Saint Jean Bosco confesseur
Collecte
O Dieu, qui avez appelé saint Jean votre Confesseur pour qu’il soit le père et l’éducateur des adolescents, et par lui, sous le patronage de Marie-auxiliatrice, vous avez voulu que fleurissent de nouvelles familles dans votre Église : accordez-nous, nous vous en prions, qu’enflammés du même feu de la charité, nous puissions nous mettre à la recherche des âmes et nous consacrer à votre seul service.
Office
Troisième leçon. Jean Bosco naquit d’une humble famille ; après une enfance éprouvée et pure, il fit ses études à Chieri et fut estimé pendant ce temps pour son intelligence et pour ses vertus. Ordonné prêtre, il vint à Turin, où il se fit tout à tous ; mais c’est surtout à aider les adolescents pauvres et abandonnés qu’il consacra ses efforts. Par une éducation libérale, des écoles professionnelles, des patronages il s’employa de toutes ses forces à préserver l’enfance des poisons de l’erreur et du vice : à cette fin, il suscita dans l’Église deux instituts, l’un d’hommes, l’autre de vierges. Il publia de nombreux livres, riches de sagesse chrétienne. Il contribua aussi au salut des infidèles en envoyant ses religieux en mission. L’âme constamment élevée vers Dieu, cet homme très saint ne semblait être ni effrayé par les menaces, ni fatigué par les labeurs, ni accablé par les soucis, ni troublé par l’adversité. Il mourut en 1888, dans sa soixante-treizième année. Il fut inscrit au nombre des saints par le Souverain Pontife Pie XI.
Quelques pensées de Don Bosco
Le monde vous remplit le coeur de terre.
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Tu ne sais pas encore ce que c'est que l'obéissance !
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Étudie bien ce que c'est que l'humilité et la charité.
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Prends pour règle de conduite l'exemple des bons.
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Pense que les épines de la vie se changent en roses au moment de la mort.
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Avec les idées révolutionnaires, on ne va pas au ciel.
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Examine si, dans toutes tes actions, tu as en vue la gloire de Dieu.
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On ne va pas en Paradis au milieu des délices.
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Plus d'actes et moins de paroles.
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Tu peux faire et tu ne fais pas : éloigne-toi de la paresse.
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Travaille davantage pour le Ciel et tu progresseras dans l'étude.
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Pourquoi crains-tu la fatigue ? ne sera-t-elle pas récompensée ?
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Tu travailles en vain pour l'âme et le corps, si tu ne cherches un bon conseil.
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Cherche un véritable ami ; si tu le trouves, écoute ce qu'il te dit.
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Mange plus souvent le Pain des Anges, et acquiers la reine des vertus.
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Ne deviens pas saint tout d'un coup.
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Il faut toujours faire un pas vers le Paradis.
IVème dimanche après l’Epiphanie
Introït
Adorez Dieu, vous tous ses Anges, Sion a entendu et s’est réjouie, et les filles de Juda ont tressailli de joie. Le Seigneur est roi ; que la terre tressaille de joie, que toutes les îles se réjouissent.
Collecte
O Dieu, qui savez qu’en raison de la fragilité humaine, nous ne pourrions subsister au milieu de tant de périls, donnez-nous la santé de l’âme et du corps, afin que grâce à votre secours, nous puissions surmonter ce que nous souffrons pour nos péchés.
Épitre
Mes frères : Ne soyez en dette avec personne, si ce n’est de l’amour mutuel ; car celui qui aime son prochain a accompli la loi. En effet, ces commandements : "Tu ne commettras point d’adultère ; tu ne tueras point ; tu ne déroberas point ; tu ne diras point de faux témoignage ; tu ne convoiteras point," et s’il y a quelque autre commandement, se résument dans cette parole : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même." L’amour ne fait point de mal au prochain ; l’amour est donc la plénitude de la loi.
Évangile
En ce temps là : Jésus monta dans une barque, ses disciples le suivirent. Et voici que la mer devint très agitée, au point que la barque était couverte par les vagues : lui cependant dormait. Ses disciples s’approchèrent, le réveillèrent et lui dirent : "Seigneur, sauvez-nous, nous périssons !" Il leur dit : "Pourquoi êtes-vous peureux, hommes de peu de foi ?" Alors il se dressa et commanda avec force aux vents et à la mer, et il se fit un grand calme. Et les hommes, saisis d’admiration, disaient : "Qui est-il donc, que même les vents et la mer lui obéissent ?"
Secrète
Faites, nous vous en supplions, Dieu tout-puissant, que l’offrande de ce sacrifice nous purifie toujours et garde de tout mal notre fragilité.
