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Regnum Galliae Regnum Mariae

Commémoraison de Saint Paul apôtre

30 Juin 2022 , Rédigé par Ludovicus

Commémoraison de Saint Paul apôtre

Collecte

Dieu, vous avez instruit une multitude de nations par la prédication du bienheureux Apôtre Paul : accordez-nous, nous vous en supplions, que, célébrant sa mémoire, nous ressentions les effets de sa protection.

Épitre Ga. 1, 11-20

Mes frères : je vous déclare, que l’évangile que j’ai annoncé n’est pas selon l’homme ; car ce n’est pas d’un homme que je l’ai reçu ni appris, mais par la révélation de Jésus-Christ. Vous avez appris, en effet, quelle était autrefois ma conduite dans le judaïsme, comment je persécutais à outrance l’Église de Dieu, et la ravageais. Et je surpassais dans le judaïsme bon nombre de ceux de mon âge et de ma nation ayant un zèle plus ardent pour les traditions de mes pères. Mais lorsqu’il plut à celui qui m’a mis à part dès le sein de ma mère, et qui m’a appelé par sa grâce, de révéler son Fils en moi, pour que je fusse son évangéliste parmi les nations, aussitôt je ne pris conseil ni de la chair ni du sang ; je n’allais pas non plus à Jérusalem vers ceux qui étaient apôtres avant moi ; mais je m’en allai en Arabie, et je revins encore à Damas. Ensuite, trois ans plus tard, je vins à Jérusalem pour voir Pierre, et je demeurai auprès de lui quinze jours ; mais je ne vis aucun autre des apôtres, sinon Jacques, le frère du Seigneur. Dans ce que je vous écris, je proteste devant Dieu que je ne mens pas.

Office

4e leçon

Du livre de saint Augustin, Évêque : De la grâce et du libre arbitre

Que l’Apôtre Paul ait reçu sans aucun mérite, et malgré de nombreux démérites, la grâce du Dieu qui rend le bien pour le mal, nous en avons la certitude. Voyons comment il parle, un peu avant sa passion, en écrivant à Timothée. « Pour moi, dit-il, me voici à la veille d’être immolé, et l’heure de ma dissolution approche. J’ai combattu le bon combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi ». Ces choses qui assurément lui sont des mérites, il les mentionne d’abord, pour en venir bientôt à la couronne qu’il espère obtenir en récompense de ses mérites, lui qui, malgré ses démérites, a obtenu la grâce. Aussi remarquez bien ce qu’il ajoute : « Il me reste la couronne de justice que le Seigneur, juste juge, doit me rendre en ce jour ». A qui ce juste juge rendrait-il la couronne, si le Père miséricordieux n’avait point donné sa grâce ? Et comment serait-ce une couronne de justice, si la grâce qui justifie le pécheur n’avait point précédé ? Comment pourrait-il y avoir des mérites à récompenser, si des grâces gratuites n’avaient pas été données auparavant ?

5e leçon

Considérant donc en l’Apôtre Paul ses mérites eux-mêmes, auxquels le juste juge rendra la couronne, voyons s’ils lui appartiennent comme étant de lui, c’est-à-dire, comme se les étant acquis de lui-même, ou bien s’il faut y reconnaître les dons de Dieu : « J’ai combattu le bon combat, dit-il, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi ». Remarquons d’abord que ces bonnes œuvres seraient nulles, si de bonnes pensées ne les avaient précédées. II faut donc examiner ce qu’il dit des pensées elles-mêmes. Or voici comment il parle, en écrivant aux Corinthiens : « Non que nous soyons capables par nous-mêmes de produire, comme de nous, une seule pensée ; mais notre capacité vient de Dieu ». Après cela, entrons dans le détail.

6e leçon

« J’ai combattu le bon combat ». Je demande par quelle force il a combattu. Est-ce par une force qu’il aurait eue de lui-même, ou par une force reçue d’en haut ? Mais loin de nous la pensée qu’un tel docteur ait ignoré la loi de Dieu, parlant ainsi dans le Deutéronome : « Ne dis pas dans ton cœur : C’est ma force et la puissance de mon bras qui m’a rendu capable de cette grande œuvre ; mais souviens-toi du Seigneur ton Dieu, parce que c’est lui qui te fortifie pour bien faire ». Mais que sert-il de bien combattre, si le combat n’est point suivi de la victoire ? Et qui rend victorieux, si ce n’est celui dont l’Apôtre dit lui-même : « Grâces à Dieu, qui nous donne la victoire par notre Seigneur Jésus-Christ ».

7e leçon

Homélie de saint Jean Chrysostome

Le divin Maître semble parler ainsi aux Apôtres : Ne soyez point troublés si ; vous envoyant au milieu des loups, je vous enjoins d’être comme des brebis et des colombes. Sans doute, je pourrais agir autrement ; je pourrais empêcher que vous ne souffriez quelque chose de fâcheux et faire en sorte, qu’au lieu d’être exposés aux loups comme des brebis, vous deveniez plus terribles que des lions. Il vaut mieux cependant qu’il en soit comme je l’ai réglé : c’est le moyen, et de manifester votre vertu, et de faire éclater ma puissance. Et voilà dans quel sens il dira plus tard à saint Paul : « Ma grâce te suffit, car ma puissance se fait mieux sentir dans la faiblesse ». C’est donc moi qui, vous ai rendus tels.

8e leçon

Mais examinons quelle prudence il exige. La prudence même du serpent. Le serpent expose et livre tout son corps, et dût-il être coupé en morceaux s’en met très peu en peine, pourvu seulement qu’il ait la tête sauve. Ni toi non plus, pour conserver la foi, n’hésite pas à perdre tout le reste, fallût-il sacrifier ta fortune, tes membres et jusqu’à ta vie elle-même. La foi est la tête et la racine du chrétien ; si tu la conserves, en perdant tout le reste, tu recouvreras tout avec plus de gloire. Ainsi Jésus ne demande ni la simplicité sans la prudence, ni la prudence sans la simplicité ; il les a liées ensemble, voulant que ses Apôtres fissent, de ces deux choses réunies, une vertu parfaite.

9e leçon

Si tu veux savoir par les faits mêmes comment cela s’est accompli, ouvre le livre des Actes. Tu ne pourras manquer de voir qu’il arriva souvent aux Juifs de se ruer comme des bêtes affamées contre les Apôtres, et que les Apôtres, imitant la simplicité de la colombe, et répondant avec la modestie convenable, ont désarmé la colère, apaisé la fureur, arrêté l’emportement de ce peuple. Les Juifs leur disaient : « Ne vous avons-nous pas défendu absolument d’enseigner en ce nom-là ? » Et quoiqu’ils pussent opérer une infinité de miracles, ils n’ont cependant rien dit ni rien fait qui témoignât de l’aigreur. Ils répondirent au contraire avec une douceur extrême : « Jugez s’il est juste de vous obéir plutôt qu’à Dieu ». Dans ces paroles, tu as rencontré ta simplicité de la colombe ; vois la prudence du serpent dans les paroles qui suivent : « Nous ne pouvons pas taire les choses que nous avons vues et entendues »

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Saint Pierre et Saint Paul apôtres

29 Juin 2022 , Rédigé par Ludovicus

Saint Pierre et Saint Paul apôtres

Introït

Maintenant, je reconnais d’une manière certaine que le Seigneur a envoyé son ange : qu’il m’a arraché de la main d’Hérode et à toute l’attente du peuple juif. Seigneur, vous m’avez sondé, et vous me connaissez : vous savez quand je m’assieds, et quand je me lève.

Collecte

Dieu, vous avez consacré ce jour par le martyre de vos Apôtres saint Pierre et saint Paul : faites la grâce à votre Église de suivre en tout le précepte de ceux par qui la religion a commencé.

Lecture Ac. 12, 1-11

En ces jours-là : le roi Hérode mit les mains sur quelques membres de l’Église, pour les maltraiter. Il fit mourir par le glaive Jacques, frère de Jean. Et voyant que cela plaisait aux Juifs, il fit aussi arrêter Pierre. C’étaient alors les jours des azymes. L’ayant donc fait arrêter, il le mit en prison, et le donna à garder à quatre escouades, de quatre soldats chacune, avec l’intention de le faire comparaître devant le peuple après la Pâque. Pierre était donc gardé dans la prison ; mais l’église faisait sans interruption des prières à Dieu pour lui. Or, la nuit même avant le jour où Hérode devait le faire comparaître, Pierre dormait entre deux soldats, lié de deux chaînes, et des gardes devant la porte gardaient la prison. Et voici qu’un ange du Seigneur apparut, et une lumière brilla dans la cellule ; et l’ange, touchant Pierre au côté, l’éveilla, en disant : Lève-toi vite. Et les chaînes tombèrent de ses mains. Et l’ange lui dit : mets ta ceinture, et chausse tes sandales. Il le fit. Et l’ange reprit : Enveloppe-toi de ton vêtement, et suis-moi. Pierre sortit et le suivit ; et il ne savait pas que ce qui se faisait par l’ange était véritable, mais il croyait voir une vision. Passant la première et la seconde garde, ils vinrent à la porte de fer qui conduit à la ville ; elle s’ouvrit d’elle-même devant eux, et étant sortis, ils s’avancèrent dans une rue ; et aussitôt l’ange le quitta. Alors Pierre, étant revenu à lui-même, dit : Maintenant je reconnais d’une manière certaine que le Seigneur a envoyé son ange, et qu’il m’a arraché à la main d’Hérode et à toute l’attente du peuple juif.

Évangile Mt. 16, 13-19

En ce temps-là : Jésus vint aux environs de Césarée de Philippe, et il interrogeait ses disciples, en disant : Que disent les hommes touchant le Fils de l’homme ? Ils lui répondirent : Les uns, qu’il est Jean-Baptiste ; les autres, Élie ; les autres, Jérémie, ou quelqu’un des prophètes. Jésus leur dit : Et vous, qui dites-vous que je suis. Simon-Pierre, prenant la parole, dit : Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. Jésus lui répondit : Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas, parce que ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux ; et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié aussi dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux.

Secrète

Ces hosties que nous vous offrons, Seigneur, comme devant être consacrées à la gloire de votre nom, qu’elles soient accompagnées de la prière de vos apôtres en raison de laquelle vous nous accorderez pardon et protection.

Postcommunion

Seigneur, par l’intercession de vos apôtres, défendez contre toute adversité ceux que vous avez nourris de l’aliment céleste.

Hymnus Hymne
Decóra lux æternitátis áuream
Diem beátis irrigávit ígnibus,
Apostolórum quæ corónat Príncipes,
Reísque in astra liberam pandit viam.
La splendide lumière de l’éternité irradie
de ses feux ce jour fortuné
qui couronne les Princes des Apôtres,
et ouvre aux coupables une voie libre vers les cieux.
Mundi Magíster atque cæli Iánitor,
Romæ paréntes arbitríque géntium,
Per ensis ille, hic per crucis victor necem,
Vitæ senátum laureáti póssident.
Le Docteur du monde et le Portier du ciel,
pères de Rome et arbitres des nations,
vainqueurs de la mort, l’un par l’épée, l’autre sur la croix,
au sénat de la vie, siègent couronnés de lauriers.
O Roma felix, quæ duórum Príncipum
Es consecráta glorióso sánguine !
Horum cruóre purpuráta céteras
Excéllis orbis una pulchritúdines.
O Rome bienheureuse, qui as été consacrée
par le sang glorieux de ces deux princes !
empourprée de leur sang, à toi seule
tu surpasses toutes les autres beautés du monde.
Sit Trinitáti sempitérna glória,
Honor, potéstas atque iubilátio,
In unitáte, quæ gubérnat ómnia,
Per univérsa sæculórum sǽcula.
Amen.
A la Trinité, gloire éternelle,
honneur, puissance et jubilation
qui, dans son unité, gouverne toutes choses,
pendant tous les siècles des siècles.
Ainsi soit-il

Office

4e leçon

Sermon de saint Léon, Pape.

Sans doute, frères bien-aimés, le reste du monde prend part à toutes nos solennités saintes ; et la piété d’une même foi demande qu’on célèbre en tous lieux, avec une joie commune, ce qui s’est accompli pour le salut de tous. Néanmoins la fête d’aujourd’hui, en plus de ce respect qui lui est acquis par toute la terre, doit être en notre Ville le sujet d’une vénération spéciale, accompagnée d’une particulière allégresse : de sorte que là où les deux principaux Apôtres sont morts si glorieusement, il y ait, au jour de leur martyre, une plus grande explosion de joie. Car ce sont là, ô Rome, les deux héros qui ont fait resplendir à tes yeux l’Évangile du Christ ; el c’est par eux que toi, qui étais maîtresse d’erreur, tu es devenue disciple de la vérité.

5e leçon

Ce sont là tes pères et tes vrais pasteurs qui, pour t’introduire dans le royaume céleste, ont su te fonder, beaucoup mieux et bien plus heureusement pour toi, que ceux qui se donnèrent la peine de poser les premiers fondements de tes murailles, et dont l’un, celui de qui vient le nom que tu portes, t’a souillée du meurtre de son frère. Ce sont ces deux Apôtres qui t’ont élevée à un tel degré de gloire, que tu es devenue la nation sainte, le peuple choisi, la cité sacerdotale et royale, et, par le siège sacré du bienheureux Pierre, la capitale du monde ; en sorte que la suprématie qui te vient de la religion divine, s’étend plus loin que jamais ne s’est portée ta domination terrestre. Sans doute, d’innombrables victoires ont fortifié ta puissance et étendu les droits de ton autorité sur terre comme sur mer ; et cependant tu dois moins de conquêtes aux travaux de la guerre, que la paix chrétienne ne t’a procuré de sujets.

6e leçon

D’ailleurs, il s’accordait on ne peut mieux avec le plan de l’œuvre divine, que divers états fussent unis sous un même empire, pour que la prédication eût facile accès et prompte diffusion parmi les peuples soumis au gouvernement d’une même ville. Mais, alors que cette ville, ignorant l’auteur de son élévation, dominait sur presque toutes les nations, elle était esclave de toutes leurs erreurs, et parce qu’elle n’en rejetait aucune, croyait pouvoir s’attribuer beaucoup de religion. De sorte que le Christ l’a délivrée d’autant plus miraculeusement que le démon l’avait plus étroitement enchainée.

7e leçon

Homélie de saint Jérôme, Prêtre

C’est avec justesse que le Sauveur demande : « Quel est celui que les hommes disent être le Fils de l’homme ? » Ceux qui ne voient en lui rien de plus que le Fils de l’homme, sont en effet des hommes ; mais ceux qui reconnaissent sa divinité, sont appelés des dieux et non pas des hommes. « Les disciples répondirent : Les uns (disent que c’est) Jean-Baptiste ; d’autres, Élie ». Je m’étonne que certains interprètes se demandent la cause de ces erreurs, et cherchent à établir, par de longues discussions, pourquoi les uns ont pensé que notre Seigneur Jésus-Christ était Jean-Baptiste, les autres Élie, d’autres Jérémie ou quelqu’un des Prophètes, puisqu’ils ont pu se tromper en le prenant pour Élie et Jérémie, tout comme Hérode se trompa en le prenant pour Jean-Baptiste, quand il disait : « Ce Jean, à qui j’ai fait trancher la tête, est ressuscité d’entre les morts, et c’est pour cela que des miracles s’opèrent par lui »

8e leçon

« Et vous, qui dites-vous que je suis ? » Lecteur intelligent, fais attention, d’après la suite et le texte du discours, que les Apôtres ne sont point du tout appelés des hommes, mais des dieux ; car c’est après avoir dit : « Quel est celui que les hommes disent être le Fils de l’homme ? » qu’il ajouta ceci : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » Pendant que les autres, parce qu’ils sont des hommes, pensent de moi des choses tout humaines, vous qui êtes des dieux, qui croyez-vous que je suis ? Pierre, au nom de tous les Apôtres, fait cette profession de foi : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ». Il dit Dieu vivant, à la différence de ces dieux qui passent pour des dieux, mais qui sont morts.

9e leçon

« Jésus, répondant, lui dit : Tu es heureux, Simon Bar-Jona ». Il paie de retour le témoignage que l’Apôtre a rendu de lui. Pierre avait dit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ». La confession de la vérité fut récompensée. « Tu es heureux, Simon Bar-Jona ». Pourquoi ? « Car ce n’est ni la chair ni le sang qui t’ont révélé ceci, mais mon Père ». Ce que la chair et le sang n’ont pu révéler, la grâce du Saint-Esprit l’a révélé. C’est donc par suite de sa profession de foi, qu’il reçoit un nom où se trouve exprimée la révélation du Saint-Esprit, et qu’il mérite même d’être appelé fils de cet Esprit ; car Bar-Jona se traduit dans notre langue par fils de la colombe.

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Vigile des Saints Pierre et Paul apôtres

28 Juin 2022 , Rédigé par Ludovicus

Vigile des Saints Pierre et Paul apôtres

Collecte

Daignez, nous vous en supplions, ô Dieu tout-puissant, ne point permettre qu’aucun trouble nous ébranle, après que vous nous avez établis sur la pierre solide de la foi des Apôtres.

Office

Homélie de saint Augustin, Évêque.

Première leçon. A son triple reniement, Pierre oppose une triple confession, voulant que sa langue n’obéisse pas moins à l’amour qu’elle n’a obéi à la crainte, et que la mort entrevue de loin ne semble pas lui avoir donné plus de voix que la présence de la Vie. Renier le Pasteur a été l’effet de la crainte : que l’office de l’amour soit de paître le troupeau du Seigneur ! Ceux qui paissent les brebis du Christ avec la disposition de vouloir qu’elles soient à eux et non au Christ, sont convaincus de s’aimer eux-mêmes et de ne point aimer Jésus-Christ, avides qu’ils sont d’honneurs, de domination, de richesses, et vides de cette charité qui fait obéir, soulager, plaire à Dieu.

Deuxième leçon. L’Apôtre gémit d’en voir certains chercher leur intérêt et non celui du Christ Jésus. La voix du Christ nous met avec insistance en garde contre eux. Que signifie, en effet : "Si tu m’aimes, pais mes brebis" sinon "si tu m’aimes, fais bien attention à ne pas te faire paître toi-même" ! Ce sont mes brebis, fais-les paître, comme miennes, et non comme tiennes. Cherche en elles ma gloire et non la tienne, mon domaine et non le tien, mon gain et non le tien. De peur que tu ne t’associes à ceux qui surviennent dans des temps difficiles, qui sont des égoïstes et ont tous les défauts liés à cette racine du mal".

Troisième leçon. Le Seigneur dit à bon droit à Pierre : "M’aimes-tu ?" Il répond : "Oui" ! Jésus lui dit alors : "Pais mes agneaux," et cela deux et trois fois. Là nous est prouvée l’identité de l’amour et de la dilection. Car, la dernière fois, le Seigneur ne dit pas : "As-tu pour moi de la dilection ?" mais : "m’aimes-tu ?" Aimons-le donc lui, et non pas nous ! et, en faisant paître ses brebis, recherchons ses intérêts et non les nôtres. Je ne sais par quel inexplicable moyen on peut s’aimer (soi et non Dieu) sans s’aimer ; ou aimer Dieu (non pas soi) et s’aimer pourtant ! En effet, qui ne peut pas vivre de soi-même, meurt en s’aimant lui-même. Il ne s’aime donc pas, celui qui s’aime de manière à fuir la vie !

 

Jean-Baptiste, placé aux confins des deux Testaments, a clos l’âge prophétique où ne régnait que l’espérance, et commencé l’ère de la foi qui possède, sans le voir encore en sa divinité, le Dieu longtemps attendu. Aussi, avant même que ne soit terminée l’Octave où nous fêtons le fils de Zacharie, la confession apostolique va se greffer sur le témoignage rendu par le Précurseur au Verbe lumière. Demain, tous les échos des cieux se renverront la parole que Césarée de Philippe entendit la première : Vous êtes le Christ, fils du Dieu vivant ; et Simon fils de Jean, pour avoir prononcé l’oracle, sera établi la base qui porte l’Église. Demain même il mourra, scellant dans le sang sa déclaration glorieuse ; mais il se survivra dans les Pontifes romains pour garder le précieux témoignage en son intégrité, jusqu’au jour où la foi fera place à l’éternelle vision. Associé aux travaux de Pierre, le Docteur des gentils partagera son triomphe ; et Rome, plus redevable à ses deux princes qu’aux guerriers fameux qui abattirent le monde à ses pieds, verra leur double victoire affermir pour jamais sur sa tête auguste le diadème de la royauté des âmes.

