qui triomphe du monde est notre foi. Une fois de plus vous l’avez montré, ô vous qui fûtes le grand triomphateur du siècle où le Fils de Dieu vous choisit pour relever son drapeau humilié devant l’étendard de Babel. Contre les bataillons sans cesse grossissant des révoltés, vous fûtes longtemps presque seul, laissant au Dieu des armées le soin de choisir son heure pour vous mettre aux prises avec les cohortes de Satan, comme il l’avait choisie pour vous retirer de la milice des hommes. Le monde, instruit alors de vos desseins, n’y eût vu qu’un objet de risée ; et toutefois nul certes aujourd’hui ne saurait le nier : ce fut un moment solennel pour l’histoire du monde, que celui où, pareil dans votre confiance aux plus illustres capitaines concentrant leurs armées, vous donniez ordre à vos neuf compagnons de gagner trois par trois la Ville sainte. Quels résultats durant les quinze années où cette troupe d’élite, que recrutait l’Esprit-Saint, vous eut à sa tête comme premier Général ! L’hérésie refoulée d’Italie, confondue à Trente, enrayée partout, immobilisée jusqu’en son foyer même ; d’immenses conquêtes sur des terres nouvelles, réparant les pertes subies dans notre Occident ; Sion elle-même rajeunissant sa beauté, relevée dans son peuple et ses pasteurs, assurée pour ses fils d’une éducation répondant à leurs célestes destinées : sur toute la ligne enfin où il avait imprudemment crié victoire, Satan rugissant, dompté à nouveau par ce nom de Jésus qui fait fléchir tout genou dans le ciel, sur la terre et dans les enfers ! Quelle gloire pour vous, ô Ignace, eût jamais égalé celle-là dans les armées des rois de la terre ?

Du trône que vous avez conquis par tant de hauts faits, veillez sur ces fruits de vos œuvres, et montrez-vous toujours le soldat de Dieu. Au travers des contradictions qui ne leur manquèrent jamais, soutenez vos fils au poste d’honneur et de vaillance qui fait d’eux les sentinelles avancées de l’Église. Qu’ils soient fidèles à l’esprit de leur glorieux Père, « ayant sans cesse devant les yeux : premièrement Dieu ; ensuite, comme une voie qui conduit à lui, la forme de leur institut, consacrant tout ce qu’ils ont de forces à atteindre ce but que Dieu leur marque ; chacun pourtant suivant la mesure de la grâce qu’il a reçue de l’Esprit-Saint et le degré propre de sa vocation ». Enfin, ô chef d’une si noble descendance, étendez votre amour à toutes les familles religieuses, dont le sort en face de .la persécution est devenu si étroitement solidaire aujourd’hui de celui de la vôtre ; bénissez spécialement l’Ordre monastique qui protégea de ses antiques rameaux vos premiers pas dans la vie parfaite, et la naissance de l’illustre Compagnie qui sera votre couronne immortelle dans les cieux. Ayez pitié de la France, de ce Paris dont l’université vous fournit les assises de l’inébranlable édifice élevé par vous à la gloire du Très-Haut. Que tout chrétien apprenne de vous à militer pour le Seigneur, à ne jamais renier son drapeau ; que tout homme, sous votre conduite, revienne à Dieu son principe et sa fin.

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Sainte Marthe vierge mémoire de St Félix, Pape, et des Saints Simplice Faustin et Béatrice Martyrs

29 Juillet 2020 , Rédigé par Ludovicus

Sainte Marthe vierge mémoire de St Félix, Pape, et des Saints Simplice Faustin et Béatrice Martyrs

Collecte

Exaucez-nous, ô Dieu notre salut : et comme nous trouvons un sujet de joie dans la fête de la bienheureuse Marthe, votre Vierge : faites que nous goûtions les enseignements et la ferveur d’une pieuse dévotion

Office

Au deuxième nocturne.

Quatrième leçon. Marthe, issue de parents nobles et riches, est célèbre par l’hospitalité qu’elle donna au Seigneur. Après l’ascension de Jésus dans les cieux, les Juifs s’emparèrent d’elle, de son frère, de sa sœur, de Marcelle leur servante et de beaucoup d’autres Chrétiens, parmi lesquels Maximin, l’un des soixante-douze disciples, qui avait baptisé toute cette famille. Marthe fut embarquée sur un vaisseau sans voiles ni rames, et exposée à un naufrage certain sur l’immensité de la mer ; mais la main de Dieu dirigea le navire, qui les conduisit tous sains et saufs à Marseille.

Cinquième leçon. Leur prédication, jointe à ce miracle, convertit à Jésus-Christ les habitants de cette ville, puis ceux d’Aix et les populations voisines. Lazare fut créé Évêque de Marseille, et Maximin, Évêque d’Aix. Madeleine, qui avait eu coutume de se tenir aux pieds du Seigneur et d’écouter sa parole, alla s’enfermer dans une vaste caverne sur une haute montagne, afin de jouir de la meilleure part qu’elle s’était réservée, à savoir la contemplation du bonheur céleste ; elle y vécut trente ans, privée de tout rapport avec les hommes, et chaque jour les Anges relevaient dans les airs pour qu’elle entendît les louanges des esprits célestes.

Sixième leçon. Pour ce qui est de Marthe, dont l’éminente sainteté de vie et la charité provoquèrent l’amour et l’admiration de tous les Marseillais, elle se retira avec quelques femmes d’une haute vertu dans un lieu solitaire ; elle y vécut de longues années avec une grande réputation de piété et de prudence. Enfin, après s’être illustrée par des miracles et avoir prédit longtemps à l’avance le jour de sa mort, elle s’en alla vers le Seigneur, le quatrième jour des calendes d’août. A Tarascon on entoure son corps d’une grande vénération.

Au troisième nocturne.

Homélie de saint Augustin, Évêque. Sermo 26 de verbis Domini

Septième leçon. Les paroles de notre Seigneur Jésus-Christ qu’on vient de lire dans l’Évangile, nous rappellent qu’il est une seule chose à laquelle nous devons tendre, au milieu des soins multiples de ce monde. Or, nous y tendons comme étrangers et non comme citoyens ; comme étant sur la route et non dans la patrie ; comme aspirants et non comme possesseurs. Tendons-y néanmoins, et tendons-y sans paresse et sans relâche, afin de pouvoir y arriver un jour. Marthe et Marie étaient deux sœurs, sœurs non seulement par la chair, mais par la religion ; toutes deux s’attachèrent au Seigneur ; toutes deux d’un commun accord, servirent le Seigneur pendant les jours de sa vie mortelle.

Huitième leçon. Marthe le reçut comme on reçoit un hôte, mais c’était néanmoins la servante qui recevait son Seigneur, une malade qui recevait son Sauveur, la créature qui recevait son Créateur. Elle le reçut pour lui donner la nourriture du corps, et pour recevoir de lui la nourriture de l’âme. Car le Seigneur a voulu prendre la forme d’esclave, et, dans cette forme d’esclave, être nourri par ses serviteurs, et cela par bonté, non par nécessité. Ce fut en effet de sa part une bonté que de se laisser nourrir. Sans doute, il avait une chair sujette à la faim et à la soif ; mais ignorez-vous que des Anges lui apportèrent à manger, quand il eut faim au désert ? Si donc il a voulu être nourri, ç’a été dans l’intérêt de quiconque le nourrissait. Et quoi d’étonnant, puisqu’il a fait ainsi du bien à une veuve, en nourrissant par elle le saint Prophète Élie, qu’il avait nourri auparavant par le ministère d’un corbeau ? Est-ce qu’il est impuissant à nourrir le Prophète, pour l’envoyer à cette veuve ? Nullement, mais il se proposait de bénir la pieuse veuve, en raison du service rendu à son serviteur.

Neuvième leçon. C’est donc ainsi que le Seigneur fut reçu en qualité d’hôte ; « lui qui est venu chez lui, et les siens ne l’ont point reçu, mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu », adoptant des esclaves et les prenant pour enfants, rachetant des captifs et les faisant ses cohéritiers. Qu’il n’arrive cependant à aucun de vous de dire : ô bienheureux ceux qui ont eu l’honneur de recevoir le Christ dans leur propre maison ! Garde-toi de te plaindre et de murmurer de ce que tu es né à une époque où tu ne vois plus le Seigneur en sa chair. Il ne t’a point privé de cette faveur. « Chaque fois que vous l’avez fait à un de ces plus petits d’entre mes frères, dit-il, c’est à moi que vous l’avez fait ». En voilà assez sur la nourriture corporelle à offrir au Seigneur. Quant à la nourriture spirituelle qu’il nous donne, nous en dirons quelques mots à l’occasion.

Madeleine, cette fois, avait été la première au-devant du Seigneur. Huit jours à peine étaient écoulés depuis son glorieux passage, que rendant à sa sœur le bon office qu’elle en reçut autrefois; elle venait lui dire à son tour : « Le bien-aimé est là, et il t’appelle ». Et Jésus, prenant les devants, paraissait lui-même : « Viens, disait-il, « mon hôtesse ; viens de l’exil, tu seras couronnée » Hôtesse du Seigneur, tel sera donc au ciel comme ici-bas le nom de Marthe et son titre de noblesse éternel.

« En quelque ville ou village que vous entriez, disait l’Homme-Dieu à ses disciples, informez-vous qui en est digne, et demeurez chez lui ». Or, raconte saint Luc, il arriva que comme ils marchaient, lui-même entra en un certain village, et une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison, Où chercher plus bel éloge, où trouver plus sûre louange de la sœur de Madeleine, que dans le rapprochement de ces deux textes du saint Évangile ?

Ce certain lieu où elle fut, comme en étant digne, élue par Jésus pour lui donner asile, ce village, dit saint Bernard, est notre humble terre, perdue comme une bourgade obscure dans l’immensité des possessions du Seigneur. Le Fils de Dieu, parti des cieux, faisait route à la recherche de la brebis perdue, guidé par l’amour. Sous le déguisement de notre chair de péché, il était venu dans ce monde qui était son œuvre, et le monde ne l’avait point connu ; Israël, son peuple, n’avait pas eu pour lui, même une pierre où il pût reposer sa tête, et l’avait laissé dans sa soif mendier l’eau des Samaritains. Nous, ses rachetés de la gentilité, qu’à travers reniements et fatigues il poursuivait ainsi, n’est-il pas vrai que sa gratitude doit être aussi la nôtre pour celle qui, bravant l’impopularité du moment, la persécution de l’avenir, voulut solder envers lui notre dette à tous ?

Gloire donc à la fille de Sion, descendante des rois, qui, fidèle aux traditions d’hospitalité des patriarches ses premiers pères, fut bénie plus qu’eux dans l’exercice de cette noble vertu ! Plus ou moins obscurément encore, ils savaient pourtant, ces ancêtres de notre foi, que le désiré d’Israël et l’attente des nations devait paraître en voyageur et en étranger sur la terre. Aussi, eux-mêmes pèlerins d’une patrie meilleure, sans demeure fixe, ils honoraient le Sauveur futur en tout inconnu se présentant sous leur tente ; comme nous leurs fils dans la foi des mêmes promesses, accomplies maintenant, vénérons le Christ dans l’hôte que sa bonté nous envoie. Pour eux comme pour nous, cette relation qui leur était montrée entre Celui qui devait venir et l’étranger cherchant un asile, faisait de l’hospitalité, fille du ciel, une des plus augustes suivantes de la divine charité. Plus d’une fois, la visite d’Anges se prêtant sous des traits humains aux bons offices de leur zèle, manifesta en effet la complaisance qu’y prenaient les cieux. Mais s’il convient d’estimer à leur prix ces célestes prévenances dont notre terre n’était point digne, combien pourtant s’élève plus haut le privilège de Marthe, vraie dame et princesse de la sainte hospitalité, depuis qu’elle en a placé l’étendard au sommet vers lequel convergèrent tous les siècles de l’attente et ceux qui suivirent !

S’il fut grand d’honorer le Christ, avant sa venue, dans ceux qui de près ou de loin étaient ses figures ; si Jésus promet l’éternelle récompense à quiconque, depuis qu’il n’est plus avec nous, l’abrite et le sert en ses membres mystiques : celle-là est plus grande et mérita plus, qui reçut en personne Celui dont le simple souvenir ou la pensée donne à la vertu dans tous les temps mérite et grandeur. Et de même que Jean l’emporte sur tous les Prophètes, pour avoir montré présent le Messie qu’ils annonçaient à distance ; ainsi le privilège de Marthe, tirant son excellence de la propre et directe excellence du Verbe de Dieu qu’elle secourut dans la chair même qu’il avait prise pour nous sauver, établit la sœur de Madeleine au-dessus de tous ceux qui pratiquèrent jamais les œuvres de miséricorde.

Si donc Madeleine aux pieds du Seigneur garde pour elle la meilleure part, ne croyons pas que celle de Marthe doive être méprisée. Le corps est un, mais il a plusieurs membres, et tous ces membres n’ont pas le même rôle ; ainsi l’emploi de chacun dans le Christ est différent selon la grâce qu’il a reçue, soit pour prophétiser, soit pour servir. Et l’Apôtre, exposant cette diversité de l’appel divin : « Par la grâce qui m’a été donnée, disait-il, je recommande à tous ceux qui sont parmi vous de ne point être sage plus qu’il ne convient d’être sage, mais de se tenir à la mesure du don que Dieu départit à chacun dans la foi ». O discrétion, gardienne de la doctrine autant que mère des vertus, que de pertes dans les âmes, que de naufrages parfois, vous feriez éviter !

« Quiconque, dit saint Grégoire avec son sens si juste toujours, quiconque s’est donné entièrement à Dieu, doit avoir soin de ne pas se répandre seulement dans les œuvres, et tendre aussi aux sommets de la contemplation. Cependant il importe extrêmement ici de savoir qu’il y a une grande variété de tempéraments spirituels. Tel qui pouvait vaquer paisible à la contemplation de Dieu, tombera écrasé sous les œuvres ; tel que l’usuelle occupation des humains eût gardé dans une vie honnête, se blesse mortellement au glaive d’une contemplation qui dépasse ses forces : ou faute de l’amour qui empêche le repos de tourner en torpeur, ou faute de la crainte qui garde des illusions de l’orgueil et des sens. L’homme qui désire être parfait doit à cause de cela s’exercer dans la plaine d’abord, à la pratique des vertus, pour monter plus sûrement aux hauteurs, laissant en bas toute impulsion des sens qui ne peuvent qu’égarer les recherches de l’esprit, toute image dont les contours ne sauraient s’adapter à la lumière sans contours qu’il désire voir. A l’action donc le premier temps, à la contemplation le dernier. L’Évangile loue Marie, mais Marthe n’y est point blâmée, parce que grands sont les mérites de la vie active, quoique meilleurs ceux de la contemplation ».

Et si nous voulons pénétrer plus avant le mystère des deux sœurs, observons que, bien que Marie soit la préférée, ce n’est pourtant point dans sa maison, ni dans celle de Lazare leur frère, mais dans la maison de Marthe, que l’Homme-Dieu nous est montré faisant séjour ici-bas avec ceux qu’il aime. Jésus, dit saint Jean, aimait Marthe, et sa sœur Marie, et Lazare : Lazare, figure des pénitents que sa miséricordieuse toute-puissance appelle chaque jour de la mort du péché à la vie divine ; Marie, s’adonnant dès ce monde aux mœurs de l’éternité ; Marthe enfin, nommée ici la première comme l’aînée de son frère et de sa sœur, la première en date mystiquement selon ce que disait saint Grégoire, mais aussi comme celle de qui l’un et l’autre dépendent en cette demeure dont l’administration est remise à ses soins. Qui ne reconnaîtrait là le type parfait de l’Église, où, dans le dévouement d’un fraternel amour sous l’œil du Père qui est aux cieux, le ministère actif tient la préséance de gouvernement sur tous ceux que la grâce amène à Jésus ? Qui ne comprendrait aussi les préférences du Fils de Dieu pour cette maison bénie ? L’hospitalité qu’il y recevait, toute dévouée qu’elle fût, le reposait moins de sa route laborieuse que la vue si achevée déjà des traits de cette Église qui l’avait attiré du ciel en terre.

Marthe par avance avait donc compris que quiconque a la primauté doit être le serviteur : comme le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir ; comme plus tard le Vicaire de Jésus, le prince des prélats de la sainte Église, s’appellera Serviteur des serviteurs de Dieu. Mais en servant Jésus, comme elle servait avec lui et pour lui son frère et sa sœur, qui pourrait douter que plus que personne elle entrait en part des promesses de cet Homme-Dieu, lorsqu’il disait : « Qui me sert me suit ; et où je serai, là aussi sera mon serviteur ; et mon Père l’honorera ». Et cette règle si belle de l’hospitalité antique, qui créait entre l’hôte et l’étranger admis une fois à son foyer des liens égaux à ceux du sang, croyons-nous que dans la circonstance l’Emmanuel ait pu n’en pas tenir compte, lorsqu’au contraire son Évangéliste nous dit qu’« à tous ceux qui le reçurent il a donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu ». C’est qu’en effet « quiconque le reçoit, déclare-t-il lui-même, ne reçoit pas lui seulement, mais le Père qui l’envoie ».

La paix promise à toute maison qui se montrerait digne de recevoir les envoyés du ciel, la paix qui ne va point sans l’Esprit d’adoption des enfants, s’était reposée sur Marthe avec une incomparable abondance. L’exubérance trop humaine qui d’abord s’était laissée voir dans sa sollicitude empressée, avait été pour l’Homme-Dieu l’occasion de montrer sa divine jalousie pour la perfection de cette âme si dévouée et si pure. Au contact sacré, la vive nature de l’hôtesse du Roi pacifique dépouilla ce qu’il lui restait de fébrile inquiétude ; et servante plus active que jamais, plus agréée qu’aucune autre, elle puisa dans sa foi ardente au Christ Fils du Dieu vivant l’intelligence de l’unique nécessaire et de la meilleure part qui devait un jour être aussi la sienne. Oh ! quel maître de la vie spirituelle, quel modèle ici Jésus n’est il pas de discrète fermeté, de patiente douceur, de sagesse du ciel dans la conduite des âmes aux sommets !

Jusqu’à la fin de sa carrière mortelle, selon le conseil de stabilité que lui-même il donnait aux siens, l’Homme-Dieu resta fidèle à l’hospitalité de Béthanie : c’est de là qu’il partit pour sauver le monde en sa douloureuse Passion ; c’est de Béthanie encore que, quittant le monde, il voulut remonter dans les cieux. Alors cette demeure, paradis de la terre, qui avait abrité Dieu, la divine Mère, le collège entier des Apôtres, parut bien vide à ceux qui l’habitaient. L’Église tout à l’heure nous dira par quelles voies, toutes d’amour pour nous Gentils, l’Esprit de la Pentecôte transporta dans la terre des Gaules la famille bénie des amis de l’Homme-Dieu.

Sur les rives du Rhône, Marthe restée la même apparut comme une mère, compatissant à toutes misères, s’épuisant en bienfaits Jamais sans pauvres, dit l’ancien historien des deux sœurs, elle les nourrissait avec une tendre sollicitude des mets que le ciel fournissait abondamment à sa charité, n’oubliant qu’elle-même, ne se réservant que des herbes ; et en mémoire du glorieux passé, comme elle avait servi le Chef de l’Église en sa propre personne, elle le servait maintenant dans ses membres, toujours aimable pour tous, affable à chacun. Cependant les pratiques d’une effrayante pénitence étaient ses délices. Mille fois martyre, de toutes les puissances de son âme Marthe la très sainte aspirait aux cieux. Son esprit, perdu en Dieu, s’absorbait dans la prière et y passait les nuits. Infatigablement prosternée, elle adorait régnant au ciel Celui qu’elle avait vu sans gloire en sa maison. Souvent aussi elle parcourait les villes et les bourgs, annonçant aux peuples le Christ Sauveur.

Avignon et d’autres villes de la province Viennoise l’eurent pour apôtre. Tarascon fut par elle délivré de l’ancien serpent, qui sous une forme monstrueuse perdait les corps comme au dedans il tyrannisait les âmes. Ce fut là qu’au milieu d’une communauté de vierges qu’elle avait fondée, elle entendit le Seigneur l’appeler en retour de son hospitalité d’autrefois à celle des cieux. C’est là qu’aujourd’hui encore elle repose, protégeant son peuple de Provence, accueillant en souvenir de Jésus l’étranger. La paix des bienheureux qui respire en sa noble image, pénètre le pèlerin admis à baiser ses pieds apostoliques ; et en remontant les degrés de la crypte sacrée pour reprendre sa route dans cette vallée d’exil, il garde, comme un parfum de la patrie, le souvenir de l’unique et touchante épitaphe : SOLLICITA NON TURBATUR ; zélée toujours, elle n’est plus troublée.

Entrée pour jamais comme Madeleine en possession de la meilleure part, votre place, ô Marthe, est belle dans les cieux. Car celui qui sert dignement s’acquiert un rang élevé, dit saint Paul, et sa confiance est grande à juste titre dans la foi du Christ Jésus : le service que les diacres dont parlait l’Apôtre accomplissent pour l’Église, vous l’avez accompli pour son Chef et son Époux ; vous avez bien gouverné votre maison, qui était la figure de cette Église aimée du Fils de Dieu. Or, assure encore le Docteur des nations, « Dieu n’est point injuste, pour oublier vos œuvres et l’amour que vous avez témoigné pour son nom, vous qui avez servi les saints ». Et le Saint des saints, devenu lui-même votre hôte et votre obligé, ne nous laisse-t-il pas déjà entrevoir assez vos grandeurs, lorsque parlant seulement du serviteur fidèle établi sur sa famille pour distribuer à chacun la nourriture au temps voulu, il s’écrie : « Heureux ce serviteur que le Maître, quand il viendra, trouvera agissant de la sorte ! en vérité, je vous le dis, il l’établira sur tous ses biens ». O Marthe, l’Église tressaille en ce jour où le Seigneur vous trouva, sur notre terre des Gaules, continuant de l’accueillir en ces plus petits où il déclare que nous devons maintenant le chercher. Il est donc venu le moment de la rencontre éternelle ! Assise désormais, dans la maison de cet hôte fidèle plus qu’aucun aux lois de l’hospitalité, vous le voyez faire de sa table votre table, et se ceignant à son tour, vous servir comme vous l’avez servi.

Du sein de votre repos, protégez ceux qui continuent de gérer les intérêts du Christ ici-bas, dans son corps mystique qui est toute l’Église, dans ses membres fatigués ou souffrants qui sont les pauvres et les affligés de toutes sortes. Multipliez et bénissez les œuvres de la sainte hospitalité ; que le vaste champ de la miséricorde et de la charité voie ses prodigieuses moissons s’accroître encore en nos jours. Puisse rien ne se perdre de l’activité si louable où se dépense le zèle de tant d’âmes généreuses ! et dans ce but, ô sœur de Madeleine, apprenez à tous, comme vous-même l’avez appris du Seigneur, à mettre au-dessus de tout l’unique nécessaire, à estimer à son prix la meilleure part. Après la parole qui vous fut dite moins pour vous que pour tous, quiconque voudrait troubler Madeleine aux pieds de Jésus, ou l’empêcher de s’y rendre, verrait à bon droit le ciel froissé stériliser ses œuvres.

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Saints Nazaire Celse martyrs Victor pape et martyr et Innocent Ier pape

28 Juillet 2020 , Rédigé par Ludovicus

Saints Nazaire  Celse martyrs Victor pape et martyr et Innocent Ier papeSaints Nazaire  Celse martyrs Victor pape et martyr et Innocent Ier pape

Collecte

Que la bienheureuse profession de foi de vos saints Nazaire, Celse, Victor et Innocent nous fortifie, Seigneur : et qu’elle obtienne de votre bonté des secours pour notre faiblesse.

Office

Au deuxième nocturne.

Quatrième leçon. Nazaire, baptisé par le Pape saint Lin, passa en Gaule et y baptisa le jeune Celse, qu’il avait pieusement instruit des préceptes chrétiens : ils allèrent ensemble à Trêves, et pendant la persécution de Néron, ils furent jetés tous les deux à la mer, mais ils en sortirent miraculeusement. Ils vinrent ensuite à Milan ; comme ils répandaient la foi du Christ, et confessaient sa divinité avec la plus grande constance, le préfet Anolinus leur fit trancher la tête ; leurs corps, ensevelis en dehors de la porte Romaine, y restèrent longtemps, mais, sur une indication céleste, saint Ambroise les découvrit, portant les traces d’un sang aussi vermeil que s’ils avaient souffert le martyre tout récemment ; ils furent transportés à Rome et renfermés dans un sépulcre honorable.

Cinquième leçon. Victor, né en Afrique, gouverna l’Église sous l’empereur Sévère. Il confirma le décret de Pie Ier, réglant que Pâques serait célébrée le dimanche ; dans le but de faire passer cette loi dans la pratique, il se tint des conciles en beaucoup de lieux ; le premier synode de Nicée décréta enfin qu’on célébrerait la fête de Pâques après la quatorzième lune, afin que les Chrétiens ne parussent pas imiter les Juifs. Le Pape Victor décida qu’on pourrait baptiser en cas de nécessité avec n’importe quelle eau, pourvu qu’elle fût naturelle. Il rejeta du sein de l’Église le corroyeur byzantin Théodote, qui prétendait que le Christ n’avait été qu’un homme, écrivit un traité sur la solennité pascale et quelques autres opuscules. En deux ordinations faites au mois de décembre, il ordonna quatre Prêtres, sept Diacres et sacra douze Évêques pour divers lieux. Ayant reçu la couronne du martyre, il fut enseveli au Vatican, le cinq des calendes d’août, après avoir siégé neuf ans, un mois et vingt-huit jours.