Postcommunion
O Dieu, que vos dons nous détachent des jouissances terrestres et que votre grâce nous fortifie toujours au moyen de cet aliment tout céleste.
Office
Au premier nocturne.
Commencement de l’Épître de saint Paul Apôtre aux Philippiens.
Première leçon. Cap. 1, 1-7 Paul et Timothée, serviteurs du Christ Jésus, à tous les saints à Philippes, aux évêques et aux diacres : grâce et paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus-Christ ! Je rends grâces à mon Dieu toutes les fois que je me souviens de vous, et dans toutes mes prières pour vous tous, c’est avec joie que je lui adresse ma prière, à cause de votre concours unanime pour le progrès de l’Évangile, depuis le premier jours jusqu’à présent ; et j’ai confiance que celui qui a commencé en vous une œuvre excellente, en poursuivra l’achèvement jusqu’au jour du Christ. C’est une justice que je vous dois, de penser ainsi de vous tous, parce que je vous porte dans mon cœur, vous tous qui, soit dans mes liens, soit dans la défense et l’affermissement de l’Évangile, avez part à la même grâce que moi.
Deuxième leçon. Cap. 1, 8-14 Car Dieu m’en est témoin, c’est avec tendresse que je vous aime tous dans les entrailles de Jésus-Christ. Et ce que je lui demande, c’est que votre charité abonde de plus en plus en connaissance et en toute intelligence, pour discerner ce qui vaut le mieux, afin que vous soyez purs et irréprochables jusqu’au jour du Christ, remplis des fruits de justice, par Jésus-Christ, pour la gloire et la louange de Dieu. Frères, je désire que vous sachiez que ce qui m’est arrivé a plutôt tourné au progrès de l’Évangile. En effet, pour ceux du prétoire, et pour tous les autres, il est devenu notoire que c’est pour le Christ que je suis dans les chaînes : et la plupart des frères dans le Seigneur, encouragés par mes liens, on redoublé de hardiesse pour annoncer sans crainte la parole de Dieu.
Troisième leçon. Cap. 1, 15-18 Quelques-uns, il est vrai, prêchent aussi Jésus-Christ par envie et par esprit d’opposition ; mais d’autres le font avec des dispositions bienveillantes. Ceux-ci agissent par charité, sachant que je suis établi pour la défense de l’Évangile ; tandis que les autres, animés d’un esprit de dispute, annoncent le Christ par des motifs qui ne sont pas purs, avec la pensée de me causer un surcroît d’affliction dans mes liens. Mais quoi ? De quelque manière qu’on le fasse, que ce soit avec des arrière-pensées, ou sincèrement, le Christ est annoncé je m’en réjouis, et je m’en réjouirai encore.
Au deuxième nocturne.
Du Livre des Morales de saint Grégoire, pape.
Quatrième leçon. Nous emplissons le corps de nourriture de peur qu’il ne défaille exténué ; nous l’exténuons par l’abstinence de peur que trop bien nourri, il ne nous accable. Nous le stimulons par l’exercice de peur qu’il ne s’ankylose par immobilité, mais bien vite, nous arrêtons pour le reposer en nous couchant de peur que l’exercice même ne le fasse succomber. De peur que le froid ne le tue nous le couvrons au moyen de vêtements ; puis nous rejetons l’aide demandée de peur qu’il ne brûle de chaleur. Ainsi, en obviant à tant d’incommodités différentes que faisons-nous sinon payer tribut à la corruptibilité, pourvu que la multitude même des soins donnés soutiennent un corps qu’alourdit l’inquiétude d’une changeante infirmité ?
Cinquième leçon. Paul l’a bien dit : « En effet la création a été soumise à la vanité – non de bon gré, mais à cause de celui qui l’y a soumise –, avec une espérance pourtant. Car la création, elle aussi sera libérée de l’esclavage de la corruption pour accéder à la liberté de la gloire des enfants de Dieu ». En effet, ce n’est pas de bon gré que la création a été soumise à la vanité car l’homme, ayant abandonné de plein gré l’état de stabilité primitive, se trouve justement accablé par le poids de la mortalité et il se voit asservi malgré lui, à sa condition corruptible et changeante. Mais cette créature est arrachée à l’esclavage de la corruption lorsque ressuscitant incorruptible elle est élevée à la gloire des fils de Dieu.
Sixième leçon. Les élus sont donc entravés ici-bas par le malaise car ils endurent encore la corruption. Mais quand nous nous dépouillons de cette chair corruptible, nous sommes libérés des entraves du malaise qui maintenant nous contraignent. Déjà nous aspirons à être mis en présence de Dieu mais nous sommes encore retenus par le lien d’un corps mortel. A juste titre donc, nous nous disons prisonniers car nous n’avons pas encore auprès de Dieu le libre accès que nous désirons. C’est pourquoi Paul, aspirant aux biens éternels et cependant portant encore le fardeau de sa corruption, a raison de dire dans sa captivité : « J’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ ». S’il ne constatait qu’il était captif, il ne chercherait pas à s’en aller.