Recueillons-nous, et avec l’Église, préparons nos cœurs. En France, où tant de sacrifices ont dû être consentis par l’Église-mère, la fête des Apôtres, le plus souvent, n’est point célébrée à son jour ; lorsque le 29 juin se rencontre un des jours de la semaine, elle voit sa solennité renvoyée au dimanche. Par suite, la Vigile a perdu chez nous de ses austérités d’autrefois. Heureux les diocèses, où quelque trace de l’ancienne discipline se garde encore ! La rigueur que sait s’imposer un peuple à certains jours de préparation, est une marque de la foi qu’il a conservée ; elle montre qu’il comprend la grandeur de l’objet proposé par la sainte Liturgie à son culte. Chrétiens d’Occident, nous dont Pierre et Paul sont la gloire devant les hommes et devant Dieu, songeons au Carême que les Grecs schismatiques commencent au lendemain des solennités pascales, en l’honneur des Apôtres, et qui ne prend fin qu’aujourd’hui. Le contraste sera de nature à nous faire dominer les penchants d’une mollesse où l’ingratitude aurait trop de part. Du moins, puissions-nous racheter en ferveur, en actions de grâces et amour, les privations dont tant d’églises, malgré leur séparation d’avec Rome, ont conservé l’usage.

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Notre Dame du Perpétuel Secours

27 Juin 2022 , Rédigé par Ludovicus

Notre Dame du Perpétuel Secours

Collecte

Seigneur Jésus-Christ, en Marie, votre Mère, dont nous vénérons l’insigne image, vous nous avez donné une Mère prête à nous secourir perpétuellement : faites, nous vous en prions, qu’implorant assidûment son assistance maternelle, nous méritions de goûter perpétuellement le fruit de votre rédemption.

Lecture Eccli. 24, 23-31

Je suis comme une vigne aux pampres odorants ; mes fleurs font une moisson de gloire et de richesse. Je suis la mère du bel amour, de la crainte, de la connaissance, et de la sainte espérance. En moi est toute grâce de doctrine et de vérité, en moi est tout espoir de vie et de force. Venez à moi vous tous qui me désirez, et de mes fruits rassasiez-vous ! Mon esprit est plus doux que le miel, et mon héritage, plus qu’un rayon de miel. Mon souvenir demeure pour la suite des âges. Qui me mange, a encore faim ; qui me boit a encore soif ; qui m’écoute, n’aura point de honte ; qui agit avec moi, ne péchera point ; qui cherche ma lumière, aura la vie éternelle.

Secrète

En nous étant propice, Seigneur, et grâce à l’intercession de la bienheureuse Marie toujours Vierge et Mère, faites que cette oblation nous procure pour l’éternité et pour la vie présente le bonheur et la paix.

Communion

O Marie, très digne Reine du monde, Vierge perpétuelle, intercédez pour notre paix et notre salut, vous qui avez mis au monde le Christ Seigneur, Sauveur de tous.

 

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Dimanche dans l’Octave du Sacré-Cœur

26 Juin 2022 , Rédigé par Ludovicus

 Dimanche dans l’Octave du Sacré-Cœur

Introït

Jetez un regard sur moi et ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis seul et pauvre, voyez mon humiliation et mon labeur et pardonnez-moi tous mes péchés. Vers vous, Seigneur, j’ai élevé mon âme, ô mon Dieu, en vous je me confie, je ne serai pas confondu.

Collecte

Dieu, protecteur de ceux qui espèrent en vous, et sans lequel il n’y a rien de ferme, ni de saint : multipliez sur nous vos miséricordes ; afin que, sous votre loi et votre conduite, nous passions de telle sorte par les biens temporels, que nous ne perdions pas les éternels.

Épitre 1. P 5, 6-11

Mes bien-aimés : Humiliez-vous donc sous la puissante main de Dieu, afin qu’il vous élève au temps de sa visite ; vous déchargeant sur lui de tous vos soucis, car c’est lui qui prend soin de vous. Soyez sobres et veillez ; car votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui il pourra dévorer. Résistez-lui, demeurant fermes dans la foi, sachant que vos frères qui sont dans le monde souffrent les mêmes afflictions que vous. Le Dieu de toute grâce, qui nous a appelés dans le Christ Jésus à son éternelle gloire, lui-même vous perfectionnera, vous affermira et vous fortifiera, après que vous aurez un peu souffert. A lui soient la gloire et l’empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Évangile Lc. 15, 1-10

En ce temps-là : les publicains et les pécheurs s’approchaient de Jésus pour l’écouter. Et les pharisiens et les scribes murmuraient, en disant : Cet homme accueille les pécheurs, et mange avec eux. Alors il leur dit cette parabole : Quel est l’homme parmi vous qui a cent brebis, et qui, s’il en perd une, ne laisse les quatre-vingt-dix neuf autres dans le désert, pour s’en aller après celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la trouve ? Et lorsqu’il l’a trouvée il la met sur ses épaules avec joie ; et venant dans sa maison, il appelle ses amis et ses voisins, et leur dit : Réjouissez-vous avec moi car j’ai trouvé ma brebis qui était perdue. Je vous le dis, il y aura de même plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui fait pénitence, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence. Ou quelle est la femme qui, ayant dix drachmes, si elle en perd une, n’allume la lampe, ne balaie la maison, et ne cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle la trouve ? Et lorsqu’elle l’a trouvée, elle appelle ses amies et ses voisines, et leur dit : Réjouissez-vous avec moi, car j’ai trouvé la drachme que j’avais perdue. De même, je vous le dis, il y aura de la joie parmi les anges de Dieu, pour un seul pécheur qui fait pénitence.

Postcommunion

Que le sacrement saint reçu par nous, Seigneur, nous vivifie et que nous ayant purifiés de nos fautes, il nous prépare à jouir sans fin de votre miséricorde.

Office

4e leçon

Des Encycliques du Pape Pie XI.

Parmi toutes ces pratiques de la dévotion au Sacré-Cœur, il en est une remarquable qui mérite d’être signalée, c’est la pieuse consécration par laquelle, offrant à Dieu nos personnes et tous les biens que nous tenons de son éternelle bonté, nous les vouons au divin Cœur de Jésus. A tous ces hommages, il faut ajouter encore autre chose : à savoir l’amende honorable ou la réparation selon l’expression courante à offrir au Cœur sacré de Jésus. Si, dans la consécration, le but premier et principal pour la créature est de rendre à son Créateur amour pour amour, il s’ensuit naturellement qu’elle doit offrir à l’égard de l’amour incréé une compensation pour l’indifférence, l’oubli, les offenses, les outrages, les injures qu’il subit : c’est ce qu’on appelle couramment le devoir de la réparation.

5e leçon

Si les mêmes raisons nous obligent à ce double devoir, cependant le devoir de réparation et d’expiation s’impose en vertu d’un motif encore plus impérieux de justice et d’amour : de justice d’abord, car l’offense faite à Dieu par nos crimes doit être expiée, et l’ordre violé doit être rétabli par la pénitence ; mais d’amour aussi, car nous devons "compatir au Christ souffrant et saturé d’opprobres", et lui offrir, selon notre petitesse, quelque consolation. Tous nous sommes des pécheurs ; de nombreuses fautes nous chargent ; nous avons donc l’obligation d’honorer Dieu non seulement par notre culte, par une adoration qui rend à sa Majesté suprême de légitimes hommages, par des prières qui reconnaissent son souverain domaine, par des louanges et des actions de grâces pour son infinie bonté ; mais à ce Dieu juste vengeur nous avons encore le devoir d’offrir satisfaction pour nos innombrables péchés, offenses et négligences. Ainsi à la consécration, par laquelle nous nous donnons à Dieu et qui nous mérite d’être voués à Dieu, avec la sainteté et la stabilité qui, suivant l’enseignement du Docteur angélique sont le propre de la consécration, il faut donc ajouter l’expiation qui répare entièrement les péchés, de peur que, dans sa sainteté, la Souveraine Justice ne nous repousse pour notre impudente indignité et, loin d’agréer notre offrande, ne la rejette.

6e leçon

En fait, ce devoir d’expiation incombe au genre humain tout entier. Comme nous l’enseigne la foi chrétienne, après la déplorable chute d’Adam, l’homme, infecté de la souillure originelle, esclave de la concupiscence et des plus lamentables dépravations, se trouva ainsi voué à la perte éternelle. De nos jours, des savants orgueilleux nient ces vérités et, s’inspirant de la vieille erreur de Pélage, vantent des vertus innées de la nature humaine qui la conduiraient, par ses seules forces, jusqu’aux cimes les plus élevées. Ces fausses théories de l’orgueil humain, l’Apôtre les réfute en nous rappelant que, par nature, nous étions enfants de colère. Dès les débuts, en réalité, la nécessité de cette expiation commune a été reconnue, puisque, cédant à un instinct naturel, les hommes se sont efforcés d’apaiser Dieu par des sacrifices même publics.

7e leçon

Homélie de saint Grégoire, Pape

Vous avez entendu, mes frères, dans la lecture de l’Évangile, que les pécheurs et les publicains s’approchèrent de notre Rédempteur, et qu’ils furent admis non seulement à s’entretenir, mais encore à manger avec lui. Voyant cette condescendance, les Pharisiens en conçurent du dédain pour le Sauveur. Il ressort de ce fait que la vraie justice est compatissante ; la fausse justice, dédaigneuse. Ce n’est pas que les justes ne montrent quelquefois, et avec raison, de l’indignation contre les pécheurs ; mais les actions qu’inspiré le zèle de la foi sont bien différentes de celles que provoque l’orgueil.

8e leçon

Les justes ont de l’indignation, mais comme s’ils n’en avaient point ; ils désespèrent des pécheurs, comme n’en désespérant point ; ils les poursuivent, mais c’est en les aimant ; car si le zèle du bien leur met souvent aux lèvres des réprimandes, ils conservent néanmoins au dedans la douceur de la charité. Ils mettent la plupart du temps au-dessus d’eux-mêmes, dans leur estime, ceux qu’ils reprennent, et ils croient meilleurs qu’eux-mêmes ceux dont ils sont établis les juges ; de la sorte, en contenant leurs inférieurs par la discipline, ils se conservent eux-mêmes par l’humilité.

9e leçon

Au contraire, ceux qui s’enorgueillissent d’une fausse justice, méprisent les autres, sans condescendre avec miséricorde à leur faiblesse, et par là même qu’ils ne se croient pas pécheurs, ils deviennent plus coupables. Les Pharisiens étaient assurément de ce nombre, car, en blâmant le Seigneur de ce qu’il accueillait les pécheurs, ils reprenaient avec leur cœur desséché, la source même de la miséricorde. Mais parce qu’ils étaient malades au point d’ignorer leur mal, le céleste médecin les traite par de doux remèdes, leur présente une touchante parabole, et presse dans leur cœur la tumeur qu’ils y portent.

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Nativité de Saint Jean-Baptiste

25 Juin 2022 , Rédigé par Ludovicus

Nativité de Saint Jean-Baptiste

Collecte

Dieu, vous nous avez rendu ce jour vénérable par la nativité du bienheureux Jean : accordez à votre peuple la grâce des joies spirituelles ; et dirigez les âmes de tous les fidèles dans la voie du salut éternel.

Office

4e leçon

Sermon de saint Augustin, Évêque

Après le très saint jour de la Nativité du Seigneur, nous ne lisons point qu’on célèbre la naissance d’aucun homme, si ce n’est uniquement celle du bienheureux Jean-Baptiste. Nous savons que pour les autres saints et élus de Dieu, on solennise le jour auquel, ayant achevé leurs travaux et triomphé du monde par une victoire complète, ils ont été comme enfantés du sein de la vie présente à l’éternité glorieuse. Ainsi, pour les autres saints, on honore le dernier jour qui a comblé leurs mérites ; et, pour saint Jean, c’est le premier jour, ce sont les commencements mêmes de sa vie qu’on célèbre évidemment pour cette raison, que le Seigneur a voulu manifester par lui son avènement, de peur, que s’il venait d’une manière subite et inattendue, les hommes ne le reconnussent point. Or saint Jean a été la figure de l’ancien Testament, l’image de la loi, précédant le Sauveur, comme la loi servit de messagère à la grâce.

5e leçon

Du sein maternel, Jean prophétise avant de naître, et sans avoir encore paru à la lumière, il rend déjà témoignage à la vérité ; et cela nous donne à comprendre que, personnifiant l’Esprit caché sous le voile et dans le corps de la lettre, il manifeste au monde le Rédempteur et nous annonce comme du sein de la loi, notre Seigneur ; et c’est parce que les Juifs s’étaient égarés dès le sein de leur mère, ou de la loi d’où le Christ devait sortir « ils ont erré dès le sein (de leur mère), ils ont dit des choses fausses », que Jean est venu « comme témoin pour rendre témoignage à la lumière ».

6e leçon

Et dans Jean, détenu en prison et envoyant ses disciples au Christ, c’est la loi qui passe à l’Évangile. A l’instar de Jean, cette loi, captive dans la prison de l’ignorance, gisait comme au fond d’un réduit obscur, où l’aveuglement des Juifs laissait le sens spirituel enfermé dans l’obscurité de la lettre. C’est ce que l’écrivain sacré fait entendre, en disant de Jean-Baptiste : « Il était une lampe ardente » ; en d’autres termes, il brûlait du feu de l’Esprit-Saint, afin qu’il montrât la lumière du salut au monde enfoncé dans la nuit de l’ignorance, et qu’au travers des ténèbres si épaisses du péché, ii découvrit au monde, à la clarté de ses rayons, le soleil de justice dans toute sa splendeur, lorsque, parlant de lui-même, il disait : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert ».

7e leçon

Homélie de saint Ambroise, Évêque

Élisabeth donna le jour à un fils, et ses voisins s’en réjouirent avec elle. Étant un bien commun, la naissance des Saints excite une joie commune. Car la justice intéresse la communauté : c’est pourquoi ce juste, en venant au monde, fait pressentir sa sainteté future ; et l’allégresse des voisins signifie que sa vertu à venir donnera lieu au monde de se féliciter. L’Évangéliste a bien raison de faire entrer dans son récit le temps que le Précurseur fut renfermé dans le sein de sa mère, sans quoi la présence de Marie n’eût pas été mentionnée. Et si, d’autre part, son enfance est passée sous silence, c’est qu’il n’a point connu les difficultés de cet âge. En sorte que nous ne lisons dans l’Évangile que l’annonce et le fait de sa nativité, son tressaille.

8e leçon

Et en effet, on peut dire qu’il n’a connu aucun des degrés de l’enfance, lui qui, s’élevant au-dessus des lois de la nature et devançant les années, a commencé, dans le sein maternel, par avoir la mesure de l’âge parfait du Christ. L’écrivain sacré, avec un merveilleux à-propos, a cru devoir noter que plusieurs voulaient appeler l’enfant du même nom que son père Zacharie. Par là, il t’avertit que si Élisabeth repousse ce nom, ce n’est point qu’il lui déplaise, comme étant le nom d’une personne dégénérée, mais bien parce qu’elle connaît, par une révélation du Saint-Esprit, le nom que l’Ange avait auparavant indiqué à Zacharie. Muet qu’il était devenu, Zacharie ne pouvait le dire à sa femme ; mais elle sut par inspiration ce qu’elle n’avait point appris de son mari.

9e leçon

« Jean est son nom », écrivit le père, voulant dire : Ce n’est point à nous d’imposer un nom à celui que Dieu a déjà nommé : il a son nom, qui nous a été révélé, et que nous n’avons pas choisi. Des saints ont eu le privilège de recevoir leur nom de Dieu même. Ainsi Jacob fut appelé Israël, parce qu’il avait vu Dieu. Ainsi notre Seigneur lui-même reçoit avant de naître le nom de Jésus, que son Père, et non l’Ange, lui a imposé. Tu le vois, les Anges ne parlent pas d’eux-mêmes ; ils transmettent ce qui leur a été dit. Si donc Élisabeth prononce avec tant d’assurance un nom que son oreille, il est vrai, n’a pas entendu, n’en sois pas étonné, puisque l’Esprit-Saint avait commandé à l’Ange de le lui suggérer.

« Voix de celui qui crie dans le désert : Préparez les sentiers du Seigneur ; voici votre Dieu ! » Oh ! Qui, dans notre siècle refroidi, comprendra les transports de la terre à cette annonce si longtemps attendue ? Le Dieu promis n’est point manifesté encore ; mais déjà les cieux se sont abaissés pour lui livrer passage. Il n’a plus à venir, celui que nos pères, les illustres saints des temps prophétiques, appelaient sans fin dans leur indomptable espérance. Caché toujours, mais déjà parmi nous, il repose sous la nuée virginale près de laquelle pâlit pour lui la céleste pureté des Chérubins et des Trônes ; les ardeurs réunies des brûlants Séraphins se voient dépassées par l’amour dont l’entoure à elle seule, en son cœur humain, l’humble fille d’Adam qu’il s’est choisie pour mère. La terre maudite, devenue soudain plus fortunée que l’inexorable ciel fermé jadis à ses supplications, n’attend plus que la révélation de l’auguste mystère ; l’heure est venue pour elle de joindre ses cantiques à l’éternelle et divine louange qui, dès maintenant, monte de ses profondeurs, et, n’étant autre que le Verbe lui-même, célèbre Dieu comme il mérite de l’être. Mais sous le voile d’humilité où, après comme avant sa naissance, doit continuer de se dérober aux hommes sa divinité, qui découvrira l’Emmanuel ? Qui surtout, l’ayant reconnu dans ses miséricordieux abaissements, saura le faire accepter d’un monde perdu d’orgueil, et pourra dire, en montrant dans la foule le fils du charpentier : Voilà celui qu’attendaient vos pères !

Car tel est l’ordre établi d’en haut pour la manifestation du Messie : en conformité de ce qui se fait parmi les hommes, le Dieu fait homme ne s’ingérera pas de lui-même dans les actes de la vie publique ; il attendra, pour inaugurer son divin ministère, qu’un membre de cette race devenue la sienne, un homme venu avant lui, et doué à cette fin d’un crédit suffisant, le présente à son peuple.

Rôle sublime, qui fera d’une créature le garant de Dieu, le témoin du Verbe ! La grandeur de celui qui doit le remplir était signalée, comme celle du Messie, longtemps avant sa naissance. Dans la solennelle liturgie du temps des figures, le chœur des lévites, rappelant au Très-Haut la douceur de David et la promesse qui lui fut faite d’un glorieux héritier, saluait de loin la mystérieuse lumière préparée par Dieu même à son Christ. Non que, pour éclairer ses pas, le Christ dût avoir besoin d’un secours étranger : splendeur du Père, il n’avait qu’à paraître en nos obscures régions, pour les remplir de la clarté des cieux ; mais tant de fausses lueurs avaient trompé l’humanité, durant la nuit des siècles d’attente, que la vraie lumière, s’élevant soudain, n’eût point été comprise, ou n’eût fait qu’aveugler des yeux rendus impuissants par les ténèbres précédentes à porter son éclat.

L’éternelle Sagesse avait donc décrété que comme l’astre du jour est annoncé par l’étoile du matin, et prépare sa venue dans la clarté tempérée de l’aurore ; ainsi le Christ lumière serait précédé ici-bas d’un astre précurseur, et signalé parle rayonnement dont lui-même, non visible encore, revêtirait ce fidèle messager de son avènement. Lorsqu’autrefois le Très-Haut daignait pour ses prophètes illuminer l’avenir, l’éclair qui, par intervalle, sillonnait ainsi le ciel de l’ancienne alliance s’éteignait dans la nuit, sans amener le jour ; l’astre chanté dans le psaume ne connaîtra point la défaite ; signifiant à la nuit que désormais c’en est fini d’elle, il n’éteindra ses feux que dans la triomphante splendeur du Soleil de justice. Aussi intimement que l’aurore s’unit au jour, il confondra avec la lumière incréée sa propre lumière ; n’étant de lui-même, comme toute créature, que néant et ténèbres, il reflétera de si près la clarté du Messie, que plusieurs le prendront pour le Christ.