Sixième leçon. Innocent, d’Albano, vécut au temps de saint Augustin et de saint Jérôme. Celui-ci, écrivant à la vierge Démétriade, disait de lui : « Gardez la foi de saint Innocent, qui siège sur la chaire apostolique, et qui est le successeur et le fils spirituel d’Anastase, d’heureuse mémoire ; ne recevez pas une autre doctrine, si sage et si séduisante qu’elle paraisse. » L’écrivain Orose, comparant Innocent au juste Lot que la divine Providence a préservé, dit que ce Pape fut amené à Ravenne pour qu’il eût la vie sauve et ne vît pas la ruine du peuple romain. Après la condamnation de Pelage et de Célestius, il porta ce décret au sujet de leurs hérésies : qu’il fallait régénérer par le baptême les petits enfants, fussent-ils nés d’une mère chrétienne, afin de purifier en eux au moyen de cette régénération spirituelle, la souillure contractée par la génération naturelle. Il approuva aussi le jeûne du samedi, en mémoire de la sépulture de notre Seigneur. Il siégea quinze ans, un mois et dix jours. En quatorze ordinations au mois de décembre, il ordonna trente Prêtres, quinze diacres, et sacra cinquante-quatre Évêques pour divers lieux. Il fut enseveli dans le cimetière nommé : Ad Ursum pileatum.

Au troisième nocturne.

Homélie de saint Grégoire, Pape. Homilia 35 in Evangelia

Septième leçon. Notre Seigneur et Rédempteur annonce les calamités qui doivent précéder la fin du monde, afin qu’au moment où elles viendront, elles causent d’autant moins de trouble qu’elles auront été connues à l’avance. Les traits dont on prévoit l’atteinte sont, en effet, moins dangereux ; et les maux de ce monde nous semblent plus supportables quand la prévoyance nous munit contre eux comme d’un bouclier. Voici donc ce que nous dit le Sauveur : « Quand vous entendrez parler de guerres et de séditions, n’en soyez point effrayés, il faut auparavant que ces choses arrivent ; mais ce n’est pas encore sitôt la fin ». Il faut peser ces paroles par lesquelles notre Rédempteur nous déclare ce que nous aurons à souffrir, soit au dedans soit au dehors. En effet, par guerres, on désigne des combats contre les ennemis extérieurs, et par séditions, des luttes entre concitoyens. Afin donc de nous faire entendre que nous rencontrerons des sujets de trouble au dedans comme au dehors, Jésus-Christ nous dit que nous aurons à souffrir des peines de la part de nos ennemis, et d’autres de la part de nos frères.

Huitième leçon. Mais parce que la fin ne suivra pas immédiatement ces maux qui auront lieu d’abord, le Seigneur ajoute : « Une nation se soulèvera contre une nation, un royaume contre un royaume. Il y aura de grands tremblements de terre en divers lieux, et des pestes et des famines, et des signes effrayants dans le ciel, et de grands prodiges ». Beaucoup de tribulations préviennent la dernière tribulation ; et les calamités qui se succèdent alors en si grand nombre sont l’indice des maux éternels, réservés aux méchants. Aussi, après les guerres et les séditions, n’est-ce pas encore la fin. Un grand nombre de malheurs doivent la précéder, afin qu’ils puissent faire présager le malheur qui n’aura pas de fin.

Neuvième leçon. Après avoir énuméré tant de signes de la perturbation finale, il nous faut maintenant considérer brièvement chacun d’eux en particulier, puisque nécessairement, nous subirons ces maux qui nous viennent les uns du ciel, les autres de la terre ; ceux-ci des éléments, ceux-là des hommes. Notre Seigneur dit : « Une nation se soulèvera contre une autre nation » : voilà la perturbation venant des hommes. « Il y aura de grands tremblements de terre en divers lieux », c’est la colère divine qui éclate d’en haut. « Il y aura des pestes », c’est la désorganisation se manifestant dans les corps ; « de la famine » : cela vient de la stérilité de la terre ; « des signes effrayants dans le ciel et des tempêtes » ; ce sont les troubles atmosphériques. Parce que toutes choses doivent être détruites, il se produira avant cette consommation des troubles universels et nous qui avons par le péché abusé de toutes les créatures, nous les verrons servir toutes à notre châtiment, afin que cette parole s’accomplisse : « Toute la terre combattra avec lui contre les insensés ».

 

La gloire de l’Église de Milan, Nazaire et Celse apparaissent au Cycle en ce jour. Oubliés trois siècles dans l’obscurité de la tombe qui, au temps de Néron, avait caché leurs dépouilles sacrées, ils reçoivent maintenant les hommages de l’Orient et de l’Occident réunis dans leur culte. Neuf ans s’étaient écoulés depuis la journée triomphale où, non moins ignorés de la ville témoin jadis de leurs combats, Gervais et Protais étaient venus, comme d’eux-mêmes, se ranger près d’un illustre Pontife attaqué pour la divine consubstantialité du même Christ qui avait eu leur amour et leur foi. Ambroise, que le martyre fuyait, mais qu’aimaient les Martyrs, était près de recevoir la blanche couronne réservée à ses œuvres saintes, quand le ciel lui révéla le nouveau trésor dont la découverte allait, une fois de plus, « illustrer les temps de son épiscopat » . Théodose n’était plus ; Ambroise allait mourir ; partout déjà les Barbares se montraient. Mais comme si, avec la menace de la destruction imminente de l’ancien monde, l’heure de la première résurrection dont parle saint Jean eût sonné, les Martyrs se levaient de leurs tombes, et ils allaient régner mille ans avec le Christ sur un monde renouvelé.

Elle est tombée, elle est tombée la grande Babylone qui abreuvait tous les peuples du vin de sa fornication, et dans laquelle s’est trouvé tout le sang des saints qui furent tués sur la terre. Le grand Pape saint Innocent Ier, dont la mémoire semble venir aujourd’hui compléter tout exprès celle des Martyrs, n’est-il pas là pour rendre en effet témoignage du cataclysme dans lequel, aux jours de son pontificat, Rome païenne périt enfin et fit place entière à la Jérusalem nouvelle descendue des cieux ? Pas plus que l’antique Sion, la Rome des Césars ne s’était rendue aux avances du Dieu qui pouvait seul répondre à ses espérances d’immortalité. Depuis même le triomphe de la Croix sous Constantin, aucune ville de l’empire n’était restée si opiniâtrement éprise des idoles aux pieds desquelles avait coulé par sa criminelle folie, tant qu’elle était demeurée libre, le sang généreux qui aurait pu renouveler sa jeunesse. Après pourtant la défaite de ses vains simulacres, la patience divine s’était résolue de l’attendre un siècle entier, dont les dix dernières années ne furent qu’une suite de menaces salutaires et d’interventions miséricordieuses, où se montrait ce Christ qu’elle s’obstinait à repousser. Or les marches et contremarches des Goths, alliés la veille, ennemis le lendemain, promenant l’anarchie, furent l’occasion pour elle de revenir aux superstitions que les empereurs chrétiens ne toléraient plus ; et l’on vit sa sénile démence sourire à la liberté que le siège mis par Alaric devant ses murs rendait aux aruspices toscans, venus à son secours, d’y rétablir le culte des dieux. Le réveil fut terrible, lorsqu’au matin du 24 août 410, le vrai Dieu des armées prit sa revanche enfin, et qu’on vit la foudre, tandis que les Barbares massacraient et pillaient, mettre en feu la ville et pulvériser les statues dans lesquelles si longtemps elle avait mis sa confiance et sa gloire.

Les justiciers de Dieu, renversant Babylone, avaient respecté la tombe des deux fondateurs de la Rome éternelle. Sur ces fondements apostoliques, Innocent reprit en sous-œuvre l’édification de la cité sainte. Bientôt, sur les sept collines purifiées par le feu, elle reparaissait plus éclatante que jamais comme le foyer prédestiné du monde des intelligences. C’est en l’année 417, dernière du pontificat d’Innocent, que retentissait dans l’Église l’acclamation d’Augustin à la condamnation portée contre l’hérésie pélagienne : « Des lettres de Rome sont arrivées ; la cause est finie ».

Les conciles de Carthage et de Milève qui, dans la circonstance, avaient sollicité du Siège apostolique la confirmation de leurs décrets, ne faisaient en cela, du reste, que reprendre la tradition ininterrompue des Églises à l’égard de la suréminente principauté reconnue par toutes à leur Maîtresse et Mère. C’est ce qu’atteste éloquemment le saint Pape Victor, associé aux Martyrs dans la Liturgie de ce jour. Son grand nom nous rappelle en effet les conciles qui, par son ordre, se tinrent au second siècle dans l’Église entière au sujet de la Pâque ; la condamnation exécutée ou projetée par lui contre les Églises d’Asie, sans que personne méconnût le droit qu’il avait de la prononcer ; enfin les anathèmes incontestés dont il frappa Montan et les précurseurs d’Arius.

Glorieux élus qui, soit par l’effusion de votre sang dans l’arène, soit par les décrets rendus sur le Siège apostolique, avez exalté la foi du Seigneur, bénissez nos prières. Donnez-nous de comprendre l’enseignement qui résulte pour nous de votre rencontre au Cycle sacré. Ni martyrs, ni pontifes, nous pouvons mériter pourtant d’être associés à votre gloire ; car le motif qui explique votre commun rendez-vous dans la béatitude en ce jour, doit être aussi pour chacun de nous, à des degrés divers, la raison du salut : dans le Christ Jésus, rien ne vaut, dit l’Apôtre, que la foi qui opère parla charité ; c’est uniquement de cette foi, pour laquelle vous avez travaillé ou souffert, que nous aussi espérons la justiceet attendons la couronne.

Nazaire, qui aviez tout quitté pour annoncer le Christ aux contrées qui ne le connaissaient pas ; Celse qui, tout enfant, ne craignîtes point de sacrifier comme lui au Seigneur Jésus votre famille, votre pays, votre vie même : obtenez-nous l’estime du trésor que tout fidèle est appelé à faire valoir par la confession des œuvres et de la louange. Victor, gardien jaloux des traditions de cette divine louange en ce qui regarde le jour de la solennité des solennités, vengeur de l’Homme-Dieu dans sa nature divine ; Innocent, oracle incorruptible de la grâce du Christ Sauveur, témoin aussi de ses inexorables justices : apprenez-nous et la confiance et la crainte, et la rectitude de la croyance et la susceptibilité qui sied au chrétien en ce qui touche cette foi, fondement unique pour lui de la justice et de l’amour. Martyrs et Pontifes, ensemble attirez-nous parla voie droite qui mène au ciel.

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VIIIème dimanche après la Pentecôte

26 Juillet 2020 , Rédigé par Ludovicus

VIIIème dimanche après la Pentecôte

Introït

Nous avons reçu, ô Dieu, votre miséricorde au milieu de votre temple : comme votre nom, ô Dieu, votre louange s’étend jusqu’aux extrémités de la terre, votre droite est pleine de justice. Le Seigneur est grand et très digne de louange : dans la cité de notre Dieu, sur sa sainte montagne.

Collecte

Nous vous en prions, Seigneur, accordez-nous, dans votre bonté, la grâce de penser et d’agir toujours selon la justice : afin que, ne pouvant exister sans vous, nous puissions conformer notre vie à votre volonté.

Épitre Rm. 8, 12-17

Mes frères : nous ne sommes point redevables à la chair pour vivre selon la chair. Car si vous vivez, selon la chair, vous mourrez ; mais si, par l’Esprit, vous faites mourir les œuvres du corps, vous vivrez ; car tous ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu. En effet, vous n’avez point reçu un Esprit de servitude, pour être encore dans la crainte ; mais vous avez reçu un Esprit d’adoption, en qui nous crions : Abba ! Père ! Cet Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Or, si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ.

Évangile Lc. 16, 1-9

En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples cette parabole : Il était un homme riche qui avait un intendant ; celui-ci lui fut dénoncé comme dissipant ses biens. Il l’appela et lui dit : "Qu’est-ce que j’entends dire de toi ? Rends compte de ton intendance, car tu ne pourras plus être intendant." Or l’intendant se dit en lui-même : "Que ferai-je, puisque mon maître me retire l’intendance ? Bêcher, je n’en ai pas la force ; mendier, j’en ai honte. Je sais ce que je ferai pour que, quand je serai destitué de l’intendance, (il y ait des gens) qui me reçoivent chez eux." Ayant convoqué chacun des débiteurs de son maître, il dit au premier : "Combien dois-tu à mon maître ?" Il dit : "Cent mesures d’huile." Et il lui dit : "Prends ton billet, assieds-toi vite et écris : cinquante." Ensuite il dit à un autre : "Et toi, combien dois-tu ?" Il dit : "Cent mesures de froment." Et il lui dit : "Prends ton billet et écris : quatre-vingts." Et le maître loua l’intendant malhonnête d’avoir agi d’une façon avisée. C’est que les enfants de ce siècle sont plus avisés à l’égard de ceux de leur espèce que les enfants de la lumière. Et moi je vous dis : « Faites-vous des amis avec la Richesse malhonnête, afin que, lorsqu’elle viendra à manquer, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels ».

Secrète

Recevez, nous vous en supplions, Seigneur, les biens que nous vous offrons après les avoir reçus de votre largesse, afin que par la vertu et l’opération de votre grâce, ces mystères sacro-saints nous sanctifient dans la conduite de la vie présente et nous fassent parvenir aux joies éternelles.

Office

4e leçon

Du livre La Cité de Dieu, de saint Augustin, évêque.

Une certaine image de l’avenir se voit aussi en Salomon, car il bâtit le temple, il vécut en paix, selon le présage de son nom, - Salomon en effet signifie Pacifique - et, au début de son règne, il fut au-dessus de toute louange. Sa personne, comme une ombre de l’avenir, précède et annonce le Christ notre Seigneur, sans le montrer en toute clarté. Plusieurs épisodes écrits à propos de Salomon semblent prédits du Christ lui-même. L’Écriture sainte dans ses récits du passé prophétise, elle esquisse, pour ainsi dire, la figure des évènements futurs.

5e leçon

Car, outre les livres historiques inspirés qui racontent le règne de Salomon, le psaume 71 porte son nom en titre. Tant de passages de ce psaume ne sauraient nullement convenir à Salomon, ils conviennent cependant au Seigneur Christ avec une transparente clarté. Aussi apparaît-il à l’évidence qu’en Salomon une figure imprécise se voile d’ombre, tandis que dans le Christ, la vérité elle-même se découvre.

6e leçon

On sait, en effet, quelles limites bornaient le royaume de Salomon, et cependant, pour ne rien dire d’autre, on lit dans ce psaume : « Il étendra sa seigneurie de la mer à la mer, du Fleuve jusqu’au bout de la terre ». Or, nous voyons ces paroles réalisées dans le Christ. Sa seigneurie prit son départ du fleuve, où il est baptisé par Jean qui le désigne. Ses disciples commencent à le reconnaître ; ils l’appellent non seulement Maître, mais Seigneur.

7e leçon

Homélie de saint Jérôme, prêtre

L’intendant de richesses malhonnêtes reçoit un éloge de la bouche de son maître pour s’être préparé une sorte de justice avec le fruit même de sa malhonnêteté, et le maître lésé loue la prudence de l’intendant parce qu’en portant préjudice à son maître, il a, dans son intérêt personnel, agi prudemment. Le Christ ne peut subir aucun dommage et toujours incline à la clémence. Combien plus ne louera-t-il pas ses disciples s’ils ont exercé la miséricorde à l’égard de ceux qui croiront en lui ?

8e leçon

Après la parabole, le Seigneur ajoute : « Et moi je vous dis : Faites-vous des amis avec le mammon malhonnête ! » Ce n’est pas l’hébreu, mais le syriaque qui appelle « mammon » malhonnête les richesses parce qu’elles s’amassent par des procédés malhonnêtes. Si donc un bien mal acquis, mais adroitement distribué, peut se changer en justice, la parole divine qui, elle, n’a rien de malhonnête et qui a été confiée aux Apôtres, n’élèvera-t-elle pas jusqu’au ciel ceux qui l’administrent, pourvu que ce soit à bon escient ?

9e leçon

On comprend la suite : Celui qui est fidèle pour très peu de chose, ce qui veut dire pour le plan charnel, sera fidèle aussi pour beaucoup, ce qui veut dire pour le plan spirituel. Mais celui qui est malhonnête pour très peu qui ne met pas au service de ses frères ce que Dieu a créé pour tous, celui-là sera malhonnête aussi dans le partage des richesses spirituelles, car il ne dispensera pas la doctrine selon les besoins, mais selon les personnes. « Or, dit le Seigneur, si vous ne dispensez pas bien les richesses matérielles et caduques, qui donc vous confiera les vraies et éternelles richesses de la doctrine divine ? »

ÉPÎTRE.

Le Docteur des nations continue de former à la vie chrétienne les nouvelles recrues que sa voix puissante et celle de ses collègues dans l’apostolat, dispersés par le monde, amène chaque jour plus nombreuses aux fontaines du salut. Bien que se maintenant attentive aux événements qui se précipitent dans la Judée, l’Église, en effet, n’en réserve pas moins toujours ses sollicitudes les plus maternelles pour le grand œuvre de l’éducation des enfants qu’elle engendre à l’Époux. C’est ainsi que, pendant qu’Israël suit jusqu’au bout la voie fatale du reniement, une autre famille se forme et grandit qui prend sa place devant Dieu, et dédommage le Seigneur, par sa docilité, des amertumes dont l’abreuvèrent ses premiers fils. Les prétentions jalouses du peuple ancien, ces contradictions dont le Christ se plaint dans le Psaume, n’ont point pris fin encore, et déjà l’Homme-Dieu, grâce à l’Église, est devenu la tête des nations.

Rien n’égale la fécondité de l’Épouse, sinon la puissance de sanctification qu’elle déploie, au milieu d’éléments si divers, pour présenter dès les premiers jours à son Seigneur et roi un empire affermi dans l’unité de l’amour, une génération toute céleste et toute pure dans l’intelligence et la pratique parfaite des vertus. Assurément l’Esprit sanctificateur agit lui-même directement sur les âmes des nouveaux baptisés ; néanmoins, ineffable harmonie du plan divin ! Depuis que le Verbe s’est fait chair et qu’il s’est associé dans l’œuvre du salut des hommes une Épouse toujours visible ici-bas, l’opération invisible de l’Esprit qui procède du Verbe n’arrive point à son terme normal sans la coopération et l’intervention extérieure de cette Épouse de l’Homme-Dieu. Non seulement l’Église est la dépositaire des formules toutes-puissantes et des rites mystérieux qui font du cœur de l’homme une terre renouvelée, dégagée des ronces et prête à fructifier au centuple ; c’est elle encore qui, sous les mille formes de son enseignement, distribue la semence dans les sillons du Père de famille. S’il revient à l’Esprit une admirable part dans cette fécondité et cette vie sociale de l’Église, son rôle près des élus considérés individuellement consiste surtout à faire valoir en eux les énergies divines des sacrements qu’elle confère, et à développer les germes de salut que sa parole dépose en leurs âmes.

Aussi sera-ce, dans tous les siècles, une mission importante et sublime que celle de ces hommes, chefs des églises particulières, docteurs privés ou directeurs des âmes, qui représenteront, près des fidèles isoles, la Mère commune ; ils fourniront véritablement pour elle à l’Esprit divin les éléments sur lesquels doit porter son action toute-puissante. Mais aussi, malheur au temps dans lequel les dispensateurs de la parole sainte ne laisseraient plus tomber sur les âmes, avec des principes diminués ou faussés, qu’une semence atrophiée ! L’Esprit n’est point tenu de suppléer par lui-même à leur insuffisance ; et il ne le fera pas d’ordinaire, respectueux qu’il est de l’ordre établi par l’Homme-Dieu pour la sanctification des membres de son Église.

La Mère commune vient d’ailleurs magnifiquement à l’aide de ces délaissés dans sa Liturgie, qui renferme toujours, soutenues de la force même du Sacrifice et vivifiées par les grâces du Sacrement d’amour, la règle très sûre des mœurs et les plus sublimes leçons des vertus. Mais pour cela faut-il encore que ces pauvres âmes, trop habituées souvent à regarder comme la voie royale de la perfection la vie chétive qu’elles se sont faite, comprennent quelle place il convient de laisser au pain sans force et à l’eau appauvrie dont elles se nourrissent, en présence des intarissables et authentiques trésors du sein maternel. « O vous tous qui avez soif, dirait le prophète, venez donc à la source vive. Pourquoi dépenser vos richesses à ce qui ne peut vous nourrir, et vos sueurs à ce qui ne peut vous rassasier ? Bien plutôt, sans argent ni dépense, sans échange d’aucune sorte, achetez et mangez, abreuvez-vous de vin et de lait : en m’écoutant, nourrissez-vous de la bonne nourriture, et que votre âme se délecte et s’engraisse ». S’il est une remarque, en effet, qui doive attirer l’attention non moins que la reconnaissance du chrétien en quête de lumières au sujet de la voie qui conduit au ciel, c’est bien assurément que l’Église ait pris soin de choisir elle-même, au milieu du trésor des Écritures, et de rassembler dans le plus usuel de tous les livres les passages pratiques qu’elle sait mieux que personne sans doute convenir à ses fils. A cette école de la sainte Liturgie, de son livre de Messe, le fidèle humblement et pieusement attentif ne sera point exposé à voir s’affaiblir ou vaciller jamais la lumière. « C’est ici le chemin, lui dira son guide avec autorité ; prenez-le sans crainte, et ne vous écartez ni à droite, ni à gauche ». L’Église, faut-il s’en étonner ? l’emportera toujours, dans la conduite des âmes, sur les plus profonds des docteurs et les plus saints mêmes de ses fils.

Qu’on réunisse les quelques lignes empruntées comme Épîtres, dans ces trois derniers dimanches, à la lettre de saint Paul aux Romains ; et qu’on dise si, indépendamment de leur infaillible vérité garantie par l’Esprit-Saint lui-même, il est possible de trouver ailleurs une aussi admirable exposition des bases de la morale révélée. La clarté, la simplicité d’expression, la véhémence chaleureuse de l’exhortation apostolique, le disputent, dans ce peu de paroles, à l’ampleur de la doctrine et à la portée des considérations que l’on y voit empruntées aux plus sublimes aspects du dogme chrétien. Jésus-Christ, fondement du salut, sa mort et son glorieux tombeau devenus dans le baptême le point de départ de l’homme régénéré, sa vie en Dieu modèle de la nôtre ; la honte passée de nos corps asservis, la fécondité sanctifiante des vertus remplaçant dans nos membres la désastreuse germination des vices ; aujourd’hui enfin les droits de l’esprit sur la chair, et ses devoirs contre elle s’il tient à garder sa juste prééminence, si l’homme veut maintenir la liberté qu’il a recouvrée par la grâce de l’Esprit d’amour et se montrer, comme il l’est en toute vérité, le fils de Dieu, le cohéritier du Christ : telles sont les splendides réalités illuminant pour nous désormais de leurs célestes rayons la loi de la vie dont on vit par L’Esprit-Saint dans le Christ Jésus ; tels se produisent, en face du monde, les axiomes de la science du salut qui doit remplacer à la fois les impuissances de la loi juive et la stérile morale de la philosophie.

Car c’est une vérité qu’il convient de retenir aussi, comme étant l’idée-mère de toute cette sublime épître aux Romains : l’impuissance, la stérilité pour la justice complète et le bien absolu, sont la part trop certaine de l’humanité non relevée par la grâce. L’expérience l’a prouvé, saint Paul le déclare, les Pères bientôt l’affirmeront unanimement, et l’Église le définira dans ses conciles. L’homme peut arriver, il est vrai, par les seules forces de sa nature tombée, à la possession de certaines vérités et à la pratique de quelque bien ; mais il ne parviendra jamais, sans la grâce, à connaître et moins encore à observer les préceptes de la loi simplement naturelle dans leur ensemble.

De Jésus donc, de Jésus seul vient toute justice. Non seulement la justice surnaturelle, qui suppose l’infusion de la grâce sanctifiante dans l’âme du pécheur, est de lui tout entière ; mais encore cette justice naturelle dont les hommes se parent si volontiers, et qu’ils prétendent leur tenir lieu de tout le reste, échappe à quiconque n’adhère point au Christ par la foi et l’amour. Que les adeptes de l’indépendance de l’esprit humain exaltent leur morale et vantent leurs vertus ; nous chrétiens, nous ne savons qu’une chose que nous tenons de notre mère l’Église : l’honnête homme, c’est-à-dire l’homme véritablement en règle avec tous les devoirs que lui impose sa nature, ne se trouve point ici-bas sans le secours très spécial de l’Homme-Dieu rédempteur et sauveur. Avec saint Paul, soyons donc fiers de l’Évangile ; car il est bien la vertu de Dieu, non seulement pour sauver l’homme et justifier l’impie, mais encore pour donner la justice agissante et parfaite aux âmes avides de droiture. Le juste vit de la foi, dit l’Apôtre, et sa justice croît avec elle ; sans la foi en Jésus, la prétention d’arriver par soi et ses œuvres à la consommation de tout bien n’engendre que la stérilité de l’orgueil et n’attire que des maux. Les Juifs en font aujourd’hui la triste expérience. Fiers de leur loi qui leur donnait une lumière plus grande qu’aux nations, et voulant établir sur elle seule leur propre justice, ils ont méconnu celui qui était la fin de la loi, la source de toute justice véritable ; ils ont repoussé le Christ qui leur apportait, avec la délivrance du mal antérieur, la connaissance du précepte et la force de l’accomplir  ; ils sont restés dans leur iniquité, ajoutant faute sur faute au péché d’origine, thésaurisant pour le jour de colère. Or voilà qu’à cette heure même s’accomplit la prédiction d’Isaïe, mettant les paroles suivantes dans la bouche des restes d’Israël que nous accompagnons aujourd’hui dans leur fuite : « Si le Seigneur des armées n’eût réservé quelques rejetons de notre race, nous aurions été comme Sodome et Gomorrhe ».