Au troisième nocturne.
Homélie de saint Jérôme, prêtre.
Septième leçon. Ce cinquième miracle, Jésus l’accomplit lorsqu’il monte dans la barque à Capharnaüm et commande aux vents et à la mer. Le sixième, au pays des Géraséniens lorsqu’il donne pouvoir aux démons de s’en aller dans le troupeau de porcs. Le septième, lorsqu’il entre dans sa ville et guérit un second paralytique qui est étendu sur un lit. Le premier paralytique est, en effet, le serviteur du centurion. Huitième leçon. « Lui, cependant, dormait. Mais ils vinrent l’éveiller en disant : ‘Seigneur, sauve nous.’ » Nous lisons dans Jonas une figure de ce miracle : alors que tous les autres sont en danger, lui-même dort, tranquille ; on le réveille ; par son ordre et par le signe symbolique de sa passion, il délivre ceux qui l’ont réveillé. « Alors, se levant, il menaça les vents et la mer. » Ce passage nous donne à comprendre que toutes les créatures reconnaissent le Créateur. On les gronde, on leur commande ; elles reconnaissent le maître non parce que toutes choses sont animées, comme le pensent à tort certains hérétiques, mais parce que la majesté du Créateur lui rend sensibles les choses qui pour nous sont insensibles.
Neuvième leçon. « Or, pris de stupeur, les hommes disaient : ‘Quel est donc celui-ci ? car même les vents et la mer lui obéissent !’ » Ce ne sont pas les disciples que l’étonnement saisit, mais les bateliers et les autres qui se trouvent dans la barque. Pourtant si quelqu’un veut prétendre que ce sont les disciples qui furent saisis d’étonnement, nous lui répondrons qu’ils méritent bien le nom d’hommes ceux qui ne connaissent pas encore la puissance du Sauveur.
EPÎTRE.
La sainte Église ne cesse d’exhorter les fidèles, par la bouche de l’Apôtre, à pratiquer la charité les uns à l’égard des autres, dans ce temps où le Fils même de Dieu donne une si grande preuve de son amour aux hommes dont il a daigné prendre la nature. L’Emmanuel vient à nous comme législateur : or, il a résumé toute sa loi dans l’amour ; il est venu pour unir ce que le péché avait divisé. Entrons dans ses intentions, et accomplissons de bon cœur la loi qui nous est imposée.
ÉVANGILE.
Adorons la puissance de l’Emmanuel qui est venu calmer la tempête au sein de laquelle le genre humain allait périr. Dans leur détresse, toutes les générations l’avaient appelé, et criaient : Seigneur ! sauvez-nous ; nous périssons. Quand la plénitude des temps a été venue, il est sorti de son repos, et il n’a eu qu’à commander, pour briser la force de nos ennemis. La malice des démons, les ténèbres de l’idolâtrie, la corruption païenne, tout a cédé devant lui. Les peuples se sont convertis à lui les uns après les autres ; du sein de leur aveuglement et de leur misère, ils ont dit : Quel est celui-ci devant lequel aucune force ne résiste ? Et ils ont embrassé sa loi. Cette force de l’Emmanuel à briser les obstacles, au moment même où les hommes s’inquiètent de son repos apparent, se montre souvent dans les annales de son Eglise. Que de fois il a choisi, pour sauver tout, l’instant où les hommes croyaient tout perdu ! Il en est de même dans la vie du fidèle. Souvent les tentations nous agitent, leurs flots semblent nous submerger, et cependant notre volonté demeure fortement attachée à Dieu. C’est que Jésus dort au fond de la barque, et nous protège par ce sommeil. Si bientôt nos instances le réveillent, c’est plutôt pour proclamer son triomphe et le nôtre ; car il a déjà vaincu, et nous avec lui.
Saint François de Sales évêque confesseur et docteur de l’Eglise
Collecte
Dieu, pour le salut des âmes, vous avez voulu que le bienheureux François, votre Confesseur et Pontifie, se fît tout à tous : accordez-nous dans votre bonté que pénétrés de la douceur de votre amour, dirigés par ses enseignements et soutenus par ses mérites, nous obtenions les joies éternelles.
Office
AU DEUXIÈME NOCTURNE.