La mystérieuse conformité du Christ et de son Précurseur, l’incomparable proximité qui les unit, se retrouvent marquées en maints endroits des saints Livres. Si le Christ est le Verbe, la parole éternelle du Père, lui sera la Voix portant cette parole où elle doit parvenir ; Isaïe l’entend par avance qui remplit d’accents jusque-là inconnus le désert, et le prince des prophètes exprime sa joie dans l’enthousiasme d’une âme qui déjà se voit en présence de son Seigneur et Dieu Le Christ est l’ange de l’alliance ; mais dans le texte même où l’Esprit-Saint lui donne un titre si rempli pour nous d’espérance, paraît aussi portant ce nom d’ange l’inséparable messager, l’ambassadeur fidèle à qui la terre devra de connaître l’Époux : « Voici que j’envoie mon ange qui préparera le chemin devant ma face, et aussitôt viendra dans son temple le dominateur que vous cherchez, l’ange de l’alliance que vous réclamez ; voici qu’il vient, dit le Seigneur des armées ». Et mettant fin au ministère prophétique dont il est le dernier représentant, Malachie termine ses propres oracles par les paroles que nous avons entendu Gabriel adresser à Zacharie, pour lui notifier la naissance prochaine du Précurseur

La présence de Gabriel en cette occasion, montrait elle-même combien l’enfant promis alors serait l’intime du Fils de Dieu ; car le même prince des célestes milices allait aussi, bientôt, venir annoncer l’Emmanuel. Nombreux pourtant se pressent les messagers fidèles au pied du trône de la Trinité sainte, et le choix de ces augustes envoyés varie, d’ordinaire, selon la grandeur des instructions que le Très-Haut transmet par eux au monde. Mais il convenait que l’archange chargé de conclure les noces sacrées du Verbe avec l’humanité, préludât à cette grande mission en préparant la venue de celui que les décrets éternels avaient désigné comme l’Ami de l’Époux Six mois après, député vers Marie, il appuyait son divin message en révélant à la Vierge très pure le prodige qui, dès maintenant, donnait un fils à la stérile Élisabeth : premier pas du Tout-Puissant vers une merveille plus grande. Jean n’est pas né encore ; mais, sans plus tarder, son rôle est ouvert : il atteste la vérité des promesses de l’ange. Ineffable garantie que celle de cet enfant, caché toujours au sein de sa mère, et déjà témoin pour Dieu dans la négociation sublime qui tient en suspens la terre et les deux ! Éclairée d’en haut, Marie reçoit le témoignage et n’hésite plus : « Voici la servante du Seigneur, dit-elle à l’archange ; qu’il me soit fait selon votre parole ».

Gabriel s’est retiré, emportant avec lui le secret divin qu’il n’est point charge de communiquer au reste du monde. La Vierge très prudente ne parlera pas davantage ; Joseph lui-même, son virginal époux, n’aura pas d’elle communication du mystère. Ne craignons point cependant : l’accablante stérilité dont le monde a gémi, ne sera pas suivie d’une ignorance plus triste encore, maintenant que la terre a donné son fruit. Il est quelqu’un pour qui l’Emmanuel n’aura ni secret, ni retard ; et lui saura bien révéler la merveille. A peine l’Époux a-t-il pris possession du sanctuaire sans tache où doivent s’écouler les neuf premiers mois de son habitation parmi les hommes, à peine le Verbe s’est fait chair : et Notre-Dame, instruite au dedans du désir de son Fils, se rend en toute hâte vers les monts de Judée. Voix de mon bien-aimé ! Le voici qui vient, bondissant sur les montagnes, franchissant les collines. A l’ami de l’Époux sa première visite, à Jean le début de ses grâces. Une fête distincte nous permettra d’honorer spécialement la journée précieuse où l’Enfant-Dieu, sanctifiant son Précurseur, se révèle à Jean par la voix de Marie ; où Notre-Dame, manifestée par Jean qui tressaille en sa mère, proclame enfin les grandes choses que le Tout-Puissant a opérées en elle selon la miséricordieuse promesse qu’il fit autrefois à nos pères, à Abraham et à sa postérité pour jamais.

Mais le temps est venu où, des enfants et des mères, la nouvelle doit s’étendre au pays d’alentour, en attendant qu’elle parvienne au monde entier. Jean va naître, et, ne pouvant parler encore, il déliera la langue de son père. Il fera cesser le mutisme dont le vieux prêtre, image de l’ancienne loi, avait été frappé par l’ange ; et Zacharie, rempli lui-même de l’Esprit-Saint, va publier dans un cantique nouveau la visite bénie du Seigneur Dieu d’Israël.

Préludons par le chant des premières Vêpres, avec la sainte Église, aux joies de la grande solennité qui s’annonce. Et, tout d’abord, remarquons la couleur blanche des ornements que revêt aujourd’hui l’Épouse ; les pages qui suivent nous en expliqueront le mystère.

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Fête du Sacré Coeur

24 Juin 2022 , Rédigé par Ludovicus

Fête du Sacré Coeur

Introït

Les pensées de son Cœur subsistent de génération en génération : délivrer leurs âmes de la mort et les nourrir au temps de la famine. Justes, réjouissez-vous dans le Seigneur, car aux hommes droits sied la louange.

Collecte

Dieu, dans le Cœur de Votre Fils blessé par nos péchés, daignez nous prodiguer les trésors infinis de son amour : faites, nous vous en supplions, qu’en Lui rendant l’hommage de notre dévotion et de notre piété, nous remplissions aussi dignement envers Lui le devoir de la réparation.

Épitre Ep. 3, 8 19

Mes frères : à moi le plus petit de tous les saints, a été accordée cette grâce d’annoncer parmi les Gentils les richesses incommensurables du Christ ; et de mettre en lumière devant tous quelle est l’économie du mystère caché dès l’origine des siècles en Dieu, qui a créé toutes choses ; afin que les principautés et les puissances, dans les cieux, connaissent par l’Église la sagesse infiniment variée de Dieu, selon le dessein éternel qu’il a formé en Jésus-Christ Notre-Seigneur, en qui nous avons la liberté de nous approcher (de Dieu) en confiance, par la foi en Lui. A cause de cela je fléchis les genoux devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, duquel toute paternité dans les cieux et sur la terre tire son nom, pour qu’il vous donne, selon les richesses de sa gloire, d’être puissamment fortifiés par son Esprit dans l’homme intérieur : que le Christ habite par la foi dans vos cœurs, afin qu’étant enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur, et la hauteur et la profondeur, et connaître l’amour du Christ, qui surpasse toute connaissance, de sorte que vous soyez remplis de toute la plénitude de Dieu.

Évangile Jn 19 ,31-37

En ce temps-là : Ce jour étant celui de la Préparation, afin que les corps ne demeurassent pas en croix durant le Sabbat (car ce Sabbat était un jour très solennel), les Juifs prièrent Pilate qu’on leur rompît les jambes, et qu’on les enlevât. Il vint donc des soldats qui rompirent les jambes du premier, puis de l’autre qui avait été crucifié avec lui. Étant venus à Jésus, et le voyant déjà mort, ils ne lui rompirent point les jambes ; mais un des soldats lui ouvrit le côté avec une lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. Et celui qui le vit en rend témoignage, et son témoignage est vrai. Et il sait qu’il est vrai, afin que, vous aussi, vous croyiez. Car ces choses ont été faites, afin que l’Écriture fût accomplie : Vous ne briserez aucun de ses os. Et ailleurs, l’Écriture dit encore : Ils contempleront celui qu’ils ont percé.

Postcommunion

Que vos saints mystères, Seigneur Jésus, produisent en nous une ferveur divine qui nous fasse goûter la suavité de votre Cœur très doux et nous apprenne à mépriser ce qui est terrestre pour n’aimer que les biens du ciel. Vous qui vivez.

Office

4e leçon

Sermon de saint Bonaventure, Évêque.

Étant une fois venus au très doux Cœur de Jésus et comme il est bon d’être là, ne nous laissons pas facilement séparer de celui dont il est écrit : « Ceux qui se retirent de vous seront écrits sur la terre ». Mais quel sera le partage de ceux qui s’en approchent ? Vous nous l’apprenez vous-mêmes. Vous avez dit à ceux qui venaient à vous : « Réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux ». Approchons-nous donc de vous, et nous tressaillirons et nous nous réjouirons en vous, nous souvenant de votre Cœur. « Oh ! Qu’il est avantageux et qu’il est agréable d’habiter » dans ce Cœur ! Je donnerai volontiers toutes choses, toutes les pensées et les affections de mon âme en échange de ce trésor, jetant toutes mes sollicitudes dans le Cœur du Seigneur Jésus, et sans nul doute ce Cœur me nourrira.

5e leçon

C’est à ce temple, à ce Saint des saints, à cette Arche du Testament, que j’adorerai, et que je louerai le nom du Seigneur, disant avec David : J’ai trouvé mon cœur pour prier mon Dieu. Et moi j’ai trouvé le Cœur de mon Roi, mon frère et mon tendre ami, Jésus. Ne l’adorerai-je pas ? Ayant donc trouvé ce Cœur qui est le vôtre et le mien, ô très doux Jésus, je vous prierai, ô vous qui êtes mon Dieu. Daignez seulement recevoir mes supplications dans ce sanctuaire où vous exaucez, ou plutôt attirez-moi tout entier dans votre Cœur. O Jésus, dont la beauté surpasse toute beauté, « lavez-moi encore plus de mon iniquité, et purifiez-moi de mon péché », afin qu’étant purifié par vous, je puisse approcher de vous qui êtes si pur, que je mérite d’habiter dans votre Cœur tous les jours de ma vie, et que je puisse voir et en même temps accomplir votre volonté.

6e leçon

Votre côté a été percé, pour qu’une entrée nous y fût ouverte. Votre Cœur a été blessé, afin qu’en lui et en vous, nous puissions habiter, à l’abri des perturbations du dehors. Toutefois il a encore été blessé pour que la blessure visible nous révélât la blessure invisible de l’amour. Pouvait-il mieux montrer cet amour ardent qu’en laissant blesser d’un coup de lance non seulement son corps, mais son Cœur aussi en même temps ? La blessure corporelle indique donc la blessure spirituelle. Qui n’aimerait ce Cœur profondément blessé ? Qui ne paierait d’amour celui qui a tant aimé ? Qui n’embrasserait un amant si chaste ? A nous qui demeurons encore dans notre enveloppe corporelle, à nous d’aimer de toutes nos forces, de payer d’amour, d’embrasser notre divin blessé, à qui des vignerons impies ont percé les mains et les pieds le côté et le Cœur ; à nous, de rester près de lui, afin qu’il daigne enchaîner du lien et blesser du trait de son amour, notre cœur encore dur et impénitent. — Désireux de voir honorer avec plus de dévotion et de ferveur, sous le symbole du Sacré-Cœur, la charité du Christ souffrant et mourant pour la rédemption du genre humain, et instituant en mémoire de sa mort le sacrement de son corps et de son sang ; souhaitant que les fidèles recueillissent plus abondamment les fruits de la divine charité, Clément XIII permit à plusieurs Églises de célébrer la Fête de ce Cœur très saint, Pie IX étendit cette fête à l’Église universelle, et enfin le souverain Pontife Léon XIII, accueillant les vœux du monde catholique, l’a élevée au rite double de première classe.

7e leçon

Homélie de saint Augustin, Évêque.

« Un des soldats ouvrit son côté avec une lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau ». L’Évangéliste s’est servi d’une expression choisie à dessein ; il ne dit pas : Il frappa son côté, ou : Il le blessa, ou toute autre chose, mais : « Il ouvrit », pour nous apprendre qu’elle fut en quelque sorte ouverte au Calvaire, la porte de la vie d’où sont sortis les sacrements de l’Église, sans lesquels on ne peut avoir d’accès à la vie qui est la seule véritable vie. Ce sang, qui a été répandu, a coulé pour la rémission des péchés, cette eau vient se mêler pour nous au breuvage du salut ; elle est à la fois un bain qui purifie et une boisson rafraîchissante. C’était la signification de cette porte que Noé eut ordre d’ouvrir au flanc de l’arche, pour y faire passer les animaux que devait épargner le déluge et qui représentaient l’Église.

8e leçon

Homélie de saint Jean Chrysostome.

Remarquez-vous quelle est la puissance de la vérité ? Par ce qu’ils font, les Juifs accomplissent une prophétie, car une de plus s’est ici vérifiée. « Les soldats vinrent donc, et ils rompirent les jambes des deux larrons » ; mais non celles du Christ. Toutefois, pour ne pas déplaire aux Juifs, ils lui ouvrirent le côté d’un coup de lance, continuant à l’insulter, même après sa mort. O volonté détestable et criminelle. Cependant, ne te laisse pas troubler, frère bien-aimé : les actes que leur inspiraient leurs mauvais sentiments tournaient tous à l’honneur de la vérité. Elle est accomplie, la prophétie disant : « Ils porteront leurs regards sur celui qu’ils ont transpercé ». Ce que les soldats viennent de faire n’a pas servi seulement à réaliser la parole du prophète mais encore à convaincre plus tard ceux qui devaient refuser de croire, comme Thomas et d’autres avec lui. En outre un profond mystère s’est également accompli au même instant, car : « il coula du sang et de l’eau ». Ce n’est ni par hasard ni sans but que ces deux sources jaillirent ; c’est d’elles que l’Église a été formée.

9e leçon

Homélie de saint Bonaventure, Évêque.

Or donc, c’a été pour que l’Église fût formée du côté du Christ endormi, qu’une disposition toute divine a voulu qu’un des soldats ouvrit avec une lance et transperçât ce flanc sacré, de manière à faire couler du sang et de l’eau, et à répandre le prix de notre salut. C’est cette effusion, provenant d’une source mystérieuse, de la source du Cœur, qui donna aux sacrements de l’Église la vertu de communiquer la vie de la grâce ; c’est là désormais, pour ceux qui vivent dans le Christ, le breuvage de la source vive qui rejaillit dans la vie éternelle. Lève-toi donc, ô âme, fidèle amie du Christ, ne cesse de veiller ; viens, approche tes lèvres pour t’abreuver aux fontaines du Sauveur.

Un nouveau rayon brille au ciel de la sainte Église, et vient échauffer nos cœurs. Le Maître divin donné par le Christ à nos âmes, l’Esprit Paraclet descendu sur le monde, poursuit ses enseignements dans la Liturgie sacrée. La Trinité auguste, révélée tout d’abord à la terre en ces sublimes leçons, a reçu nos premiers hommages ; nous avons connu Dieu dans sa vie intime, pénètre par la foi dans le sanctuaire de l’essence infinie. Puis, d’un seul bond, l’Esprit impétueux de la Pentecôte, entraînant nos âmes à d’autres aspects de la vérité qu’il a pour mission de rappeler au monde, les a laissées un long temps prosternées au pied de l’Hostie sainte, mémorial divin des merveilles du Seigneur. Aujourd’hui c’est le Cœur sacré du Verbe fait chair qu’il propose à nos adorations.

Partie noble entre toutes du corps de l’Homme-Dieu, le Cœur de Jésus méritait, en effet, au même titre que ce corps adorable, l’hommage réclamé par l’union personnelle au Verbe divin. Mais si nous voulons connaître la cause du culte plus spécial que lui voue la sainte Église, il convient ici que nous la demandions de préférence à l’histoire de ce culte lui-même et à la place qu’occupe au Cycle sacré la solennité de ce jour.

Un lien mystérieux réunit ces trois fêtes de la très sainte Trinité, du Saint-Sacrement et du Sacré-Cœur. Le but de l’Esprit n’est pas autre, en chacune d’elles, que de nous initier plus intimement à cette science de Dieu par la foi qui nous prépare à la claire vision du ciel. Nous avons vu comment Dieu, connu dans la première en lui-même, se manifeste par la seconde en ses opérations extérieures, la très sainte Eucharistie étant le dernier terme ici-bas de ces opérations ineffables. Mais quelle transition, quelle pente merveilleuse a pu nous conduire si rapidement et sans heurt d’une fête à l’autre ? Par quelle voie la pensée divine elle-même, par quel milieu la Sagesse éternelle s’est-elle fait jour, des inaccessibles sommets où nous contemplions le sublime repos de la Trinité bienheureuse, à cet autre sommet des Mystères chrétiens où l’a portée l’inépuisable activité d’un amour sans bornes ? Le Cœur de l’Homme-Dieu répond à ces questions, et nous donne l’explication du plan divin tout entier.

Nous savions que cette félicité souveraine du premier Être, cette vie éternelle communiquée du Père au Fils et des deux à l’Esprit dans la lumière et l’amour, les trois divines personnes avaient résolu d’en faire part à des êtres créés, et non seulement aux sublimes et pures intelligences des célestes hiérarchies, mais encore à l’homme plus voisin du néant, jusque dans la chair qui compose avec l’âme sa double nature. Nous en avions pour gage le Sacrement auguste où l’homme, déjà rendu participant de la nature divine par la grâce de l’Esprit sanctificateur, s’unit au Verbe divin comme le vrai membre de ce Fils très unique du Père. Oui ; « bien que ne paraisse pas encore ce que nous serons un jour, dit l’Apôtre saint Jean, nous sommes dès maintenant les fils de Dieu ; lorsqu’il se montrera, nous lui serons semblables », étant destinés à vivre comme le Verbe lui-même en la société de ce Père très-haut dans les siècles des siècles.

Mais l’amour infini de la Trinité toute-puissante appelant ainsi de faibles créatures en participation de sa vie bienheureuse, n’a point voulu parvenir à ses fins sans le concours et l’intermédiaire obligé d’un autre amour plus accessible à nos sens, amour créé d’une âme humaine, manifesté dans les battements d’un cœur de chair pareil au nôtre. L’Ange du grand conseil, chargé d’annoncer au monde les desseins miséricordieux de l’Ancien des jours, a revêtu, dans l’accomplissement de son divin message, une forme créée qui pût permettre aux hommes de voir de leurs yeux, de toucher de leurs mains le Verbe de vie, cette vie éternelle qui était dans le Père et venait jusqu’à nous]. Docile instrument de l’amour infini, la nature humaine que le Fils de Dieu s’unit personnellement au sein de la Vierge-Mère ne fut point toutefois absorbée ou perdue dans l’abîme sans fond de la divinité ; elle conserva sa propre substance, ses facultés spéciales, sa volonté distincte et régissant dans une parfaite harmonie, sous l’influx du Verbe divin, les mouvements de sa très sainte âme et de son corps adorable. Dès le premier instant de son existence, l’âme très parfaite du Sauveur, inondée plus directement qu’aucune autre créature de cette vraie lumière du Verbe qui éclaire tout homme venant en ce monde, et pénétrant par la claire vision dans l’essence divine, saisit d’un seul regard la beauté absolue du premier Être, et la convenance souveraine des divines résolutions appelant l’être fini en partage de la félicité suprême. Elle comprit sa mission sublime, et s’émut pour l’homme et pour Dieu d’un immense amour. Et cet amour, envahissant avec la vie le corps du Christ formé au même instant par l’Esprit du sang virginal, fit tressaillir son Cœur de chair et donna le signal des pulsations qui mirent en mouvement dans ses veines sacrées le sang rédempteur.

A la différence en effet des autres hommes, chez qui la force vitale de l’organisme préside seule aux mouvements du cœur, jusqu’à ce que les émotions, s’éveillant avec l’intelligence, viennent par intervalles accélérer ses battements ou les ralentir, l’Homme-Dieu sentit son Cœur soumis dès l’origine à la loi d’un amour non moins persévérant, non moins intense que la loi vitale, aussi brûlant dès sa naissance qu’il l’est maintenant dans les cieux. Car l’amour humain du Verbe incarné, fondé sur sa connaissance de Dieu et des créatures, ignora comme elle tout développement progressif, bien que Celui qui devait être notre frère et notre modèle en toutes choses manifestât chaque jour en mille manières nouvelles l’exquise sensibilité de son divin Cœur.

Quand il parut ici-bas, l’homme avait désappris l’amour, en oubliant la vraie beauté. Son cœur de chair lui semblait une excuse, et n’était plus qu’un chemin par où l’âme s’enfuyait des célestes sommets à la région lointaine où le prodigue perd ses trésors. A ce monde matériel que l’âme de l’homme eût dû ramener vers son Auteur, et qui la tenait captive au contraire sous le fardeau des sens, l’Esprit-Saint préparait un levier merveilleux : fait de chair lui aussi, le Cœur sacré, de ces limites extrêmes de la création, renvoie au Père, en ses battements, l’ineffable expression d’un amour investi de la dignité du Verbe lui-même. Luth mélodieux, vibrant sans interruption sous le souffle de l’Esprit d’amour, il rassemble en lui les harmonies des mondes ; corrigeant leurs défectuosités, suppléant leurs lacunes, ramenant à l’unité les voix discordantes, il offre à la glorieuse Trinité un délicieux concert. Aussi met-elle en lui ses complaisances. C’est l’unique organum, ainsi l’appelait Gertrude la Grande ; c’est l’instrument qui seul agrée au Dieu très-haut. Par lui devront passer les soupirs enflammés des brûlants Séraphins, comme l’humble hommage de l’inerte matière. Par lui seulement descendront sur le monde les célestes faveurs. Il est, de l’homme à Dieu, l’échelle mystérieuse, le canal des grâces, la voie montante et descendante.

L’Esprit divin, dont il est le chef-d’œuvre, en a fait sa vivante image. L’Esprit-Saint, en effet, bien qu’il ne soit pas dans les ineffables relations des personnes divines la source même de l’amour, en est le terme ou l’expression substantielle ; moteur sublime inclinant au dehors la Trinité bienheureuse, c’est par lui que s’épanche à flots sur les créatures avec l’être et la vie cet amour éternel. Ainsi l’amour de l’Homme-Dieu trouve-t-il dans les battements du Cœur sacré son expression directe et sensible ; ainsi encore verse-t-il par lui sur le monde, avec l’eau et le sang sortis du côté du Sauveur, la rédemption et la grâce, avant-goût et gage assuré de la gloire future.