« Que dirons-nous donc, s’écrie l’Apôtre ? sinon que les nations, qui ne cherchaient point la justice, ont trouvé et saisi la justice, mais la justice qui vient de la foi ; Israël au contraire, « poursuivant la loi de la justice, ne l’a point rencontrée. Pourquoi, cela ? parce qu’il n’a point voulu la tenir de la foi, et s’est conduit comme s’il pouvait l’obtenir par les œuvres. Ils ont bronché contre la pierre d’achoppement, selon qu’il est écrit : Voici que je pose en Sion une pierre d’achoppement et de scandale, et quiconque croira en celui qui est cette pierre ne sera point confondu ».

 

ÉVANGILE.

Les divers termes de la parabole qui nous est proposée sont faciles à saisir, et renferment une doctrine profonde. Dieu seul est riche par nature, parce qu’à lui seul appartient en propre le domaine direct et absolu sur toutes choses : elles sont à lui, parce qu’il les a faites. Mais en envoyant son Fils dans le monde sous une forme créée, il l’a constitué par cette mission dans le temps l’héritier des ouvrages sortis de ses mains, comme il l’était déjà des trésors mêmes de la nature divine par le fait de sa génération éternelle. L’homme riche de notre Évangile, c’est donc le Seigneur Jésus portant dans son humanité unie au Verbe le titre d’hérédité universelle qui l’établit sur tous les biens, créés ou non, finis ou infinis, du Dieu très-haut. C’est à lui qu’appartiennent les cieux chantant sa gloire et fiers de former pour un temps son vêtement de lumière, l’océan qui proclame sa puissance au sein des tempêtes et abat docile à ses pieds la fureur de ses flots, la terre enfin lui présentant l’hommage de sa plénitude. L’herbe et les fleurs de la prairie, les fruits variés, la fertile beauté des champs, les oiseaux du ciel comme les poissons qui peuplent les fleuves ou parcourent les sentiers des mers, les grands troupeaux comme l’insecte ignoré, comme la bête fauve qui se dérobe dans la profondeur des forêts ou sur les montagnes : tout est sien, tout est soumis à son empire. A lui aussi appartiennent en pleine possession l’argent et l’or, et l’homme même, qui ne serait que son esclave à jamais, s’il n’avait daigné miséricordieusement le diviniser et l’appeler en part de ses biens éternels. Au lieu d’esclaves, il a voulu avoir en nous des frères ; et, retournant de ce monde à son Père devenu le nôtre par sa grâce, il nous a envoyé l’Esprit-Saint comme le témoin de la filiation divine en nos âmes, comme le gage de l’hérédité sacrée qui nous assure le ciel. Biens ineffables du siècle futur, héritage sans pareil, dont la grandeur fait tressaillir l’Homme-Dieu lui-même dans le psaume célébrant sa résurrection glorieuse ! Nous ses membres et ses cohéritiers, nous avons le droit de dire avec lui : « Le cordeau du partage est tombé pour moi sur une part merveilleuse. Splendide est en effet mon héritage ; car c’est Dieu même qui m’est échu en possession. Béni soit le Seigneur qui m’a donné de le comprendre ! »

Toutefois, pour arriver à la jouissance des richesses éternelles, une épreuve nous est imposée : il faut que nous fassions valoir ici-bas le domaine visible du Christ. Notre fidélité dans la gestion de ces biens inférieurs, confiés en des proportions si variées aux soins des fils d’Adam pendant les jours de leur exil, marquera la mesure des récompenses sans fin qui nous attendent. Divine convention, ineffable accord de justice et d’amour ! de ses biens l’Homme-Dieu a fait deux parts : il nous assure la pleine propriété de la part éternelle, seule vraiment grande, seule capable de satisfaire nos aspirations infinies ; pour l’autre, qui en elle-même ne mériterait point d’attirer le regard d’êtres appelés à contempler la divine essence, il dédaigne d’y attacher nos âmes et se refuse à nous communiquer sur elle les droits d’un domaine absolu. La vraie propriété des biens du temps reste donc à lui seul ; la possession qu’il octroie des richesses de la terre d’épreuve aux futurs cohéritiers de son éternité, demeure soumise à mille restrictions durant leur vie, et révèle à la mort son caractère essentiellement précaire : elle ne suit point les hommes au delà du tombeau.

Un jour vient pour l’insensé, comme pour le sage, où l’on doit lui redemander son âme, où le riche, traduit comme le pauvre dans la nudité du jour de sa naissance en présence du seul Maître, entendra la parole : Rendez-moi compte de votre administration. La règle du jugement, à cette heure terrible, sera celle-là même que nous a révélée le Seigneur en personne, lorsqu’il disait dans les jours de sa vie mortelle : « Il sera réclamé beaucoup à qui l’on a donné beaucoup ; et il sera demandé plus à qui l’on aura confié davantage ». Malheur alors au serviteur qui s’était cru maître, à l’économe qui, méconnaissant son mandat, s’est plu à dissiper vainement des biens dont il n’était que le dispensateur ! Il comprend, à la lumière de l’éternité, l’erreur de son fol orgueil ; il pénètre l’injustice souveraine d’une vie, honnête peut-être selon le monde, mais passée tout entière sans tenir compte des intentions de celui qui lui confia ces richesses dont il était si fier. Dépossédé sans retour, il ne peut réparer ses torts par une administration plus conforme à l’avenir aux volontés du maître du monde. S’il pouvait du moins se reformer laborieusement un héritage, ou trouver assistance près de ceux qui vécurent avec lui sur terre ! Mais au delà du temps le travail cesse ; et ses mains vides, devenues impuissantes, ne recueilleraient que la honte en s’ouvrant pour demander l’aumône, au pied du tribunal redoutable où chacun craint à bon droit de ne pouvoir se suffire à lui-même.

Heureux donc si, dès ce monde, la voix des menaces divines qui retentit en mille manières  parvient à réveiller sa conscience ; si, comme l’économe de notre Évangile, il profite du temps qui lui reste, et se dit avec Job : Que ferai-je, quand Dieu se lèvera pour le jugement ? Lorsqu’il m’interrogera, que lui répondrai-je ?

Celui même qui doit être son juge lui indique miséricordieusement, aujourd’hui, le moyen de parer la peine qu’ont encourue ses malversations. Qu’il imite l’habileté de l’économe infidèle, et il sera loué pleinement : non seulement, comme lui, à cause de sa prudence ; mais parce qu’en disposant ainsi pour les serviteurs de Dieu des richesses mises en ses mains, loin de frustrer le Seigneur de toutes choses, il ne fait que rentrer dans ses intentions. Quel est en effet l’économe fidèle autant que prudent, établi par le Seigneur sur sa famille, sinon celui qui pourvoie les membres de cette famille, en temps opportun, de froment et d’huile ? Corporelle ou spirituelle, l’aumône nous assure des amitiés puissantes pour l’heure du grand dénuement, au jour où la terre doit manquer à notre vie défaillante ; car c’est aux pauvres qu’appartient le royaume des cieux ; si nous employons les richesses de la vie présente à abriter et soulager leur misère ici-bas, ils ne manqueront pas de nous recevoir à leur tour dans leurs maisons, qui sont les tabernacles éternels.

Tel est le sens direct et obvie de la parabole qui nous est proposée. Mais si nous voulons pénétrer complètement l’intention pour laquelle l’Église choisit aujourd’hui ce passage de l’Évangile, il nous faut recourir à saint Jérôme qui s’en est fait l’interprète officiel dans l’Homélie de l’Office de la nuit. Poursuivons avec lui la lecture évangélique : Celui qui est fidèle dans les petites choses, continue le texte sacré, c’est aussi dans les grandes, et celui qui est injuste dans les petites choses le sera dans les grandes ; si donc vous n’avez pas été fidèles dans les richesses iniques et trompeuses, qui vous confiera les biens véritables ? Or Jésus parlait ainsi, observe saint Jérôme, devant les scribes et les pharisiens qui le tournaient en dérision, voyant bien que la parabole était contre eux. L’infidèle dans les petites choses, c’est en effet le Juif jaloux, qui, dans le domaine restreint de la vie présente, refuse à ses frères l’usage des biens créés pour tous. Si donc, est-il dit à ces scribes avares, vous êtes convaincus de malversation dans la gestion de richesses fragiles et passagères, qui pourrait vous confier les vraies, les éternelles richesses de la parole divine et de l’enseignement des nations ? Demande redoutable, que le Seigneur laisse aujourd’hui en suspens sur la tête des infidèles dépositaires de la loi des figures. Mais combien, dans peu, la réponse sera terrifiante !

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Saint Jacques apôtre mémoire de Saint Christophe Martyre

25 Juillet 2020 , Rédigé par Ludovicus

Saint Jacques apôtre mémoire de Saint Christophe Martyre

Collecte

Seigneur, soyez le sanctificateur de votre peuple et son gardien : afin qu’aidé par l’assistance de votre Apôtre Jacques, il mène une vie qui vous soit agréable et vous serve avec tranquillité et confianc.

Office

4e leçon

Jacques, fils de Zébédée et frère de l’Apôtre Jean, était Galiléen. Appelé, ainsi que son frère, à prendre rang parmi les premiers Apôtres, il quitta son père et ses filets et suivit le Seigneur. Jacques et Jean furent appelés par Jésus lui-même Boanergès, c’est-à-dire fils du tonnerre. Jacques fut l’un des trois Apôtres que le Sauveur aima le plus, qu’il choisit pour témoins de sa transfiguration, et de la résurrection de la fille du chef de la synagogue, et qui l’accompagnèrent le jour où il se retira sur le mont des Oliviers pour y prier son Père, quelques heures avant de tomber aux mains des Juifs.

5e leçon

Après l’ascension de Jésus-Christ au ciel, Jacques prêcha sa divinité dans la Judée et la Samarie, et détermina beaucoup d’hommes à embrasser la foi chrétienne. Il partit bientôt pour l’Espagne, et y convertit quelques personnes au Christ. De ce nombre, il y en eut sept que saint Pierre ordonna Évêques dans la suite et qui furent envoyés les premiers en Espagne. Jacques étant revenu à Jérusalem, le magicien Hermogène fut un de ceux auxquels il inculqua les vérités de la foi. Comme l’Apôtre proclamait librement la divinité de Jésus-Christ, Hérode Agrippa, élevé à la royauté sous l’empereur Claude et désireux de se concilier les Juifs, le condamna à la peine capitale. Celui qui l’avait conduit au tribunal ayant vu son courage pour le martyre, déclara sur-le-champ que lui aussi était chrétien.

6e leçon

Tandis qu’on les emmenait au supplice, le nouveau chrétien demanda pardon à saint Jacques : « Que la paix soit avec toi » lui répondit celui-ci en l’embrassant. Ils furent tous deux frappés de la hache ; l’Apôtre avait, un moment auparavant, guéri un paralytique. Le corps du Saint a été plus tard transporté à Compostelle, où son culte est en très grand honneur, et où se rassemblent des pèlerins amenés de tous les points du monde par leur piété et leurs vœux. Pour célébrer la mémoire de la naissance du saint Apôtre à la vie du ciel, l’Église a pris le jour qui est celui de la translation de son corps ; car c’est aux environs de la fête de Pâques, que, le premier d’entre les Apôtres, il a rendu témoignage à Jésus-Christ par l’effusion de son sang, dans la ville de Jérusalem.

7e leçon

Homélie de saint Jean Chrysostome

Que personne ne se trouble, si nous disons qu’il y avait tant d’imperfection chez les Apôtres. Car le mystère de la croix n’était pas encore consommé, et la grâce du Saint-Esprit n’avait pas encore été répandue dans leurs âmes. Si vous voulez savoir qu’elle a été leur vertu, considérez ce qu’ils furent après avoir reçu la grâce du Saint-Esprit et vous les trouverez vainqueurs de toute inclination mauvaise. Leur imperfection n’est ignorée de personne aujourd’hui, afin qu’on apprécie mieux à quel point la grâce les a tout d’un coup transformés. Qu’ils n’aient rien sollicité de spirituel, et qu’ils n’aient pas même eu la pensée du royaume céleste, cela est évident. Mais examinons comment ils abordent Jésus-Christ, et lui adressent la parole. « Nous voudrions, disent-ils, que tout ce que nous vous demanderons, vous le fissiez pour nous. Mais le Christ leur répondit : Que voulez-vous ? » Non qu’il l’ignorât, certes, mais pour les obliger à s’expliquer, afin de mettre à nu leur plaie et d’être ainsi à même d’y appliquer le remède.

8e leçon

Mais eux, rougissant de honte et confus, parce qu’ils en étaient venus à des sentiments humains, ayant pris Jésus en particulier, lui firent en secret leur demande. Ils marchèrent en effet devant les autres, comme l’insinue l’Évangéliste, à dessein de n’être pas entendus. Et c’est ainsi qu’ils exprimèrent enfin ce qu’ils voulaient. Or, ce qu’ils voulaient, le voici, je présume. Comme ils lui avaient ouï dire que ses Apôtres seraient assis sur douze trônes, ils désiraient occuper les premiers de ces trônes. Sans doute ils savaient que Jésus les avait en prédilection ; mais redoutant que Pierre ne leur fût préféré, ils eurent la hardiesse de dire : « Ordonnez que nous soyons assis, l’un à votre droite et l’autre à votre gauche », ils le pressent par ce mot : ordonnez. Que va-t-il donc répondre ? Pour leur faire entendre qu’ils ne demandaient rien de spirituel, et qu’ils ne savaient pas même ce qu’ils sollicitaient, car s’ils le savaient, ils n’oseraient pas le demander, il leur fait cette réponse : « Vous ne savez pas ce que vous demandez »  : vous ignorez combien cette chose est grande, combien elle est admirable, et dépassant même les plus hautes Vertus des cieux.

9e leçon

Et Il ajouta : « Pouvez-vous boire le calice que je vais boire », et être baptisé du baptême dont je suis baptisé ? Remarquez comment, tout en les entretenant de choses bien opposées, il les éloigne aussitôt de cette espérance. Vous me parlez, dit-il, d’honneur et de couronnes ; et moi, je vous parle de combats et de travaux. Ce n’est point ici le temps des récompenses, et cette gloire, qui m’appartient, n’apparaîtra pas de sitôt ; c’est à présent le temps de la persécution et des périls. Mais observez comme, par cette interrogation même, il les exhorte et les attire. Il ne leur dit point : Pouvez-vous endurer les mauvais traitements ? pouvez-vous verser votre sang ? il dit seulement : « Pouvez-vous boire le calice ? » et pour les attirer, il ajoute : « que je vais boire » afin de les mieux disposer à souffrir, par la perspective même de partager ses souffrances.

Saluons l’astre brillant qui se lève sur l’Église. Compostelle jadis resplendit par lui de l’éclat de tels feux que, pendant mille années, l’univers subit l’attraction de la ville obscure devenue, avec Jérusalem et Rome, l’un des foyers puissants de la piété des peuples. Tant que dura la chrétienté, Jacques le Grand le disputa, pour la gloire de sa tombe, à celle du sépulcre où Pierre repose soutenant l’Église.

Parmi les Saints de Dieu, il n’en est pas qui manifeste mieux la mystérieuse survivance des élus à leur carrière mortelle, dans la poursuite des intérêts que leur confia le Seigneur. La vie de Jacques fut courte après l’appel qui le faisait Apôtre ; le résultat de son apostolat apparut presque nul en cette Espagne qui lui était donnée. A peine l’avait-on vu comme prendre possession du sol de l’Ibérie dans sa course rapide ; et empressé à boire le calice qui devait satisfaire sa persévérante ambition d’être près du Seigneur, le premier des douze il ouvrait dans l’arène la marche glorieuse que l’autre fils de Zébédée devait clore. O Salomé, qui les mîtes au monde et fûtes près de Jésus l’interprète de leurs prétentions, tressaillez d’une double allégresse : vous n’êtes point rebutée ; vous avez pour complice celui qui fit le cœur des mères. N’est-ce pas lui qui déjà dès ce monde, à l’exclusion de tous autres et en la compagnie du seul Simon son vicaire, appelait les enfants que vous lui aviez donnés au spectacle des plus profondes œuvres de sa puissance, à la contemplation de sa gloire au Thabor, à la divine confidence de son trouble mortel au jardin de l’agonie ? Or voici qu’aujourd’hui l’aîné de votre sein devient le premier-né du collège sacré dans la mort ; protomartyr apostolique, ainsi quant à lui reconnut-il l’amour spécial du Seigneur Christ.

Comment pourtant sera-t il le messager de la foi, celui dont le glaive d’Hérode Agrippa vient d’arrêter subitement la mission ? Comment justifiera-t-il son nom de fils du tonnerre, l’Apôtre dont quelques disciples au plus entendirent la voix dans le désert de l’infidélité ? Ce nom nouveau qui mettait à part encore une fois les deux frères, Jean le réalisa en déchirant la nue par les éclairs sublimes qui révélèrent au monde dans ses écrits les profondeurs de Dieu  ; pour lui, comme pour Simon nommé Pierre par le Christ et devenu à jamais le fondement du temple, l’appellation reçue de l’Homme-Dieu fut prophétie et non vain titre ; pour Jacques aussi bien que pour Jean, l’éternelle Sagesse ne peut s’être trompée.

Ne croyons pas que le glaive d’un Hérode quelconque puisse déconcerter le Très-Haut dans les appels qu’il fait entendre aux hommes de sa droite. La vie des Saints n’est jamais tronquée ; leur mort, toujours précieuse, l’est plus encore quand c’est pour Dieu qu’elle semble arriver avant l’heure. C’est alors doublement qu’on peut dire en toute vérité que leurs œuvres les suivent, Dieu même étant tenu d’honneur et pour eux et pour lui à ce que rien ne manque à leur plénitude. « Il les a reçus comme une hostie d’holocauste, dit l’Esprit-Saint ; mais ils reparaîtront dans leur temps. On les verra scintiller comme la flamme qui court parmi les roseaux. Ils jugeront les nations, dompteront les peuples ; et le « Seigneur régnera par eux éternellement » . Oh ! Combien littéral devait, en ce qui touche notre Saint, se montrer l’oracle !

A l’extrémité nord de la péninsule ibérique, sur le tombeau où la piété de deux disciples avait jadis comme à la dérobée ramené son corps, près de huit siècles avaient passé, qui pour les habitants des cieux sont moins qu’un jour. Durant ce temps, la terre de son héritage, si rapidement parcourue naguère, avait vu les Barbares ariens succéder aux Romains idolâtres, puis le Croissant ramener plus profonde la nuit un moment dissipée. Un jour, au-dessus des ronces recouvrant le monument oublié, ont étincelé des lueurs, appelant l’attention sur ce lieu qui ne sera plus connu désormais que sous le nom de champ des étoiles. Mais soudain quelles clameurs retentissent, descendant des montagnes, ébranlant les échos des vallées profondes ? Quel est le chef inconnu ramenant au combat, contre une armée immense, la petite troupe épuisée que le plus vaillant héroïsme n’a pu la veille sauver d’une défaite ? Prompt comme l’éclair, brandissant d’une main son blanc étendard à la croix rouge, il fond haut l’épée sur l’ennemi éperdu, dont soixante-dix mille cadavres teignent de leur sang les pieds de son cheval de bataille. Salut au chef de la guerre sainte dont tant de fois cette Année liturgique a rappelé le souvenir ! Saint Jacques ! Saint Jacques ! Espagne, en avant ! C’est la rentrée en scène du pêcheur galiléen, que l’Homme-Dieu appela autrefois de la barque où il raccommodait ses filets ; c’est la réapparition de l’aîné des fils du tonnerre, libre enfin de lancer la foudre sur les Samaritains nouveaux qui prétendent honorer l’unité de Dieu en ne voyant qu’un prophète dans son Christ. Désormais Jacques sera pour l’Espagne chrétienne la torche ardente qu’avait vue le Prophète, le feu qui dévore à droite et à gauche les nations enserrant la cité sainte, jusqu’à ce qu’elle ait retrouvé ses anciennes limites, et soit habitée au même lieu qu’autrefois par ses fils

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Saint Apollinaire évêque et martyr mémoire de saint Liboire Évêque et Confesseur

23 Juillet 2020 , Rédigé par Ludovicus

Saint Apollinaire évêque et martyr mémoire de saint Liboire Évêque et Confesseur

Collecte

Dieu, qui récompensez les âmes fidèles, vous avez consacré ce jour par le martyre du bienheureux Apollinaire, votre Prêtre : faites, s’il vous plaît, que nous, qui sommes vos serviteurs, nos obtenions notre pardon au moyen des prières de celui dont nous célébrons la fête vénérable.

Office

Au deuxième nocturne.

Quatrième leçon. Apollinaire vint d’Antioche à Rome avec le prince des Apôtres, qui l’ordonna Évêque et l’envoya à Ravenne pour prêcher l’Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ. Comme il convertissait dans cette ville beaucoup d’âmes à la foi chrétienne, il fut arrêté par les prêtres des idoles et cruellement frappé. Par ses prières, un noble personnage nommé Boniface, muet depuis longtemps, recouvra la parole, et sa fille fut délivrée d’un esprit immonde : ces miracles soulevèrent une nouvelle sédition contre le Saint. On le battit de verges, et on le contraignit à marcher pieds nus sur des charbons ardents ; comme le feu de ces charbons ne le brûlait point, on le chassa de la ville.

Cinquième leçon. Il se cacha un certain temps avec quelques Chrétiens, puis partit pour l’Émilie, où il ressuscita la fille du patricien Rufin ; ce prodige détermina toute la famille de Rufin à croire en Jésus-Christ. Le préfet, s’en étant fort irrité, manda Apollinaire et lui enjoignit de ne plus propager la foi du Christ dans la ville. Comme Apollinaire ne tenait aucun compte de ses ordres, on le tortura sur le chevalet, on répandit de l’eau bouillante sur ses plaies et on lui frappa le visage avec une pierre ; ensuite, le chargeant de chaînes, on le jeta en prison. Quatre jours après, on l’embarqua pour l’envoyer en exil ; ayant fait naufrage, il vint en Mysie ; de là, sur les rives du Danube, et puis en Thrace.

Sixième leçon. Pendant que le disciple de l’Apôtre Pierre y séjournait, le démon refusa de donner des réponses dans le temple de Sérapis. Après qu’on l’eut cherché longtemps, Apollinaire fut enfin trouvé et de nouveau contraint de prendre la mer. Étant donc revenu à Ravenne, et les mêmes prêtres des idoles recommençant à l’accuser, il fut confié à la garde d’un centurion. Celui-ci, qui honorait secrètement le Christ, favorisa son évasion pendant la nuit. La chose connue, les satellites se mirent à le poursuivre, le couvrirent de blessures et le laissèrent pour mort sur le chemin. Recueilli par des Chrétiens, il les exhorta à rester fermes dans la foi et quitta cette vie sept jours après, couronné de la gloire du martyre. Son corps fut enseveli non loin des murailles de la ville.

Au troisième nocturne.

Homélie de saint Ambroise, Évêque.. Lib. 10 in Lucæ cap. 22, post init.

Septième leçon. Le royaume de Dieu n’est pas de ce monde. Il n’y a donc pas moyen pour l’homme d’égaler Dieu ; mais il doit y avoir émulation pour lui ressembler. Seul le Christ est l’image parfaite de Dieu, ne faisant qu’un avec son Père dont il exprime en sa personne toute la splendeur. L’homme juste, lui, est à l’image de Dieu, quand éclairé par la connaissance de Dieu et désireux d’imiter la conduite divine, il compte pour peu ce bas monde et dédaigne les voluptés de la terre, rassasié qu’il est du Verbe, aliment vivifiant de nos âmes : aussi mangeons-nous le corps du Christ, afin de pouvoir être participants de la vie éternelle.

Huitième leçon. Car ce qui nous est promis en fait de récompense et d’honneur ce n’est pas de manger et de boire ; c’est la communication de la grâce céleste et de la vie sans fin. Les douze trônes ne sont pas non plus comme des sièges faits pour asseoir le corps. Mais de même que le Christ, en raison de son égalité avec Dieu, juge les âmes d’après la connaissance intime qu’il en a, et non d’après un interrogatoire qui les force à déclarer leurs actes, rémunérant la vertu et condamnant l’impiété, de même aussi, les Apôtres sont destinés et formés à l’exercice d’un jugement spirituel par lequel la foi est récompensée, l’incrédulité détestée ; ils refusent l’erreur avec force et poursuivent les sacrilèges d’une haine sainte.

Neuvième leçon. Convertissons-nous et prenons garde qu’il ne s’élève entre nous, pour notre perte, quelque contestation au sujet du premier rang. Que les Apôtres même eurent à ce sujet un débat, cela n’est point rappelé pour nous fournir une excuse mais pour nous mettre sur nos gardes. Si Pierre ne fut qu’à la fin tout à fait converti, lui qui avait suivi le Seigneur dès son premier appel, qui donc pourra se vanter d’une conversion tôt et vite accomplie ? Évitez donc la jactance ; évitez le monde. Il reçut l’ordre de quitter ses frères, l’Apôtre qui a dit : « Nous avons tout quitté et nous vous avons suivi »

Ravenne, mère des cités, convoque aujourd’hui l’univers à célébrer l’évêque martyr dont les travaux firent plus pour son éternelle renommée que la faveur des empereurs et des rois. Du milieu de ses antiques monuments la rivale de Rome, aujourd’hui déchue, n’en montre pas moins fièrement la chaîne ininterrompue de ses Pontifes, remontant jusqu’au Vicaire de l’Homme-Dieu par Apollinaire, qu’ont exalté dans leurs discours les Pères et Docteurs de l’Église universelle, ses successeurs et ses fils. Plût au ciel que toujours la noble ville se fût souvenue de ce qu’elle devait à Pierre !