Quatrième leçon. François naquit au château de Sales (d’où sa famille tire son nom), de parents nobles et vertueux, et donna dès ses plus tendres années, par son innocence et sa gravité, des indices de sa sainteté future. Encore adolescent, il fut instruit dans les sciences libérales ; bientôt après, il se rendit à Paris où il se livra à l’étude de la philosophie et de la théologie, et afin que rien ne manquât à la culture de son esprit, il obtint à Padoue, avec les plus grands éloges, les honneurs du doctorat en l’un et l’autre droit. François renouvela dans le sanctuaire de Lorette le vœu de perpétuelle virginité par lequel il s’était lié à Paris ; et il ne put jamais être détourné de la résolution qu’il avait prise au sujet de cette vertu, ni par aucun des artifices du démon, ni par les attraits des sens.
Cinquième leçon. Ayant refusé une grande dignité dans le sénat de Savoie, il s’enrôla dans la milice de la cléricature. Initié au sacerdoce et fait prévôt de l’Église de Genève, François remplit si parfaitement les devoirs de cette charge que Mgr de Granier, son Évêque, le destina pour travailler comme un héraut de la parole divine, à la conversion des calvinistes du Chablais et des autres confins du territoire de Genève. Il entreprit cette campagne d’un cœur joyeux, mais il eut à souffrir les plus dures épreuves ; souvent les hérétiques cherchèrent à lui donner la mort, ils le poursuivirent de diverses calomnies et lui dressèrent beaucoup d’embûches. Au milieu de tant de périls et de combats, on vit toujours briller son insurmontable constance ; et l’on rapporte qu’aidé du secours de Dieu, il ramena à la foi catholique soixante-douze mille hérétiques, parmi lesquels il y en avait beaucoup de distingués par leur noblesse et leur science.
Sixième leçon. Après la mort de Mgr de Granier, qui avait eu soin de se le faire donner pour coadjuteur, François, consacré Évêque, répandit tout autour de lui les rayons de sa sainteté, par son zèle pour la discipline ecclésiastique, son amour de la paix, sa miséricorde envers les pauvres, et se rendit remarquable en toutes sortes de vertus. Pour l’accroissement du culte divin, il institua un nouvel Ordre de religieuses, sous le nom de la Visitation de la bienheureuse Vierge Marie et sous la règle de saint Augustin, à laquelle il ajouta des constitutions admirables de sagesse, de discrétion et de douceur. Il a aussi illustré l’Église par des écrits remplis d’une doctrine céleste, où il indique un chemin sûr et facile pour arriver à la perfection chrétienne. Enfin, âgé de cinquante-cinq ans, comme il retournait de France à Annecy, le jour de saint Jean l’Évangéliste, après avoir célébré la Messe à Lyon, il fut atteint d’une maladie grave, et, le lendemain, partit pour le ciel, l’an du Seigneur mil six cent vingt-deux. Son corps fut transporté à Annecy, et enseveli honorablement dans l’église dudit Ordre. Son tombeau commença aussitôt à être illustré par des miracles, dont le souverain Pontife Alexandre VII constata la vérité selon les règles. Il mit donc François au nombre des Saints en assignant pour sa Fête le vingt-neuvième jour de janvier, et le souverain Pontife Pie IX, après avoir pris l’avis de la Congrégation des Rites sacrés, l’a déclaré Docteur de l’Église universelle.
Voici venir au berceau du doux Fils de Marie l’angélique évêque François de Sales, digne d’y occuper une place distinguée pour la suavité de sa vertu, l’aimable enfance de son cœur, l’humilité et la tendresse de son amour. Il arrive escorté de ses brillantes conquêtes : soixante-douze mille hérétiques soumis à l’Église par l’ascendant de sa charité ; un Ordre entier de servantes du Seigneur, conçu dans son amour, réalisé par son génie céleste ; tant de milliers d’âmes conquises à la piété par ses enseignements aussi sûrs que miséricordieux, qui lui ont mérité le titre de Docteur.
Dieu le donna à son Église pour la consoler des blasphèmes de l’hérésie qui allait prêchant que la foi romaine était stérile pour la charité ; il plaça ce vrai ministre évangélique en face des âpres sectateurs de Calvin ; et l’ardeur de la charité de François de Sales fondit la glace de ces cœurs obstinés. Si vous avez des hérétiques à convaincre, disait le savant cardinal du Perron, vous pouvez me les envoyer ; si vous en avez à convertir, adressez-les à M. de Genève.