« Un des soldats, dit l’Évangile, ouvrit le côté de Jésus par la lance, et il en sortit du sang et de l’eau ». Arrêtons-nous sur ce fait de l’histoire évangélique qui donne à la fête d’aujourd’hui sa vraie base ; et comprenons l’importance du récit qui nous en est transmis par saint Jean, à l’insistance du disciple de l’amour non moins qu’il la solennité des expressions qu’il emploie. « Celui qui l’a vu, dit-il, en rend témoignage, et son témoignage est véritable ; et il sait, lui, qu’il dit vrai, pour que vous aussi vous croyiez. Car ces choses sont arrivées, pour que l’Écriture fût accomplie ». L’Évangile ici nous renvoie au passage du prophète Zacharie annonçant l’effusion de l’Esprit de grâce sur la maison du vrai David et les habitants de Jérusalem. Et ils verront dans celui qu’ils ont percé », ajoutait le prophète.

Mais qu’y verront-ils, sinon cette grande vérité qui est le dernier mot de toute l’Écriture et de l’histoire du monde, à savoir que Dieu a tant aimé le monde, qu’il lui a donné son Fils unique, pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle » ?

Voilée sous les figures et montrée comme de loin durant les siècles de l’attente, cette vérité sublime éclata au grand jour sur les rives du Jourdain, quand la Trinité sainte intervint tout entière pour désigner l’Élu du Père et l’objet des divines complaisances. Restait néanmoins encore à montrer la manière dont cette vie éternelle que le Christ apportait au monde passerait de lui dans nous tous, jusqu’à ce que la lance du soldat, ouvrant le divin réservoir et dégageant les ruisseaux de la source sacrée, vînt compléter et parfaire le témoignage de la Trinité bienheureuse. « Il y en a trois, dit saint Jean, qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et le Saint-Esprit ; et ces trois n’en font qu’un. Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre : l’Esprit, l’eau et le sang ; et ces trois concourent au même but... Et leur témoignage est que Dieu nous a donné la vie éternelle, et qu’elle est dans son Fils ». Passage mystérieux qui trouve son explication dans la fête présente ; il nous montre dans le Cœur de l’Homme-Dieu le dénouement de l’œuvre divine, et la solution des difficultés que semblait offrir à la Sagesse du Père l’accomplissement des desseins éternels.

Associer des créatures à sa béatitude, en les faisant participantes dans l’Esprit-Saint de sa propre nature et membres de son Fils bien-aimé, telle était, disions-nous, la miséricordieuse pensée du Père ; tel est le but où tendent les efforts de la Trinité souveraine. Or, voici qu’apparaît Celui qui vient par l’eau et le sang, non dans l’eau seule, mais dans l’eau et le sang, Jésus-Christ ; et l’Esprit, qui de concert avec le Père et le Fils a déjà sur les bords du Jourdain rendu son témoignage, atteste ici encore que le Christ est vérité, quand il dit de lui-même que la vie est en lui. Car c’est l’Esprit, nous dit l’Évangile, qui sort avec l’eau du Cœur sacré, des sources du Sauveur, et nous rend dignes du sang divin qui l’accompagne. L’humanité, renaissant de l’eau et de l’Esprit, fait son entrée dans le royaume de Dieu ; et, préparée pour l’Époux dans les flots du baptême, l’Église s’unit au Verbe incarné dans le sang des Mystères. Vraiment sommes-nous avec elle désormais l’os de ses os et la chair de sa chair, associés pour l’éternité à sa vie divine dans le sein du Père.

Va donc, ô Juif ! Ignorant les noces de l’Agneau, donne le signal de ces noces sacrées. Conduis l’Époux au lit nuptial ; qu’il s’étende sur le bois mille fois précieux dont sa mère la synagogue a formé sa couche au soir de l’alliance ; et que de son Cœur sorte l’Épouse, avec l’eau qui la purifie et le sang qui forme sa dot. Pour cette Épouse il a quitté son Père et les splendeurs de la céleste Jérusalem ; il s’est élancé comme un géant dans la voie de l’amour ; la soif du désir a consumé son âme. Le vent brûlant de la souffrance a passé sur lui, desséchant tous ses os ; mais plus actives encore étaient les flammes qui dévoraient son Cœur, plus violents les battements qui précipitaient de ses veines sur le chemin le sang précieux du rachat de l’Épouse. Au bout de la carrière, épuisé, il s’est endormi dans sa soif brûlante. Mais l’Épouse, formée de lui durant ce repos mystérieux, le rappellera bientôt de son grand sommeil. Ce Cœur dont elle est née, brisé sous l’effort, s’est arrêté pour lui livrer passage ; au même temps s’est trouvé suspendu le concert sublime qui montait par lui de la terre au ciel, et la nature en a été troublée dans ses profondeurs. Et pourtant, plus que jamais, ne faut-il pas que chante à Dieu l’humanité rachetée ? Comment donc se renoueront les cordes de la lyre ? Qui réveillera dans le Cœur divin la mélodie des pulsations sacrées ?

Penchée encore sur la béante ouverture du côté du Sauveur, entendons l’Église naissante s’écrier à Dieu, dans l’ivresse de son cœur débordant : « Père souverain, Seigneur mon Dieu, je vous louerai, je vous chanterai des psaumes au milieu des nations. Lève-toi donc, ô ma gloire ! O réveille-toi, ma cithare et mon psaltérion ». Et le Seigneur s’est levé triomphant de son lit nuptial au matin du grand jour ; et le Cœur sacré, reprenant ses mélodies interrompues, a transmis au ciel les accents enflammés de la sainte Église. Car le Cœur de l’Époux appartient à l’Épouse, et ils sont deux maintenant dans une même chair.

Dans la pleine possession de celle qui blessa son Cœur, le Christ lui confirme tout pouvoir à son tour sur ce Cœur divin d’où elle est sortie. Là sera pour l’Église le secret de sa force. Dans les relations des époux, telles que les constitua le Seigneur à l’origine en vue de ce grand mystère du Christ et de l’Église, l’homme est le chef, et il n’appartient pas à la femme de le dominer dans les conseils ou la conduite des entreprises ; mais la puissance de la femme est qu’elle s’adresse au cœur, et que rien ne résiste à l’amour. Si Adam a péché, c’est qu’Ève a séduit et affaibli son cœur ; Jésus nous sauve, parce que l’Église a ravi son Cœur, et que ce Cœur humain ne peut être ému et dompté, sans que la divinité elle-même soit fléchie. Telle est, quant au principe sur lequel elle s’appuie, la dévotion au Sacré-Cœur ; elle est, dans cette notion première et principale, aussi ancienne que l’Église, puisqu’elle repose sur cette vérité, reconnue de tout temps, que le Seigneur est l’Époux et l’Église l’Épouse.

Les Pères et saints Docteurs des premiers âges n’exposaient point autrement que nous ne l’avons fait le mystère de la formation de l’Église du côté du Sauveur ; et leurs paroles, quoique toujours retenues par la présence des non-initiés autour de leurs chaires, ouvraient la voie aux sublimes et plus libres épanchements des siècles qui suivirent. « Les initiés connaissent l’ineffable mystère des sources du Sauveur, dit saint Jean Chrysostome ; de ce sang et de cette eau l’Église a été formée ; de là sont sortis les Mystères, en sorte que, t’approchant du calice redoutable, il faut y venir comme devant boire au côté même du Christ ». — « L’Évangéliste, explique saint Augustin, a usé d’une parole vigilante, ne disant pas de la lance qu’elle frappa ou blessa, mais ouvrit le côté du Seigneur. C’était bien une porte en effet qui se révélait alors, la porte de la vie, figurée par celle que Noé reçut l’ordre d’ouvrir au côté de l’arche, pour l’entrée des animaux qui devaient être sauvés du déluge et figuraient l’Église ».

« Entre dans la pierre, cache-toi dans la terre creusée, dans le côté du Christ », interprète pareillement au XIIe siècle un disciple de saint Bernard, le Bienheureux Guerric, abbé d’Igny. Et l’Abbé de Clairvaux lui-même, commentant le verset du Cantique : Viens, ma colombe, dans les trous de la pierre, dans la caverne de la muraille : « Heureuses ouvertures, dit-il, où la colombe est en sûreté et regarde sans crainte l’oiseau de proie volant à l’entour !... Que verrons-nous par l’ouverture ? Par ce fer qui a traversé son âme et passé jusqu’à son Cœur, voici qu’est révélé l’arcane, l’arcane du Cœur, le mystère de l’amour, les entrailles de la miséricorde de notre Dieu. Qu’y a-t-il en vous, ô Seigneur, que des trésors d’amour, des richesses de bonté ? J’irai, j’irai à ces celliers d’abondance ; docile à la voix du prophète, j’abandonnerai les villes, j’habiterai dans la pierre, j’aurai mon nid, comme la colombe, dans la plus haute ouverture ; placé comme Moïse à l’entrée du rocher, je verrai passer le Seigneur ». Au siècle suivant, le Docteur Séraphique, en de merveilleuses effusions, rappelle à son tour et la naissance de la nouvelle Ève du côté du Christ endormi, et la lance de Saül dirigée contre David et frappant la muraille, comme pour creuser dans Celui dont le fils de Jessé n’était que la figure, dans la pierre qui est le Christ, la caverne aux eaux purifiantes, habitation des colombes.

Mais nous ne pouvons qu’effleurer ces grands aperçus, écouter en passant la voix des Docteurs. Au reste, le culte de l’ouverture bénie du côté du Christ se confond le plus souvent, pour saint Bernard et saint Bonaventure, avec celui des autres plaies sacrées du Sauveur. Le Cœur sacré, organe de l’amour, ne se dégage pas encore suffisamment dans leurs écrits. Il fallait que le Seigneur intervînt directement pour faire découvrir et goûter au peuple chrétien, par l’intermédiaire de quelques âmes privilégiées, les ineffables conséquences des principes admis par tous dans son Église.

Le 27 janvier 1281, au monastère bénédictin d’Helfta, près Eisleben, en Saxe, l’Époux divin se révélait à l’épouse qu’il avait choisie pour l’introduire dans ses secrets et ses réserves les plus écartées. Mais ici nous céderons la parole à une voix plus autorisée que la nôtre. Gertrude, en la vingt-cinquième année de son âge, a été saisie par l’Esprit, dit en la Préface de sa traduction française l’éditeur du Legatus divinæ pietatis : elle a reçu sa mission, elle a vu, entendu, touché ; plus encore, elle a bu à cette coupe du Cœur divin qui enivre les élus, elle y a bu quand elle était encore en cette vallée d’absinthe, et ce qu’elle a pris à longs traits, elle l’a reversé sur les âmes qui voudront le recueillir et s’en montreront saintement avides. Sainte Gertrude eut donc pour mission de révéler le rôle et l’action du Cœur divin dans l’économie de la gloire divine et de la sanctification des âmes ; et sur ce point important nous ne séparerons pas d’elle sainte Mechtilde, sa compagne.

« L’une et l’autre, à l’égard du Cœur du Dieu fait homme, se distinguent entre tous les Docteurs spirituels et tous les mystiques des âges divers de l’Église. Nous n’en excepterons pas les Saints de ces derniers siècles, par lesquels Notre-Seigneur a voulu qu’un culte public, officiel, fût rendu à son Cœur sacré : ils en ont porté la dévotion dans toute l’Église ; mais ils n’en ont pas exposé les mystères multiples, universels, avec l’insistance, la précision, la perfection qui se rencontrent dans les révélations de nos deux Saintes.

Le Disciple bien-aimé de Jésus, qui avait reposé sur son sein, en la Cène, et avait pu entendre les battements de ce Cœur divin, qui sur la croix l’avait vu percé par la lance du soldat, en dévoila à Gertrude la glorification future, lorsqu’elle lui demanda pourquoi il avait gardé sous le silence ce qu’il avait senti lorsqu’il reposait sur ce Cœur sacré : « Ma mission, dit-il, fut d’écrire pour l’Église encore jeune un seul mot du Verbe incréé de Dieu le Père, lequel pourrait suffire à toute la race des hommes jusqu’à la fin du monde, Sans toutefois que jamais personne le comprît dans sa plénitude. Mais le langage de ces bienheureux battements du Cœur du Seigneur est réservé pour les derniers temps, alors que le monde vieilli et refroidi dans l’amour divin devra se réchauffer à la révélation de ces mystères ».

Gertrude fut choisie pour cette révélation, et ce qu’elle en a dit dépasse tout ce que l’imagination de l’homme aurait jamais pu concevoir. Tantôt le Cœur divin lui apparaît comme un trésor où sont renfermées toutes les richesses ; tantôt c’est une lyre touchée par l’Esprit-Saint, aux sons de laquelle se réjouissent la très sainte Trinité et toute la Cour céleste. Puis, c’est une source abondante dont le courant va porter le rafraîchissement aux âmes du Purgatoire, les grâces fortifiantes aux âmes qui militent sur la terre, et ces torrents de délices où s’enivrent les élus de la Jérusalem céleste. C’est un encensoir d’or, d’où s’élèvent autant de divers parfums d’encens qu’il y a de races diverses d’hommes pour lesquelles le Sauveur a souffert la mort de la croix. Une autre fois, c’est un autel sur lequel les fidèles déposent leurs offrandes, les élus leurs hommages, les anges leurs respects, et le Prêtre éternel s’immole lui-même. C’est une lampe suspendue entre ciel et terre ; c’est une coupe où s’abreuvent les Saints, mais non les Anges, qui néanmoins en reçoivent des délices. En lui la prière du Seigneur, le Pater noster, a été conçue et élaborée, elle en est le doux fruit. Par lui est suppléé tout ce que nous avons négligé de rendre d’hommages dus à Dieu, à la Sainte Vierge et aux Saints. Pour remplir toutes nos obligations, le Cœur divin se fait notre serviteur, notre gage ; en lui seul nos œuvres revêtent cette perfection, cette noblesse qui les rend agréables aux yeux de la Majesté divine ; par lui seul découlent et passent toutes les grâces qui peuvent descendre sur la terre. A la fin, c’est la demeure suave, le sanctuaire sacré qui s’ouvre aux âmes, à leur départ de ce monde, pour les y conserver dans d’ineffables délices pour l’éternité ».

En découvrant à Gertrude l’ensemble merveilleux que présente la traduction de l’amour infini dans le Cœur de l’Homme-Dieu, l’Esprit divin prévenait l’enfer au lieu même d’où devait surgir, deux siècles plus tard, l’apôtre des théories les plus opposées. En 1483, Luther naissait à Eisleben ; et son imagination désordonnée posait les bases de l’odieux système qui allait faire du Dieu très bon qu’avaient connu ses pères l’auteur direct du mal et de la damnation, créant le pécheur pour le crime et les supplices éternels, à la seule fin de manifester son autocratie toute-puissante. Calvin bientôt précisait plus encore, en enserrant les blasphèmes du révolté saxon dans les liens de sa sombre et inexorable logique. La queue du dragon, par ces deux hommes, entraîna la troisième partie des étoiles du ciel. Se transformant hypocritement au XVIIe siècle, changeant les mots, mais non les choses, l’ennemi tenta de pénétrer au sein même de l’Église et d’y faire prévaloir ses dogmes impies : sous prétexte d’affirmer les droits du domaine souverain du premier Être, le Jansénisme oubliait sa bonté. Celui qui a tant aimé le monde voyait les hommes, découragés ou terrifiés, s’éloigner toujours plus de ses intentions miséricordieuses.

Il était temps que la terre se souvînt que le Dieu très-haut l’avait aimée d’amour, qu’il avait pris un Cœur de chair pour mettre à la portée des hommes cet amour infini, et que ce Cœur humain, le Christ en avait fait usage selon sa nature, pour nous aimer comme on aime dans la famille d’Adam le premier père, tressaillir de nos joies, souffrir de nos tristesses, et jouir ineffablement de nos retours à ses divines avances. Qui donc serait chargé d’accomplir la prophétie de Gertrude la Grande ? Quel autre Paul, quel nouveau Jean manifesterait au monde vieilli le langage des bienheureux battements du divin Cœur ?

Laissant de côté tant d’illustrations d’éloquence et de génie qui remplissaient alors de leur insigne renommée l’Église de France, le Dieu qui fait choix des petits pour confondre les forts avait désigné, pour la manifestation du Cœur sacré, la religieuse inconnue d’un obscur monastère. Comme au XIIIe siècle il avait négligé les Docteurs et les grands Saints eux-mêmes de cet âge, pour solliciter auprès de la Bienheureuse Julienne du Mont-Cornillon l’institution de la fête du Corps du Seigneur, il demande de même la glorification de son Cœur divin par une fête solennelle à l’humble Visitandine de Paray-le-Monial, que le monde entier connaît et vénère aujourd’hui sous le nom de la Bienheureuse Marguerite-Marie.

Marguerite-Marie reçut donc pour mission de faire descendre des mystiques sommets, où il était resté comme la part cachée de quelques âmes bénies, le trésor révélé à sainte Gertrude. Elle dut le proposer à toute la terre, en l’adaptant à cette vulgarisation sublime. Il devint en ses mains le réactif suprême offert au monde contre le froid qui s’emparait de ses membres et de son cœur engourdis par l’âge, l’appel touchant aux réparations des âmes fidèles pour tous les mépris, tous les dédains, toutes les froideurs et tous les crimes des hommes des derniers temps contre l’amour méconnu du Christ Sauveur.

« Étant devant le Saint-Sacrement un jour de son Octave (en juin 1675), raconte elle-même la Bienheureuse, je reçus de mon Dieu des grâces excessives de son amour. Et me sentant touchée du désir de quelque retour, et de lui rendre amour pour amour, il me dit : « Tu ne m’en peux rendre un plus grand qu’en faisant ce que je t’ai déjà tant de fois demandé ». Alors me découvrant son divin Cœur : « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’il n’a rien épargné, jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour ; et pour reconnaissance je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris qu’ils ont pour moi dans ce Sacrement d’amour. Mais ce qui m’est encore le plus sensible est que ce sont des cœurs qui me sont consacrés qui en usent ainsi. C’est pour cela que je te demande que le premier vendredi d’après l’Octave du Saint-Sacrement soit dédié à une fête particulière pour honorer mon Cœur, en communiant ce jour-là et en lui faisant réparation d’honneur par une amende honorable, pour réparer les indignités qu’il a reçues pendant le temps qu’il a été exposé sur les autels. Je te promets aussi que mon Cœur se dilatera a pour répandre avec abondance les influences de son divin amour sur ceux qui lui rendront cet honneur, et qui procureront qu’il lui soit rendu ».

En appelant sa servante à être l’instrument de la glorification de son divin Cœur, l’Homme-Dieu faisait d’elle un signe de contradiction, comme il l’avait été lui-même. Il fallut dix ans et plus à Marguerite-Marie pour surmonter, à force de patience et d’humilité, la défiance de son propre entourage, les rebuts de ses Sœurs, les épreuves de tout genre.

Cependant, le 21 juin 1686, vendredi après l’Octave du Saint-Sacrement, elle eut enfin la consolation de voir la petite communauté de Paray-le-Monial prosternée au pied d’une image où le Cœur de Jésus percé par la lance était représenté seul, entouré de flammes et d’une couronne d’épines, avec la croix au-dessus et les trois clous. Cette même année, fut commencée dans le monastère la construction d’une chapelle en l’honneur du Sacré-Cœur ; la Bienheureuse eut la joie de voir bénir le modeste édifice quelque temps avant sa mort, arrivée l’an 1690. Mais il y avait loin encore de ces humbles débuts à rétablissement d’une fête proprement dite, et à sa célébration dans l’Église entière.

Déjà cependant la Providence avait pris soin de susciter, dans le même siècle, à la servante du Sacré-Cœur un précurseur puissant en parole et en œuvres. Né à Ri, au diocèse de Séez, en 1601, le Vénérable Jean Eudes avait porté partout, dans ses innombrables missions, la vénération et l’amour du Cœur de l’Homme-Dieu qu’il ne séparait pas de celui de sa divine Mère. Dès 1664, il creusait à Caen les fondations de la première église du monde, dit-il lui-même, qui porte le nom de l’église du Très-Saint Cœur de Jésus et de Marie » et Clément X, en 1674, approuvait cette dénomination. Après s’être borné longtemps à célébrer, dans la Congrégation qu’il avait fondée, la fête du très saint Cœur de Marie en unité de celui de Jésus, le Père Eudes voulut y établir une fête spéciale en l’honneur du Cœur sacré du Sauveur ; le 8 février demeura assigné à la fête du Cœur de la Mère, et le 20 octobre fut déterminé pour honorer celui de son divin Fils. L’Office et la Messe que le Vénérable composa à cette fin, en 1670, furent approuvés pour ses séminaires, dès cette année et la suivante, par l’évêque de Rennes et les évêques de Normandie. Cette même année 1670 les vit insérer au Propre de l’abbaye royale de Montmartre. En 1674, la fête du Sacré-Cœur était également célébrée chez les Bénédictines du Saint-Sacrement. Cependant on peut dire que la fête établie par le Père Eudes ne sortit guère des maisons qu’il avait fondées ou de celles qui recevaient plus directement ses inspirations. Elle avait pour objet de promouvoir la dévotion au Cœur de l’Homme-Dieu, telle qu’elle ressort du dogme même de la divine Incarnation, et sans but particulier autre que de lui rendre les adorations et les hommages qui lui sont dus. C’était à la Bienheureuse Marguerite-Marie qu’il était réservé de présenter aux hommes le Cœur sacré comme la grande voie de réparation ouverte à la terre. Confidente du Sauveur et dépositaire de ses intentions précises sur le jour et le but que le ciel voulait voir assigner à la nouvelle fête, ce fut elle qui resta véritablement chargée de la promulguer pour le monde et d’amener sa célébration dans l’Église universelle.