Pour suivre uniquement le Prince des Apôtres, Apollinaire, oubliant famille, patrie, avait tout quitté. Or, un jour, le maître dit au disciple : « Pourquoi restes-tu assis avec nous ? Voilà que tu es instruit de tout ce que Jésus a fait : lève-toi, reçois le Saint-Esprit, et va vers cette ville qui ne le connaît pas ». Et le bénissant, et lui donnant le baiser, il l’envoya au loin. Scènes sublimes de séparation, fréquentes en ces premiers temps, bien des fois répétées depuis, et qui font dans leur héroïque simplicité la grandeur de l’Église.

Apollinaire courait au sacrifice. Le Christ, dit saint Pierre Chrysologue, se hâtait au-devant du martyr, le martyr précipitait le pas vers son Roi : l’Église qui voulait garder cet appui de son enfance se jeta au-devant du Christ pour retarder, non le combat, mais la couronne ; et durant vingt-neuf ans, ajoute Pierre Damien, le martyre se poursuivit à travers d’innombrables tourments, de telle sorte que les labeurs du seul Apollinaire suffirent à ces contrées qui n’eurent point d’autre témoin de la foi par le sang. Selon les traditions de l’Église qu’il avait si puissamment fondée, la divine Colombe intervint directement et visiblement par douze fois, jusqu’à l’âge de la paix, pour désigner chacun des successeurs d’Apollinaire.

Instruits par Venance Fortunat venu de Ravenne en nos régions du Nord, nous saluons de loin votre glorieuse tombe. Répondez-nous par le souhait que vous formuliez durant les jours de votre vie mortelle : Que la paix de notre Seigneur et Dieu Jésus-Christ repose sur vous ! La paix, don parfait, premier salut de l’apôtre et consommation de toute grâce: combien vous l’avez appréciée, combien vous en fûtes jaloux pour vos fils, même après avoir quitté la terre ! C’est elle qui vous fit obtenir du Dieu de paix et de dilection cette intervention miraculeuse par laquelle si longtemps furent marqués les pontifes qui devaient après vous s’asseoir en votre chaire. Vous-même n’apparûtes-vous pas un jour au Pontife romain, pour lui montrer dans Chrysologue l’élu de Pierre et d’Apollinaire ? Et plus tard, sachant que les cloîtres allaient devenir l’asile de cette divine paix bannie du reste du monde, vous vîntes en personne par deux fois solliciter Romuald d’obéir à l’appel de la grâce et d’aller féconder le désert.

Pourquoi faut-il qu’enivré de faveurs qui partaient de la terre, plus d’un de vos successeurs, que ne désignait plus, hélas ! La divine Colombe, ait oublié si tôt les leçons laissées par vous à votre Église ? Fille de Rome, ne devait-elle pas se trouver assez grande d’occuper entre ses illustres sœurs la première place à la droite de la mère ? Du moins l’Évangile même chanté depuis douze siècles et plus peut-être, en la solennité de ce jour, aurait-il dû la protéger contre les lamentables excès appelés à précipiter sa déchéance. Rome, avertie par de trop regrettables indices, prévoyait-elle donc déjà les sacrilèges ambitions des Guibert, quand son choix se fixait sur ce passage du texte sacré : Il s’éleva une contestation parmi les disciples, à qui devait passer pour le plus grand ? Et quel commentaire, à la fois plus significatif et plus touchant, pouvait-on donner à cet Évangile, que les paroles de Pierre même en l’Épître : « Les vieillards qui sont parmi vous, je les supplie, moi vieillard comme eux et témoin des souffrances du Christ, de paître le troupeau, non dans un esprit de domination sur l’héritage du Seigneur, mais en étant ses modèles dans le désintéressement et l’amour ; que tous s’animent à l’humilité mutuellement, car Dieu résiste aux superbes, et il donne sa grâce aux humbles » . Faites, ô Apollinaire, que pasteurs et troupeau, dans toutes les Églises, profitent maintenant du moins de ces apostoliques et divines leçons, pour que tous un jour nous nous trouvions assis à la table éternelle où le Seigneur convie les siens près de Pierre et de vous dans son royaume

 

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Sainte Marie-Madeleine pénitente

22 Juillet 2020 , Rédigé par Ludovicus

Sainte Marie-Madeleine pénitente

Collecte

Nous vous prions, Seigneur, par les suffrages de la bienheureuse Marie-Madeleine, de venir à notre aide : vous qui, fléchi par ses prières, avez ressuscité vivant des enfers son frère Lazare, mort depuis quatre jours.

Lecture Ct. 3, 2-5 ; 8, 6-7

Je me lèverai, je parcourrai la ville ; les rues et les places, je chercherai celui que mon cœur aime : Je l’ai cherché et Je ne l’ai point trouvé. Les gardes m’ont rencontrée, ceux qui font la ronde dans la ville : "Avez-vous vu celui que mon cœur aime ?" A peine les avais-je dépassés, que j’ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l’ai saisi et je ne le lâcherai pas, jusqu’à ce que je l’aie introduit dans la maison de ma mère, et dans la chambre de celle qui m’a donné le jour. Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs, n’éveillez pas, ne réveillez pas la bien-aimée, avant qu’elle le veuille. Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras ; car l’amour est fort comme la mort, la jalousie est inflexible comme l’enfer. Ses ardeurs sont des ardeurs de feu. Les grandes eaux ne sauraient éteindre l’amour, et les fleuves ne le submergeraient pas. Un homme donnerait-il pour l’amour toutes les richesses de sa maison, on ne ferait que le mépriser

Évangile Lc. 7, 36-50

En ce temps-là : Un Pharisien invita Jésus à manger avec lui. Il entra dans la maison du Pharisien et se mit à table. Et voici qu’une femme qui, dans la ville, était pécheresse, ayant appris qu’il était à table dans la maison du Pharisien, apporta un vase d’albâtre (plein) de parfum ; et se tenant par derrière, près de ses pieds, tout en pleurs, elle se mit à arroser ses pieds de ses larmes, et elle essuyait avec les cheveux de sa tête et embrassait ses pieds, et elle les oignait de parfum. A cette vue, le Pharisien qui l’avait invité se dit en lui-même : "S’il était prophète, il saurait qui et de quelle espèce est la femme qui le touche, que c’est une pécheresse." Et prenant la parole, Jésus lui dit : "Simon, j’ai quelque chose à te dire." Et lui : "Maître, parlez." dit-il. "Un créancier avait deux débiteurs : l’un devait cinq cents deniers et l’autre cinquante. Comme ils n’avaient pas de quoi rendre, il fit remise à tous les deux. Lequel donc d’entre eux l’aimera davantage ?" Simon répondit : "Celui, je pense, auquel il a remis le plus." Il lui dit : "Tu as bien jugé." Et, se tournant vers la femme, il dit à Simon : "Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu n’as pas versé d’eau sur mes pieds ; mais elle, elle a arrosé mes pieds de (ses) larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as point donné de baiser ; mais elle, depuis que je suis entré, elle ne cessait pas d’embrasser mes pieds. Tu n’as pas oint ma tête d’huile ; mais elle, elle a oint mes pieds de parfum. C’est pourquoi, je te le dis, ses nombreux péchés lui sont pardonnés, parce qu’elle a beaucoup aimé ; mais celui à qui l’on pardonne peu, aime peu." Et à elle, il dit : "Tes péchés sont pardonnés." Et les convives se mirent à se dire en eux-mêmes : "Qui est celui-ci qui même pardonne les péchés ?" Et il dit à la femme : "Ta foi t’a sauvée, va en paix."

Office

4e leçon

Sermon de saint Grégoire, Pape.

Marie-Madeleine, qui avait été « connue dans la ville comme pécheresse », a lavé de ses larmes les taches de sa vie criminelle en aimant la vérité, et cette parole de la Vérité s’est accomplie : « Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé ». Madeleine, qui auparavant était demeurée dans la froideur en péchant, était dans la suite embrasée d’ardeur dans son amour. Elle ne quittait point le sépulcre du Seigneur, alors même que les disciples s’en éloignaient. Elle chercha avec soin celui qu’elle n’avait point trouvé d’abord. Elle pleurait en le cherchant, et embrasée du feu de son amour, elle brûlait de retrouver celui qu’elle croyait enlevé ! Aussi arriva-t-il que Madeleine seule le vit alors, elle qui était restée pour le chercher ; c’est qu’en effet toute bonne œuvre a son mérite dans la persévérance.

5e leçon

Elle le chercha donc d’abord sans le trouver ; mais en continuant sa recherche, elle réussit enfin à le trouver. Il se fit que le retard augmenta ses désirs, et que ses désirs devenus plus vifs rencontrèrent ce qu’ils voulaient trouver. C’est ce qui fait dire à l’Épouse mystique, l’Église, parlant de cela dans le Cantique des cantiques : « Sur ma couche, pendant les nuits, j’ai cherché celui que chérit mon âme ». Le bien-aimé, nous le cherchons, couchés sur notre lit, lorsque, dans le peu de repos que laisse la vie présente, le désir de voir notre Sauveur nous fait soupirer après lui. Nous le cherchons pendant la nuit ; car, si déjà notre esprit veille en pensant à lui, l’obscurité pèse encore sur notre vue.

6e leçon

Mais que celui qui ne trouve pas son bien-aimé se lève à la fin et fasse le tour de la ville ; c’est-à-dire, qu’il porte dans la sainte Église des élus les investigations de son esprit ; qu’il cherche par les rues et les places : c’est-à-dire qu’il observe ceux qui suivent les chemins étroits et ceux qui fréquentent les routes plus larges, pour voir s’il ne découvre pas quelques traces de Celui qu’il aime : car il y a des personnes, jusque dans la vie du siècle, qui offrent quelque chose à imiter pour la pratique de la vertu. Mais au milieu de nos recherches, nous voici rencontrés par les sentinelles de la ville : je veux dire que les saints Pères, qui veillent à la sécurité de l’Église, viennent au-devant de nos bons desseins, pour nous instruire et par leurs discours et par leurs écrits. Et c’est après les avoir un peu dépassés, que nous trouvons l’objet de notre amour. Car si notre humble Sauveur s’est fait l’égal des hommes par son humanité, il les a toujours surpassés par sa divinité.

7e leçon

Homélie de saint Augustin, Évêque

Vous avez écouté très attentivement l’Évangile qu’on vient de lire, et le fait qu’il rapporte a été soigneusement retracé aux yeux de votre esprit. Vous avez vu, non des yeux du corps mais de ceux de l’âme, notre Seigneur Jésus-Christ s’asseoir à table chez un Pharisien dont il n’avait pas dédaigné l’invitation. Vous avez vu aussi une femme, célèbre dans la ville par sa mauvaise réputation, pénétrant dans la salle, sans avoir été conviée au repas offert au médecin de son âme, et osant, par une sainte hardiesse, lui demander sa guérison. Sa présence est importune pour un festin, mais très opportune par rapport au bienfait qu’elle attend. Madeleine connaissait, en effet, la gravité de son mal, et elle savait que celui qu’elle était venue trouver était capable de la guérir.

8e leçon

Elle vint donc tout près du Seigneur, non à sa tête, mais à ses pieds, cherchant des traces de vertu, après avoir longtemps erré dans le vice. D’abord elle fait couler de son cœur un ruisseau de larmes, et en lave les pieds du divin Maître par l’humble aveu de ses fautes. Et les ayant essuyés avec ses cheveux, elle les baise et y répand une profusion de parfums. Son silence était tout un langage ; pas un mot ne sortait de sa bouche, mais elle faisait voir sa dévotion. La voyant donc toucher le Sauveur, voyant qu’elle arrose de larmes ses pieds, qu’elle les essuie, les couvre de baisers et les parfume, le Pharisien qui avait invité notre Seigneur Jésus-Christ, et qui était un de ces hommes superbes désignés par le Prophète Isaïe : « Qui disent : Retire-toi de moi, ne m’approche pas, parce que je suis pur », ce Pharisien supposa que le Seigneur ne savait pas ce qu’était cette femme.

9e leçon

O Pharisien, qui invites le Seigneur et qui souris à son sujet, tu le nourris, et tu ne comprends point que c’est lui qui doit te nourrir ! D’où sais-tu qu’il ignore ce qu’a été cette femme, sinon parce que tu vois qu’il s’est laissé approcher, qu’elle lui baise les pieds, qu’elle les essuie et les parfume ? Apparemment il ne fallait point permettre à une femme impure de toucher des pieds si purs. Et si pareille femme fût venue aux pieds du Pharisien, il n’aurait pas manqué de lui dire ce qu’Isaïe met dans la bouche de ces orgueilleux : « Retire-toi de moi, et ne me touche pas, parce que je suis pur ». Celle-ci, au contraire, eut accès auprès du Seigneur ; elle s’approcha souillée, pour s’en aller purifiée ; elle s’approcha malade, pour s’en aller guérie ; elle s’approcha en confessant ses fautes pour s’en aller ayant professé sa foi.

« Trois Saints, dit à Brigitte de Suède le Fils de Dieu, m’ont agréé pardessus tous les autres : Marie ma mère, Jean-Baptiste, et Marie Madeleine ». Figure, nous disent les Pères, de l’Église des Gentils appelée des abîmes du péché à la justice parfaite, Marie Madeleine plus qu’aucune autre, en effet, personnifia les égarements et l’amour de cette humanité que le Verbe avait épousée. Comme les plus illustres personnages de la loi de grâce, elle se préexista dans les siècles. Suivons dans l’histoire de la grande pénitente la marche tracée par la voix unanimement concordante de la tradition : Madeleine, on le verra, n’en sera point diminuée.

Lorsqu’avant tous les temps Dieu décréta de manifester sa gloire, il voulut régner sur un monde tiré du néant ; et la bonté en lui égalant la puissance, il fit du triomphe de l’amour souverain la loi de ce royaume que l’Évangile nous montre semblable à un roi qui fait les noces de son fils.

C’était jusqu’aux limites extrêmes de la création, que l’immortel Fils du Roi des siècles arrêta de venir contracter l’alliance résolue au sommet des collines éternelles. Bien au-dessous de l’ineffable simplicité du premier Être, plus loin que les pures intelligences dont la divine lumière parcourt en se jouant les neuf chœurs, l’humaine nature apparaissait, esprit et corps, faite elle aussi pour connaître Dieu, mais le cherchant avec labeur, nourrissant d’incomplets échos sa soif d’harmonies, glanant les derniers reflets de l’infinie beauté sur l’inerte matière. Elle pouvait mieux, dans son infirmité, manifester la condescendance suprême ; elle fixa le choix de Celui qui s’annonçait comme l’Époux.

Parce que l’homme est chair et sang, lui donc aussi se ferait chair ; il n’aurait point les Anges pour frères , et serait fils d’Adam. Splendeur du Père dans les deux, le plus beau de sa race ici-bas, il captiverait l’humanité dans les liens qui l’attirent. Au premier jour du monde, en élevant par la grâce l’être humain jusqu’à Dieu, en le plaçant au paradis de l’attente, l’acte même de création scella les fiançailles.

Hélas ! Sous les ombrages de l’Éden, l’humanité ne sut attendre l’Époux. Chassée du jardin de délices, elle se jeta dans tous les bois sacrés des nations et prostitua aux idoles vaines ce qui lui restait de sa gloire. Car grands encore étaient ses attraits ; mais ces dons de nature, quoiqu’elle l’eût oublié, restaient les présents profanés de l’Époux : « Cette beauté qui te rendait parfaite aux yeux, c’était la mienne que j’avais mise en toi, dit le Seigneur Dieu » .

L’amour n’avouait pas sa défaite ; la Sagesse, suave et forte, entreprenait de redresser les sentiers des humains. Dans l’universelle conspiration, laissant les nations mener jusqu’au bout leur folle expérience, elle se choisit un peuple issu de souche sainte, en qui la promesse faite à tous serait gardée. Quand Israël sortit d’Égypte, et la maison de Jacob du milieu d’un peuple barbare, la nation juive fut consacrée à Dieu, Israël devint son domaine. En la personne du fils de Béor, la gentilité vit passer au désert ce peuple nouveau, et elle le bénit dans l’admiration des magnificences du Seigneur habitant avec lui sous la tente, et cette vue fit battre en elle un instant le cœur de l’Épouse. « Je le verrai, s’écria-t-elle en son transport, mais non maintenant ; je le contemplerai, mais plus tard ! » Du sommet des collines sauvages d’où l’Époux l’appellera un jour, elle salua l’étoile qui devait se lever de Jacob, et redescendit prédisant la ruine à ces Hébreux qui l’avaient pour un temps supplantée.

Extase sublime, suivie bientôt de plus coupables égarements ! Jusques à quand, fille vagabonde, t’épuiseras-tu dans ces délices fausses ? Comprends qu’il t’a été mauvais d’abandonner ton Dieu. Les siècles ont passé ; la nuit tombe ; l’étoile a paru, signe de l’Époux conviant les nations. Laisse-toi ramener au désert ; écoute Celui qui parle à ton cœur. Ta rivale d’autrefois n’a point su rester reine ; l’alliance du Sinaï n’a produit qu’une esclave . L’Époux attend toujours l’Épouse.

Quelle attente, ô Dieu, que celle qui vous fait franchir au-devant de l’infidèle humanité les collines et les monts ! A quel point donc peuvent s’abaisser les cieux, que devenu péché pour l’homme pécheur, vous portiez vos conquêtes au delà du néant , et triomphiez de préférence au fond des abîmes ? Quelle est cette table où votre Évangéliste nous montre le Fils de l’Eternel, inconnu sous la servile livrée des hommes mortels, assis sans gloire dans la maison du pharisien superbe ? L’heure a sonné où l’altière synagogue qui n’a su ni jeûner avec Jean, ni se réjouir avec Celui dont il préparait les sentiers, va voir enfin Dieu justifier les délais de son miséricordieux amour. « Ne méprisons pas comme des pharisiens les conseils de Dieu, s’écrie saint Ambroise à cet endroit du livre sacré. Voici que chantent les fils de la Sagesse ; écoute leurs voix, entends leurs danses : c’est l’heure des noces. Ainsi chantait le Prophète, quand il disait : Viens ici du Liban, mon Épouse, viens ici du Liban ».

Et voici qu’une femme, qui était pécheresse dans la ville, quand elle apprit qu’il était assis à table dans la maison du pharisien, apporta un vase d’albâtre plein de parfum ; et se tenant derrière lui à ses pieds, elle commença à les arroser de ses larmes, et les essuyant avec ses cheveux, elle les baisait, et y répandait le parfum. « Quelle est cette femme ? L’Église sans nul doute, répond saint Pierre Chrysologue : l’Église sous le poids des souillures de ses péchés passés dans la cité de ce monde. A la nouvelle que le Christ a paru dans la Judée, qu’il s’est montré au banquet de la Pâque, où il livre ses mystères, où il révèle le Sacrement divin, où il manifeste le secret du salut : soudain, se précipitant, elle dédaigne les contradictions des scribes qui lui ferment l’entrée, elle brave les princes de la synagogue ; et ardente, toute de désirs, elle pénètre au sanctuaire, où elle trouve Celui qu’elle cherche trahi par la fourberie judaïque au banquet de l’amour, sans que la passion, la croix, le sépulcre, arrêtent sa foi et l’empêchent de porter au Christ ses parfums ».

Et quelle autre que l’Église, disent à leur tour ensemble Paulin de Noie et Ambroise de Milan, a le secret de ce parfum ? Elle dont les fleurs sans nombre ont tous les arômes, qui, odorante des sucs variés de la céleste grâce, exhale suavement à Dieu les multiples senteurs des vertus provenant de nations diverses et les prières des saints, comme autant d’essences s’élevant sous l’action de l’Esprit de coupes embrasées. De ce parfum de sa conversion, qu’elle mêle aux pleurs de son repentir, elle arrose les pieds du Seigneur, honorant en eux son humanité. Sa foi qui l’a justifiée croit de pair avec son amour ; bientôt  la tête même de l’Époux, sa divinité, reçoit d’elle l’hommage de la pleine mesure de nard précieux et sans mélange signifiant la justice consommée, dont l’héroïsme va jusqu’à briser le vase de la chair mortelle qui le contenait dans le martyre de l’amour ou des tourments.

Mais alors même qu’elle est parvenue au sommet du mystère, elle n’oublie pas les pieds sacrés dont le contact l’a délivrée des sept démons représentant tous les vices ; car à jamais pour le cœur de l’Épouse, comme désormais au sein du Père, l’Homme-Dieu reste inséparable en sa double nature. A la différence donc du Juif qui, ne voulant du Christ ni pour fondement ni pour chef , n’a trouvé, comme Jésus l’observe ni pour sa tête l’huile odorante, ni l’eau même pour ses pieds, elle verse sur les deux son parfum de grand prix ; et tandis que l’odeur suave de sa foi si complète remplit la terre devenue par la victoire de cette foi la maison du Seigneur elle continue, comme au temps où elle y répandait ses larmes, d’essuyer de ses longs cheveux les pieds du Maître. Mystique chevelure, gloire de l’Épouse : où les saints voient ses œuvres innombrables et ses prières sans fin ; dont la croissance réclame tous ses soins d’ici-bas ; dont l’abondance et la beauté seront divinement exaltées dans les cieux par Celui qui comptera jalousement, sans négliger aucune, sans laisser perdre une seule, toutes les œuvres de l’Église. C’est alors que de sa tête, comme de celle de l’Époux, le divin parfum qui est l’Esprit-Saint se répandra éternellement, comme une huile d’allégresse, jusqu’aux extrémités de la cité sainte.

En attendant, ô pharisien qui méprises la pauvresse dont l’amour pleure aux pieds de ton hôte divin méconnu, j’aime mieux, s’écrie le solitaire de Nole, me trouver lié dans ses cheveux aux pieds du Christ, que d’être assis près du Christ avec toi sans le Christ. Heureuse pécheresse que celle qui mérita de figurer l’Église, au point d’avoir été directement prévue et annoncée par les Prophètes, comme le fut l’Église même ! C’est ce qu’enseignent saint Jérôme et saint Cyrille d’Alexandrie, pour sa vie de grâce comme pour son existence de péché. Et résumant à son ordinaire la tradition qui l’a précédé, Bède le Vénérable ne craint pas d’affirmer qu’en effet « ce que Madeleine a fait une fois, reste le type de ce que fait toute l’Église, de ce que chaque âme parfaite doit toujours faire .

Qui ne comprendrait la prédilection de l’Homme-Dieu pour cette âme dont le retour, en raison même de la misère plus profonde où elle était tombée, manifesta dès l’abord et si pleinement le succès de sa venue, la défaite de Satan, le triomphe de cet amour souverain posé à l’origine comme l’unique loi de ce monde ! Lorsque Israël n’attendait du Messie que des biens périssables, quand les Apôtres eux-mêmes  et jusqu’à Jean le bien-aimé ne rêvaient près de lui que préséances et honneurs, la première elle vient à Jésus pour lui seul et non pour ses dons. Avide uniquement de purification et d’amour, elle ne veut pour partage que les pieds augustes fatigués à la recherche de la brebis égarée : autel béni, où elle trouve le moyen d’offrir à son libérateur autant d’holocaustes d’elle-même, dit saint Grégoire, qu’elle avait eu de vains objets de complaisance. Désormais ses biens comme sa personne sont à Jésus, dont elle n’aura plus d’occupation que de contempler les mystères et la vie, dont elle recueillera chaque parole, dont elle suivra tous les pas dans la prédication du royaume de Dieu. S’asseoir à ses pieds est pour elle l’unique bien, le voir l’unique joie, l’entendre le seul intérêt de ce monde. Combien vite, dans la lumière de son humble confiance, elle a dépassé la synagogue et les justes eux-mêmes ! Le pharisien s’indigne, sa sœur se plaint, les disciples murmurent : partout Marie se tait, mais Jésus parle pour elle ; on sent que son Cœur sacré est atteint de la moindre appréciation défavorable à rencontre. A la mort de Lazare, le Maître doit l’appeler du repos mystérieux où même alors, remarque saint Jean, elle restait assise ; sa présence au tombeau fait plus que celle du collège entier des Apôtres et de la tourbe des Juifs ; un seul mot d’elle, déjà dit par Marthe accourue la première, est plus puissant que tous les discours de celle-ci ; ses pleurs enfin font pleurer l’Homme-Dieu, et suscitent en lui le frémissement sacré, précurseur du rappel à la vie de ce mort de quatre jours, le trouble divin qui montre Dieu conquis à sa créature. Bien véritablement donc, pour les siens comme pour elle-même, pour le monde comme pour Dieu, Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point enlevée.