François de Sales parut donc, au milieu de son siècle, comme une vivante image du Christ ouvrant ses bras et convoquant les pécheurs à la pénitence, les errants à la vérité, les justes au progrès vers Dieu, tous à la confiance et à l’amour. L’Esprit divin s’était reposé sur lui dans sa force et dans sa douceur : c’est pourquoi, en ces jours où nous avons célébré la descente de cet Esprit sur le Verbe incarné au milieu des eaux du Jourdain, nous ne saurions oublier une relation touchante de notre admirable Pontife avec son divin Chef. Un jour de la Pentecôte, à Annecy, François était debout à l’autel, offrant l’auguste Sacrifice ; tout à coup une colombe qu’on avait introduite dans la Cathédrale, effrayée des chants et de la multitude du peuple, après avoir voltigé longtemps, vint, à la grande émotion des fidèles, se reposer sur la tête du saint Évêque : symbole touchant de la douceur de l’amour de François, comme le globe de feu qui parut, au milieu des Mystères sacrés, au-dessus de la tête du grand saint Martin, désignait l’ardeur du feu qui dévorait le cœur de l’Apôtre des Gaules.
Une autre fois, en la Fête de la Nativité de Notre-Dame, François officiait aux Vêpres, dans la Collégiale d’Annecy. Il était assis sur un trône dont les sculptures représentaient cet Arbre prophétique de Jessé, qui a produit, selon l’oracle d’Isaïe, la branche virginale, d’où est sortie la fleur divine sur laquelle s’est reposé l’Esprit d’amour. On était occupé au chant des Psaumes, lorsque, par une fente du vitrail du chœur, du côté de l’Épître, une colombe pénètre dans l’Église. Après avoir voleté quelque temps, de l’historien, elle vint se poser sur l’épaule du saint Évêque, et de là sur ses genoux, d’où les ministres assistants la prirent. Après les Vêpres, François, jaloux d’écarter de lui l’application favorable que ce symbole inspirait naturellement à son peuple, monta en chaire, et s’empressa d’éloigner toute idée d’une faveur céleste qui lui eût été personnelle, en célébrant Marie qui, pleine de la grâce de l’Esprit-Saint, a mérité d’être appelée la colombe toute belle, en laquelle il n’y a pas une tache.
Quand on cherche parmi les disciples du Sauveur le type de sainteté qui fut départi à notre admirable Prélat, l’esprit et le cœur ont tout aussitôt nommé Jean, le disciple bien-aimé. François de Sales est comme lui l’Apôtre de la charité ; et la simplesse du grand Évangéliste pressant un innocent oiseau dans ses mains vénérables, est la mère de cette gracieuse innocence qui reposait au cœur de l’Évêque de Genève. Jean, par sa seule vue, par le seul accent de sa voix, faisait aimer Jésus ; et les contemporains de François disaient : O Dieu ! si telle est la bonté de l’Évêque de Genève, quelle ne doit pas être la vôtre !
Ce rapport merveilleux entre l’ami du Christ et François de Sales se révéla encore au moment suprême, lorsque le jour même de saint Jean, après avoir célébré la sainte Messe et communié de sa main ses chères filles de la Visitation, il sentit cette défaillance qui devait amener pour son âme la délivrance des liens du corps. On s’empressa autour de lui ; mais déjà sa conversation n’était plus que dans le ciel. Ce fut le lendemain qu’il s’envola vers sa patrie, en la fête des saints Innocents, au milieu desquels il avait droit de reposer éternellement, pour la candeur et la simplicité de son âme. La place de François de Sales, sur le Cycle, était donc marquée en la compagnie de l’Ami du Sauveur, et de ces tendres victimes que l’Église compare à un gracieux bouquet d’innocentes roses ; et s’il a été impossible de placer sa mémoire à l’anniversaire de sa sortie de ce monde, parce que ces deux jours sont occupés par la solennité de saint Jean et celle des Enfants de Bethlehem, du moins la sainte Église a-t-elle pu encore placer sa fête dans l’intervalle des quarante jours consacrés à honorer la Naissance de l’Emmanuel.
C’est donc à cet amant du Roi nouveau-né qu’il appartient de nous révéler les charmes de l’Enfant de la crèche. Nous chercherons la pensée de son cœur, pour en nourrir le nôtre, dans son admirable correspondance, où il rend avec tant de suavité les sentiments pieux qui débordaient de son cœur, en présence des mystères que nous célébrons.
Vers la fin de l’Avent 1619, il écrivait à une religieuse de la Visitation, pour l’engager à préparer son cœur à la venue de l’Époux céleste : « Ma très chère fille, voilà le tant petit aimable Jésus qui va naître en notre commémoration, ces fêtes-ci prochaines ; et puisqu’il naît pour nous visiter de la part de son Père éternel, et que les pasteurs et les rois le viendront réciproquement visiter au berceau, je crois, qu’il est le Père et l’Enfant tout ensemble de cette Sainte Marie de la Visitation.