Pour obtenir ce résultat qui dépassait les forces personnelles de l’humble Visitandine, le Seigneur avait rapproché mystérieusement de Marguerite-Marie l’un des plus saints Religieux que possédât alors la Compagnie de Jésus, le R. P. Claude de la Colombière. Il reconnut la sainteté des voies par où l’Esprit divin conduisait la Bienheureuse, et se fit l’apôtre dévoué du Sacré-Cœur, à Paray d’abord, et jusqu’en Angleterre, où il mérita le titre glorieux de confesseur de la foi dans les rigueurs des prisons protestantes. Ce fervent disciple du Cœur de l’Homme-Dieu mourait en 1682, épuisé de travaux et de souffrances. Mais la Compagnie de Jésus tout entière hérita de son zèle à propager la dévotion au Sacré-Cœur. Bientôt s’organisèrent des confréries nombreuses, de tous côtés on éleva des chapelles en l’honneur de ce Cœur sacré. Mais l’enfer s’indigna de cette grande prédication d’amour ; les Jansénistes frémirent à cette apparition soudaine de la bonté et de l’humanité du Dieu Sauveur, qui prétendait ramener la confiance dans les âmes où ils avaient semé la crainte. On cria à la nouveauté, au scandale, à l’idolâtrie ou tout au moins à la dissection inconvenante des membres sacrés de l’humanité du Christ ; et pendant que s’entassaient à grands frais d’érudition dissertations théologiques et physiologiques, les gravures les moins séantes étaient répandues, des plaisanteries de mauvais goût mises en vogue, tous les moyens employés pour tourner en ridicule ceux qu’on appelait les Cordicoles.

Cependant l’année 1720 voyait fondre sur Marseille un fléau redoutable : apportée de Syrie sur un navire, la peste faisait bientôt plus de mille victimes par jour dans la cité de saint Lazare. Le Parlement janséniste de Provence était en fuite, et l’on ne savait où s’arrêterait le progrès toujours croissant de l’affreuse contagion, quand l’évêque, Mgr de Belzunce, réunissant les débris de son clergé fidèle et convoquant son troupeau sur le Cours qui depuis a pris le nom de l’héroïque pasteur, consacra solennellement son diocèse au Sacré-Cœur de Jésus. Dès ce moment, le fléau diminua ; et il avait cessé entièrement, lorsque, deux ans plus tard, il reparut, menaçant de recommencer ses ravages. Il fut arrêté sans retour à la suite du vœu célèbre par lequel les échevins s’engagèrent, pour eux et leurs successeurs à perpétuité, aux actes solennels de religion qui ont fait jusqu’à nos jours la sauvegarde de Marseille et sa gloire la plus pure.

Ces événements, dont le retentissement fut immense, amenèrent la fête du Sacré-Cœur à sortir des monastères de la Visitation où elle avait commencé de se célébrer au jour fixé par Marguerite-Marie, avec la Messe et l’Office du P. Eudes. On la vit, à partir de là, se répandre dans les diocèses. Lyon toutefois avait précédé Marseille. Autun vint en troisième lieu. On ne croyait pas alors en France qu’il fût nécessaire de recourir à l’autorité du Souverain Pontife pour l’établissement de nouvelles fêtes. Déférant aux vœux de la pieuse reine Marie Leczinska, les prélats qui formaient l’Assemblée de 1765 prirent une résolution pour établir la fête dans leurs diocèses, et engager leurs collègues à imiter cet exemple.

Mais la sanction formelle du Siège apostolique ne devait pas manquer plus longtemps à ces efforts de la piété catholique envers le divin Cœur. Rome avait déjà accordé de nombreuses indulgences aux pratiques privées, érigé par brefs d’innombrables confréries, lorsqu’en cette même année 1765, Clément XIII, cédant aux instances des évêques de Pologne et de l’archiconfrérie romaine du Sacré-Cœur, rendit le premier décret pontifical en faveur de la fête du Cœur de Jésus, et approuva pour cette fête une Messe et un Office. Des concessions locales étendirent peu à peu cette première faveur à d’autres Églises particulières, jusqu’à ce qu’enfin, le 23 août 1856, le Souverain Pontife Pie IX, de glorieuse mémoire, sollicité par tout l’Épiscopat français, rendit le décret qui insérait au Calendrier la fête du Sacré-Cœur et en ordonnait la célébration dans l’Église universelle. Trente-trois ans plus tard, Léon XIII élevait au rite de première classe la solennité que son prédécesseur avait établie.

La glorification du Cœur de Jésus appelait celle de son humble servante. Le 18 septembre 1864 avait vu la béatification de Marguerite-Marie proclamée solennellement par le même Pontife qui venait de donner à la mission qu’elle avait reçue la sanction définitive du Siège apostolique.

Depuis lors, la connaissance et l’amour du Sacré-Cœur ont progressé plus qu’ils n’avaient fait dans les deux siècles précédents. On a vu par tout le monde communautés, ordres religieux, diocèses, se consacrant à l’envi à cette source de toute grâce, seul refuge de l’Église en ces temps calamiteux. Les peuples se sont ébranlés en de dévots pèlerinages ; des multitudes ont passé les mers, pour apporter leurs supplications et leurs hommages au divin Cœur en cette terre de France, où il lui a plu de manifester ses miséricordes. Elle-même si éprouvée, notre patrie tourne les yeux, comme espoir suprême, vers le splendide monument qui s’élève sur le mont arrosé par le sang des martyrs ses premiers apôtres, et, dominant sa capitale, attestera pour les siècles futurs la foi profonde et la noble confiance qu’a su garder, dans ses malheurs, celle qui naquit et demeure à jamais la Fille aînée de la sainte Église.

O Cœur sacré, qui fûtes le lien de cette union puissante et si féconde, daignez rapprocher toujours plus votre Église et la France ; et qu’unies aujourd’hui dans l’épreuve, elles le soient bientôt dans le salut pour le bonheur du monde !

 

Fête du Sacré Coeur
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Saint Paulin de Nole confesseur

22 Juin 2022 , Rédigé par Ludovicus

Saint Paulin de Nole confesseur

Collecte

Dieu, vous avez promis à ceux qui abandonnent tout en ce siècle pour vous, le centuple dans le siècle à venir et la vie éternelle : accordez-nous, dans votre bonté ; que, suivant fidèlement les traces du saint Pontife Paulin, nous ayons la force de mépriser les biens de la terre et de désirer les seuls biens du ciel.

Office

Au deuxième nocturne.

Quatrième leçon. Pontius Meropius Anicius Paulin, né l’an trois cent cinquante-trois de la Rédemption, d’une famille très distinguée de citoyens romains, à Bordeaux, en Aquitaine, fut doué d’une intelligence vive et de mœurs douces. Sous la direction d’Ausone, il brilla de la gloire de l’éloquence et de la poésie. Très noble et très riche, il entra dans la carrière des charges publiques et, à la fleur de l’âge, conquit la dignité de sénateur. Ensuite, en qualité de consul, il se rendit en Italie et, ayant obtenu la province de Campanie, il établit sa résidence à Nole. Là, touché de la lumière divine, et à cause des signes célestes qui illustraient le tombeau de saint Félix, prêtre et martyr, il commença à s’attacher avec plus d’énergie à la véritable foi chrétienne, qu’il méditait déjà dans son esprit. Il renonça donc aux faisceaux et à la hache, qui n’avait encore été souillée par aucune exécution capitale ; retourné en Gaule, il fut ballotté par diverses épreuves et par de grands travaux sur terre et sur mer et perdit un œil ; mais guéri par le bienheureux Martin, évêque de Tours, il fut lavé dans les eaux lustrales du baptême par le bienheureux Delphin, évêque de Bordeaux.

Cinquième leçon. Méprisant les richesses qu’il possédait en abondance, il vendit ses biens, en distribua le prix aux pauvres et, quittant sa femme Therasia, changeant de patrie et brisant les liens de la chair, il se retira en Espagne, s’attachant ainsi à la pauvreté admirable du Christ, plus précieuse à ses yeux que l’univers entier. Un jour qu’à Barcelone, il assistait dévotement aux sacrés mystères, le jour solennel de la naissance du Seigneur, le peuple, transporté d’admiration, l’entoure avec tumulte et, malgré ses résistances, il fut ordonné prêtre par l’évêque Lampidius. Il retourna ensuite en Italie, fonda à Nole, où il avait été amené par le culte de saint Félix, un monastère près du tombeau de ce saint ; s’étant adjoint des compagnons, il commença une vie cénobitique. Illustre déjà par la dignité sénatoriale et la dignité consulaire, embrassant la folie de la croix, à l’admiration du monde presque entier, Paulin, revêtu d’une robe sans valeur, demeurait, au milieu des veilles et des jeûnes, la nuit et le jour, les yeux fixés dans la contemplation des choses célestes. Mais, comme son renom de sainteté croissait de plus en plus, il fut élevé à l’évêché de Nole et, dans l’accomplissement de sa .charge pastorale, il laissa des exemples merveilleux de piété, de sagesse et surtout de charité.

Sixième leçon. Au cours de ces travaux, il avait composé des écrits remplis de sagesse, traitant de la religion et de la foi ; souvent aussi, se laissant aller à la versification, il avait célébré dans des poèmes les actes des saints, acquérant un renom supérieur de poète chrétien. Il s’attacha par l’amitié et par l’admiration tout ce qu’il y avait à cette époque d’hommes éminents par la sainteté et la doctrine. Beaucoup affluaient de toutes parts vers lui, comme chez le maître de la perfection chrétienne. La Campanie ayant été ravagée par les Goths il employa à nourrir les pauvres et à racheter les prisonniers tout son avoir, ne gardant pas même pour lui les choses nécessaires à la vie. Plus tard, lorsque les Vandales ravageaient le même pays, une veuve le supplia de racheter pour elle son fils, pris par les ennemis ; comme il avait absorbé tous ses biens dans l’exercice de la charité, il se livra lui-même en esclavage pour cet enfant, et, jeté dans les fers, il fut emmené en Afrique. Enfin, gratifié de la liberté, non sans le secours visible de Dieu et revenu à Nole, le bon pasteur retrouva ses brebis chéries et là, dans sa soixante dix-huitième année, s’endormit dans le Seigneur d’une fin très tranquille. Son corps, enseveli près du tombeau de saint Félix, fut plus tard, à l’époque des Lombards, transféré à Bénévent, puis sous l’empereur Othon III, à Rome, dans la basilique de Saint-Barthélemy en l’île du Tibre. Mais le pape Pie X ordonna que les dépouilles sacrées de Paulin fussent restituées à Nole et éleva sa fête au rite double pour toute l’Église.

Au troisième nocturne.

Homélie de saint Paulin, Évêque.

Septième leçon. Le Seigneur tout-puissant aurait pu, très chers frères rendre tous les hommes également riches, de façon qu’aucun d’eux n’eût besoin d’un autre ; mais par un dessein de sa bonté infinie, le Seigneur miséricordieux et plein de pitié a ordonné les choses comme il l’a fait, afin d’éprouver vos dispositions. Il a fait le malheureux afin de pouvoir reconnaître celui qui est miséricordieux ; il a fait le pauvre afin de donner à l’homme opulent l’occasion d’agir. Le but des richesses, c’est, pour vous, la pauvreté de votre frère, « si vous avez l’intelligence de l’indigent et du pauvre », si vous ne possédez pas seulement pour vous ce que vous avez reçu ; et cela, parce que Dieu vous a remis en ce siècle la part de votre frère aussi, Dieu voulant vous devoir ce que vous aurez offert spontanément au moyen de ses dons aux indigents, et désirant vous enrichir en retour au jour éternel de la part qu’aura votre frère. C’est par les mains des pauvres, en effet, que le Christ reçoit maintenant, et alors, au jour éternel, il rendra pour eux en son nom.

Huitième leçon. Réconfortez celui qui a faim et vous n’aurez pas de crainte au jour mauvais de la colère qui doit venir. « Bienheureux, en effet, dit Dieu, celui qui a l’intelligence de l’indigent et du pauvre, au jour mauvais le Seigneur le délivrera. » Travaillez donc et cultivez avec soin cette partie de votre terre, mon frère, afin qu’elle fasse germer pour vous une moisson fertile, pleine de la graisse du froment, vous apportant, avec des intérêts élevés, le fruit au centuple de la semence qui se multiplie. Dans la recherche et la culture de cette possession et de ce travail, l’avarice est sainte et salutaire ; car une pareille avidité, qui mérite le royaume du ciel et soupire après le bien éternel, est la racine de tous les biens. Souhaitez donc ardemment de telles richesses et possédez un tel patrimoine que le créancier doit compenser en fruits centuplés, pour enrichir aussi vos héritiers avec vous des biens éternels. Car cette possession est vraiment grande et précieuse, qui ne charge pas son possesseur d’un fardeau temporel, mais l’enrichit d’un revenu éternel.

Neuvième leçon. Veillez donc, mes très chers, avec une sollicitude de tous les instants et un travail assidu pour la justice, non seulement à rechercher les biens éternels, mais à mériter d’éviter des maux sans nombre. Car nous avons besoin d’une grande aide et d’une grande protection ; nous avons besoin de nous appuyer sur des prières nombreuses et incessantes. Notre adversaire, en effet, ne se repose pas et l’ennemi très vigilant bloque toutes nos voies pour nous perdre. En outre, en ce siècle se jettent sur nos âmes de nombreuses croix, des dangers innombrables, les fléaux des maladies, les feux des fièvres et les flèches des douleurs ; les torches des passions s’allument, partout sont cachés des filets tendus sous nos pas, de toutes parts nous voyons avec terreur des glaives tirés, la vie se passe en embûches et en combats et nous marchons sur des feux recouverts d’une cendre trompeuse. Avant donc de vous exposer, conduits par les circonstances ou par votre volonté, à quelque fléau de telles douleurs, hâtez-vous de devenir agréables et chers au médecin, afin qu’au temps où vous en aurez besoin, vous trouviez tout prêt le remède salutaire. Autre chose est de prier seul pour vous-même, autre chose d’avoir une multitude d’intercesseurs s’empressant pour vous auprès de Dieu.

Dans les jours de l’enfance du Sauveur, Félix de Nole était venu réjouir nos yeux par le spectacle de sa sainteté triomphante et si humble, qui nous révèle sous un de ses aspects les plus doux la puissance de notre Emmanuel. Illuminé de tous les feux de la Pentecôte, Paulin s’élève de cette même ville de Nole à son tour, faisant hommage de sa gloire à celui dont il fut la conquête. La voie sublime par laquelle il devait gagner les sommets des cieux, ne s’offrit point à lui, en effet, tout d’abord ; et ce fut Félix qui, sur le tard déjà, jeta dans son âme les premiers germes du salut.

Héritier d’une fortune immense, à vingt-cinq ans préfet de Rome, sénateur et consul, Paulin était loin de penser qu’il pût y avoir une carrière plus honorable pour lui, plus profitable au monde, que celle où l’engageaient ainsi les traditions de son illustre famille. Et certes alors, au regard des sages de ce siècle, c’était une vie intègre, s’il en fut, que la sienne, entourée des plus nobles amitiés, soutenue par l’estime méritée des petits et des grands, trouvant son repos dans ce culte des lettres qui, dès les années de son adolescence, l’avait rendu l’honneur de la brillante Aquitaine où Bordeaux lui donna le jour. Combien, qui ne le valaient pas, sont aujourd’hui encore proposés pour modèles d’une vie laborieuse et féconde ?

Un jour, cependant, voici que ces existences qui semblent si remplies, n’offrent plus à Paulin lui-même que le spectacle d’hommes « tourbillonnant au milieu de jours vides, et, pour trame de leur vie, tissant d’œuvres vaines une toile d’araignée »! Que s’est-il donc passé ? C’est qu’un jour, dans la fertile Campanie soumise à son gouvernement, Paulin s’est rencontré près de la tombe de l’humble prêtre proscrit jadis par cette Rome, dont les terribles faisceaux qu’on porte devant lui signifient la puissance ; et les flots d’une lumière nouvelle ont envahi son âme ; Rome et sa puissance sont rentrées dans la nuit, devant l’apparition « des grands droits du Dieu redoutable ». A plein cœur, le descendant des vieilles races qui soumirent le monde donne sa foi à Dieu ; le Christ qui se révèle à lui dans la lumière de Félix, a conquis son amour Assez cherché, assez couru vainement : il trouve enfin ; et ce qu’il trouve, c’est que rien ne vaut mieux que de croire à Jésus-Christ.

Dans la droiture de sa grande âme, il ira jusqu’aux dernières conséquences de ce principe nouveau qui remplace pour lui tous les autres. Jésus a dit : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; et puis viens, suis-moi ». Paulin n’hésite pas. Ce n’est pas lui qui négligera le meilleur, et préférera le moindre ; parfait jusque-là pour le monde, pourrait-il maintenant ne point l’être pour Dieu ? A l’œuvre donc ! déjà ne sont plus à lui ces possessions immenses, que l’on appelait des royaumes ; les divers peuples de l’empire, chez qui s’étendaient au soleil ces incalculables richesses, sont dans la stupeur d’un commerce nouveau : Paulin vend tout, pour acheter la croix et suivre avec elle son Dieu. Car, il le sait : l’abandon des biens de ce monde n’est que l’entrée du stade, et non la course elle-même ; l’athlète n’est pas vainqueur par le seul fait qu’il laisse ses habits, mais il ne se dépouille que pour commencer à combattre ; et le nageur a-t-il donc passé le fleuve, parce que déjà il est nu sur le bord ?

Paulin, dans son empressement, a coupé plutôt qu’il n’a détaché le câble qui retenait sa barque au rivage. Le Christ est son nautonier. Aux applaudissements de sa noble épouse Thérasia, qui ne sera plus que sa sœur et son émule, il vogue jusqu’au port assuré de la vie monastique, ne songeant qu’à sauver son âme. Un seul point le tient encore en suspens : se retirera-t-il à Jérusalem, où tant de souvenirs semblent appeler un disciple du Christ ? Mais, avec la franchise de sa forte amitié, Jérôme qu’il a consulté lui répond : « Aux clercs les villes, aux moines la solitude. Ce serait une suprême folie que de quitter le monde, pour vivre au milieu d’une foule plus grande qu’auparavant. Si vous voulez être ce qu’on vous nomme, c’est-à-dire moine, c’est-à-dire seul, que faites-vous dans les villes, qui, à coup sûr, ne sont pas l’habitation des solitaires, mais de la multitude ? Chaque vie a ses modèles. Nos chefs à nous sont les Paul et les Antoine, les Hilarion et les Macaire ; nos guides, Élie, Élisée, tous ces fils des Prophètes qui habitaient dans la campagne et les solitudes, et dressaient leurs tentes près des bords du Jourdain ».

Paulin suivit les conseils du solitaire de Bethléhem ; préférant son titre de moine à l’habitation même de la cité sainte, il chercha le petit champ dont lui parlait Jérôme, au territoire de Nole, mais en dehors de la ville, près de la glorieuse tombe où il avait vu la lumière. Jusqu’à son dernier jour, Félix lui tiendra lieu ici-bas de patrie, d’honneurs, de fortune, de parenté. C’est dans son sein, comme dans un nid très doux, qu’il fera sa croissance, changeant par la vertu de la divine semence du Verbe qui est en lui sa forme terrestre, et recevant dans son être nouveau les célestes ailes, objet de son ambition, qui relèveront jusqu’à Dieu. Que le monde ne compte plus sur lui pour relever ses fêtes, ou lui confier ses charges : absorbé dans la pénitence et l’humiliation volontaire, l’ancien consul n’est plus que le dernier des serviteurs du Christ et le gardien d’un tombeau.