En ce qui précède, nous n’avons fait, pour ainsi dire, que coudre l’un à l’autre les témoignages bien incomplets d’une vénération qui se retrouve la même, toujours et partout, chez les dépositaires de la doctrine et les maîtres de la science. Cependant les hommages réunis des Docteurs n’équivalent point, pour l’humble Madeleine, à celui que lui rend l’Église même, lorsqu’au jour de la glorieuse Assomption de Notre-Dame, elle n’hésite pas à rapprocher l’incomparable souveraine du monde et la pécheresse justifiée, au point d’appliquer à la première en son triomphe l’éloge évangélique qui regarde celle-ci. Ne devançons point les lumières que le Cycle nous réserve en ses développements ; mais entendons Albert le Grand nous attester pour sûr que, dans le monde de la grâce aussi bien que dans celui de la création matérielle, Dieu a fait deux grands astres, à savoir deux Maries, la Mère du Seigneur et la sœur de Lazare : le plus grand, qui est la Vierge bienheureuse, pour présider au jour de l’innocence ; le plus petit, qui est Marie la pénitente sous les pieds de cette bienheureuse Vierge, pour présider à la nuit en éclairant les pécheurs qui viennent comme elle à repentir. Comme la lune par ses phases marque les jours de fête à la terre ainsi sans doute Madeleine, au ciel, donne le signal de la joie qui éclate parmi les Anges de Dieu sur tout pécheur faisant pénitence. N’est-elle donc pas également, par son nom de Marie et en participation de l’Immaculée, l’Etoile de la mer, ainsi que le chantaient autrefois nos Églises des Gaules, lorsqu’elles rappelaient qu’en pleine subordination servante et reine avaient été toutes deux principe d’allégresse en l’Église : l’une engendrant le salut, l’autre annonçant la Pâque !

Nous ne reviendrons point sur les inoubliables récits de ce jour, le plus grand des jours, où Madeleine, comme l’étoile du matin, marcha en avant de l’astre vainqueur inaugurant l’éternité sans couchant. Glorieuse aurore, où la divine rosée, s’élevant de la terre, effaça du fatal décret la déchéance prononcée contre Ève ! Femme, pourquoi pleures-tu  ? Tu ne te trompes pas : c’est bien le divin jardinier qui te parle, celui qui, hélas ! au commencement avait planté le paradis. Mais trêve aux pleurs ; dans cet autre jardin, dont le centre est un tombeau vide, le paradis t’est rendu : vois les Anges, qui n’en ferment plus l’entrée ; vois l’arbre de vie qui, depuis trois jours, a donné son fruit. Ce fruit que tu réclames pour t’en saisir encore et l’emporter comme aux premiers jours, il t’appartient en effet pour jamais ; car ton nom maintenant n’est plus Ève, mais Marie. S’il se refuse à tes empressements, situ ne peux le toucher encore, c’est que de même qu’autrefois tu ne voulus point goûter seule le fruit de la mort, tu ne dois pas non plus jouir de l’autre aujourd’hui, sans ramener préalablement l’homme qui par toi fut perdu.

O profondeurs en notre Dieu de la sagesse et de la miséricorde ! voici donc que, réhabilitée, la femme retrouve des honneurs plus grands qu’avant la chute même, n’étant plus seulement la compagne de l’homme, mais son guide à la lumière. Madeleine, à qui toute femme doit cette revanche glorieuse, conquiert en ce moment la place à part que lui assigne l’Église dans ses Litanies en tête des vierges elles-mêmes, comme Jean-Baptiste précède l’armée entière des Saints par le privilège qui fit de lui le premier témoin du salut. Le témoignage de la pécheresse complète celui du Précurseur : sur la foi de Jean, l’Église a reconnu l’Agneau qui efface les péchés du monde ; sur la foi de Madeleine, elle acclame l’Époux triomphateur de la mort et constatant que, par ce dernier témoignage, le cycle entier des mystères est désormais pleinement acquis à la croyance catholique, elle entonne aujourd’hui l’immortel Symbole dont les accents lui paraissaient prématurés encore en la solennité du fils de Zacharie.

O Marie, combien grande vous apparûtes aux regards des cieux dans l’instant solennel où, la terre ignorant encore le triomphe de la vie, il vous fut dit par l’Emmanuel vainqueur : « Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ! » Vous étiez bien toujours alors notre représentante, à nous Gentils, qui ne devions entrer en possession du Seigneur par la foi qu’après son Ascension par delà les nues. Ces frères vers qui vous envoyait l’Homme-Dieu, c’étaient sans doute les privilégiés que lui-même durant sa vie mortelle avait appelés à le connaître, et auxquels vous deviez, ô Apôtre des Apôtres, manifester ainsi le mystère complet de la Pâque ; toutefois déjà la miséricordieuse bonté du Maître projetait de se montrer le jour même à plusieurs, et tous devaient être comme vous bientôt les témoins de son Ascension triomphante. Qu’est-ce à dire, sinon que, tout en s’adressant aux disciples immédiats du Sauveur, votre mission, ô Madeleine, s’étendait bien plus dans l’espace et les temps ?

Pour l’œil du vainqueur de la mort à cette heure de son entrée dans la vie sans fin, ils remplissaient en effet la terre et les siècles ces frères en Adam comme en Dieu qu’il amenait à la gloire, selon l’expression du Docteur futur de la gentilité. C’est d’eux qu’il avait dit dans le Psaume : « J’annoncerai votre Nom à mes frères ; je vous louerai dans la grande assemblée des nations, au sein du peuple encore à naître qui doit appartenir au Seigneur ». C’est d’eux, c’est de nous tous composant cette génération à venir à laquelle le Seigneur devait être annoncé, qu’il vous disait alors : « Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ». Et au loin comme auprès vous êtes venue, vous venez sans cesse, remplir votre mission près des disciples et leur dire : « J’ai vu le Seigneur, et il m’a dit ces choses ».

Vous êtes venue, ô Marie, lorsque notre Occident vous vit sur ses montagnes foulant de vos pieds apostoliques, dont Cyrille d’Alexandrie salue la beauté, les rochers de Provence. Sept fois le jour, enlevée vers l’Époux sur l’aile des Anges, vous montriez à l’Église, plus éloquemment que n’eût fait tout discours, la voie qu’il avait suivie, qu’elle devait suivre elle-même par ses aspirations, en attendant de le rejoindre enfin pour jamais.

Ineffable démonstration que l’apostolat lui-même, en son mérite le plus élevé, n’est point dépendant de la parole effective ! Au ciel, les Séraphins, les Chérubins, les Trônes fixent sans cesse l’éternelle Trinité, sans jamais abaisser leurs yeux vers ce monde de néant ; et cependant par eux passent la force, la lumière et l’amour dont les augustes messagers des hiérarchies subordonnées sont les distributeurs à la terre. Ainsi, ô Madeleine, vous ne quittez plus les pieds sacrés rendus maintenant à votre amour ; et pourtant, de ce sanctuaire où votre vie reste absorbée sans nulle réserve avec le Christ en Dieu qui mieux que vous nous redit à toute heure : « Si vous êtes ressuscites avec le Christ, cherchez ce qui est en haut, là où le Christ est assis à la droite de Dieu ; goûtez ce qui est en haut, non ce qui est sur la terre ! »

O vous, dont le choix si hautement approuvé du Seigneur a révélé au monde la meilleure part, faites qu’elle demeure toujours appréciée comme telle en l’Église, cette part de la divine contemplation qui prélude ici-bas à la vie du ciel, et reste en son repos fécond la source des grâces que le ministère actif répand par le monde. La mort même, qui la fait s’épanouir en la pleine et directe vision, ne l’enlève pas, mais la confirme à qui la possède. Puisse nul de ceux qui l’ont reçue de la gratuite et souveraine bonté, ne travailler à s’en déposséder lui-même ! Fortunée maison, bienheureuse assemblée, dit le dévot saint Bernard, où Marthe se plaint de Marie ! Mais l’indignité serait grande de voir Marie jalouser Marthe. Saint Jude nous l’apprend : malheur aux anges qui ne gardent point leur principauté, qui, familiers du Très-Haut, veulent abandonner sa cour ! Maintenez au cœur des familles religieuses établies par leurs pères sur les sommets avoisinant les cieux, le sentiment de leur noblesse native : elles ne sont point faites pour la poussière et le bruit de la plaine ; elles ne sauraient s’en rapprocher qu’au grand détriment de l’Église et d’elles-mêmes. Pas plus que vous, ô Madeleine, elles ne se désintéressent pour cela des brebis perdues, mais prennent en restant ce qu’elles sont le plus sûr moyen d’assainir la terre et d’élever les âmes.

Ainsi même vous fut-il donné un jour, à Vézelay, de soulever l’Occident dans ce grand mouvement des croisades dont le moindre mérite ne fut pas de surnaturaliser en l’âme des chevaliers chrétiens, armés pour la défense du saint tombeau qui avait vu vos pleurs et votre ravissement, les sentiments qui sont l’honneur de l’humanité.

Et n’était-ce pas encore une leçon de ce genre que le Dieu par qui seul règnent les rois, et qui se rit des projets de leur vanité, voulut donner dans les premières années de ce siècle au guerrier fameux dont l’orgueil dictait ses lois aux empires ? Dans l’ivresse de sa puissance, on le vit prétendre élever à lui-même et à son armée ce qu’il appelait le Temple de la gloire. Mais bientôt, emportant le guerrier, passait la tempête ; et continué par d’autres constructeurs, le noble édifice s’achevait, portant comme dédicace à son fronton le nom de Madeleine.

O Marie, bénissez ce dernier hommage de notre France que vous avez tant aimée, et dont le peuple et les princes entourèrent toujours d’une vénération si profonde votre retraite bénie de la Sainte-Baume et votre église de Saint-Maximin, où reposent les restes mille fois précieux de celle qui sut rendre amour pour amour. En retour, apprenez-nous que la seule vraie et durable gloire est de suivre comme vous, dans ses ascensions, Celui qui vous envoya vers nous autrefois, disant : « Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ! »

La sainte Église qui, dans les diverses saisons liturgiques, insère en leur lieu comme autant de perles de grand prix les divers passages de l’Évangile ayant rapport à sainte Marie Madeleine, renvoie également à la fête de sainte Marthe, que nous célébrerons dans huit jours, les particularités concernant la vie de son illustre sœur après l’Ascension. Aux pièces liturgiques déjà insérées dans cet ouvrage à sa louange, nous ajouterons cette antique Séquence, bien connue des Églises de l’Allemagne, et que nous ferons suivre d’un Répons et de l’Oraison de la fête au Bréviaire Romain.

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Sainte Marie-Madeleine pénitente

22 Juillet 2020 , Rédigé par Ludovicus

Sainte Marie-Madeleine pénitente

Collecte

Nous vous prions, Seigneur, par les suffrages de la bienheureuse Marie-Madeleine, de venir à notre aide : vous qui, fléchi par ses prières, avez ressuscité vivant des enfers son frère Lazare, mort depuis quatre jours.

Lecture Ct. 3, 2-5 ; 8, 6-7

Je me lèverai, je parcourrai la ville ; les rues et les places, je chercherai celui que mon cœur aime : Je l’ai cherché et Je ne l’ai point trouvé. Les gardes m’ont rencontrée, ceux qui font la ronde dans la ville : "Avez-vous vu celui que mon cœur aime ?" A peine les avais-je dépassés, que j’ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l’ai saisi et je ne le lâcherai pas, jusqu’à ce que je l’aie introduit dans la maison de ma mère, et dans la chambre de celle qui m’a donné le jour. Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs, n’éveillez pas, ne réveillez pas la bien-aimée, avant qu’elle le veuille. Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras ; car l’amour est fort comme la mort, la jalousie est inflexible comme l’enfer. Ses ardeurs sont des ardeurs de feu. Les grandes eaux ne sauraient éteindre l’amour, et les fleuves ne le submergeraient pas. Un homme donnerait-il pour l’amour toutes les richesses de sa maison, on ne ferait que le mépriser

Évangile Lc. 7, 36-50

En ce temps-là : Un Pharisien invita Jésus à manger avec lui. Il entra dans la maison du Pharisien et se mit à table. Et voici qu’une femme qui, dans la ville, était pécheresse, ayant appris qu’il était à table dans la maison du Pharisien, apporta un vase d’albâtre (plein) de parfum ; et se tenant par derrière, près de ses pieds, tout en pleurs, elle se mit à arroser ses pieds de ses larmes, et elle essuyait avec les cheveux de sa tête et embrassait ses pieds, et elle les oignait de parfum. A cette vue, le Pharisien qui l’avait invité se dit en lui-même : "S’il était prophète, il saurait qui et de quelle espèce est la femme qui le touche, que c’est une pécheresse." Et prenant la parole, Jésus lui dit : "Simon, j’ai quelque chose à te dire." Et lui : "Maître, parlez." dit-il. "Un créancier avait deux débiteurs : l’un devait cinq cents deniers et l’autre cinquante. Comme ils n’avaient pas de quoi rendre, il fit remise à tous les deux. Lequel donc d’entre eux l’aimera davantage ?" Simon répondit : "Celui, je pense, auquel il a remis le plus." Il lui dit : "Tu as bien jugé." Et, se tournant vers la femme, il dit à Simon : "Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu n’as pas versé d’eau sur mes pieds ; mais elle, elle a arrosé mes pieds de (ses) larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as point donné de baiser ; mais elle, depuis que je suis entré, elle ne cessait pas d’embrasser mes pieds. Tu n’as pas oint ma tête d’huile ; mais elle, elle a oint mes pieds de parfum. C’est pourquoi, je te le dis, ses nombreux péchés lui sont pardonnés, parce qu’elle a beaucoup aimé ; mais celui à qui l’on pardonne peu, aime peu." Et à elle, il dit : "Tes péchés sont pardonnés." Et les convives se mirent à se dire en eux-mêmes : "Qui est celui-ci qui même pardonne les péchés ?" Et il dit à la femme : "Ta foi t’a sauvée, va en paix."

Office

4e leçon

Sermon de saint Grégoire, Pape.

Marie-Madeleine, qui avait été « connue dans la ville comme pécheresse », a lavé de ses larmes les taches de sa vie criminelle en aimant la vérité, et cette parole de la Vérité s’est accomplie : « Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé ». Madeleine, qui auparavant était demeurée dans la froideur en péchant, était dans la suite embrasée d’ardeur dans son amour. Elle ne quittait point le sépulcre du Seigneur, alors même que les disciples s’en éloignaient. Elle chercha avec soin celui qu’elle n’avait point trouvé d’abord. Elle pleurait en le cherchant, et embrasée du feu de son amour, elle brûlait de retrouver celui qu’elle croyait enlevé ! Aussi arriva-t-il que Madeleine seule le vit alors, elle qui était restée pour le chercher ; c’est qu’en effet toute bonne œuvre a son mérite dans la persévérance.

5e leçon

Elle le chercha donc d’abord sans le trouver ; mais en continuant sa recherche, elle réussit enfin à le trouver. Il se fit que le retard augmenta ses désirs, et que ses désirs devenus plus vifs rencontrèrent ce qu’ils voulaient trouver. C’est ce qui fait dire à l’Épouse mystique, l’Église, parlant de cela dans le Cantique des cantiques : « Sur ma couche, pendant les nuits, j’ai cherché celui que chérit mon âme ». Le bien-aimé, nous le cherchons, couchés sur notre lit, lorsque, dans le peu de repos que laisse la vie présente, le désir de voir notre Sauveur nous fait soupirer après lui. Nous le cherchons pendant la nuit ; car, si déjà notre esprit veille en pensant à lui, l’obscurité pèse encore sur notre vue.

6e leçon

Mais que celui qui ne trouve pas son bien-aimé se lève à la fin et fasse le tour de la ville ; c’est-à-dire, qu’il porte dans la sainte Église des élus les investigations de son esprit ; qu’il cherche par les rues et les places : c’est-à-dire qu’il observe ceux qui suivent les chemins étroits et ceux qui fréquentent les routes plus larges, pour voir s’il ne découvre pas quelques traces de Celui qu’il aime : car il y a des personnes, jusque dans la vie du siècle, qui offrent quelque chose à imiter pour la pratique de la vertu. Mais au milieu de nos recherches, nous voici rencontrés par les sentinelles de la ville : je veux dire que les saints Pères, qui veillent à la sécurité de l’Église, viennent au-devant de nos bons desseins, pour nous instruire et par leurs discours et par leurs écrits. Et c’est après les avoir un peu dépassés, que nous trouvons l’objet de notre amour. Car si notre humble Sauveur s’est fait l’égal des hommes par son humanité, il les a toujours surpassés par sa divinité.

7e leçon

Homélie de saint Augustin, Évêque

Vous avez écouté très attentivement l’Évangile qu’on vient de lire, et le fait qu’il rapporte a été soigneusement retracé aux yeux de votre esprit. Vous avez vu, non des yeux du corps mais de ceux de l’âme, notre Seigneur Jésus-Christ s’asseoir à table chez un Pharisien dont il n’avait pas dédaigné l’invitation. Vous avez vu aussi une femme, célèbre dans la ville par sa mauvaise réputation, pénétrant dans la salle, sans avoir été conviée au repas offert au médecin de son âme, et osant, par une sainte hardiesse, lui demander sa guérison. Sa présence est importune pour un festin, mais très opportune par rapport au bienfait qu’elle attend. Madeleine connaissait, en effet, la gravité de son mal, et elle savait que celui qu’elle était venue trouver était capable de la guérir.

8e leçon

Elle vint donc tout près du Seigneur, non à sa tête, mais à ses pieds, cherchant des traces de vertu, après avoir longtemps erré dans le vice. D’abord elle fait couler de son cœur un ruisseau de larmes, et en lave les pieds du divin Maître par l’humble aveu de ses fautes. Et les ayant essuyés avec ses cheveux, elle les baise et y répand une profusion de parfums. Son silence était tout un langage ; pas un mot ne sortait de sa bouche, mais elle faisait voir sa dévotion. La voyant donc toucher le Sauveur, voyant qu’elle arrose de larmes ses pieds, qu’elle les essuie, les couvre de baisers et les parfume, le Pharisien qui avait invité notre Seigneur Jésus-Christ, et qui était un de ces hommes superbes désignés par le Prophète Isaïe : « Qui disent : Retire-toi de moi, ne m’approche pas, parce que je suis pur », ce Pharisien supposa que le Seigneur ne savait pas ce qu’était cette femme.

9e leçon

O Pharisien, qui invites le Seigneur et qui souris à son sujet, tu le nourris, et tu ne comprends point que c’est lui qui doit te nourrir ! D’où sais-tu qu’il ignore ce qu’a été cette femme, sinon parce que tu vois qu’il s’est laissé approcher, qu’elle lui baise les pieds, qu’elle les essuie et les parfume ? Apparemment il ne fallait point permettre à une femme impure de toucher des pieds si purs. Et si pareille femme fût venue aux pieds du Pharisien, il n’aurait pas manqué de lui dire ce qu’Isaïe met dans la bouche de ces orgueilleux : « Retire-toi de moi, et ne me touche pas, parce que je suis pur ». Celle-ci, au contraire, eut accès auprès du Seigneur ; elle s’approcha souillée, pour s’en aller purifiée ; elle s’approcha malade, pour s’en aller guérie ; elle s’approcha en confessant ses fautes pour s’en aller ayant professé sa foi.

« Trois Saints, dit à Brigitte de Suède le Fils de Dieu, m’ont agréé pardessus tous les autres : Marie ma mère, Jean-Baptiste, et Marie Madeleine ». Figure, nous disent les Pères, de l’Église des Gentils appelée des abîmes du péché à la justice parfaite, Marie Madeleine plus qu’aucune autre, en effet, personnifia les égarements et l’amour de cette humanité que le Verbe avait épousée. Comme les plus illustres personnages de la loi de grâce, elle se préexista dans les siècles. Suivons dans l’histoire de la grande pénitente la marche tracée par la voix unanimement concordante de la tradition : Madeleine, on le verra, n’en sera point diminuée.

Lorsqu’avant tous les temps Dieu décréta de manifester sa gloire, il voulut régner sur un monde tiré du néant ; et la bonté en lui égalant la puissance, il fit du triomphe de l’amour souverain la loi de ce royaume que l’Évangile nous montre semblable à un roi qui fait les noces de son fils.

C’était jusqu’aux limites extrêmes de la création, que l’immortel Fils du Roi des siècles arrêta de venir contracter l’alliance résolue au sommet des collines éternelles. Bien au-dessous de l’ineffable simplicité du premier Être, plus loin que les pures intelligences dont la divine lumière parcourt en se jouant les neuf chœurs, l’humaine nature apparaissait, esprit et corps, faite elle aussi pour connaître Dieu, mais le cherchant avec labeur, nourrissant d’incomplets échos sa soif d’harmonies, glanant les derniers reflets de l’infinie beauté sur l’inerte matière. Elle pouvait mieux, dans son infirmité, manifester la condescendance suprême ; elle fixa le choix de Celui qui s’annonçait comme l’Époux.

Parce que l’homme est chair et sang, lui donc aussi se ferait chair ; il n’aurait point les Anges pour frères , et serait fils d’Adam. Splendeur du Père dans les deux, le plus beau de sa race ici-bas, il captiverait l’humanité dans les liens qui l’attirent. Au premier jour du monde, en élevant par la grâce l’être humain jusqu’à Dieu, en le plaçant au paradis de l’attente, l’acte même de création scella les fiançailles.

Hélas ! Sous les ombrages de l’Éden, l’humanité ne sut attendre l’Époux. Chassée du jardin de délices, elle se jeta dans tous les bois sacrés des nations et prostitua aux idoles vaines ce qui lui restait de sa gloire. Car grands encore étaient ses attraits ; mais ces dons de nature, quoiqu’elle l’eût oublié, restaient les présents profanés de l’Époux : « Cette beauté qui te rendait parfaite aux yeux, c’était la mienne que j’avais mise en toi, dit le Seigneur Dieu » .

L’amour n’avouait pas sa défaite ; la Sagesse, suave et forte, entreprenait de redresser les sentiers des humains. Dans l’universelle conspiration, laissant les nations mener jusqu’au bout leur folle expérience, elle se choisit un peuple issu de souche sainte, en qui la promesse faite à tous serait gardée. Quand Israël sortit d’Égypte, et la maison de Jacob du milieu d’un peuple barbare, la nation juive fut consacrée à Dieu, Israël devint son domaine. En la personne du fils de Béor, la gentilité vit passer au désert ce peuple nouveau, et elle le bénit dans l’admiration des magnificences du Seigneur habitant avec lui sous la tente, et cette vue fit battre en elle un instant le cœur de l’Épouse. « Je le verrai, s’écria-t-elle en son transport, mais non maintenant ; je le contemplerai, mais plus tard ! » Du sommet des collines sauvages d’où l’Époux l’appellera un jour, elle salua l’étoile qui devait se lever de Jacob, et redescendit prédisant la ruine à ces Hébreux qui l’avaient pour un temps supplantée.

Extase sublime, suivie bientôt de plus coupables égarements ! Jusques à quand, fille vagabonde, t’épuiseras-tu dans ces délices fausses ? Comprends qu’il t’a été mauvais d’abandonner ton Dieu. Les siècles ont passé ; la nuit tombe ; l’étoile a paru, signe de l’Époux conviant les nations. Laisse-toi ramener au désert ; écoute Celui qui parle à ton cœur. Ta rivale d’autrefois n’a point su rester reine ; l’alliance du Sinaï n’a produit qu’une esclave . L’Époux attend toujours l’Épouse.

Quelle attente, ô Dieu, que celle qui vous fait franchir au-devant de l’infidèle humanité les collines et les monts ! A quel point donc peuvent s’abaisser les cieux, que devenu péché pour l’homme pécheur, vous portiez vos conquêtes au delà du néant , et triomphiez de préférence au fond des abîmes ? Quelle est cette table où votre Évangéliste nous montre le Fils de l’Eternel, inconnu sous la servile livrée des hommes mortels, assis sans gloire dans la maison du pharisien superbe ? L’heure a sonné où l’altière synagogue qui n’a su ni jeûner avec Jean, ni se réjouir avec Celui dont il préparait les sentiers, va voir enfin Dieu justifier les délais de son miséricordieux amour. « Ne méprisons pas comme des pharisiens les conseils de Dieu, s’écrie saint Ambroise à cet endroit du livre sacré. Voici que chantent les fils de la Sagesse ; écoute leurs voix, entends leurs danses : c’est l’heure des noces. Ainsi chantait le Prophète, quand il disait : Viens ici du Liban, mon Épouse, viens ici du Liban ».

Et voici qu’une femme, qui était pécheresse dans la ville, quand elle apprit qu’il était assis à table dans la maison du pharisien, apporta un vase d’albâtre plein de parfum ; et se tenant derrière lui à ses pieds, elle commença à les arroser de ses larmes, et les essuyant avec ses cheveux, elle les baisait, et y répandait le parfum. « Quelle est cette femme ? L’Église sans nul doute, répond saint Pierre Chrysologue : l’Église sous le poids des souillures de ses péchés passés dans la cité de ce monde. A la nouvelle que le Christ a paru dans la Judée, qu’il s’est montré au banquet de la Pâque, où il livre ses mystères, où il révèle le Sacrement divin, où il manifeste le secret du salut : soudain, se précipitant, elle dédaigne les contradictions des scribes qui lui ferment l’entrée, elle brave les princes de la synagogue ; et ardente, toute de désirs, elle pénètre au sanctuaire, où elle trouve Celui qu’elle cherche trahi par la fourberie judaïque au banquet de l’amour, sans que la passion, la croix, le sépulcre, arrêtent sa foi et l’empêchent de porter au Christ ses parfums ».

Et quelle autre que l’Église, disent à leur tour ensemble Paulin de Noie et Ambroise de Milan, a le secret de ce parfum ? Elle dont les fleurs sans nombre ont tous les arômes, qui, odorante des sucs variés de la céleste grâce, exhale suavement à Dieu les multiples senteurs des vertus provenant de nations diverses et les prières des saints, comme autant d’essences s’élevant sous l’action de l’Esprit de coupes embrasées. De ce parfum de sa conversion, qu’elle mêle aux pleurs de son repentir, elle arrose les pieds du Seigneur, honorant en eux son humanité. Sa foi qui l’a justifiée croit de pair avec son amour ; bientôt  la tête même de l’Époux, sa divinité, reçoit d’elle l’hommage de la pleine mesure de nard précieux et sans mélange signifiant la justice consommée, dont l’héroïsme va jusqu’à briser le vase de la chair mortelle qui le contenait dans le martyre de l’amour ou des tourments.