« Or sus, caressez-le bien ; faites-lui bien l’hospitalité avec toutes nos sœurs, chantez-lui bien de beaux cantiques, et surtout adorez-le bien fortement et doucement, et en lui sa pauvreté, son humilité, son obéissance et sa douceur, à l’imitation de sa très sainte Mère et de saint Joseph ; et prenez-lui une de ses chères larmes, douce rosée du ciel, et la mettez sur votre cœur, afin qu’il n’ait jamais de tristesse que celle qui réjouit ce doux Enfant ; et quand vous lui recommanderez votre âme, recommandez-lui quant et quant la mienne, qui est certes toute vôtre.
« Je salue chèrement la chère troupe de nos sœurs, que je regarde comme de simples bergères veillant sur leurs troupeaux, c’est-à-dire sur leurs affections ; qui, averties par l’Ange, vont faire l’hommage au divin Enfant, et pour gage de leur éternelle servitude, lui offrent le plus beau de leurs agneaux, qui est leur amour, sans réserve ni exception. »
La veille de la Naissance du Sauveur, saisi par avance des joies de la nuit qui va donner son Rédempteur à la terre, François s’épanche déjà avec sa fille de prédilection, Jeanne-Françoise de Chantal, et la convie à goûter avec lui les charmes de l’Enfant divin et à profiter de sa visite.
« Le grand petit Enfant de Bethlehem soit à jamais les délices et les amours de notre cœur, ma très chère mère, ma fille ! Hélas ! Comme il est beau, ce pauvre petit poupon ! Il me semble que je vois Salomon sur son grand trône d’ivoire, doré et ouvragé, qui n’eut point d’égal es royaumes, comme dit l’Écriture : et ce roi n’eut point de pair en gloire ni en magnificence. Mais j’aime cent fois mieux voir le cher enfançon en la crèche, que de voir tous les rois en leurs trônes.
« Mais si je le vois sur les genoux de sa sacrée Mère ou entre ses bras, ayant sa petite bouchette, comme un petit bouton de rose, attachée au lis de ses saintes mamelles, ô Dieu ! je le trouve plus magnifique en ce trône, non seulement que Salomon dans le sien d’ivoire, mais que jamais même ce Fils éternel du Père ne le fut au ciel ; car si bien le ciel a plus d’être visible, la Sainte Vierge a plus de perfections invisibles ; et une goutte du lait qui flue virginalement de ses sacrés sucherons, vaut mieux que toutes les affluences des cieux. Le grand saint Joseph nous fasse part de sa consolation, la souveraine Mère de son amour : et l’Enfant veuille à jamais répandre dans nos cœurs ses mérites !
« Je vous prie, reposez le plus doucement que vous pourrez auprès du petit céleste enfant : il ne laissera pas d’aimer votre cœur bien-aimé tel que vous l’avez, sans tendreté et sans sentiment. Voyez-vous pas qu’il reçoit l’haleine de ce gros bœuf et de cet âne qui n’ont sentiment ni mouvement quelconque ? Comment ne recevra-t-il pas les aspirations de notre pauvre cœur, lequel, quoique non tendrement pour le présent, solidement néanmoins et fermement, se sacrifie à ses pieds pour être à jamais serviteur inviolable du sien, et de celui de sa sainte Mère, et du grand gouverneur du petit Roi ? »
La nuit sacrée s’est écoulée, apportant avec elle la Paix aux hommes de bonne volonté ; François cherche encore le cœur de la fille que Jésus lui a confiée, pour y verser toutes les douceurs qu’il a goûtées dans la contemplation du mystère d’amour.
« Hé, vrai Jésus ! que cette nuit est douce, ma très chère fille ! Les cieux, chante l’Église, distillent de toutes parts le miel ; et moi, je pense que ces divins Anges, qui résonnent en l’air leur admirable cantique, viennent pour recueillir ce miel céleste sur les lis où il se trouve, sur la poitrine de la très douce Vierge et de saint Joseph. J’ai peur, ma chère fille, que ces divins Esprits ne se méprennent entre le lait qui sort des mamelles virginales, et le miel du ciel qui est abouché sur ces mamelles. Quelle douceur de voir le miel sucer le lait !
« Mais je vous prie, ma chère fille, ne suis-je pas si ambitieux que de penser que nos bons Anges, de vous et de moi, se trouvèrent en la chère troupe de musiciens célestes qui chantèrent en cette nuit ? O Dieu ! s’il leur plaisait d’entonner derechef, aux oreilles de notre cœur, cette même céleste chanson, quelle joie ! quelle jubilation ! Je les en supplie, afin que gloire soit au ciel, et en terre paix aux cœurs de bonne volonté.