A la nouvelle d’un pareil renoncement donné en spectacle au monde, la joie fut grande parmi les saints du ciel et de la terre ; mais non moindre se manifesta l’étonnement indigné, le scandale des politiques, des prudents du siècle, de tant d’hommes pour qui l’Évangile ne vaut, qu’autant qu’il ne heurte pas les préjugés à courte vue de leur sagesse mondaine. « Que vont dire les grands ? écrivait saint Ambroise. D’une telle famille, d’une telle race, si bien doué, si éloquent, quitter le sénat, arrêter la succession d’une pareille suite d’ancêtres : cela ne se peut supporter. Voilà bien ces hommes, qui, quand il s’agit de leurs fantaisies, ne trouvent point étrange de s’infliger les transformations les plus ridicules ; arrive-t-il qu’un chrétien soucieux de la perfection change de costume, ils crient à l’indignité ! »

Paulin ne s’émut point de ces attaques, pas plus qu’il ne compta que son exemple serait suivi d’un grand nombre. Il savait que Dieu manifeste en quelques-uns ce qui pourrait profiter à tous, s’ils le voulaient, et que cela suffit à justifier sa Providence. Comme le voyageur ne se laisse point détourner de sa route par les aboiements des chiens qui le regardent passer, ceux, disait-il, qui s’engagent dans les étroits sentiers du Seigneur doivent négliger les réflexions des profanes et des sots, se félicitant de déplaire à qui Dieu déplaît ; l’Écriture nous suffit pour savoir que penser d’eux et de nous.

Résolu de ne point répondre, et de laisser les morts ensevelir leurs morts, une exception toutefois s’imposa au cœur de notre saint, par le côté des sentiments les plus délicats, en faveur d’Ausone son ancien maître. Paulin était resté l’élève préféré du rhéteur fameux à l’école de qui venaient se former, dans ces temps, les empereurs eux-mêmes ; Ausone toujours s’était montré pour lui un ami, un père ; l’âme transpercée par le départ de ce fils de sa tendresse, le vieux poète avait exhalé ses plaintes en des accents qui touchèrent celui-ci.

Paulin voulut tâcher d’élever cette âme qui lui était chère au-dessus des futilités de la forme, et des mythologiques vanités où continuait de s’enfermer sa vie ; il justifia donc sa démarche dans un poème dont la grâce exquise devait charmer Ausone, et l’amener peut-être à goûter la profondeur du sens chrétien, qui inspirait à son ancien élève une poésie si nouvelle pour le disciple attardé d’Apollon et des Muses.

« Père, lui disait-il, pourquoi vouloir me rappeler au culte des Muses ? Une autre puissance domine aujourd’hui mon âme, un Dieu plus grand qu’Apollon. Le vrai, le bon, je l’ai trouvé à la source même du bien et de la vérité, en Dieu vu dans son Christ. Échangeant sa divinité pour notre humanité dans un commerce sublime, homme et Dieu, ce maître des vertus transforme notre être, et remplace par de chastes voluptés les plaisirs d’autrefois. Par la foi dans la vie future, il dompte en nous les vaines agitations de la vie présente. Ces richesses que nous semblons mépriser, il ne les rejette pas comme impures ou sans prix ; mais, apprenant à les mieux aimer, il nous les fait confiera Dieu qui, en retour, promet davantage. N’appelez pas stupide celui qui s’adonne au plus avantageux, au plus sûr des négoces. Et la piété, pourrait-elle donc être absente d’un chrétien ? et pourrais-je ne pas vous la témoigner, ô père à qui je dois tout : science, honneurs, renommée ; qui, par vos soins, m’avez, en cultivant ses dons, préparé pour le Christ ! Oui ; le Christ s’apprête à vous récompenser, pour ce fruit qu’a nourri votre sève : ne rejetez pas sa louange, ne reniez pas les eaux parties de vos fontaines. Mon éloignement irrite votre tendresse ; mais pardonnez à qui vous aime, si je fais ce qui est expédient.

J’ai voué mon cœur à Dieu, j’ai cru au Christ ; sur la foi des divins conseils, j’ai acheté des biens du temps la récompense éternelle. Père, je ne puis croire que cela soit par vous taxé de folie. Pareils errements ne m’inspirent aucun repentir, et il me plaît d’être tenu pour insensé par ceux qui suivent une voie contraire ; il me suffit que mon sentiment soit tenu pour sage par le Roi éternel. Tout ce qui est de l’homme est court, infirme, caduc, et, sans le Christ, poussière et ombre ; qu’il approuve ou condamne, tant vaut le jugement que le juge : il meurt, et son jugement passe avec lui. Au moment du dépouillement suprême, elle sera tardive la lamentation, et peu recevable l’excuse de celui qui aura craint les vaines clameurs des langues humaines, et n’aura point redouté la vengeresse colère du Juge divin. Pour moi, je crois, et la crainte est mon aiguillon : je ne veux pas que le dernier jour me saisisse endormi dans les ténèbres, ou chargé de poids tels que je ne puisse m’envoler d’une aile légère au-devant de mon Roi dans les cieux. C’est pourquoi, coupant court aux hésitations, aux attaches, aux plaisirs de ce monde, j’ai voulu parer à tout événement ; vivant encore, j’en ai fini des soucis de l’a vie ; j’ai confié à Dieu mes biens pour les siècles à venir, afin de pouvoir d’un cœur tranquille attendre la terrible mort. Si vous l’approuvez, félicitez un ami riche d’espérances ; sinon, souffrez que je m’en tienne à l’approbation de Jésus-Christ ».

Rien mieux qu’un tel langage ne saurait nous donner une idée de ce qu’étaient nos pères du vieil âge, avec leur simplicité si pleine en même temps de grâce et de force, et cette logique de la foi qui, s’appuyant de la parole de Dieu, n’avait besoin d’aucune autre chose pour atteindre d’un bond tous les héroïsmes. Où trouver rien qui, on peut le dire, se déduise plus naturellement que les résolutions dont Paulin nous fait part ? Quel sens pratique, dans toute la vraie et grande signification du mot, ce Romain garde dans sa sainteté ! On reconnaît bien là l’aimable correspondant de saint Augustin, qui, interrogé par le grand docteur sur son opinion touchant certains points douteux de la vie future, lui répondait d’une façon si charmante : « Vous daignez me demander mon avis sur ce que sera l’occupation des bienheureux, après la résurrection de la chair. Mais si vous saviez comme je m’inquiète bien plus de la vie présente, de ce que j’y suis, de ce que j’y puis faire ! Soyez mon maître et mon médecin ; apprenez-moi à faire la volonté de Dieu, à marcher sur vos traces à la suite du Christ ; que, tout d’abord, j’arrive à mourir comme vous de cette mort évangélique qui précède et assure l’autre ».

Cependant notre saint, qui ne voulait qu’imiter et apprendre, apparaissait bientôt comme l’un des plus lumineux flambeaux de l’Église. L’humble retraite où il prétendait se cacher, était devenue le rendez-vous des plus illustres patriciens et patriciennes, le centre d’attraction de toutes les grandes âmes de ce siècle. Des points les plus divers, Ambroise, Augustin, Jérôme, Martin, et leurs disciples, élevaient la voix dans un concert de louange que nous allions dire unanime, si, pour la plus grande sainteté de son serviteur, Dieu n’avait permis, au commencement, une exception douloureuse. Certains membres du clergé de Rome, émus dans un autre sens qu’il ne convenait des marques de vénération données à ce moine, s’étaient efforcés, non sans succès, de circonvenir sous un prétexte spécieux le Pontife suprême ; Sirice en vint presque à séparer Paulin de sa communion. La mansuétude, la longanimité du serviteur de Dieu, ne tardèrent pas au reste à ramener Sirice lui-même de l’erreur où l’avait mis son entourage, et l’envie dut porter ses morsures ailleurs.

L’espace nous fait défaut pour esquisser plus longuement cette noble existence. La Légende qui lui est consacrée, si courte qu’elle soit, complétera ces pages. Rappelons, en finissant, que la Liturgie est grandement redevable à saint Paulin pour les détails précieux que renferment ses lettres et ses poèmes, principalement sur l’architecture chrétienne et le symbolisme de ses diverses parties, le culte des images, l’honneur rendu aux Saints et à leurs reliques sacrées. Une tradition, qui malheureusement n’est point suffisamment établie pour exclure tous les doutes, fait également remonter jusqu’à lui l’usage liturgique des cloches ; agrandissant les dimensions de la clochette antique, il l’aurait transformée dans ce majestueux instrument si bien digne de devenir le porte-voix de l’Église elle-même, et auquel la Campanie et Nole ont donné leur nom (nolæ, campanæ).

Paulin évêque de Nole, instruit dans les lettres humaines et les saintes Écritures, composa en vers et en prose beaucoup d’œuvres remarquables. Sa charité surtout fut célèbre. Lorsque les Goths ravageaient la Campanie, il consacra tout ce qui lui restait à la nourriture des pauvres et au rachat des captifs, ne se réservant pas même le nécessaire pour vivre. Ce fut alors, raconte saint Augustin, que réduit volontairement à la dernière pauvreté après une extrême opulence, mais immensément riche de sainteté, il fut pris par les barbares et fit cette prière : Seigneur, ne permettez pas que je sois tourmenté pour de l’or ou de l’argent ; car vous savez où sont tous mes biens. Dans la suite, les Vandales infestant ces mêmes contrées, une veuve vint le supplier de lui racheter son fils, et, comme il avait tout dépensé en œuvres de miséricorde, il se livra lui-même en servitude à titre d’échange.

Étant donc passé en Afrique, on lui donna à cultiver le jardin de son maître qui était le gendre du roi. Or il arriva qu’ayant prophétisé à ce maître la mort de son beau-père, et le roi lui-même ayant vu en songe Paulin assis au milieu de deux autres juges, qui lui enlevait un fouet des mains, on reconnut quel grand personnage était ainsi captif ; il fut renvoyé comblé d’honneurs et accompagné de tous les prisonniers de sa ville, dont il obtint la liberté. De retour à Noie, il avait repris sa charge d’évêque, enflammant tout le monde et d’exemple et de parole pour les pratiques de la piété chrétienne, lorsqu’il fut saisi d’une douleur de côté ; bientôt la chambre où il était couché fut ébranlée par un tremblement de terre, et peu après il rendit son âme à Dieu.

Vos biens vous sont maintenant rendus, ô vous qui avez cru à la parole du Seigneur ! Lorsque tant d’autres, en ce siècle qui vit les barbares, cherchèrent vainement à garder leur trésor, le vôtre était en sûreté. Que de lamentations parvinrent jusqu’à vous, dans l’effroyable écroulement de cet empire dont vous aviez été l’un des premiers magistrats ! Assurément ceux de vos collègues dans les honneurs, ceux de vos compagnons d’opulence qui n’avaient point imité votre renoncement volontaire, n’étaient en cela coupables d’aucune faute ; mais à l’heure terrible où la puissance n’était qu’un titre à de plus grands maux, où la richesse ne valait plus à ses possesseurs que désespoir et tortures, combien, même pour ce monde, votre prudence apparut la meilleure ! Vous vous étiez dit que le royaume des cieux souffre violence, et que ce sont les violents qui le ravissent ; mais la violence que vous vous étiez imposée, en brisant pour de meilleures attaches vos liens d’ici-bas, était-elle comparable à celle que plus d’un de vos détracteurs d’alors eut à subir, sans profit pour cette vie et pour l’autre ? Ainsi en arrive-t-il souvent, même en dehors de ces temps lamentables où la ruine semble s’abattre sur l’univers. Les privations que Dieu réclame des siens pour les conduire dans les sentiers de la vie parfaite, n’égalent point la souffrance fréquemment rencontrée par les mondains dans le chemin de leur préférence.

Et combien étaient mal venus à vous reprocher comme une désertion la retraite où vous conviait Jésus-Christ, ces hommes, les Albinus, les Symmaque, dont l’attachement obstiné au paganisme expirant amenait sur Rome ce déluge de colère ! Si l’empire eût pu être sauvé, il l’eût été par vos imitateurs, Pammachius, Aper, et d’autres, trop peu nombreux, qui vous faisaient dire : « O Rome, tu pourrais ne point craindre les menaces portées contre toi dans l’Apocalypse, si tes sénateurs comprenaient toujours ainsi le devoir de leur charge ». Quel contrepoids, en effet, n’eussent pas offert à la vengeance, si le spectacle en eût été moins rare, des réunions pareilles à celle que vous chantez dans l’un de vos plus beaux poèmes ! C’était au lendemain de la formidable invasion de Radagaise ; la vieille Rome, mourante, invoquait plus follement que jamais ses faux dieux ; mais, de Noie, la louange montait vers le Très-Haut, puissante comme le vivant psaltérion dont les accords la faisaient s’élever jusqu’au ciel. Noble instrument, dont les dix cordes s’appelaient, d’une part, Aemilius, Paulin, Apronianus, Pinianus, Asterius ; de l’autre, Albina, Therasia, Avita, Mélanie, Eunomia : tous clarissimes, suivant les traces de Cécile et de Valérien ou voués à Dieu dès l’enfance ; tous semblables en vertu dans un sexe dissemblable, et ne formant qu’un chœur au tombeau de Félix pour l’exécution des hymnes sacrées. A leur suite et avec eux, une troupe nombreuse d’illustres personnages et de vierges chantaient de même au Seigneur, apaisant son courroux contre une terre maudite, et retardant du moins ses coups. Dix justes auraient sauvé Sodome ; mais il fallait plus pour la Babylone ivre du sang des martyrs, pour la mère des fornications et des abominations du monde entier.

La récompense ne vous en est pas moins acquise ; et, même en dehors de vous, votre labeur n’a point été stérile. Stérile, jamais la foi ne peut l’être ; depuis le temps d’Abraham, elle n’a point cessé d’être le grand élément de la fécondité pour le monde. Si les Romains dégénérés n’ont point voulu comprendre, en ce IVe siècle, la leçon qui leur était donnée par les héritiers des plus nobles familles de leur empire, s’ils n’ont point su voir où était le salut, de votre foi et de celle de vos illustres compagnons est née pour le ciel une nouvelle race, honneur d’une Rome nouvelle, et dépassant les hauts faits du vieux patriciat. Comme vous, « contemplant à la divine lumière les premiers âges et ceux qui suivirent, nous admirons l’œuvre profonde du Créateur, et cette lignée mystérieuse préparée dans la nuit des siècles antiques aux Romains d’autrefois ».

Gloire donc à vous, qui n’avez point écouté d’une oreille sourde l’Évangile, et, fort de la foi, l’avez emporté sur le prince de ce monde. Rendez à nos temps, si semblables aux vôtres du côté de la ruine, ce franc amour de la vérité, cette simplicité de la foi qui, dans les IVe et Ve siècles, sauvèrent du naufrage la société baptisée. La lumière n’est pas moindre aujourd’hui qu’alors ; elle a même grandi, incessamment accrue par le travail des docteurs et les définitions des pontifes. Mais la vérité, toujours également puissante à sauver les hommes, ne délivre pourtant que ceux qui vivent d’elle ; et voilà pourquoi, hélas ! le dogme, toujours mieux et plus pleinement défini, ne relève pas le monde en nos jours. C’est qu’il ne devrait pas rester lettre morte ; ce n’est point à l’état de théorie spéculative que Jésus-Christ l’a transmis à son Église, et cette Église, quand elle l’expose à ses fils, n’entend pas davantage charmer simplement, par des agréments de style ou l’ampleur de ses développements, les oreilles de ceux qui l’écoutent. La parole de Dieu est une semence ; on la jette en terre, non pour l’y cacher, mais pour qu’elle germe et se fasse jour, dominant toute autre germination autour d’elle parce que son droit comme sa puissance est de s’approprier tous les sucs du sol qui l’a reçue, pour transformer la terre même et lui faire rendre ce que Dieu en attend. Puisse-t-elle du moins, cette divine semence, ô Paulin, produire son plein effet dans tous ceux qui maintenant vous admirent et vous prient ! Sans diminuer l’Écriture, sans prétendre interpréter au gré de nos terrestres penchants ce que disait le Seigneur, vous avez pris à la lettre dans votre loyauté ce qui devait l’être ; et c’est pourquoi, aujourd’hui, vous êtes saint. Que toute parole de Dieu soit également pour nous sans appel ; qu’elle demeure la règle suprême de nos actes et de nos pensées.

En ce jour qui précède immédiatement la vigile de la fête consacrée à honorer la naissance de Jean-Baptiste, nous ne saurions oublier votre dévotion si profonde à l’Ami de l’Époux. La place que vous occupez sur le Cycle vous rend pour nous l’avant-coureur de celui qui fut le précurseur de Dieu en terre. Préparez nos âmes à saluer l’apparition de cet astre éclatant ; puissent-elles, comme la vôtre, être échauffées par ses rayons, et célébrer dignement les grandeurs que vous avez chantées en lui.

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Saint Louis de Gonzague confesseur

21 Juin 2022 , Rédigé par Ludovicus

Saint Louis de Gonzague confesseur

Collecte

Ô Dieu, vous distribuez les biens célestes, et vous avez réuni dans le jeune et angélique Louis, une merveilleuse innocence à la pratique de la mortification : faites, qu’en nous appuyant sur ses mérites et son intercession : si nous n’avons pas sa pureté, nous imitions au moins sa pénitence.

Office

Au deuxième nocturne.

Quatrième leçon. Louis, fils de Ferdinand de Gonzague, marquis de Castiglione et d’Esté, parut naître au ciel avant de naître à la terre, car sa vie se trouvant en danger, on se hâta de le baptiser. Il garda avec tant de fidélité cette première innocence, qu’on l’aurait cru confirmé en grâce. Dès qu’il eut l’usage de sa raison il s’en servit pour s’offrir à Dieu, et mena chaque jour une vie plus sainte. A l’âge de neuf ans, il fit, à Florence, devant l’autel de la bienheureuse Vierge, qu’il ne cessa d’honorer comme sa mère, le vœu d’une perpétuelle virginité ; par un insigne bienfait du Seigneur, il devait la conserver sans qu’aucune révolte du corps ou de l’âme vînt jamais l’éprouver. Il se mit, dès cet âge, à réprimer si fortement les autres troubles intérieurs, qu’il n’en ressentit, dans la suite, plus même le premier mouvement. Il maîtrisait si bien ses sens et surtout ses yeux, que, non seulement il ne regarda jamais Marie d’Autriche, quoiqu’il dût la saluer presque tous les jours pendant plusieurs années, étant au nombre des pages d’honneur de l’infant d’Espagne ; mais qu’il s’abstenait même de considérer le visage de sa propre mère. Aussi fut-il appelé à juste titre un homme sans la chair, ou un ange dans la chair.

Cinquième leçon. A la garde des sens, Louis joignait la mortification corporelle. Il jeûnait trois fois la semaine, se contentant d’ordinaire d’un peu de pain et d’eau ; mais, à vrai dire, son jeûne semble avoir été, en ce temps, perpétuel, puisque là quantité de nourriture prise à ses repas égalait à peine une once. Souvent aussi il déchirait sa chair, trois fois en un même jour, au moyen de cordes ou de chaînes ; quelquefois des laisses de chien lui servaient de discipline et des éperons remplaçaient pour lui le cilice. Trouvant sa couche trop molle, il y glissait secrètement des morceaux de bois, afin de la rendre plus dure et de s’éveiller plus tôt pour prier ; il passait en effet une grande partie de la nuit dans la contemplation des choses divines, couvert d’un seul vêtement, même au plus fort de l’hiver, demeurant à genoux sur le sol, ou bien encore courbé et prosterné par faiblesse ou fatigue. Parfois il gardait une complète immobilité dans la prière, trois, quatre ou cinq heures de suite, tant qu’il n’avait pas au moins durant une heure, évité toute distraction. La récompense de cette constance fut une stabilité d’esprit telle que sa pensée ne s’égarait jamais durant l’oraison, mais restait perpétuellement fixée en Dieu comme en une sorte d’extase. Pour s’attacher uniquement au Seigneur, Louis, ayant enfin triomphé des résistances de son père, après un très rude combat de trois années, et renoncé en faveur d’un frère à ses droits sur la principauté de ses ancêtres, vint à Rome s’associer à la Compagnie de Jésus, à laquelle il s’était entendu appeler par une voix céleste, lorsqu’il se trouvait à Madrid.

Sixième leçon. Dès le noviciat, on commença à le regarder comme un maître en toutes sortes de vertus Sa fidélité aux règles, ce même aux moindres lois était d’une exactitude extrême ; son mépris du monde sans égal ; sa haine de lui même, implacable ; son amour pour Dieu, si ardent, qu’il consumait peu à peu ses forces corporelles. Aussi en vint-on -à lui prescrire de détourner pour un temps sa Pensée des choses divines ; mais en vain s’efforçait-il de fuir son Dieu, qui partout se présentait à lui. Également animé d’une admirable charité envers le prochain, Louis contracta auprès des malades qu’il servait avec zèle dans les hôpitaux publics, un mal contagieux, qui dégénéra en une lente consomption. Au jour qu’il avait prédit, le treize des calendes de juillet, au début de sa vingt-quatrième année, il passa de la terre au ciel, après avoir demandé qu’on le flagellât et qu’on le laissât mourir étendu sur le sol. Dieu le montra à sainte Madeleine de Pazzi en possession d’une si grande gloire, que la sainte n’aurait pas cru qu’il y en eût de semblable en paradis. Elle affirma qu’il avait été d’une sainteté extraordinaire, et que la charité avait fait de lui un martyr inconnu. De nombreux et éclatants miracles le rendirent illustre et leur preuve juridique décida Benoît XIII à inscrire aux fastes des Saints cet angélique jeune homme, et à le donner, principalement à la jeunesse studieuse, comme un modèle d’innocence et de chasteté, en même temps qu’un protecteur.