Mais alors même qu’elle est parvenue au sommet du mystère, elle n’oublie pas les pieds sacrés dont le contact l’a délivrée des sept démons représentant tous les vices ; car à jamais pour le cœur de l’Épouse, comme désormais au sein du Père, l’Homme-Dieu reste inséparable en sa double nature. A la différence donc du Juif qui, ne voulant du Christ ni pour fondement ni pour chef , n’a trouvé, comme Jésus l’observe ni pour sa tête l’huile odorante, ni l’eau même pour ses pieds, elle verse sur les deux son parfum de grand prix ; et tandis que l’odeur suave de sa foi si complète remplit la terre devenue par la victoire de cette foi la maison du Seigneur elle continue, comme au temps où elle y répandait ses larmes, d’essuyer de ses longs cheveux les pieds du Maître. Mystique chevelure, gloire de l’Épouse : où les saints voient ses œuvres innombrables et ses prières sans fin ; dont la croissance réclame tous ses soins d’ici-bas ; dont l’abondance et la beauté seront divinement exaltées dans les cieux par Celui qui comptera jalousement, sans négliger aucune, sans laisser perdre une seule, toutes les œuvres de l’Église. C’est alors que de sa tête, comme de celle de l’Époux, le divin parfum qui est l’Esprit-Saint se répandra éternellement, comme une huile d’allégresse, jusqu’aux extrémités de la cité sainte.

En attendant, ô pharisien qui méprises la pauvresse dont l’amour pleure aux pieds de ton hôte divin méconnu, j’aime mieux, s’écrie le solitaire de Nole, me trouver lié dans ses cheveux aux pieds du Christ, que d’être assis près du Christ avec toi sans le Christ. Heureuse pécheresse que celle qui mérita de figurer l’Église, au point d’avoir été directement prévue et annoncée par les Prophètes, comme le fut l’Église même ! C’est ce qu’enseignent saint Jérôme et saint Cyrille d’Alexandrie, pour sa vie de grâce comme pour son existence de péché. Et résumant à son ordinaire la tradition qui l’a précédé, Bède le Vénérable ne craint pas d’affirmer qu’en effet « ce que Madeleine a fait une fois, reste le type de ce que fait toute l’Église, de ce que chaque âme parfaite doit toujours faire .

Qui ne comprendrait la prédilection de l’Homme-Dieu pour cette âme dont le retour, en raison même de la misère plus profonde où elle était tombée, manifesta dès l’abord et si pleinement le succès de sa venue, la défaite de Satan, le triomphe de cet amour souverain posé à l’origine comme l’unique loi de ce monde ! Lorsque Israël n’attendait du Messie que des biens périssables, quand les Apôtres eux-mêmes  et jusqu’à Jean le bien-aimé ne rêvaient près de lui que préséances et honneurs, la première elle vient à Jésus pour lui seul et non pour ses dons. Avide uniquement de purification et d’amour, elle ne veut pour partage que les pieds augustes fatigués à la recherche de la brebis égarée : autel béni, où elle trouve le moyen d’offrir à son libérateur autant d’holocaustes d’elle-même, dit saint Grégoire, qu’elle avait eu de vains objets de complaisance. Désormais ses biens comme sa personne sont à Jésus, dont elle n’aura plus d’occupation que de contempler les mystères et la vie, dont elle recueillera chaque parole, dont elle suivra tous les pas dans la prédication du royaume de Dieu. S’asseoir à ses pieds est pour elle l’unique bien, le voir l’unique joie, l’entendre le seul intérêt de ce monde. Combien vite, dans la lumière de son humble confiance, elle a dépassé la synagogue et les justes eux-mêmes ! Le pharisien s’indigne, sa sœur se plaint, les disciples murmurent : partout Marie se tait, mais Jésus parle pour elle ; on sent que son Cœur sacré est atteint de la moindre appréciation défavorable à rencontre. A la mort de Lazare, le Maître doit l’appeler du repos mystérieux où même alors, remarque saint Jean, elle restait assise ; sa présence au tombeau fait plus que celle du collège entier des Apôtres et de la tourbe des Juifs ; un seul mot d’elle, déjà dit par Marthe accourue la première, est plus puissant que tous les discours de celle-ci ; ses pleurs enfin font pleurer l’Homme-Dieu, et suscitent en lui le frémissement sacré, précurseur du rappel à la vie de ce mort de quatre jours, le trouble divin qui montre Dieu conquis à sa créature. Bien véritablement donc, pour les siens comme pour elle-même, pour le monde comme pour Dieu, Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point enlevée.

En ce qui précède, nous n’avons fait, pour ainsi dire, que coudre l’un à l’autre les témoignages bien incomplets d’une vénération qui se retrouve la même, toujours et partout, chez les dépositaires de la doctrine et les maîtres de la science. Cependant les hommages réunis des Docteurs n’équivalent point, pour l’humble Madeleine, à celui que lui rend l’Église même, lorsqu’au jour de la glorieuse Assomption de Notre-Dame, elle n’hésite pas à rapprocher l’incomparable souveraine du monde et la pécheresse justifiée, au point d’appliquer à la première en son triomphe l’éloge évangélique qui regarde celle-ci. Ne devançons point les lumières que le Cycle nous réserve en ses développements ; mais entendons Albert le Grand nous attester pour sûr que, dans le monde de la grâce aussi bien que dans celui de la création matérielle, Dieu a fait deux grands astres, à savoir deux Maries, la Mère du Seigneur et la sœur de Lazare : le plus grand, qui est la Vierge bienheureuse, pour présider au jour de l’innocence ; le plus petit, qui est Marie la pénitente sous les pieds de cette bienheureuse Vierge, pour présider à la nuit en éclairant les pécheurs qui viennent comme elle à repentir. Comme la lune par ses phases marque les jours de fête à la terre ainsi sans doute Madeleine, au ciel, donne le signal de la joie qui éclate parmi les Anges de Dieu sur tout pécheur faisant pénitence. N’est-elle donc pas également, par son nom de Marie et en participation de l’Immaculée, l’Etoile de la mer, ainsi que le chantaient autrefois nos Églises des Gaules, lorsqu’elles rappelaient qu’en pleine subordination servante et reine avaient été toutes deux principe d’allégresse en l’Église : l’une engendrant le salut, l’autre annonçant la Pâque !

Nous ne reviendrons point sur les inoubliables récits de ce jour, le plus grand des jours, où Madeleine, comme l’étoile du matin, marcha en avant de l’astre vainqueur inaugurant l’éternité sans couchant. Glorieuse aurore, où la divine rosée, s’élevant de la terre, effaça du fatal décret la déchéance prononcée contre Ève ! Femme, pourquoi pleures-tu  ? Tu ne te trompes pas : c’est bien le divin jardinier qui te parle, celui qui, hélas ! au commencement avait planté le paradis. Mais trêve aux pleurs ; dans cet autre jardin, dont le centre est un tombeau vide, le paradis t’est rendu : vois les Anges, qui n’en ferment plus l’entrée ; vois l’arbre de vie qui, depuis trois jours, a donné son fruit. Ce fruit que tu réclames pour t’en saisir encore et l’emporter comme aux premiers jours, il t’appartient en effet pour jamais ; car ton nom maintenant n’est plus Ève, mais Marie. S’il se refuse à tes empressements, situ ne peux le toucher encore, c’est que de même qu’autrefois tu ne voulus point goûter seule le fruit de la mort, tu ne dois pas non plus jouir de l’autre aujourd’hui, sans ramener préalablement l’homme qui par toi fut perdu.

O profondeurs en notre Dieu de la sagesse et de la miséricorde ! voici donc que, réhabilitée, la femme retrouve des honneurs plus grands qu’avant la chute même, n’étant plus seulement la compagne de l’homme, mais son guide à la lumière. Madeleine, à qui toute femme doit cette revanche glorieuse, conquiert en ce moment la place à part que lui assigne l’Église dans ses Litanies en tête des vierges elles-mêmes, comme Jean-Baptiste précède l’armée entière des Saints par le privilège qui fit de lui le premier témoin du salut. Le témoignage de la pécheresse complète celui du Précurseur : sur la foi de Jean, l’Église a reconnu l’Agneau qui efface les péchés du monde ; sur la foi de Madeleine, elle acclame l’Époux triomphateur de la mort et constatant que, par ce dernier témoignage, le cycle entier des mystères est désormais pleinement acquis à la croyance catholique, elle entonne aujourd’hui l’immortel Symbole dont les accents lui paraissaient prématurés encore en la solennité du fils de Zacharie.

O Marie, combien grande vous apparûtes aux regards des cieux dans l’instant solennel où, la terre ignorant encore le triomphe de la vie, il vous fut dit par l’Emmanuel vainqueur : « Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ! » Vous étiez bien toujours alors notre représentante, à nous Gentils, qui ne devions entrer en possession du Seigneur par la foi qu’après son Ascension par delà les nues. Ces frères vers qui vous envoyait l’Homme-Dieu, c’étaient sans doute les privilégiés que lui-même durant sa vie mortelle avait appelés à le connaître, et auxquels vous deviez, ô Apôtre des Apôtres, manifester ainsi le mystère complet de la Pâque ; toutefois déjà la miséricordieuse bonté du Maître projetait de se montrer le jour même à plusieurs, et tous devaient être comme vous bientôt les témoins de son Ascension triomphante. Qu’est-ce à dire, sinon que, tout en s’adressant aux disciples immédiats du Sauveur, votre mission, ô Madeleine, s’étendait bien plus dans l’espace et les temps ?

Pour l’œil du vainqueur de la mort à cette heure de son entrée dans la vie sans fin, ils remplissaient en effet la terre et les siècles ces frères en Adam comme en Dieu qu’il amenait à la gloire, selon l’expression du Docteur futur de la gentilité. C’est d’eux qu’il avait dit dans le Psaume : « J’annoncerai votre Nom à mes frères ; je vous louerai dans la grande assemblée des nations, au sein du peuple encore à naître qui doit appartenir au Seigneur ». C’est d’eux, c’est de nous tous composant cette génération à venir à laquelle le Seigneur devait être annoncé, qu’il vous disait alors : « Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ». Et au loin comme auprès vous êtes venue, vous venez sans cesse, remplir votre mission près des disciples et leur dire : « J’ai vu le Seigneur, et il m’a dit ces choses ».

Vous êtes venue, ô Marie, lorsque notre Occident vous vit sur ses montagnes foulant de vos pieds apostoliques, dont Cyrille d’Alexandrie salue la beauté, les rochers de Provence. Sept fois le jour, enlevée vers l’Époux sur l’aile des Anges, vous montriez à l’Église, plus éloquemment que n’eût fait tout discours, la voie qu’il avait suivie, qu’elle devait suivre elle-même par ses aspirations, en attendant de le rejoindre enfin pour jamais.

Ineffable démonstration que l’apostolat lui-même, en son mérite le plus élevé, n’est point dépendant de la parole effective ! Au ciel, les Séraphins, les Chérubins, les Trônes fixent sans cesse l’éternelle Trinité, sans jamais abaisser leurs yeux vers ce monde de néant ; et cependant par eux passent la force, la lumière et l’amour dont les augustes messagers des hiérarchies subordonnées sont les distributeurs à la terre. Ainsi, ô Madeleine, vous ne quittez plus les pieds sacrés rendus maintenant à votre amour ; et pourtant, de ce sanctuaire où votre vie reste absorbée sans nulle réserve avec le Christ en Dieu qui mieux que vous nous redit à toute heure : « Si vous êtes ressuscites avec le Christ, cherchez ce qui est en haut, là où le Christ est assis à la droite de Dieu ; goûtez ce qui est en haut, non ce qui est sur la terre ! »

O vous, dont le choix si hautement approuvé du Seigneur a révélé au monde la meilleure part, faites qu’elle demeure toujours appréciée comme telle en l’Église, cette part de la divine contemplation qui prélude ici-bas à la vie du ciel, et reste en son repos fécond la source des grâces que le ministère actif répand par le monde. La mort même, qui la fait s’épanouir en la pleine et directe vision, ne l’enlève pas, mais la confirme à qui la possède. Puisse nul de ceux qui l’ont reçue de la gratuite et souveraine bonté, ne travailler à s’en déposséder lui-même ! Fortunée maison, bienheureuse assemblée, dit le dévot saint Bernard, où Marthe se plaint de Marie ! Mais l’indignité serait grande de voir Marie jalouser Marthe. Saint Jude nous l’apprend : malheur aux anges qui ne gardent point leur principauté, qui, familiers du Très-Haut, veulent abandonner sa cour ! Maintenez au cœur des familles religieuses établies par leurs pères sur les sommets avoisinant les cieux, le sentiment de leur noblesse native : elles ne sont point faites pour la poussière et le bruit de la plaine ; elles ne sauraient s’en rapprocher qu’au grand détriment de l’Église et d’elles-mêmes. Pas plus que vous, ô Madeleine, elles ne se désintéressent pour cela des brebis perdues, mais prennent en restant ce qu’elles sont le plus sûr moyen d’assainir la terre et d’élever les âmes.

Ainsi même vous fut-il donné un jour, à Vézelay, de soulever l’Occident dans ce grand mouvement des croisades dont le moindre mérite ne fut pas de surnaturaliser en l’âme des chevaliers chrétiens, armés pour la défense du saint tombeau qui avait vu vos pleurs et votre ravissement, les sentiments qui sont l’honneur de l’humanité.

Et n’était-ce pas encore une leçon de ce genre que le Dieu par qui seul règnent les rois, et qui se rit des projets de leur vanité, voulut donner dans les premières années de ce siècle au guerrier fameux dont l’orgueil dictait ses lois aux empires ? Dans l’ivresse de sa puissance, on le vit prétendre élever à lui-même et à son armée ce qu’il appelait le Temple de la gloire. Mais bientôt, emportant le guerrier, passait la tempête ; et continué par d’autres constructeurs, le noble édifice s’achevait, portant comme dédicace à son fronton le nom de Madeleine.

O Marie, bénissez ce dernier hommage de notre France que vous avez tant aimée, et dont le peuple et les princes entourèrent toujours d’une vénération si profonde votre retraite bénie de la Sainte-Baume et votre église de Saint-Maximin, où reposent les restes mille fois précieux de celle qui sut rendre amour pour amour. En retour, apprenez-nous que la seule vraie et durable gloire est de suivre comme vous, dans ses ascensions, Celui qui vous envoya vers nous autrefois, disant : « Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ! »

La sainte Église qui, dans les diverses saisons liturgiques, insère en leur lieu comme autant de perles de grand prix les divers passages de l’Évangile ayant rapport à sainte Marie Madeleine, renvoie également à la fête de sainte Marthe, que nous célébrerons dans huit jours, les particularités concernant la vie de son illustre sœur après l’Ascension. Aux pièces liturgiques déjà insérées dans cet ouvrage à sa louange, nous ajouterons cette antique Séquence, bien connue des Églises de l’Allemagne, et que nous ferons suivre d’un Répons et de l’Oraison de la fête au Bréviaire Romain.

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Sainte Marie-Madeleine pénitente

22 Juillet 2020 , Rédigé par Ludovicus

Sainte Marie-Madeleine pénitente

Collecte

Nous vous prions, Seigneur, par les suffrages de la bienheureuse Marie-Madeleine, de venir à notre aide : vous qui, fléchi par ses prières, avez ressuscité vivant des enfers son frère Lazare, mort depuis quatre jours.

Lecture Ct. 3, 2-5 ; 8, 6-7

Je me lèverai, je parcourrai la ville ; les rues et les places, je chercherai celui que mon cœur aime : Je l’ai cherché et Je ne l’ai point trouvé. Les gardes m’ont rencontrée, ceux qui font la ronde dans la ville : "Avez-vous vu celui que mon cœur aime ?" A peine les avais-je dépassés, que j’ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l’ai saisi et je ne le lâcherai pas, jusqu’à ce que je l’aie introduit dans la maison de ma mère, et dans la chambre de celle qui m’a donné le jour. Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs, n’éveillez pas, ne réveillez pas la bien-aimée, avant qu’elle le veuille. Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras ; car l’amour est fort comme la mort, la jalousie est inflexible comme l’enfer. Ses ardeurs sont des ardeurs de feu. Les grandes eaux ne sauraient éteindre l’amour, et les fleuves ne le submergeraient pas. Un homme donnerait-il pour l’amour toutes les richesses de sa maison, on ne ferait que le mépriser

Évangile Lc. 7, 36-50

En ce temps-là : Un Pharisien invita Jésus à manger avec lui. Il entra dans la maison du Pharisien et se mit à table. Et voici qu’une femme qui, dans la ville, était pécheresse, ayant appris qu’il était à table dans la maison du Pharisien, apporta un vase d’albâtre (plein) de parfum ; et se tenant par derrière, près de ses pieds, tout en pleurs, elle se mit à arroser ses pieds de ses larmes, et elle essuyait avec les cheveux de sa tête et embrassait ses pieds, et elle les oignait de parfum. A cette vue, le Pharisien qui l’avait invité se dit en lui-même : "S’il était prophète, il saurait qui et de quelle espèce est la femme qui le touche, que c’est une pécheresse." Et prenant la parole, Jésus lui dit : "Simon, j’ai quelque chose à te dire." Et lui : "Maître, parlez." dit-il. "Un créancier avait deux débiteurs : l’un devait cinq cents deniers et l’autre cinquante. Comme ils n’avaient pas de quoi rendre, il fit remise à tous les deux. Lequel donc d’entre eux l’aimera davantage ?" Simon répondit : "Celui, je pense, auquel il a remis le plus." Il lui dit : "Tu as bien jugé." Et, se tournant vers la femme, il dit à Simon : "Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu n’as pas versé d’eau sur mes pieds ; mais elle, elle a arrosé mes pieds de (ses) larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as point donné de baiser ; mais elle, depuis que je suis entré, elle ne cessait pas d’embrasser mes pieds. Tu n’as pas oint ma tête d’huile ; mais elle, elle a oint mes pieds de parfum. C’est pourquoi, je te le dis, ses nombreux péchés lui sont pardonnés, parce qu’elle a beaucoup aimé ; mais celui à qui l’on pardonne peu, aime peu." Et à elle, il dit : "Tes péchés sont pardonnés." Et les convives se mirent à se dire en eux-mêmes : "Qui est celui-ci qui même pardonne les péchés ?" Et il dit à la femme : "Ta foi t’a sauvée, va en paix."

Office

4e leçon

Sermon de saint Grégoire, Pape.

Marie-Madeleine, qui avait été « connue dans la ville comme pécheresse », a lavé de ses larmes les taches de sa vie criminelle en aimant la vérité, et cette parole de la Vérité s’est accomplie : « Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé ». Madeleine, qui auparavant était demeurée dans la froideur en péchant, était dans la suite embrasée d’ardeur dans son amour. Elle ne quittait point le sépulcre du Seigneur, alors même que les disciples s’en éloignaient. Elle chercha avec soin celui qu’elle n’avait point trouvé d’abord. Elle pleurait en le cherchant, et embrasée du feu de son amour, elle brûlait de retrouver celui qu’elle croyait enlevé ! Aussi arriva-t-il que Madeleine seule le vit alors, elle qui était restée pour le chercher ; c’est qu’en effet toute bonne œuvre a son mérite dans la persévérance.

5e leçon

Elle le chercha donc d’abord sans le trouver ; mais en continuant sa recherche, elle réussit enfin à le trouver. Il se fit que le retard augmenta ses désirs, et que ses désirs devenus plus vifs rencontrèrent ce qu’ils voulaient trouver. C’est ce qui fait dire à l’Épouse mystique, l’Église, parlant de cela dans le Cantique des cantiques : « Sur ma couche, pendant les nuits, j’ai cherché celui que chérit mon âme ». Le bien-aimé, nous le cherchons, couchés sur notre lit, lorsque, dans le peu de repos que laisse la vie présente, le désir de voir notre Sauveur nous fait soupirer après lui. Nous le cherchons pendant la nuit ; car, si déjà notre esprit veille en pensant à lui, l’obscurité pèse encore sur notre vue.

6e leçon

Mais que celui qui ne trouve pas son bien-aimé se lève à la fin et fasse le tour de la ville ; c’est-à-dire, qu’il porte dans la sainte Église des élus les investigations de son esprit ; qu’il cherche par les rues et les places : c’est-à-dire qu’il observe ceux qui suivent les chemins étroits et ceux qui fréquentent les routes plus larges, pour voir s’il ne découvre pas quelques traces de Celui qu’il aime : car il y a des personnes, jusque dans la vie du siècle, qui offrent quelque chose à imiter pour la pratique de la vertu. Mais au milieu de nos recherches, nous voici rencontrés par les sentinelles de la ville : je veux dire que les saints Pères, qui veillent à la sécurité de l’Église, viennent au-devant de nos bons desseins, pour nous instruire et par leurs discours et par leurs écrits. Et c’est après les avoir un peu dépassés, que nous trouvons l’objet de notre amour. Car si notre humble Sauveur s’est fait l’égal des hommes par son humanité, il les a toujours surpassés par sa divinité.

7e leçon

Homélie de saint Augustin, Évêque

Vous avez écouté très attentivement l’Évangile qu’on vient de lire, et le fait qu’il rapporte a été soigneusement retracé aux yeux de votre esprit. Vous avez vu, non des yeux du corps mais de ceux de l’âme, notre Seigneur Jésus-Christ s’asseoir à table chez un Pharisien dont il n’avait pas dédaigné l’invitation. Vous avez vu aussi une femme, célèbre dans la ville par sa mauvaise réputation, pénétrant dans la salle, sans avoir été conviée au repas offert au médecin de son âme, et osant, par une sainte hardiesse, lui demander sa guérison. Sa présence est importune pour un festin, mais très opportune par rapport au bienfait qu’elle attend. Madeleine connaissait, en effet, la gravité de son mal, et elle savait que celui qu’elle était venue trouver était capable de la guérir.

8e leçon

Elle vint donc tout près du Seigneur, non à sa tête, mais à ses pieds, cherchant des traces de vertu, après avoir longtemps erré dans le vice. D’abord elle fait couler de son cœur un ruisseau de larmes, et en lave les pieds du divin Maître par l’humble aveu de ses fautes. Et les ayant essuyés avec ses cheveux, elle les baise et y répand une profusion de parfums. Son silence était tout un langage ; pas un mot ne sortait de sa bouche, mais elle faisait voir sa dévotion. La voyant donc toucher le Sauveur, voyant qu’elle arrose de larmes ses pieds, qu’elle les essuie, les couvre de baisers et les parfume, le Pharisien qui avait invité notre Seigneur Jésus-Christ, et qui était un de ces hommes superbes désignés par le Prophète Isaïe : « Qui disent : Retire-toi de moi, ne m’approche pas, parce que je suis pur », ce Pharisien supposa que le Seigneur ne savait pas ce qu’était cette femme.

9e leçon

O Pharisien, qui invites le Seigneur et qui souris à son sujet, tu le nourris, et tu ne comprends point que c’est lui qui doit te nourrir ! D’où sais-tu qu’il ignore ce qu’a été cette femme, sinon parce que tu vois qu’il s’est laissé approcher, qu’elle lui baise les pieds, qu’elle les essuie et les parfume ? Apparemment il ne fallait point permettre à une femme impure de toucher des pieds si purs. Et si pareille femme fût venue aux pieds du Pharisien, il n’aurait pas manqué de lui dire ce qu’Isaïe met dans la bouche de ces orgueilleux : « Retire-toi de moi, et ne me touche pas, parce que je suis pur ». Celle-ci, au contraire, eut accès auprès du Seigneur ; elle s’approcha souillée, pour s’en aller purifiée ; elle s’approcha malade, pour s’en aller guérie ; elle s’approcha en confessant ses fautes pour s’en aller ayant professé sa foi.

 

« Trois Saints, dit à Brigitte de Suède le Fils de Dieu, m’ont agréé pardessus tous les autres : Marie ma mère, Jean-Baptiste, et Marie Madeleine ». Figure, nous disent les Pères, de l’Église des Gentils appelée des abîmes du péché à la justice parfaite, Marie Madeleine plus qu’aucune autre, en effet, personnifia les égarements et l’amour de cette humanité que le Verbe avait épousée. Comme les plus illustres personnages de la loi de grâce, elle se préexista dans les siècles. Suivons dans l’histoire de la grande pénitente la marche tracée par la voix unanimement concordante de la tradition : Madeleine, on le verra, n’en sera point diminuée.

Lorsqu’avant tous les temps Dieu décréta de manifester sa gloire, il voulut régner sur un monde tiré du néant ; et la bonté en lui égalant la puissance, il fit du triomphe de l’amour souverain la loi de ce royaume que l’Évangile nous montre semblable à un roi qui fait les noces de son fils.

C’était jusqu’aux limites extrêmes de la création, que l’immortel Fils du Roi des siècles arrêta de venir contracter l’alliance résolue au sommet des collines éternelles. Bien au-dessous de l’ineffable simplicité du premier Être, plus loin que les pures intelligences dont la divine lumière parcourt en se jouant les neuf chœurs, l’humaine nature apparaissait, esprit et corps, faite elle aussi pour connaître Dieu, mais le cherchant avec labeur, nourrissant d’incomplets échos sa soif d’harmonies, glanant les derniers reflets de l’infinie beauté sur l’inerte matière. Elle pouvait mieux, dans son infirmité, manifester la condescendance suprême ; elle fixa le choix de Celui qui s’annonçait comme l’Époux.

Parce que l’homme est chair et sang, lui donc aussi se ferait chair ; il n’aurait point les Anges pour frères , et serait fils d’Adam. Splendeur du Père dans les deux, le plus beau de sa race ici-bas, il captiverait l’humanité dans les liens qui l’attirent. Au premier jour du monde, en élevant par la grâce l’être humain jusqu’à Dieu, en le plaçant au paradis de l’attente, l’acte même de création scella les fiançailles.