« Revenant donc d’entre les sacrés Mystères, je donne ainsi le bonjour à ma chère fille : car je crois que les pasteurs encore, après avoir adoré le céleste poupon que le ciel même leur avait annoncé, se reposèrent un peu. Mais, ô Dieu ! que de suavité, comme je pense, à leur sommeil ! Il leur était avis qu’ils oyaient toujours la sacrée mélodie des Anges qui les avaient salués si excellemment de leur cantique, et qu’ils voyaient toujours le cher Enfant et la Mère qu’ils avaient visités.
« Que donnerions-nous à notre petit Roi, que nous n’ayons reçu de lui et de sa divine libérait lité ? Or sus, je lui donnerai donc, à la sainte Grand’Messe, la très uniquement fille bien-aimée qu’il m’a donnée. Hé ! Sauveur de nos âmes, rendez-la toute d’or en charité, toute de myrrhe en mortification, toute d’encens en oraison ; et puis recevez-la entre les bras de votre sainte protection ; et que votre cœur dise au sien : Je suis ton salut aux siècles des siècles. »
Parlant ailleurs à une autre épouse du Christ, il l’exhorte, en ces termes, à se nourrir de la douceur du nouveau-né :
« Que jamais votre âme, comme une abeille mystique, n’abandonne ce cher petit Roi, et qu’elle fasse son miel autour de lui, en lui, et pour lui ; et qu’elle le prenne sur lui, duquel les lèvres sont toutes détrempées de grâce, et sur lesquelles, bien plus heureusement que l’on ne vit sur celles de saint Ambroise, les saintes avettes, amassées en essaim, font leurs doux et gracieux ouvrages. »
Mais il faut bien s’arrêter ; écoutons cependant encore une dernière fois notre séraphique Pontife nous raconter les charmes du très saint Nom de Jésus, imposé au Sauveur dans les douleurs de la Circoncision ; il écrit encore à sa sainte coopératrice : « O Jésus, remplissez notre cœur du baume sacré de votre Nom divin, afin que la suavité de son odeur se dilate en tous nos sens, et se répande en toutes nos actions. Mais pour rendre ce cœur capable de recevoir une si douce liqueur, circoncisez-le, et retranchez d’icelui tout ce qui peut être désagréable à vos saints yeux. O Nom glorieux ! que la bouche du Père céleste a nommé éternellement, soyez à jamais la superscription de notre âme, afin que, comme vous êtes Sauveur, elle soit éternellement sauvée ! O Vierge sainte, qui, la première de toute la nature humaine, avez prononcé ce Nom de salut, inspirez-nous la façon de le prononcer ainsi qu’il est convenable, afin que tout respire en nous le salut que votre ventre nous a porté.
« Ma très chère fille, il fallait écrire la première lettre de cette année à Notre-Seigneur et à Notre-Dame ; et voici la seconde par laquelle, ô ma fille, je vous donne le bon an, et dédie notre cœur à la divine bonté. Que puissions-nous tellement vivre cette année, qu’elle nous serve de fondement pour l’année éternelle ! Du moins ce matin, sur le réveil, j’ai crié à vos oreilles : vive Jésus ! et eusse bien voulu épandre cette huile sacrée sur toute la face de la terre.
« Quand un baume est bien fermé dans une fiole, nul ne sait discerner quelle liqueur c’est, sinon celui qui l’y a mise ; mais quand on a ouvert la fiole, et qu’on en a répandu quelques gouttes, chacun dit : C’est du baume. Ma chère fille, notre cher petit Jésus était tout plein du baume de salut ; mais on ne le connaissait pas jusqu’à tant qu’avec ce couteau doucement cruel on a ouvert sa divine chair ; et lors on a connu qu’il est tout baume et huile répandue, et que c’est le baume de salut. C’est pourquoi saint Joseph et Notre-Dame, puis tout le voisinage, commencent à crier : Jésus, qui signifie Sauveur.
« Plaise à ce divin poupon de tremper nos cœurs dans son sang, et les parfumer de son saint Nom, afin que les roses .des bons désirs que nous avons conçus, soient toutes pourprées de sa teinture, et toutes odorantes de son onguent ! »
Le Pape Alexandre VII voulut composer lui-même la Collecte pour l’Office et la Messe du saint Prélat.
Conquérant pacifique des âmes, Pontife aimé de Dieu et des hommes, nous célébrons en vous la douceur de notre Emmanuel. Ayant appris de lui à être doux et humble de cœur, vous avez, selon sa promesse, possédé la terre. Rien ne vous a résisté : les sectaires les plus obstinés, les pécheurs les plus endurcis, les âmes les plus tièdes, tout a cédé aux charmes de votre parole et de vos exemples. Que nous aimons à vous contempler, auprès du berceau de l’Enfant qui vient nous aimer, mêlant votre gloire avec celle de Jean et des Innocents : Apôtre comme le premier, simple comme les fils de Rachel ! Fixez pour jamais notre cœur dans cette heureuse compagnie ; qu’il apprenne enfin que le joug de l’Emmanuel est doux, et son fardeau léger.