Au troisième nocturne.

Homélie de saint Jean Chrysostome.

Septième leçon. La virginité est bonne, j’en conviens avec toi ; et même elle vaut mieux que le mariage, je te l’accorde aussi volontiers ; et s’il est permis, j’ajouterai qu’elle est supérieure au mariage, autant que le ciel est au-dessus de la terre, autant que les Anges sont au-dessus des hommes en excellence ; et s’il reste quelque chose à ajouter après cela, au lieu de dire autant, je dirai encore plus. Car s’il n’y a ni épouses ni époux parmi les Anges, il faut dire aussi qu’ils ne sont pas formés de chair et de sang. En outre, ils n’habitent point sur la terre, ils ne sont pas sujets aux troubles des sens et aux désordres des passions. Ils n’ont pas besoin de manger et de boire ; ils ne sont point tels qu’une voix douce, une molle harmonie, un beau visage puissent les charmer : en un mot, aucun attrait de ce genre ne les séduit.

Huitième leçon. Mais l’espèce humaine, bien qu’elle soit naturellement inférieure à ces esprits bienheureux, met toute sa force et toute son application à leur ressembler, autant qu’elle en est capable. Comment cela ? Les Anges ne connaissent point l’union conjugale ; ni les vierges non plus. Les Anges, toujours en présence de Dieu, sont tout à son service ; les vierges font de même. Si les vierges, tant que le poids du corps les retient en bas ne peuvent monter dans-le ciel, une compensation, et très grande, les console ; car il leur est permis, pourvu qu’elles soient pures d’esprit et de corps, de recevoir le roi du ciel. Vois-tu l’excellence de la virginité ? Comme elle relève les habitants de la terre, au point d’assimiler ceux qui sont revêtus d’un corps aux pures intelligences !

Neuvième leçon. Car, en quoi, je le demande, Élie, Élisée, Jean, ces véritables amateurs de la virginité, diffèrent-ils des Anges ? En rien, sinon qu’ils étaient de nature mortelle. Si quelqu’un s’applique à chercher en eux d’autres différences, il ne les trouvera pas autrement doués que ces esprits bienheureux. Et même, ce en quoi ils paraissent d’une condition inférieure doit leur être compté comme un grand mérite. En effet, pour que des habitants de la terre puissent arriver à la hauteur de cette vertu, à force d’énergie et d’application, vois de quelle force, de quelle sagesse de conduite il faut qu’ils soient pourvus.

 

Oh ! combien grande est la gloire de « Louis fils d’Ignace ! Je ne l’aurais jamais cru, si mon Jésus ne me l’avait montrée. Je n’aurais jamais cru qu’il y eût dans le ciel de gloire aussi grande ». C’est Madeleine de Pazzi, dont nous célébrions il y a moins d’un mois la mémoire, qui s’exprime ainsi dans l’une de ses admirables extases. Des hauteurs du Carmel, d’où sa vue plonge par delà les cieux, elle révèle au monde l’éclat dont rayonne au milieu des célestes phalanges le jeune héros que nous fêtons en ce jour.

Et pourtant, la vie si courte de Louis n’avait semblé offrir aux yeux distraits du grand nombre que les préliminaires, pour ainsi dire, d’une existence brisée dans sa fleur avant d’avoir donné ses fruits. Mais Dieu ne compte pas comme les hommes, et leurs appréciations sont de peu de poids dans ses jugements. Pour ses saints mêmes, le nombre des années, les actions éclatantes, remplissent moins une vie à ses yeux que l’amour. L’utilité d’une existence humaine ne doit-elle pas s’estimer, par le fait, à la mesure de ce qu’elle produit de durable ? Or, au delà du temps la charité reste seule, fixée pour jamais au degré d’accroissement que cette vie passagère a su lui donner. Peu importe donc si, sans la durée, sans les œuvres qui paraissent, l’élu de Dieu développe en lui l’amour autant et plus que tel autre dans les labeurs, si saints qu’ils soient, d’une longue carrière admirée par les hommes.

L’illustre Compagnie qui donna Louis de Gonzague à l’Église, doit la sainteté de ses membres et la bénédiction répandue sur leurs œuvres, à la fidélité qu’elle professa toujours pour cette importante vérité où toute vie chrétienne doit chercher sa lumière. Dès le premier siècle de son histoire, il semble que le Seigneur Jésus, non content de lui laisser prendre pour elle son nom béni, ait eu à cœur de faire en sorte qu’elle ne pût oublier jamais où résidait sa vraie force, dans la carrière militante et active entre toutes qu’il ouvrait devant elle. Les œuvres resplendissantes d’Ignace son fondateur, de François Xavier l’apôtre des Indes, de François de Borgia la noble conquête de l’humilité du Christ, manifestèrent en eux à tous les regards une merveilleuse sainteté ; mais elles n’eurent point d’autre base que les vertus cachées de cet autre triumvirat glorieux où, sous l’œil de Dieu, par la seule force de l’oraison contemplative, Stanislas Kostka, Louis de Gonzague et Jean Berchmans s’élevèrent dans ce même siècle jusqu’à l’amour, et, par suite, jusqu’à la sainteté de leurs héroïques pères.

C’est encore Madeleine de Pazzi, la dépositaire des secrets de l’Époux, qui nous révélera ce mystère. Dans le ravissement où la gloire de Louis se découvre à ses yeux, elle continue sous le souffle de l’Esprit divin : « Qui jamais expliquera, s’écrie-t-elle, le prix et la puissance des actes intérieurs ? La gloire de Louis n’est si grande, que parce qu’il opérait ainsi au dedans. De l’intérieur à ce qui se voit, aucune comparaison n’est possible. Louis, tant qu’il vécut sur terre, eut l’œil attentif au regard du Verbe, et c’est pourquoi il est si grand. Louis fut un martyr inconnu : quiconque vous aime, mon Dieu, vous connaît si grand, si infiniment aimable, que ce lui est un grand martyre de reconnaître qu’il ne vous aime pas autant qu’il désire aimer, et que vous n’êtes pas aimé de vos créatures, mais offensé !... Aussi lui-même fit son martyre. Oh ! Combien il a aimé sur terre ! C’est pourquoi, maintenant au ciel, il possède Dieu dans une souveraine plénitude d’amour. Mortel encore, il déchargeait son arc au cœur du Verbe ; et maintenant qu’il est au ciel, ces flèches reposent dans son propre cœur. Car cette communication de la divinité qu’il méritait par les flèches de ses actes d’amour et d’union avec Dieu, maintenant, en toute vérité, il la possède et l’embrasse ».

Aimer Dieu, laisser sa grâce tourner notre cœur vers l’infinie beauté qui seule peut le remplir, tel est donc bien le secret de la perfection la plus haute. Et qui ne voit combien cet enseignement de la fête présente, répond au but que poursuit l’Esprit-Saint depuis sa venue dans les jours de la glorieuse Pentecôte ? Ce suave et silencieux enseignement, Louis le donna partout où s’arrêtèrent ses pas durant sa courte carrière. Né pour le ciel, dans le saint baptême, avant même que de naître complètement à la terre, il fut un ange dès son berceau ; la grâce, passant de lui dans les personnes qui le portaient entre leurs bras, les remplissait de sentiments célestes. A quatre ans, il suivait dans les camps le marquis son père ; et quelques fautes inconscientes, qui n’avaient pas même terni son innocence, devenaient, pour toute sa vie, le point de départ d’une pénitence qu’on eût prise pour l’expiation nécessaire au plus grand des pécheurs. Il n’avait que neuf ans, lorsque, conduit à Florence pour s’y perfectionner dans l’étude de la langue italienne, il se montra l’édification de la cour du duc François où grandissait alors la future reine de France, Marie de Médicis, plus jeune que Louis de quelques années ; les attraits de cette cour, la plus brillante de l’Italie, ne réussirent qu’à le détacher pour jamais du monde ; ce fut alors qu’aux pieds de la miraculeuse image de l’Annonciade, il consacra à Notre-Dame sa virginité.

L’Église elle-même, dans la Légende, nous dira le reste de cette vie où, comme il arrive toujours chez les âmes pleinement dociles à l’Esprit-Saint, la plus céleste piété ne fit jamais tort aux devoirs de la terre. C’est parce qu’il fut véritablement le modèle en tout de la jeunesse studieuse, que Louis mérita d’en être déclaré protecteur. Intelligence d’élite, fidèle au travail comme à la prière au milieu du tumulte des villes, il se rendit maître de toutes les sciences alors exigées d’une personne de sa condition. Des négociations épineuses concernant les intérêts de ce siècle, lui furent plus d’une fois confiées ; et l’on vit à quel point il eût excellé dans le gouvernement des hommes et le maniement des affaires. Là encore, il devait servir d’exemple à tant d’autres, que leurs proches ou de faux amis prétendent retenir sur le seuil de la vie religieuse par la considération du bien qu’ils sont capables de faire, du mal qu’ils pourraient empêcher : comme si le Très-Haut, pour sa part de réserve plus spéciale au milieu des nations, devait se contenter des nullités impuissantes ; comme si les aptitudes de la plus riche nature ne pouvaient pas toujours se retourner vers Dieu, leur principe, d’autant mieux et plus complètement qu’elles sont plus parfaites. Ni l’État, ni l’Église, au reste, ne perdent jamais rien à cette retraite pour Dieu, à cet abandon apparent des sujets les meilleurs : si, dans l’ancienne loi, Jéhovah se montrait jaloux qu’on offrit à son autel le meilleur en toute sorte de biens, ce n’était pas pour appauvrir son peuple ; qu’on le reconnaisse ou non, la principale force de la société, la source des bénédictions qui gardent le monde, résidera toujours dans ces holocaustes aimés du Seigneur.

« La prudence de l’homme lui tient lieu de cheveux blancs, dit le Sage ; la vieillesse vraiment vénérable ne s’estime point au nombre des années ». Et c’est pourquoi, ô Louis, vous occupez une place d’honneur parmi les anciens de votre peuple. Gloire de la Compagnie sainte au milieu de laquelle, en si peu de temps, vous remplîtes la course d’une longue existence, obtenez qu’elle continue de garder précieusement, pour elle et les autres, l’enseignement qui se dégage de votre vie d’innocence et d’amour. Le seul vrai gain de l’homme à la fin de sa carrière est la sainteté, et c’est au dedans que la sainteté s’acquiert ; les œuvres du dehors n’entrent en compte, pour Dieu, que selon la pureté du souffle intérieur qui les inspire ; si l’occasion fait défaut pour ces œuvres, l’homme peut y suppléer en se rapprochant du Seigneur, dans le secret de son âme, autant et plus qu’il n’eût fait par elles. Ainsi l’aviez-vous compris ; et l’oraison, qui vous tenait absorbé dans ses inénarrables délices, en vint à égaler votre mérite à celui des martyrs. Aussi, de quel prix n’était pas à vos yeux ce céleste trésor de l’oraison, toujours à notre portée comme il le fut à la vôtre ! Mais pour y trouver comme vous la voie abrégée de toute perfection, selon vos propres paroles, il y faut la persévérance et le soin d’éloigner de l’âme, par une répression généreuse de la nature, toute émotion qui ne serait pas de Dieu. Comment une eau bourbeuse ou agitée par les vents, reproduirait-elle l’image de celui qui se tient sur ses bords ? Ainsi l’âme souillée, et celle-là même qui, sans être l’esclave des passions, n’est point maîtresse encore de toute agitation provenant de la terre, n’arrivera point au but de l’oraison qui est de reproduire en elle l’image tranquille de son Dieu.

La reproduction du grand modèle fut parfaite en vous ; et l’on put constater combien la nature en ce qu’elle a de bon, loin de pâtir et de perdre, gagne au contraire à cette refonte au divin creuset. Même en ce qui touche les plus légitimes affections, vous n’aviez plus de regards du côté de la terre ; mais voyant tout en Dieu, combien les sens n’étaient-ils pas dépasses dans leur infirmité menteuse, et combien aussi par là même croissait votre amour ! Témoin vos suaves prévenances, ici-bas et du haut du ciel, pour l’admirable mère que vous avait donnée le Seigneur : où trouver plus de tendresse que dans les épanchements de la lettre si belle écrite par vous à cette digne mère d’un saint, dans les derniers jours de votre pèlerinage ? Et quelle délicatesse exquise ne vous conduisait pas à lui réserver votre premier miracle, une fois dans la gloire ! Par ailleurs, l’Esprit-Saint, en vous embrasant de tous les feux de la divine charité, développait en vous pour le prochain un amour immense ; caria charité est une ; et on le vit bien, quand vous sacrifiâtes votre vie pour les malheureux pestiférés.

Ne cessez pas, illustre Saint, d’assister nos misères ; soyez propice à tous. Conduite par le successeur de Pierre au pied de votre trône, la jeunesse surtout se réclame de votre puissant patronage. Dirigez ses pas sollicités en tant de sens contraires ; que la prière et le travail pour Dieu soient sa sauvegarde ; éclairez-la, lorsque s’impose à elle le choix d’un état de vie. Puissiez-vous, durant ces critiques années de l’adolescence, user pour elle largement de votre beau privilège et protéger dans vos dévots clients l’angélique vertu ! Enfin, ô Louis, que ceux-là même qui ne vous auront pas imité innocent, vous suivent du moins dans la pénitence, ainsi que l’Église le demande au Seigneur en ce jour de votre fête.

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Lundi dans l’Octave de la Fête-Dieu

20 Juin 2022 , Rédigé par Ludovicus

Lundi dans l’Octave de la Fête-Dieu

Office

4e leçon

Du Sermon de saint Jean Chrysostome

Le Christ s’unit par ces mystères à chacun des fidèles ; ceux auxquels il a donné la vie, il les nourrit par lui-même ; il ne se repose pas de ce soin sur autrui ; vous convainquant ainsi de nouveau qu’il a pris notre chair. Ne nous laissons donc pas aller à la torpeur, après avoir été jugés dignes de tant de charité et d’honneur. N’avez-vous pas vu avec quel empressement les petits enfants se jettent au sein de leurs mères, et avec quelle avidité ils appliquent leurs lèvres à leurs mamelles ? Approchons-nous avec la même diligence de cette table sainte, de ces mamelles où nous puisons un breuvage spirituel ; que dis-je ? Plus avides encore que des enfants qui sucent le lait, aspirons la grâce de l’Esprit-Saint ; et que notre seule douleur soit d’être privés de cette nourriture céleste. Ce que nous avons sous les yeux n’est pas l’œuvre de la puissance humaine ; celui qui opéra autrefois ces merveilles dans la cène, est le même qui les opère encore maintenant. Nous ne sommes que ses ministres ; c’est lui qui sanctifie, c’est lui qui transforme. Qu’il n’y ait donc pas ici de Judas, ni d’avare ; car cette table n’admet pas ceux qui sont tels. Si quelqu’un est disciple de Jésus-Christ, que celui-là s’approche ; il a dit en effet : Je veux faire la Pâque avec mes disciples. Ce banquet est le même que celui de la dernière cène, il n’a rien de moins. L’un n’a pas été dû au Christ et l’autre à un homme, mais celui-ci pareillement est l’œuvre du Christ.

5e leçon

Que personne ne s’approche avec des sentiments inhumains, personne de cruel et d’impitoyable, personne d’impur. En parlant ainsi, je m’adresse à vous qui recevez les saints mystères, et à vous qui les dispensez. Vous aussi, vous avez besoin d’entendre de telles instructions, afin que vous distribuiez ces dons avec autant de discernement que de zèle. Ce n’est pas un léger supplice qui vous menace, si vous permettez à une âme coupable de participer à ce banquet. Il vous sera demandé compte du sang du Christ. Serait-ce un chef d’armée, un puissant magistrat, un prince couronné du diadème, interdisez-lui l’accès de cette table, s’il s’en approche indignement : vous avez une autorité supérieure à la sienne. C’est pour que vous exerciez un tel discernement que Dieu vous a honorés du sacerdoce. En cela consiste votre dignité, en cela votre sécurité, en cela toute votre couronne ; et non à entourer l’autel revêtus de la tunique éclatante de blancheur. Quant à toi, laïque, lorsque tu vois le prêtre offrant le sacrifice, ne pense pas que ce soit le Prêtre qui fait cette action ; mais vois à l’autel la main du Christ, invisiblement étendue.

6e leçon

Écoutons encore une fois, nous Prêtres, et vous qui leur êtes soumis, de quel aliment nous avons été rendus dignes ; écoutons et tremblons. Il nous fait la grâce de nous nourrir de sa chair sacrée ; il se livre lui-même à nous, immolé. Quelle sera donc notre excuse si nous commettons de si grands péchés, après avoir été rassasiés d’une telle nourriture ; si nous devenons des loups, après avoir mangé l’Agneau ; si, nourris comme des brebis par notre pasteur, nous déchirons comme des lions ? Car ce mystère demande qu’on évite non seulement le vol, mais aussi toute inimitié, même la plus légère, puisque c’est un mystère de paix. Dieu ordonna aux Juifs de célébrer des fêtes chaque année en reconnaissance de ses bienfaits ; à vous, Chrétiens, de le recevoir chaque jour, au moyen de ces mystères. Que nul Judas, nul Simon ne s’approche de cette table ; l’avarice les a perdus l’un et l’autre, détournons-nous de cet abîme.

7e leçon

Homélie de saint Augustin, Évêque

« Voici le pain qui est descendu du ciel ». Ce pain, la manne l’a représenté ; ce pain, l’autel de Dieu l’a eu en figure. Ce furent là des sacrements. Entre eux et le nôtre, il y a diversité dans les signes, mais parité dans la chose signifiée. Écoutez l’Apôtre : « Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous passé la mer, qu’ils ont tous été baptisés sous Moïse, dans la nuée et dans la mer, et qu’ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle ». Remarquez : la nourriture spirituelle est tout à fait la même ; car, différente est la nourriture corporelle ; eux, ils avaient la manne ; nous, nous avons autre chose. Comme nourriture spirituelle, ils avaient la même que nous et que nos pères aussi (je ne dis pas leurs pères, je dis nos pères, ceux auxquels nous ressemblons, et non ceux auxquels ils ont ressemblé). L’apôtre ajoute : « Ils ont tous bu le même breuvage spirituel ». Si, à la vérité, le breuvage bu par eux était différent du nôtre, sous le rapport de l’apparence visible, c’était le même cependant, eu égard à la vertu spirituelle qu’il signifiait. Et comment était-il le même ? « Ils buvaient, continue l’Apôtre, de la pierre spirituelle qui les suivait, et cette pierre était le Christ ». De là, le pain ; de là, le breuvage. Cette pierre était pour eux le Christ en figure ; pour nous, c’est le Christ en vérité dans la parole et dans sa chair. Et par quel moyen en ont-ils bu ? La pierre fut frappée de deux coups de verge : ces deux coups signifiaient les deux pièces du bois de la croix.

8e leçon

Les fidèles connaissent le corps du Christ, si toutefois ils ont soin d’être eux-mêmes le corps du Christ. Qu’ils deviennent le corps du Christ, s’ils veulent vivre de l’Esprit du Christ. Il n’y a que le corps du Christ qui vive de l’Esprit du Christ. Comprenez, mes frères, ce que je dis. Tu es homme, tu as un esprit et tu as un corps. J’appelle esprit, cette âme par laquelle tu es un homme ; tu es, en effet, constitué d’une âme et d’un corps. Tu as un esprit invisible et un corps visible. Dis-moi lequel des deux fait vivre l’autre ? Est-ce ton corps qui communique la vie à ton esprit, ou ton esprit à ton corps ? Tout homme vivant peut répondre à cette question ; celui qui ne peut y répondre, je ne sais s’il vit réellement. Or, que répond celui qui vit ? Sans aucun doute, dit-il, mon corps reçoit la vie de mon esprit. Veux-tu donc aussi vivre de l’Esprit du Christ, fais partie du corps du Christ.

9e leçon

Serait-ce ton esprit qui ferait vivre mon corps ? Certainement non ; mon esprit fait vivre mon corps, ton esprit fait vivre le tien. De même le corps du Christ ne peut vivre que de l’Esprit du Christ. Voilà pourquoi, en nous parlant de ce pain, l’Apôtre saint Paul s’exprime ainsi : « Nous sommes tous un seul pain, un seul corps ». O sacrement d’amour ! ô symbole d’unité ! ô lien de charité ! Celui qui veut vivre sait où il jouira de la vie, où il la puisera. Qu’il s’approche et qu’il croie, qu’il soit incorporé pour entrer en participation de la vie ; qu’il ne se détache point de l’étroite union avec les membres ; qu’il ne soit point un membre corrompu qui mérite d’être retranché, ni un membre difforme dont on ait à rougir : qu’il soit beau, qu’il soit bien proportionné, qu’il soit sain ; qu’il demeure uni au corps ; qu’il vive de Dieu et pour Dieu ; qu’il travaille maintenant sur la terre, afin de régner plus tard dans le ciel.