Hélas ! Sous les ombrages de l’Éden, l’humanité ne sut attendre l’Époux. Chassée du jardin de délices, elle se jeta dans tous les bois sacrés des nations et prostitua aux idoles vaines ce qui lui restait de sa gloire. Car grands encore étaient ses attraits ; mais ces dons de nature, quoiqu’elle l’eût oublié, restaient les présents profanés de l’Époux : « Cette beauté qui te rendait parfaite aux yeux, c’était la mienne que j’avais mise en toi, dit le Seigneur Dieu » .

L’amour n’avouait pas sa défaite ; la Sagesse, suave et forte, entreprenait de redresser les sentiers des humains. Dans l’universelle conspiration, laissant les nations mener jusqu’au bout leur folle expérience, elle se choisit un peuple issu de souche sainte, en qui la promesse faite à tous serait gardée. Quand Israël sortit d’Égypte, et la maison de Jacob du milieu d’un peuple barbare, la nation juive fut consacrée à Dieu, Israël devint son domaine. En la personne du fils de Béor, la gentilité vit passer au désert ce peuple nouveau, et elle le bénit dans l’admiration des magnificences du Seigneur habitant avec lui sous la tente, et cette vue fit battre en elle un instant le cœur de l’Épouse. « Je le verrai, s’écria-t-elle en son transport, mais non maintenant ; je le contemplerai, mais plus tard ! » Du sommet des collines sauvages d’où l’Époux l’appellera un jour, elle salua l’étoile qui devait se lever de Jacob, et redescendit prédisant la ruine à ces Hébreux qui l’avaient pour un temps supplantée.

Extase sublime, suivie bientôt de plus coupables égarements ! Jusques à quand, fille vagabonde, t’épuiseras-tu dans ces délices fausses ? Comprends qu’il t’a été mauvais d’abandonner ton Dieu. Les siècles ont passé ; la nuit tombe ; l’étoile a paru, signe de l’Époux conviant les nations. Laisse-toi ramener au désert ; écoute Celui qui parle à ton cœur. Ta rivale d’autrefois n’a point su rester reine ; l’alliance du Sinaï n’a produit qu’une esclave . L’Époux attend toujours l’Épouse.

Quelle attente, ô Dieu, que celle qui vous fait franchir au-devant de l’infidèle humanité les collines et les monts ! A quel point donc peuvent s’abaisser les cieux, que devenu péché pour l’homme pécheur, vous portiez vos conquêtes au delà du néant , et triomphiez de préférence au fond des abîmes ? Quelle est cette table où votre Évangéliste nous montre le Fils de l’Eternel, inconnu sous la servile livrée des hommes mortels, assis sans gloire dans la maison du pharisien superbe ? L’heure a sonné où l’altière synagogue qui n’a su ni jeûner avec Jean, ni se réjouir avec Celui dont il préparait les sentiers, va voir enfin Dieu justifier les délais de son miséricordieux amour. « Ne méprisons pas comme des pharisiens les conseils de Dieu, s’écrie saint Ambroise à cet endroit du livre sacré. Voici que chantent les fils de la Sagesse ; écoute leurs voix, entends leurs danses : c’est l’heure des noces. Ainsi chantait le Prophète, quand il disait : Viens ici du Liban, mon Épouse, viens ici du Liban ».

Et voici qu’une femme, qui était pécheresse dans la ville, quand elle apprit qu’il était assis à table dans la maison du pharisien, apporta un vase d’albâtre plein de parfum ; et se tenant derrière lui à ses pieds, elle commença à les arroser de ses larmes, et les essuyant avec ses cheveux, elle les baisait, et y répandait le parfum. « Quelle est cette femme ? L’Église sans nul doute, répond saint Pierre Chrysologue : l’Église sous le poids des souillures de ses péchés passés dans la cité de ce monde. A la nouvelle que le Christ a paru dans la Judée, qu’il s’est montré au banquet de la Pâque, où il livre ses mystères, où il révèle le Sacrement divin, où il manifeste le secret du salut : soudain, se précipitant, elle dédaigne les contradictions des scribes qui lui ferment l’entrée, elle brave les princes de la synagogue ; et ardente, toute de désirs, elle pénètre au sanctuaire, où elle trouve Celui qu’elle cherche trahi par la fourberie judaïque au banquet de l’amour, sans que la passion, la croix, le sépulcre, arrêtent sa foi et l’empêchent de porter au Christ ses parfums ».

Et quelle autre que l’Église, disent à leur tour ensemble Paulin de Noie et Ambroise de Milan, a le secret de ce parfum ? Elle dont les fleurs sans nombre ont tous les arômes, qui, odorante des sucs variés de la céleste grâce, exhale suavement à Dieu les multiples senteurs des vertus provenant de nations diverses et les prières des saints, comme autant d’essences s’élevant sous l’action de l’Esprit de coupes embrasées. De ce parfum de sa conversion, qu’elle mêle aux pleurs de son repentir, elle arrose les pieds du Seigneur, honorant en eux son humanité. Sa foi qui l’a justifiée croit de pair avec son amour ; bientôt  la tête même de l’Époux, sa divinité, reçoit d’elle l’hommage de la pleine mesure de nard précieux et sans mélange signifiant la justice consommée, dont l’héroïsme va jusqu’à briser le vase de la chair mortelle qui le contenait dans le martyre de l’amour ou des tourments.

Mais alors même qu’elle est parvenue au sommet du mystère, elle n’oublie pas les pieds sacrés dont le contact l’a délivrée des sept démons représentant tous les vices ; car à jamais pour le cœur de l’Épouse, comme désormais au sein du Père, l’Homme-Dieu reste inséparable en sa double nature. A la différence donc du Juif qui, ne voulant du Christ ni pour fondement ni pour chef , n’a trouvé, comme Jésus l’observe ni pour sa tête l’huile odorante, ni l’eau même pour ses pieds, elle verse sur les deux son parfum de grand prix ; et tandis que l’odeur suave de sa foi si complète remplit la terre devenue par la victoire de cette foi la maison du Seigneur elle continue, comme au temps où elle y répandait ses larmes, d’essuyer de ses longs cheveux les pieds du Maître. Mystique chevelure, gloire de l’Épouse : où les saints voient ses œuvres innombrables et ses prières sans fin ; dont la croissance réclame tous ses soins d’ici-bas ; dont l’abondance et la beauté seront divinement exaltées dans les cieux par Celui qui comptera jalousement, sans négliger aucune, sans laisser perdre une seule, toutes les œuvres de l’Église. C’est alors que de sa tête, comme de celle de l’Époux, le divin parfum qui est l’Esprit-Saint se répandra éternellement, comme une huile d’allégresse, jusqu’aux extrémités de la cité sainte.

En attendant, ô pharisien qui méprises la pauvresse dont l’amour pleure aux pieds de ton hôte divin méconnu, j’aime mieux, s’écrie le solitaire de Nole, me trouver lié dans ses cheveux aux pieds du Christ, que d’être assis près du Christ avec toi sans le Christ. Heureuse pécheresse que celle qui mérita de figurer l’Église, au point d’avoir été directement prévue et annoncée par les Prophètes, comme le fut l’Église même ! C’est ce qu’enseignent saint Jérôme et saint Cyrille d’Alexandrie, pour sa vie de grâce comme pour son existence de péché. Et résumant à son ordinaire la tradition qui l’a précédé, Bède le Vénérable ne craint pas d’affirmer qu’en effet « ce que Madeleine a fait une fois, reste le type de ce que fait toute l’Église, de ce que chaque âme parfaite doit toujours faire .

Qui ne comprendrait la prédilection de l’Homme-Dieu pour cette âme dont le retour, en raison même de la misère plus profonde où elle était tombée, manifesta dès l’abord et si pleinement le succès de sa venue, la défaite de Satan, le triomphe de cet amour souverain posé à l’origine comme l’unique loi de ce monde ! Lorsque Israël n’attendait du Messie que des biens périssables, quand les Apôtres eux-mêmes  et jusqu’à Jean le bien-aimé ne rêvaient près de lui que préséances et honneurs, la première elle vient à Jésus pour lui seul et non pour ses dons. Avide uniquement de purification et d’amour, elle ne veut pour partage que les pieds augustes fatigués à la recherche de la brebis égarée : autel béni, où elle trouve le moyen d’offrir à son libérateur autant d’holocaustes d’elle-même, dit saint Grégoire, qu’elle avait eu de vains objets de complaisance. Désormais ses biens comme sa personne sont à Jésus, dont elle n’aura plus d’occupation que de contempler les mystères et la vie, dont elle recueillera chaque parole, dont elle suivra tous les pas dans la prédication du royaume de Dieu. S’asseoir à ses pieds est pour elle l’unique bien, le voir l’unique joie, l’entendre le seul intérêt de ce monde. Combien vite, dans la lumière de son humble confiance, elle a dépassé la synagogue et les justes eux-mêmes ! Le pharisien s’indigne, sa sœur se plaint, les disciples murmurent : partout Marie se tait, mais Jésus parle pour elle ; on sent que son Cœur sacré est atteint de la moindre appréciation défavorable à rencontre. A la mort de Lazare, le Maître doit l’appeler du repos mystérieux où même alors, remarque saint Jean, elle restait assise ; sa présence au tombeau fait plus que celle du collège entier des Apôtres et de la tourbe des Juifs ; un seul mot d’elle, déjà dit par Marthe accourue la première, est plus puissant que tous les discours de celle-ci ; ses pleurs enfin font pleurer l’Homme-Dieu, et suscitent en lui le frémissement sacré, précurseur du rappel à la vie de ce mort de quatre jours, le trouble divin qui montre Dieu conquis à sa créature. Bien véritablement donc, pour les siens comme pour elle-même, pour le monde comme pour Dieu, Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point enlevée.

En ce qui précède, nous n’avons fait, pour ainsi dire, que coudre l’un à l’autre les témoignages bien incomplets d’une vénération qui se retrouve la même, toujours et partout, chez les dépositaires de la doctrine et les maîtres de la science. Cependant les hommages réunis des Docteurs n’équivalent point, pour l’humble Madeleine, à celui que lui rend l’Église même, lorsqu’au jour de la glorieuse Assomption de Notre-Dame, elle n’hésite pas à rapprocher l’incomparable souveraine du monde et la pécheresse justifiée, au point d’appliquer à la première en son triomphe l’éloge évangélique qui regarde celle-ci. Ne devançons point les lumières que le Cycle nous réserve en ses développements ; mais entendons Albert le Grand nous attester pour sûr que, dans le monde de la grâce aussi bien que dans celui de la création matérielle, Dieu a fait deux grands astres, à savoir deux Maries, la Mère du Seigneur et la sœur de Lazare : le plus grand, qui est la Vierge bienheureuse, pour présider au jour de l’innocence ; le plus petit, qui est Marie la pénitente sous les pieds de cette bienheureuse Vierge, pour présider à la nuit en éclairant les pécheurs qui viennent comme elle à repentir. Comme la lune par ses phases marque les jours de fête à la terre ainsi sans doute Madeleine, au ciel, donne le signal de la joie qui éclate parmi les Anges de Dieu sur tout pécheur faisant pénitence. N’est-elle donc pas également, par son nom de Marie et en participation de l’Immaculée, l’Etoile de la mer, ainsi que le chantaient autrefois nos Églises des Gaules, lorsqu’elles rappelaient qu’en pleine subordination servante et reine avaient été toutes deux principe d’allégresse en l’Église : l’une engendrant le salut, l’autre annonçant la Pâque !

Nous ne reviendrons point sur les inoubliables récits de ce jour, le plus grand des jours, où Madeleine, comme l’étoile du matin, marcha en avant de l’astre vainqueur inaugurant l’éternité sans couchant. Glorieuse aurore, où la divine rosée, s’élevant de la terre, effaça du fatal décret la déchéance prononcée contre Ève ! Femme, pourquoi pleures-tu  ? Tu ne te trompes pas : c’est bien le divin jardinier qui te parle, celui qui, hélas ! au commencement avait planté le paradis. Mais trêve aux pleurs ; dans cet autre jardin, dont le centre est un tombeau vide, le paradis t’est rendu : vois les Anges, qui n’en ferment plus l’entrée ; vois l’arbre de vie qui, depuis trois jours, a donné son fruit. Ce fruit que tu réclames pour t’en saisir encore et l’emporter comme aux premiers jours, il t’appartient en effet pour jamais ; car ton nom maintenant n’est plus Ève, mais Marie. S’il se refuse à tes empressements, situ ne peux le toucher encore, c’est que de même qu’autrefois tu ne voulus point goûter seule le fruit de la mort, tu ne dois pas non plus jouir de l’autre aujourd’hui, sans ramener préalablement l’homme qui par toi fut perdu.

O profondeurs en notre Dieu de la sagesse et de la miséricorde ! voici donc que, réhabilitée, la femme retrouve des honneurs plus grands qu’avant la chute même, n’étant plus seulement la compagne de l’homme, mais son guide à la lumière. Madeleine, à qui toute femme doit cette revanche glorieuse, conquiert en ce moment la place à part que lui assigne l’Église dans ses Litanies en tête des vierges elles-mêmes, comme Jean-Baptiste précède l’armée entière des Saints par le privilège qui fit de lui le premier témoin du salut. Le témoignage de la pécheresse complète celui du Précurseur : sur la foi de Jean, l’Église a reconnu l’Agneau qui efface les péchés du monde ; sur la foi de Madeleine, elle acclame l’Époux triomphateur de la mort et constatant que, par ce dernier témoignage, le cycle entier des mystères est désormais pleinement acquis à la croyance catholique, elle entonne aujourd’hui l’immortel Symbole dont les accents lui paraissaient prématurés encore en la solennité du fils de Zacharie.

O Marie, combien grande vous apparûtes aux regards des cieux dans l’instant solennel où, la terre ignorant encore le triomphe de la vie, il vous fut dit par l’Emmanuel vainqueur : « Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ! » Vous étiez bien toujours alors notre représentante, à nous Gentils, qui ne devions entrer en possession du Seigneur par la foi qu’après son Ascension par delà les nues. Ces frères vers qui vous envoyait l’Homme-Dieu, c’étaient sans doute les privilégiés que lui-même durant sa vie mortelle avait appelés à le connaître, et auxquels vous deviez, ô Apôtre des Apôtres, manifester ainsi le mystère complet de la Pâque ; toutefois déjà la miséricordieuse bonté du Maître projetait de se montrer le jour même à plusieurs, et tous devaient être comme vous bientôt les témoins de son Ascension triomphante. Qu’est-ce à dire, sinon que, tout en s’adressant aux disciples immédiats du Sauveur, votre mission, ô Madeleine, s’étendait bien plus dans l’espace et les temps ?

Pour l’œil du vainqueur de la mort à cette heure de son entrée dans la vie sans fin, ils remplissaient en effet la terre et les siècles ces frères en Adam comme en Dieu qu’il amenait à la gloire, selon l’expression du Docteur futur de la gentilité. C’est d’eux qu’il avait dit dans le Psaume : « J’annoncerai votre Nom à mes frères ; je vous louerai dans la grande assemblée des nations, au sein du peuple encore à naître qui doit appartenir au Seigneur ». C’est d’eux, c’est de nous tous composant cette génération à venir à laquelle le Seigneur devait être annoncé, qu’il vous disait alors : « Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ». Et au loin comme auprès vous êtes venue, vous venez sans cesse, remplir votre mission près des disciples et leur dire : « J’ai vu le Seigneur, et il m’a dit ces choses ».

Vous êtes venue, ô Marie, lorsque notre Occident vous vit sur ses montagnes foulant de vos pieds apostoliques, dont Cyrille d’Alexandrie salue la beauté, les rochers de Provence. Sept fois le jour, enlevée vers l’Époux sur l’aile des Anges, vous montriez à l’Église, plus éloquemment que n’eût fait tout discours, la voie qu’il avait suivie, qu’elle devait suivre elle-même par ses aspirations, en attendant de le rejoindre enfin pour jamais.

Ineffable démonstration que l’apostolat lui-même, en son mérite le plus élevé, n’est point dépendant de la parole effective ! Au ciel, les Séraphins, les Chérubins, les Trônes fixent sans cesse l’éternelle Trinité, sans jamais abaisser leurs yeux vers ce monde de néant ; et cependant par eux passent la force, la lumière et l’amour dont les augustes messagers des hiérarchies subordonnées sont les distributeurs à la terre. Ainsi, ô Madeleine, vous ne quittez plus les pieds sacrés rendus maintenant à votre amour ; et pourtant, de ce sanctuaire où votre vie reste absorbée sans nulle réserve avec le Christ en Dieu qui mieux que vous nous redit à toute heure : « Si vous êtes ressuscites avec le Christ, cherchez ce qui est en haut, là où le Christ est assis à la droite de Dieu ; goûtez ce qui est en haut, non ce qui est sur la terre ! »

O vous, dont le choix si hautement approuvé du Seigneur a révélé au monde la meilleure part, faites qu’elle demeure toujours appréciée comme telle en l’Église, cette part de la divine contemplation qui prélude ici-bas à la vie du ciel, et reste en son repos fécond la source des grâces que le ministère actif répand par le monde. La mort même, qui la fait s’épanouir en la pleine et directe vision, ne l’enlève pas, mais la confirme à qui la possède. Puisse nul de ceux qui l’ont reçue de la gratuite et souveraine bonté, ne travailler à s’en déposséder lui-même ! Fortunée maison, bienheureuse assemblée, dit le dévot saint Bernard, où Marthe se plaint de Marie ! Mais l’indignité serait grande de voir Marie jalouser Marthe. Saint Jude nous l’apprend : malheur aux anges qui ne gardent point leur principauté, qui, familiers du Très-Haut, veulent abandonner sa cour ! Maintenez au cœur des familles religieuses établies par leurs pères sur les sommets avoisinant les cieux, le sentiment de leur noblesse native : elles ne sont point faites pour la poussière et le bruit de la plaine ; elles ne sauraient s’en rapprocher qu’au grand détriment de l’Église et d’elles-mêmes. Pas plus que vous, ô Madeleine, elles ne se désintéressent pour cela des brebis perdues, mais prennent en restant ce qu’elles sont le plus sûr moyen d’assainir la terre et d’élever les âmes.

Ainsi même vous fut-il donné un jour, à Vézelay, de soulever l’Occident dans ce grand mouvement des croisades dont le moindre mérite ne fut pas de surnaturaliser en l’âme des chevaliers chrétiens, armés pour la défense du saint tombeau qui avait vu vos pleurs et votre ravissement, les sentiments qui sont l’honneur de l’humanité.

Et n’était-ce pas encore une leçon de ce genre que le Dieu par qui seul règnent les rois, et qui se rit des projets de leur vanité, voulut donner dans les premières années de ce siècle au guerrier fameux dont l’orgueil dictait ses lois aux empires ? Dans l’ivresse de sa puissance, on le vit prétendre élever à lui-même et à son armée ce qu’il appelait le Temple de la gloire. Mais bientôt, emportant le guerrier, passait la tempête ; et continué par d’autres constructeurs, le noble édifice s’achevait, portant comme dédicace à son fronton le nom de Madeleine.

O Marie, bénissez ce dernier hommage de notre France que vous avez tant aimée, et dont le peuple et les princes entourèrent toujours d’une vénération si profonde votre retraite bénie de la Sainte-Baume et votre église de Saint-Maximin, où reposent les restes mille fois précieux de celle qui sut rendre amour pour amour. En retour, apprenez-nous que la seule vraie et durable gloire est de suivre comme vous, dans ses ascensions, Celui qui vous envoya vers nous autrefois, disant : « Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ! »

La sainte Église qui, dans les diverses saisons liturgiques, insère en leur lieu comme autant de perles de grand prix les divers passages de l’Évangile ayant rapport à sainte Marie Madeleine, renvoie également à la fête de sainte Marthe, que nous célébrerons dans huit jours, les particularités concernant la vie de son illustre sœur après l’Ascension. Aux pièces liturgiques déjà insérées dans cet ouvrage à sa louange, nous ajouterons cette antique Séquence, bien connue des Églises de l’Allemagne, et que nous ferons suivre d’un Répons et de l’Oraison de la fête au Bréviaire Romain.

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Sainte Marie-Madeleine pénitente

22 Juillet 2020 , Rédigé par Ludovicus

Sainte Marie-Madeleine pénitente

Collecte

Nous vous prions, Seigneur, par les suffrages de la bienheureuse Marie-Madeleine, de venir à notre aide : vous qui, fléchi par ses prières, avez ressuscité vivant des enfers son frère Lazare, mort depuis quatre jours.

Lecture Ct. 3, 2-5 ; 8, 6-7

Je me lèverai, je parcourrai la ville ; les rues et les places, je chercherai celui que mon cœur aime : Je l’ai cherché et Je ne l’ai point trouvé. Les gardes m’ont rencontrée, ceux qui font la ronde dans la ville : "Avez-vous vu celui que mon cœur aime ?" A peine les avais-je dépassés, que j’ai trouvé celui que mon cœur aime. Je l’ai saisi et je ne le lâcherai pas, jusqu’à ce que je l’aie introduit dans la maison de ma mère, et dans la chambre de celle qui m’a donné le jour. Je vous en conjure, filles de Jérusalem, par les gazelles et les biches des champs, n’éveillez pas, ne réveillez pas la bien-aimée, avant qu’elle le veuille. Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras ; car l’amour est fort comme la mort, la jalousie est inflexible comme l’enfer. Ses ardeurs sont des ardeurs de feu. Les grandes eaux ne sauraient éteindre l’amour, et les fleuves ne le submergeraient pas. Un homme donnerait-il pour l’amour toutes les richesses de sa maison, on ne ferait que le mépriser

Évangile Lc. 7, 36-50

En ce temps-là : Un Pharisien invita Jésus à manger avec lui. Il entra dans la maison du Pharisien et se mit à table. Et voici qu’une femme qui, dans la ville, était pécheresse, ayant appris qu’il était à table dans la maison du Pharisien, apporta un vase d’albâtre (plein) de parfum ; et se tenant par derrière, près de ses pieds, tout en pleurs, elle se mit à arroser ses pieds de ses larmes, et elle essuyait avec les cheveux de sa tête et embrassait ses pieds, et elle les oignait de parfum. A cette vue, le Pharisien qui l’avait invité se dit en lui-même : "S’il était prophète, il saurait qui et de quelle espèce est la femme qui le touche, que c’est une pécheresse." Et prenant la parole, Jésus lui dit : "Simon, j’ai quelque chose à te dire." Et lui : "Maître, parlez." dit-il. "Un créancier avait deux débiteurs : l’un devait cinq cents deniers et l’autre cinquante. Comme ils n’avaient pas de quoi rendre, il fit remise à tous les deux. Lequel donc d’entre eux l’aimera davantage ?" Simon répondit : "Celui, je pense, auquel il a remis le plus." Il lui dit : "Tu as bien jugé." Et, se tournant vers la femme, il dit à Simon : "Vois-tu cette femme ? Je suis entré dans ta maison, et tu n’as pas versé d’eau sur mes pieds ; mais elle, elle a arrosé mes pieds de (ses) larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as point donné de baiser ; mais elle, depuis que je suis entré, elle ne cessait pas d’embrasser mes pieds. Tu n’as pas oint ma tête d’huile ; mais elle, elle a oint mes pieds de parfum. C’est pourquoi, je te le dis, ses nombreux péchés lui sont pardonnés, parce qu’elle a beaucoup aimé ; mais celui à qui l’on pardonne peu, aime peu." Et à elle, il dit : "Tes péchés sont pardonnés." Et les convives se mirent à se dire en eux-mêmes : "Qui est celui-ci qui même pardonne les péchés ?" Et il dit à la femme : "Ta foi t’a sauvée, va en paix."

Office

4e leçon

Sermon de saint Grégoire, Pape.

Marie-Madeleine, qui avait été « connue dans la ville comme pécheresse », a lavé de ses larmes les taches de sa vie criminelle en aimant la vérité, et cette parole de la Vérité s’est accomplie : « Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu’elle a beaucoup aimé ». Madeleine, qui auparavant était demeurée dans la froideur en péchant, était dans la suite embrasée d’ardeur dans son amour. Elle ne quittait point le sépulcre du Seigneur, alors même que les disciples s’en éloignaient. Elle chercha avec soin celui qu’elle n’avait point trouvé d’abord. Elle pleurait en le cherchant, et embrasée du feu de son amour, elle brûlait de retrouver celui qu’elle croyait enlevé ! Aussi arriva-t-il que Madeleine seule le vit alors, elle qui était restée pour le chercher ; c’est qu’en effet toute bonne œuvre a son mérite dans la persévérance.

5e leçon

Elle le chercha donc d’abord sans le trouver ; mais en continuant sa recherche, elle réussit enfin à le trouver. Il se fit que le retard augmenta ses désirs, et que ses désirs devenus plus vifs rencontrèrent ce qu’ils voulaient trouver. C’est ce qui fait dire à l’Épouse mystique, l’Église, parlant de cela dans le Cantique des cantiques : « Sur ma couche, pendant les nuits, j’ai cherché celui que chérit mon âme ». Le bien-aimé, nous le cherchons, couchés sur notre lit, lorsque, dans le peu de repos que laisse la vie présente, le désir de voir notre Sauveur nous fait soupirer après lui. Nous le cherchons pendant la nuit ; car, si déjà notre esprit veille en pensant à lui, l’obscurité pèse encore sur notre vue.