« Le Seigneur l’a juré, et son serment sera sans repentir : Vous êtes Prêtre pour jamais selon l’Ordre de Melchisédech ». Ainsi chantaient au Messie attendu les fils de Lévi, dans le plus beau de leurs psaumes. Famille auguste et privilégiée, couronne de frères rangée dans sa gloire autour de l’autel d’où s’élevait tout le jour la fumée des victimes, ils célébraient sur la harpe sacrée le sacerdoce des biens à venir, et proclamaient leur future déchéance. Ombre et figure, leur sacerdoce devait s’évanouir à la clarté des divines réalités du Calvaire. Ils avaient dû à l’égarement des nations d’être appelés à maintenir la religion du vrai Dieu dans son temple unique ; mais ce précaire honneur allait finir au temps de la réconciliation du monde. Fils de Juda par David, le Christ Pontife ne tient rien d’Aaron ; c’est par delà Moïse, avant la naissance des douze Patriarches et d’Israël leur père, que le chantre inspiré, remontant les âges, salue le type d’un sacerdoce que ne limiteront plus l’espace ou la durée. Melchisédech reçoit dans Abraham les hommages de Lévi son fils ; le dépositaire de la promesse est béni par ce chef de nations incirconcises ; et cette bénédiction puissante, qui s’étend à la race entière du patriarche, tire sa vertu d’un sacrifice mystérieux : l’offrande pacifique du pain et du vin au Dieu Très-Haut.

Le sacerdoce du Roi de justice et de paix, qui précède en dignité comme par le temps celui d’Aaron, doit aussi lui survivre. C’est à l’heure même où Dieu, faisant alliance avec une famille séparée, semblait abandonner les nations et se disposait à constituer l’Ordre lévitique en dehors d’elles, que le roi-pontife de Salem, sans commencement ni fin marqués dans l’Écriture, apparaît subitement comme la plus imposante image du Pontife éternel offrant le divin mémorial qui doit perpétuer sur terre le grand Sacrifice, et remplacer à jamais les immolations sanglantes du mosaïsme.

Le Sacrifice de la Croix domine les siècles et remplit l’éternité. Un seul jour néanmoins le vit offrir dans la série des âges, comme un seul lieu dans l’espace. Et toutefois en aucun lieu, en aucun temps, l’homme ne peut se passer du Sacrifice accompli sans cesse, renouvelé sans fin sous ses yeux ; car, nous l’avons vu, le Sacrifice est le centre nécessaire de toute religion, et l’homme ne peut se passer de la religion qui le rattache à Dieu comme Seigneur suprême, et forme le premier des liens sociaux. De même donc que, pour répondre à cette impérieuse nécessité dès l’origine, la Sagesse établit ces offrandes figuratives qui annonçaient l’unique Sacrifice et tiraient de lui leur valeur ; de même, l’oblation de la grande Victime une fois accomplie, doit-elle subvenir encore aux besoins des nations et pourvoir le monde d’un Sacrifice permanent : mémorial et non plus figure, vrai Sacrifice, qui, sans détruire l’unité de celui de la Croix, applique ses fruits chaque jour aux membres nouveaux des générations à venir.

Nous ne raconterons point ici la Cène du Seigneur et l’institution du nouveau sacerdoce, qui s’élève d’autant au-dessus de l’ancien que les promesses sur lesquelles il repose sont elles-mêmes plus élevées, et plus auguste l’alliance dont il forme la base. Le Jeudi saint nous a dit les détails de cette histoire d’amour. C’est alors qu’au terme enfin de ses aspirations éternelles, quum facta esset hora, à cette heure tant différée, la Sagesse s’assied au banquet de l’alliance avec ces douze hommes représentants de l’humanité tout entière. Fermant le cycle des figures dans une dernière immolation de l’Agneau pascal : « J’ai désiré d’un immense désir manger cette Pâque avec vous », s’écrie-t-elle en l’Homme-Dieu, comme soulageant son cœur en ce moment suprême des longues vicissitudes qu’a subies son amour. Et soudain, prévenant les Juifs, elle immole sa victime, l’Agneau divin signifié par Abel, prédit par Isaïe, montré par Jean le Précurseur . Et, par une anticipation merveilleuse, déjà bouillonne dans la coupe sacrée le sang qui bientôt coulera sur le Calvaire ; déjà sa main divine présente aux disciples le pain changé au corps devenu la rançon du monde : « Mangez, buvez-en tous ; et, de même que pour vous en ce moment j’ai prévenu ma mort, quand j’aurai disparu de ce monde, faites ceci en mémoire de moi ».

L’alliance désormais est fondée. Scellé comme l’ancien dans le sang, le Testament nouveau se déclare ; et s’il ne vaut dès lors qu’en prévision de la mort réelle du testateur, c’est que le Christ, victime dévouée pour tous à la vengeance souveraine, est convenu, dans un pacte sublime avec le Père, de n’attacher la rédemption universelle qu’au drame terrible du lendemain. Chef de l’humanité coupable, et responsable à Dieu des crimes de sa race, il veut, pour détruire le péché, se conformer aux lois sévères de l’expiation, et manifester à la face du monde en ses tourments les droits de la justice éternelle. Mais déjà la terre est en possession du calice qui doit proclamer la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne, en communiquant à chaque membre du genre humain le vrai sang du Christ répandu pour ses péchés.

Et certes il convenait que de lui-même, et loin de tout cet appareil de violence extérieure qui devait bientôt donner le change aux disciples, notre Pontife adoré s’offrît au Père en un vrai Sacrifice, afin de manifester clairement la spontanéité de sa mort, et d’écarter la pensée que la trahison, la violence ou l’iniquité de quelques hommes pussent être le principe et la cause du salut commun.

C’est pourquoi, élevant les yeux vers son Père et rendant grâces, il dit au présent, d’après la force du texte grec : « Ceci est mon corps livré pour vous ; ceci est mon sang versé pour vous »]. Ces paroles, qu’il lègue avec leur puissance aux dépositaires de son sacerdoce, opèrent en effet ce qu’elles signifient. Non seulement elles transforment le pain et le vin au corps et au sang du Christ ; mais encore, glaive redoutable, elles vont à isoler efficacement sous la double espèce le corps et le sang du Seigneur : d’elles-mêmes, elles divisent, elles livrent séparément à la justice du Père et dans un véritable état d’immolation ce corps et ce sang précieux, qui ne demeurent unis que par la toute-puissante volonté de la Majesté souveraine amplement et pour jamais satisfaite au Calvaire.

Chaque fois donc que sur le pain de froment et le vin de la vigne tomberont, d’une bouche autorisée, ces paroles comparables à celles qui tirèrent du néant l’univers, quelle que soit dans l’espace ou le temps la distance qui sépare le monde de la Croix, la terre se retrouvera en possession de l’auguste Victime. Une à la Cène et sur la Croix, elle demeure une dans l’oblation faite au Père, en tous lieux, par l’unique Pontife empruntant et faisant siennes les mains et la voix des prêtres choisis dans l’Esprit-Saint pour ce redoutable ministère

Qu’ils seront grands ces hommes tirés par l’imposition des mains du milieu de leurs frères ! Nouveaux Christs identifiés au Fils de la Vierge très pure, ils seront les privilégiés de la divine Sagesse, étroitement unis dans l’amour à sa puissance, associés comme Jésus lui-même au grand œuvre qu’elle poursuit dans les siècles : l’immolation de la grande Victime, et le mélange du calice où l’humanité, fondue avec son Chef en un même sacrifice, vient en même temps puiser l’amont et s’unir intimement à sa divinité.

Louange et gloire à Jésus, le Pontife suprême, en ces nobles fils de la race humaine, étonnement du ciel, orgueil de la terre ! Entouré d’eux comme le palmier de ses palmes de victoire, comme le cèdre de son incorruptible ramure, il s’avance, pareil encore à l’olivier poussant ses rejetons d’où noblesse, force et sainteté découlent à l’envi. La tige du cyprès élevant dans les airs la forêt de ses rameaux toujours verdoyants disparaît sous leur épais ombrage : ainsi, voilant son action directe, et s’effaçant derrière les fils nombreux qui tirent de lui leur puissance et leur sève, le véritable Aaron les ramène tous à l’unité sur sa tige bénie.

Nuit fortunée, festin céleste, où, l’heure venue pour lui de glorifier son Père, et sur le point de franchir les degrés sanglants de cet autel de la Croix où doit se consommer la gloire souveraine, il fait dès maintenant briller aux yeux les rayons de son sacerdoce ! Sous les traits de Simon fils d’Onias posant les fondements du temple et délivrant son peuple de la mort, c’est Jésus que célébrait l’Esprit divin dans le chant sublime qui couronne le dernier des Livres consacrés à la Sagesse éternelle. Aux mains si débiles encore de ceux qu’il daigne appeler ses amis et ses frères, le Christ confie l’oblation qui doit amplifier, en l’immortalisant, son Sacrifice au Roi des siècles. Sa noble main s’est étendue, offrant en libation du sang des raisins ; il le répand à la base de l’autel qui déjà s’élève, et l’odeur divine en est montée jusqu’au Prince Très-Haut. En ce moment, du Cénacle même, il a entendu dans l’avenir les chants de triomphe exaltant le divin mémorial, et la psalmodie sacrée remplissant la grande maison, l’Église, autour de lui d’une incessante et suave harmonie ; il a vu les peuples prosternés dans l’adoration du Seigneur leur Dieu en sa présence, et rendant au Tout-Puissant leur hommage devenu parfait désormais. Alors il s’est levé de la table du festin ; il est sorti dans sa force et dans son amour, pour étendre ses mains tout le jour en face de l’assemblée incrédule et ennemie des enfants d’Israël ; il a renouvelé son oblation, consommé dans le sang son Sacrifice, voulant manifester par la Croix la vertu de Dieu.

« Sacrifice du soir, dit saint Augustin, la Passion du Christ est devenue dans la Résurrection l’offrande du matin ». Déjà, sous la Loi, cette transformation du grand Sacrifice était mystérieusement annoncée par l’offrande solennelle de la gerbe des prémices, au troisième jour après l’immolation de l’Agneau pascal. Mais le temps d’offrir le pain lui-même, le vrai froment des âmes, n’était pas venu encore, et la Loi ajoutait : « Vous compterez, depuis le jour où vous aurez offert la gerbe des prémices, sept semaines entières et le jour qui suivra, c’est-à-dire cinquante jours ; et alors vous offrirez au Seigneur un Sacrifice nouveau : des pains de froment de pure farine, qui seront les prémices du Seigneur ».

Cinquante jours en effet séparaient le monde de l’ouvrier divin qui pouvait seul transformer ces dons. Mais la glorieuse Pentecôte s’est levée enfin sous le souffle impétueux de l’Esprit créateur : la chair du Verbe, le sang divin qu’il a formés à l’origine, restés son domaine, attendaient, pour se reproduire dans les Mystères sacrés, l’opération incommunicable de celui dont ils sont le chef-d’œuvre glorieux. « C’est de l’Esprit, feu éternel, que Marie a conçu, dit Rupert ; c’est par lui que Jésus s’est offert, hostie vivante, au Dieu vivant ; c’est du même feu qu’il brûle sur l’autel, car c’est par l’opération du Saint-Esprit que le pain se transforme en son corps ».

Aussi le disciple sublime du grand Apôtre, Denys l’Aréopagite, nous apprend-il que Jésus, l’hiérarque suprême, lorsqu’il appela ses disciples en partage de son pontificat souverain, bien qu’étant Dieu il fût l’auteur de toute consécration, renvoya cependant à l’Esprit divin la consommation de leur sacerdoce. C’est pourquoi, montant au ciel, il leur recommande de ne point quitter Jérusalem, mais d’y attendre la promesse du Père, à savoir le baptême de l’Esprit qu’ils devaient recevoir sous peu de jours.

« Le Prêtre paraît, dit saint Jean Chrysostome, portant, non plus le feu comme sous la Loi, mais l’Esprit-Saint. C’est un homme qui parle, mais Dieu qui opère ».

« Comment cela se fera t-il ? » demande à l’Ange la Vierge-Mère ; « car je ne connais point d’homme. » Et Gabriel répond : « L’Esprit-Saint surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ». — « Et maintenant tu me demandes, dit saint Jean Damascène : Comment le pain, comment le vin et l’eau deviennent-ils le corps et le sang du Christ ? Je te réponds moi aussi : L’Esprit-Saint couvre de son ombre l’Église et ses dons, et il opère ce Mystère au-dessus de la parole et de toute pensée ».

C’est pourquoi l’Église, conclut saint Fulgence, ne saurait mieux implorer la venue de l’Esprit divin qu’au temps de la célébration des Mystères. Car, explique-t-il, « de même que, sous l’ombre de l’Esprit, dans le sein virginal, la Sagesse du Père s’unit à l’homme choisi par elle en un divin mariage, l’Église, dans le Sacrifice, adhère elle-même au Christ par l’Esprit-Saint comme l’épouse à son époux et le corps à son chef ». Aussi l’heure de Tierce, heure de l’arrivée en ce monde du divin Paraclet, est-elle désignée par l’Église, en chacune de ses fêtes, pour l’oblation solennelle du grand Sacrifice auquel il préside dans la toute-puissance de son opération.

Heure bénie du Sacrifice, où l’exil paraît moins lourd à l’Épouse du Christ ! Sur terre encore, elle honore Dieu d’un digne hommage, et voit affluer en son sein les trésors du ciel. Car la Messe en ce sens est son bien, sa dot d’Épouse ; c’est à elle qu’il appartient d’en régler l’oblation, d’en préciser les formules et les rites, d’en percevoir les fruits. Le Prêtre est son ministre : elle prie ; il immole la Victime, et donne à sa prière une puissance infinie. Le caractère éternel du sacerdoce, imprimé par Dieu même au front du Prêtre, le rend seul dépositaire du pouvoir divin et place au-dessus de toute force humaine la validité du Sacrifice offert par ses mains ; mais il ne peut accomplir légitimement cette oblation que dans l’Église et avec elle.

Cette mutuelle dépendance, union sans confusion du Prêtre et de l’Église dans les sacrés Mystères, avait frappé les premiers chrétiens. Le cimetière de Calliste, point central des catacombes romaines au IIIe siècle de notre ère, en garde encore sur ses parois la démonstration touchante. Près des tombes consacrées à la sépulture des Évêques de l’Église-mère, un ensemble de peintures, remontant à l’origine de la catacombe, rappelait symboliquement aux initiés le dogme eucharistique établi par Jésus comme base de la religion dont ses Pontifes avaient été, pendant leur vie, les gardiens fidèles. Le repas des sept disciples, auxquels Jésus lui-même a préparé pendant la pèche mystérieuse le pain et le poisson rôtis sur les charbons, occupe dans une des salles le milieu de la muraille faisant face à la porte d’entrée. Deux sujets moins étendus accompagnent de chaque côté cette peinture centrale : c’est, d’une part, le Sacrifice d’Abraham à la signification bien connue ; de l’autre, on voit une scène qui ne rappelle rien d’historique, mais dont la composition, en relation évidente avec le sujet en regard, représente le Sacrifice des chrétiens dans un symbolisme d’autant plus profond, qu’il dérobe plus soigneusement aux profanes le secret des Mystères. Sur une table est un pain dont le poisson, l’ichthus eucharistique, placé tout auprès, indique la vraie nature ; à droite du spectateur, une femme, debout et les bras étendus en orante, adresse au ciel de ferventes supplications : tandis qu’à gauche, couvert du simple pallium, vêtement habituel du clergé chrétien au second siècle, un homme plus jeune étend les mains avec autorité sur la table et ses dons. Qui ne reconnaîtrait l’Église, unie, dans la consécration, au Prêtre son ministre et son fils?

Avec quelle fidélité cette reine en deuil de l’Époux observe le Testament qui lui légua dans le Sacrifice l’éternelle et vivante mémoire de sa mort, à la dernière Cène ! S’il se donne à elle tout entier dans le Mystère d’amour, l’état d’immolation où il se présente à ses yeux l’avertit qu’elle doit moins songer à jouir de sa douce présence, qu’à parfaire et continuer son œuvre en s’immolant avec lui. Sous l’autel, son lit nuptial, la femme forte a placé les Martyrs : elle sait que la Passion du Christ appelle un complément dans ses membres

 Née sur la Croix de son côté ouvert, elle l’a épousé dans la mort ; et cette première étreinte qui, dès sa naissance, mit dans ses bras le corps sanglant de son Époux, a fait passer dans l’âme de la nouvelle Ève l’ivresse de dévouement et d’amour au sein de laquelle l’Adam céleste s’endormit au Calvaire.

Mère des vivants, l’immense famille humaine afflue vers elle avec ses misères de tout genre et ses besoins sans nombre. L’Église saura faire valoir le talent qui lui a été confié : la Messe répond à tous les besoins ; l’Église suffit par elle à ses devoirs d’Épouse et de Mère. S’identifiant toujours plus chaque jour à la Victime universelle qui la revêt de son infinie dignité, elle adore la Majesté souveraine et lui rend grâces, implore le pardon des fautes anciennes et nouvelles de ses enfants, et demande pour eux les biens du temps et de l’éternité.

De son autel, le sang divin rejaillit sur les âmes souffrantes, tempère la flamme expiatrice, et les conduit au lieu de rafraîchissement, de lumière et de paix.

Telle est la vertu merveilleuse du Sacrifice offert dans l’Église, que ces quatre fins dont la poursuite résume la religion entière : adoration, action de grâces, propitiation, impétration ; il les atteint de lui-même et, quant à l’effet principal, indépendamment des dispositions du Prêtre ou de ceux qui l’entourent. Car c’est l’hostie qui en fait la valeur ;et l’hostie sur l’autel est la même qu’au Calvaire, hostie divine égale au Père, s’offrant elle-même comme sur la Croix à ces mêmes fins dans une seule oblation.

Le Créateur de l’espace et du temps n’est point leur esclave, et il le montre en ce mystère : « De même qu’offert en plusieurs lieux, c’est un même corps et non plusieurs, dit saint Jean Chrysostome ; ainsi en est-il de l’unité du Sacrifice aux divers âges ». De l’autel à la Croix le mode seul est distinct. Sanglante sur la Croix, non sanglante à l’autel, l’oblation demeure une en face de cette diversité dans l’application. L’immolation de l’auguste Victime apparut sur la Croix dans sa sublime horreur ; mais la violence des bourreaux voilait aux regards le Sacrifice offert à Dieu par le Verbe incarné dans la spontanéité de son amour. L’immolation se dérobe aux yeux à l’autel ; mais la religion du Sacrifice s’y révèle au grand jour, et s’y déploie dans sa splendeur. Le sang divin laissa sur la terre qui but ses flots au grand Vendredi la malédiction du déicide ; le calice de salut que l’Église tient en ses mains porte avec lui la bénédiction du monde.

O glorieuse condition de notre terre, d’où l’Agneau immolé, qui déjà reçoit sur le trône de Dieu les hommages dus à son triomphe, présente chaque jour au Père, en ses abaissements infinis, satisfaction entière pour les crimes du monde et gloire égale à sa Majesté sainte ! Les Anges admirent l’honneur de cet humble globe perdu dans l’espace au milieu des sphères brillantes des cieux, et tant aimé dès le commencement par l’éternelle Sagesse ; ils entourent tremblants cet autel de la terre en relation si intime avec celui du ciel, qu’un même Pontife y rend hommage au même Dieu dans une même offrande infinie. L’Enfer en frémit dans ses abîmes ; et sa rage contre Dieu, sa vengeance contre l’homme n’a pas d’objet plus en horreur. Combien d’efforts jamais lassés, combien d’essais toujours plus habiles, pour faire cesser sur terre ce Sacrifice odieux ! Jusqu’à ce qu’enfin, au cœur même de la chrétienté, l’hérésie protestante renversât tant d’autels ; jusqu’à cette révolution, gagnant toujours plus chaque jour, et dont le but avoué est de fermer les temples et de disperser les sacrificateurs !

Mais aussi le monde, qui autrefois se relevait après les tempêtes, se plaint d’une décadence universelle, où la force n’est plus qu’aux fléaux de Dieu. Il s’agite en vain sur lui même, sentant céder sous lui, à chaque pas, les bras de chair qui s’offrent à porter sa décrépitude. Le sang de l’Agneau, sa force antique, ne coule plus sur terre avec la même abondance. Et cependant le monde tient encore ; il tient par ce même Sacrifice qui, bien que méconnu et diminué, s’offre toujours en un grand nombre de lieux ; il tiendra jusqu’à ce qu’enfin, dans un dernier accès de démence furieuse, il ait égorgé le dernier des Prêtres et fait cesser ici-bas le Sacrifice éternel 

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