6e leçon

Mais que celui qui ne trouve pas son bien-aimé se lève à la fin et fasse le tour de la ville ; c’est-à-dire, qu’il porte dans la sainte Église des élus les investigations de son esprit ; qu’il cherche par les rues et les places : c’est-à-dire qu’il observe ceux qui suivent les chemins étroits et ceux qui fréquentent les routes plus larges, pour voir s’il ne découvre pas quelques traces de Celui qu’il aime : car il y a des personnes, jusque dans la vie du siècle, qui offrent quelque chose à imiter pour la pratique de la vertu. Mais au milieu de nos recherches, nous voici rencontrés par les sentinelles de la ville : je veux dire que les saints Pères, qui veillent à la sécurité de l’Église, viennent au-devant de nos bons desseins, pour nous instruire et par leurs discours et par leurs écrits. Et c’est après les avoir un peu dépassés, que nous trouvons l’objet de notre amour. Car si notre humble Sauveur s’est fait l’égal des hommes par son humanité, il les a toujours surpassés par sa divinité.

7e leçon

Homélie de saint Augustin, Évêque

Vous avez écouté très attentivement l’Évangile qu’on vient de lire, et le fait qu’il rapporte a été soigneusement retracé aux yeux de votre esprit. Vous avez vu, non des yeux du corps mais de ceux de l’âme, notre Seigneur Jésus-Christ s’asseoir à table chez un Pharisien dont il n’avait pas dédaigné l’invitation. Vous avez vu aussi une femme, célèbre dans la ville par sa mauvaise réputation, pénétrant dans la salle, sans avoir été conviée au repas offert au médecin de son âme, et osant, par une sainte hardiesse, lui demander sa guérison. Sa présence est importune pour un festin, mais très opportune par rapport au bienfait qu’elle attend. Madeleine connaissait, en effet, la gravité de son mal, et elle savait que celui qu’elle était venue trouver était capable de la guérir.

8e leçon

Elle vint donc tout près du Seigneur, non à sa tête, mais à ses pieds, cherchant des traces de vertu, après avoir longtemps erré dans le vice. D’abord elle fait couler de son cœur un ruisseau de larmes, et en lave les pieds du divin Maître par l’humble aveu de ses fautes. Et les ayant essuyés avec ses cheveux, elle les baise et y répand une profusion de parfums. Son silence était tout un langage ; pas un mot ne sortait de sa bouche, mais elle faisait voir sa dévotion. La voyant donc toucher le Sauveur, voyant qu’elle arrose de larmes ses pieds, qu’elle les essuie, les couvre de baisers et les parfume, le Pharisien qui avait invité notre Seigneur Jésus-Christ, et qui était un de ces hommes superbes désignés par le Prophète Isaïe : « Qui disent : Retire-toi de moi, ne m’approche pas, parce que je suis pur », ce Pharisien supposa que le Seigneur ne savait pas ce qu’était cette femme.

9e leçon

O Pharisien, qui invites le Seigneur et qui souris à son sujet, tu le nourris, et tu ne comprends point que c’est lui qui doit te nourrir ! D’où sais-tu qu’il ignore ce qu’a été cette femme, sinon parce que tu vois qu’il s’est laissé approcher, qu’elle lui baise les pieds, qu’elle les essuie et les parfume ? Apparemment il ne fallait point permettre à une femme impure de toucher des pieds si purs. Et si pareille femme fût venue aux pieds du Pharisien, il n’aurait pas manqué de lui dire ce qu’Isaïe met dans la bouche de ces orgueilleux : « Retire-toi de moi, et ne me touche pas, parce que je suis pur ». Celle-ci, au contraire, eut accès auprès du Seigneur ; elle s’approcha souillée, pour s’en aller purifiée ; elle s’approcha malade, pour s’en aller guérie ; elle s’approcha en confessant ses fautes pour s’en aller ayant professé sa foi.

 

« Trois Saints, dit à Brigitte de Suède le Fils de Dieu, m’ont agréé pardessus tous les autres : Marie ma mère, Jean-Baptiste, et Marie Madeleine ». Figure, nous disent les Pères, de l’Église des Gentils appelée des abîmes du péché à la justice parfaite, Marie Madeleine plus qu’aucune autre, en effet, personnifia les égarements et l’amour de cette humanité que le Verbe avait épousée. Comme les plus illustres personnages de la loi de grâce, elle se préexista dans les siècles. Suivons dans l’histoire de la grande pénitente la marche tracée par la voix unanimement concordante de la tradition : Madeleine, on le verra, n’en sera point diminuée.

Lorsqu’avant tous les temps Dieu décréta de manifester sa gloire, il voulut régner sur un monde tiré du néant ; et la bonté en lui égalant la puissance, il fit du triomphe de l’amour souverain la loi de ce royaume que l’Évangile nous montre semblable à un roi qui fait les noces de son fils.

C’était jusqu’aux limites extrêmes de la création, que l’immortel Fils du Roi des siècles arrêta de venir contracter l’alliance résolue au sommet des collines éternelles. Bien au-dessous de l’ineffable simplicité du premier Être, plus loin que les pures intelligences dont la divine lumière parcourt en se jouant les neuf chœurs, l’humaine nature apparaissait, esprit et corps, faite elle aussi pour connaître Dieu, mais le cherchant avec labeur, nourrissant d’incomplets échos sa soif d’harmonies, glanant les derniers reflets de l’infinie beauté sur l’inerte matière. Elle pouvait mieux, dans son infirmité, manifester la condescendance suprême ; elle fixa le choix de Celui qui s’annonçait comme l’Époux.

Parce que l’homme est chair et sang, lui donc aussi se ferait chair ; il n’aurait point les Anges pour frères , et serait fils d’Adam. Splendeur du Père dans les deux, le plus beau de sa race ici-bas, il captiverait l’humanité dans les liens qui l’attirent. Au premier jour du monde, en élevant par la grâce l’être humain jusqu’à Dieu, en le plaçant au paradis de l’attente, l’acte même de création scella les fiançailles.

Hélas ! Sous les ombrages de l’Éden, l’humanité ne sut attendre l’Époux. Chassée du jardin de délices, elle se jeta dans tous les bois sacrés des nations et prostitua aux idoles vaines ce qui lui restait de sa gloire. Car grands encore étaient ses attraits ; mais ces dons de nature, quoiqu’elle l’eût oublié, restaient les présents profanés de l’Époux : « Cette beauté qui te rendait parfaite aux yeux, c’était la mienne que j’avais mise en toi, dit le Seigneur Dieu » .

L’amour n’avouait pas sa défaite ; la Sagesse, suave et forte, entreprenait de redresser les sentiers des humains. Dans l’universelle conspiration, laissant les nations mener jusqu’au bout leur folle expérience, elle se choisit un peuple issu de souche sainte, en qui la promesse faite à tous serait gardée. Quand Israël sortit d’Égypte, et la maison de Jacob du milieu d’un peuple barbare, la nation juive fut consacrée à Dieu, Israël devint son domaine. En la personne du fils de Béor, la gentilité vit passer au désert ce peuple nouveau, et elle le bénit dans l’admiration des magnificences du Seigneur habitant avec lui sous la tente, et cette vue fit battre en elle un instant le cœur de l’Épouse. « Je le verrai, s’écria-t-elle en son transport, mais non maintenant ; je le contemplerai, mais plus tard ! » Du sommet des collines sauvages d’où l’Époux l’appellera un jour, elle salua l’étoile qui devait se lever de Jacob, et redescendit prédisant la ruine à ces Hébreux qui l’avaient pour un temps supplantée.

Extase sublime, suivie bientôt de plus coupables égarements ! Jusques à quand, fille vagabonde, t’épuiseras-tu dans ces délices fausses ? Comprends qu’il t’a été mauvais d’abandonner ton Dieu. Les siècles ont passé ; la nuit tombe ; l’étoile a paru, signe de l’Époux conviant les nations. Laisse-toi ramener au désert ; écoute Celui qui parle à ton cœur. Ta rivale d’autrefois n’a point su rester reine ; l’alliance du Sinaï n’a produit qu’une esclave . L’Époux attend toujours l’Épouse.

Quelle attente, ô Dieu, que celle qui vous fait franchir au-devant de l’infidèle humanité les collines et les monts ! A quel point donc peuvent s’abaisser les cieux, que devenu péché pour l’homme pécheur, vous portiez vos conquêtes au delà du néant , et triomphiez de préférence au fond des abîmes ? Quelle est cette table où votre Évangéliste nous montre le Fils de l’Eternel, inconnu sous la servile livrée des hommes mortels, assis sans gloire dans la maison du pharisien superbe ? L’heure a sonné où l’altière synagogue qui n’a su ni jeûner avec Jean, ni se réjouir avec Celui dont il préparait les sentiers, va voir enfin Dieu justifier les délais de son miséricordieux amour. « Ne méprisons pas comme des pharisiens les conseils de Dieu, s’écrie saint Ambroise à cet endroit du livre sacré. Voici que chantent les fils de la Sagesse ; écoute leurs voix, entends leurs danses : c’est l’heure des noces. Ainsi chantait le Prophète, quand il disait : Viens ici du Liban, mon Épouse, viens ici du Liban ».

Et voici qu’une femme, qui était pécheresse dans la ville, quand elle apprit qu’il était assis à table dans la maison du pharisien, apporta un vase d’albâtre plein de parfum ; et se tenant derrière lui à ses pieds, elle commença à les arroser de ses larmes, et les essuyant avec ses cheveux, elle les baisait, et y répandait le parfum. « Quelle est cette femme ? L’Église sans nul doute, répond saint Pierre Chrysologue : l’Église sous le poids des souillures de ses péchés passés dans la cité de ce monde. A la nouvelle que le Christ a paru dans la Judée, qu’il s’est montré au banquet de la Pâque, où il livre ses mystères, où il révèle le Sacrement divin, où il manifeste le secret du salut : soudain, se précipitant, elle dédaigne les contradictions des scribes qui lui ferment l’entrée, elle brave les princes de la synagogue ; et ardente, toute de désirs, elle pénètre au sanctuaire, où elle trouve Celui qu’elle cherche trahi par la fourberie judaïque au banquet de l’amour, sans que la passion, la croix, le sépulcre, arrêtent sa foi et l’empêchent de porter au Christ ses parfums ».

Et quelle autre que l’Église, disent à leur tour ensemble Paulin de Noie et Ambroise de Milan, a le secret de ce parfum ? Elle dont les fleurs sans nombre ont tous les arômes, qui, odorante des sucs variés de la céleste grâce, exhale suavement à Dieu les multiples senteurs des vertus provenant de nations diverses et les prières des saints, comme autant d’essences s’élevant sous l’action de l’Esprit de coupes embrasées. De ce parfum de sa conversion, qu’elle mêle aux pleurs de son repentir, elle arrose les pieds du Seigneur, honorant en eux son humanité. Sa foi qui l’a justifiée croit de pair avec son amour ; bientôt  la tête même de l’Époux, sa divinité, reçoit d’elle l’hommage de la pleine mesure de nard précieux et sans mélange signifiant la justice consommée, dont l’héroïsme va jusqu’à briser le vase de la chair mortelle qui le contenait dans le martyre de l’amour ou des tourments.

Mais alors même qu’elle est parvenue au sommet du mystère, elle n’oublie pas les pieds sacrés dont le contact l’a délivrée des sept démons représentant tous les vices ; car à jamais pour le cœur de l’Épouse, comme désormais au sein du Père, l’Homme-Dieu reste inséparable en sa double nature. A la différence donc du Juif qui, ne voulant du Christ ni pour fondement ni pour chef , n’a trouvé, comme Jésus l’observe ni pour sa tête l’huile odorante, ni l’eau même pour ses pieds, elle verse sur les deux son parfum de grand prix ; et tandis que l’odeur suave de sa foi si complète remplit la terre devenue par la victoire de cette foi la maison du Seigneur elle continue, comme au temps où elle y répandait ses larmes, d’essuyer de ses longs cheveux les pieds du Maître. Mystique chevelure, gloire de l’Épouse : où les saints voient ses œuvres innombrables et ses prières sans fin ; dont la croissance réclame tous ses soins d’ici-bas ; dont l’abondance et la beauté seront divinement exaltées dans les cieux par Celui qui comptera jalousement, sans négliger aucune, sans laisser perdre une seule, toutes les œuvres de l’Église. C’est alors que de sa tête, comme de celle de l’Époux, le divin parfum qui est l’Esprit-Saint se répandra éternellement, comme une huile d’allégresse, jusqu’aux extrémités de la cité sainte.

En attendant, ô pharisien qui méprises la pauvresse dont l’amour pleure aux pieds de ton hôte divin méconnu, j’aime mieux, s’écrie le solitaire de Nole, me trouver lié dans ses cheveux aux pieds du Christ, que d’être assis près du Christ avec toi sans le Christ. Heureuse pécheresse que celle qui mérita de figurer l’Église, au point d’avoir été directement prévue et annoncée par les Prophètes, comme le fut l’Église même ! C’est ce qu’enseignent saint Jérôme et saint Cyrille d’Alexandrie, pour sa vie de grâce comme pour son existence de péché. Et résumant à son ordinaire la tradition qui l’a précédé, Bède le Vénérable ne craint pas d’affirmer qu’en effet « ce que Madeleine a fait une fois, reste le type de ce que fait toute l’Église, de ce que chaque âme parfaite doit toujours faire .

Qui ne comprendrait la prédilection de l’Homme-Dieu pour cette âme dont le retour, en raison même de la misère plus profonde où elle était tombée, manifesta dès l’abord et si pleinement le succès de sa venue, la défaite de Satan, le triomphe de cet amour souverain posé à l’origine comme l’unique loi de ce monde ! Lorsque Israël n’attendait du Messie que des biens périssables, quand les Apôtres eux-mêmes  et jusqu’à Jean le bien-aimé ne rêvaient près de lui que préséances et honneurs, la première elle vient à Jésus pour lui seul et non pour ses dons. Avide uniquement de purification et d’amour, elle ne veut pour partage que les pieds augustes fatigués à la recherche de la brebis égarée : autel béni, où elle trouve le moyen d’offrir à son libérateur autant d’holocaustes d’elle-même, dit saint Grégoire, qu’elle avait eu de vains objets de complaisance. Désormais ses biens comme sa personne sont à Jésus, dont elle n’aura plus d’occupation que de contempler les mystères et la vie, dont elle recueillera chaque parole, dont elle suivra tous les pas dans la prédication du royaume de Dieu. S’asseoir à ses pieds est pour elle l’unique bien, le voir l’unique joie, l’entendre le seul intérêt de ce monde. Combien vite, dans la lumière de son humble confiance, elle a dépassé la synagogue et les justes eux-mêmes ! Le pharisien s’indigne, sa sœur se plaint, les disciples murmurent : partout Marie se tait, mais Jésus parle pour elle ; on sent que son Cœur sacré est atteint de la moindre appréciation défavorable à rencontre. A la mort de Lazare, le Maître doit l’appeler du repos mystérieux où même alors, remarque saint Jean, elle restait assise ; sa présence au tombeau fait plus que celle du collège entier des Apôtres et de la tourbe des Juifs ; un seul mot d’elle, déjà dit par Marthe accourue la première, est plus puissant que tous les discours de celle-ci ; ses pleurs enfin font pleurer l’Homme-Dieu, et suscitent en lui le frémissement sacré, précurseur du rappel à la vie de ce mort de quatre jours, le trouble divin qui montre Dieu conquis à sa créature. Bien véritablement donc, pour les siens comme pour elle-même, pour le monde comme pour Dieu, Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point enlevée.

En ce qui précède, nous n’avons fait, pour ainsi dire, que coudre l’un à l’autre les témoignages bien incomplets d’une vénération qui se retrouve la même, toujours et partout, chez les dépositaires de la doctrine et les maîtres de la science. Cependant les hommages réunis des Docteurs n’équivalent point, pour l’humble Madeleine, à celui que lui rend l’Église même, lorsqu’au jour de la glorieuse Assomption de Notre-Dame, elle n’hésite pas à rapprocher l’incomparable souveraine du monde et la pécheresse justifiée, au point d’appliquer à la première en son triomphe l’éloge évangélique qui regarde celle-ci. Ne devançons point les lumières que le Cycle nous réserve en ses développements ; mais entendons Albert le Grand nous attester pour sûr que, dans le monde de la grâce aussi bien que dans celui de la création matérielle, Dieu a fait deux grands astres, à savoir deux Maries, la Mère du Seigneur et la sœur de Lazare : le plus grand, qui est la Vierge bienheureuse, pour présider au jour de l’innocence ; le plus petit, qui est Marie la pénitente sous les pieds de cette bienheureuse Vierge, pour présider à la nuit en éclairant les pécheurs qui viennent comme elle à repentir. Comme la lune par ses phases marque les jours de fête à la terre ainsi sans doute Madeleine, au ciel, donne le signal de la joie qui éclate parmi les Anges de Dieu sur tout pécheur faisant pénitence. N’est-elle donc pas également, par son nom de Marie et en participation de l’Immaculée, l’Etoile de la mer, ainsi que le chantaient autrefois nos Églises des Gaules, lorsqu’elles rappelaient qu’en pleine subordination servante et reine avaient été toutes deux principe d’allégresse en l’Église : l’une engendrant le salut, l’autre annonçant la Pâque !

Nous ne reviendrons point sur les inoubliables récits de ce jour, le plus grand des jours, où Madeleine, comme l’étoile du matin, marcha en avant de l’astre vainqueur inaugurant l’éternité sans couchant. Glorieuse aurore, où la divine rosée, s’élevant de la terre, effaça du fatal décret la déchéance prononcée contre Ève ! Femme, pourquoi pleures-tu  ? Tu ne te trompes pas : c’est bien le divin jardinier qui te parle, celui qui, hélas ! au commencement avait planté le paradis. Mais trêve aux pleurs ; dans cet autre jardin, dont le centre est un tombeau vide, le paradis t’est rendu : vois les Anges, qui n’en ferment plus l’entrée ; vois l’arbre de vie qui, depuis trois jours, a donné son fruit. Ce fruit que tu réclames pour t’en saisir encore et l’emporter comme aux premiers jours, il t’appartient en effet pour jamais ; car ton nom maintenant n’est plus Ève, mais Marie. S’il se refuse à tes empressements, situ ne peux le toucher encore, c’est que de même qu’autrefois tu ne voulus point goûter seule le fruit de la mort, tu ne dois pas non plus jouir de l’autre aujourd’hui, sans ramener préalablement l’homme qui par toi fut perdu.

O profondeurs en notre Dieu de la sagesse et de la miséricorde ! voici donc que, réhabilitée, la femme retrouve des honneurs plus grands qu’avant la chute même, n’étant plus seulement la compagne de l’homme, mais son guide à la lumière. Madeleine, à qui toute femme doit cette revanche glorieuse, conquiert en ce moment la place à part que lui assigne l’Église dans ses Litanies en tête des vierges elles-mêmes, comme Jean-Baptiste précède l’armée entière des Saints par le privilège qui fit de lui le premier témoin du salut. Le témoignage de la pécheresse complète celui du Précurseur : sur la foi de Jean, l’Église a reconnu l’Agneau qui efface les péchés du monde ; sur la foi de Madeleine, elle acclame l’Époux triomphateur de la mort et constatant que, par ce dernier témoignage, le cycle entier des mystères est désormais pleinement acquis à la croyance catholique, elle entonne aujourd’hui l’immortel Symbole dont les accents lui paraissaient prématurés encore en la solennité du fils de Zacharie.

O Marie, combien grande vous apparûtes aux regards des cieux dans l’instant solennel où, la terre ignorant encore le triomphe de la vie, il vous fut dit par l’Emmanuel vainqueur : « Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ! » Vous étiez bien toujours alors notre représentante, à nous Gentils, qui ne devions entrer en possession du Seigneur par la foi qu’après son Ascension par delà les nues. Ces frères vers qui vous envoyait l’Homme-Dieu, c’étaient sans doute les privilégiés que lui-même durant sa vie mortelle avait appelés à le connaître, et auxquels vous deviez, ô Apôtre des Apôtres, manifester ainsi le mystère complet de la Pâque ; toutefois déjà la miséricordieuse bonté du Maître projetait de se montrer le jour même à plusieurs, et tous devaient être comme vous bientôt les témoins de son Ascension triomphante. Qu’est-ce à dire, sinon que, tout en s’adressant aux disciples immédiats du Sauveur, votre mission, ô Madeleine, s’étendait bien plus dans l’espace et les temps ?

Pour l’œil du vainqueur de la mort à cette heure de son entrée dans la vie sans fin, ils remplissaient en effet la terre et les siècles ces frères en Adam comme en Dieu qu’il amenait à la gloire, selon l’expression du Docteur futur de la gentilité. C’est d’eux qu’il avait dit dans le Psaume : « J’annoncerai votre Nom à mes frères ; je vous louerai dans la grande assemblée des nations, au sein du peuple encore à naître qui doit appartenir au Seigneur ». C’est d’eux, c’est de nous tous composant cette génération à venir à laquelle le Seigneur devait être annoncé, qu’il vous disait alors : « Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ». Et au loin comme auprès vous êtes venue, vous venez sans cesse, remplir votre mission près des disciples et leur dire : « J’ai vu le Seigneur, et il m’a dit ces choses ».

Vous êtes venue, ô Marie, lorsque notre Occident vous vit sur ses montagnes foulant de vos pieds apostoliques, dont Cyrille d’Alexandrie salue la beauté, les rochers de Provence. Sept fois le jour, enlevée vers l’Époux sur l’aile des Anges, vous montriez à l’Église, plus éloquemment que n’eût fait tout discours, la voie qu’il avait suivie, qu’elle devait suivre elle-même par ses aspirations, en attendant de le rejoindre enfin pour jamais.

Ineffable démonstration que l’apostolat lui-même, en son mérite le plus élevé, n’est point dépendant de la parole effective ! Au ciel, les Séraphins, les Chérubins, les Trônes fixent sans cesse l’éternelle Trinité, sans jamais abaisser leurs yeux vers ce monde de néant ; et cependant par eux passent la force, la lumière et l’amour dont les augustes messagers des hiérarchies subordonnées sont les distributeurs à la terre. Ainsi, ô Madeleine, vous ne quittez plus les pieds sacrés rendus maintenant à votre amour ; et pourtant, de ce sanctuaire où votre vie reste absorbée sans nulle réserve avec le Christ en Dieu qui mieux que vous nous redit à toute heure : « Si vous êtes ressuscites avec le Christ, cherchez ce qui est en haut, là où le Christ est assis à la droite de Dieu ; goûtez ce qui est en haut, non ce qui est sur la terre ! »

O vous, dont le choix si hautement approuvé du Seigneur a révélé au monde la meilleure part, faites qu’elle demeure toujours appréciée comme telle en l’Église, cette part de la divine contemplation qui prélude ici-bas à la vie du ciel, et reste en son repos fécond la source des grâces que le ministère actif répand par le monde. La mort même, qui la fait s’épanouir en la pleine et directe vision, ne l’enlève pas, mais la confirme à qui la possède. Puisse nul de ceux qui l’ont reçue de la gratuite et souveraine bonté, ne travailler à s’en déposséder lui-même ! Fortunée maison, bienheureuse assemblée, dit le dévot saint Bernard, où Marthe se plaint de Marie ! Mais l’indignité serait grande de voir Marie jalouser Marthe. Saint Jude nous l’apprend : malheur aux anges qui ne gardent point leur principauté, qui, familiers du Très-Haut, veulent abandonner sa cour ! Maintenez au cœur des familles religieuses établies par leurs pères sur les sommets avoisinant les cieux, le sentiment de leur noblesse native : elles ne sont point faites pour la poussière et le bruit de la plaine ; elles ne sauraient s’en rapprocher qu’au grand détriment de l’Église et d’elles-mêmes. Pas plus que vous, ô Madeleine, elles ne se désintéressent pour cela des brebis perdues, mais prennent en restant ce qu’elles sont le plus sûr moyen d’assainir la terre et d’élever les âmes.

Ainsi même vous fut-il donné un jour, à Vézelay, de soulever l’Occident dans ce grand mouvement des croisades dont le moindre mérite ne fut pas de surnaturaliser en l’âme des chevaliers chrétiens, armés pour la défense du saint tombeau qui avait vu vos pleurs et votre ravissement, les sentiments qui sont l’honneur de l’humanité.

Et n’était-ce pas encore une leçon de ce genre que le Dieu par qui seul règnent les rois, et qui se rit des projets de leur vanité, voulut donner dans les premières années de ce siècle au guerrier fameux dont l’orgueil dictait ses lois aux empires ? Dans l’ivresse de sa puissance, on le vit prétendre élever à lui-même et à son armée ce qu’il appelait le Temple de la gloire. Mais bientôt, emportant le guerrier, passait la tempête ; et continué par d’autres constructeurs, le noble édifice s’achevait, portant comme dédicace à son fronton le nom de Madeleine.

O Marie, bénissez ce dernier hommage de notre France que vous avez tant aimée, et dont le peuple et les princes entourèrent toujours d’une vénération si profonde votre retraite bénie de la Sainte-Baume et votre église de Saint-Maximin, où reposent les restes mille fois précieux de celle qui sut rendre amour pour amour. En retour, apprenez-nous que la seule vraie et durable gloire est de suivre comme vous, dans ses ascensions, Celui qui vous envoya vers nous autrefois, disant : « Va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ! »

La sainte Église qui, dans les diverses saisons liturgiques, insère en leur lieu comme autant de perles de grand prix les divers passages de l’Évangile ayant rapport à sainte Marie Madeleine, renvoie également à la fête de sainte Marthe, que nous célébrerons dans huit jours, les particularités concernant la vie de son illustre sœur après l’Ascension. Aux pièces liturgiques déjà insérées dans cet ouvrage à sa louange, nous ajouterons cette antique Séquence, bien connue des Églises de l’Allemagne, et que nous ferons suivre d’un Répons et de l’Oraison de la fête au Bréviaire Romain.

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