Réchauffez nos âmes au feu de votre charité ; soutenez en elles le désir de la perfection. Docteur des voies spirituelles, introduisez-nous dans cette Vie sainte dont vous avez tracé les lois ; ranimez dans nos cœurs l’amour du prochain, sans lequel nous ne pourrions espérer de posséder l’amour de Dieu ; initiez-nous au zèle que vous avez eu pour le salut des âmes ; enseignez-nous la patience et le pardon des injures, afin que nous nous aimions tous, non seulement de bouche et de parole, comme parle Jean votre modèle, mais en œuvre et en vérité. Bénissez l’Église de la terre, au sein de laquelle votre souvenir est encore aussi présent que si vous veniez de la quitter pour celle du ciel ; car vous n’êtes plus seulement l’Évêque de Genève, mais l’objet de l’amour et de la confiance de l’univers entier.
Hâtez la conversion générale des sectateurs de l’hérésie Calviniste. Déjà vos prières ont avancé l’œuvre du retour ; et le Sacrifice de l’Agneau s’offre publiquement au sein même de Genève. Consommez au plus tôt le triomphe de l’Église-Mère. Extirpez du milieu de nous lès derniers restes de l’hérésie Jansénienne, qui se préparait à semer son ivraie dans la France, aux jours mêmes où le Seigneur vous retirait de ce monde. Purgez nos contrées des maximes et des habitudes dangereuses qu’elles ont héritées des temps malheureux où cette secte perverse triomphait dans son audace.
Bénissez de toute la tendresse de votre cœur paternel le saint Ordre que vous avez fondé, et que vous avez donné à Marie sous le titre de sa Visitation. Conservez-le dans l’état où il fait l’édification de l’Église ; donnez-lui accroissement, dirigez-le, afin que votre esprit se maintienne dans la famille dont vous êtes le père. Protégez l’Épiscopat dont vous êtes l’ornement et le modèle ; demandez à Dieu, pour son Église, des Pasteurs formés à votre école, embrasés de votre zèle, émules de votre sainteté. Enfin, souvenez-vous de la France, avec laquelle vous avez contracté des liens si étroits. Elle s’émut au bruit de vos vertus, elle convoita votre Apostolat, elle vous a donné votre plus fidèle coopératrice ; vous avez enrichi sa langue de vos admirables écrits ; c’est de son sein même que vous êtes parti pour aller à Dieu : du haut du ciel, regardez-la aussi comme votre patrie.
Comme la charité comprend toutes les vertus.
Un fleuve sortait du lieu de délices pour arroser le paradis terrestre, et de là se séparait en quatre chefs (Gn. II, 10). Or, l’homme est en un lieu de délices où Dieu fait sourdre le fleuve de la raison et lumière naturelle pour arroser tout le paradis de notre cœur; et ce fleuve se divise en quatre chefs, c’est-à-dire, prend quatre courants selon les quatre régions de l’âme.
Car, premièrement, sur l’entendement qu’on appelle pratique, c’est-à-dire, qui discerne les actions qu’il convient faire ou fuir, la lumière naturelle répand la prudence qui incline notre esprit à sagement juger du mal que nous devons éviter et chasser, et du bien que nous devons faire et pourchasser.
Secondement, sur notre volonté elle fait saillir la justice, qui n’est autre chose qu’un perpétuel et ferme vouloir de rendre à chacun ce qui lui est dû.
Troisièmement , sur l’appétit de convoitise elle fait couler la tempérance, qui modère les passions qui y sont.
Quatrièmement, et sur l’appétit irascible, ou de la colère, elle fait flotter la force, qui bride et manie tous les mouvements de l’ire.
Or, ces quatre fleuves ainsi séparés se divisent par après en plusieurs autres, afin que toutes les actions humaines puissent être bien dressées à l’honnêteté et félicité naturelle. Mais, outre cela, Dieu voulant enrichir les chrétiens d’une spéciale faveur, il fait sourdre sur la cime de la partie supérieure de leur esprit une fontaine surnaturelle, que nous appelons grâce, laquelle comprend voirement la foi et l’espérance, mais qui consiste toutefois en la charité, qui purifie l’âme de tous péchés, puis l’orne et l’embellit d’une beauté très délectable, et enfin épanche ses eaux sur toutes les facultés et opérations d’icelle, pour donner à l’entendement une prudence céleste, à la volonté une sainte justice, à l’appétit de convoitise une tempérance sacrée, et à l’appétit irascible une force dévote; afin que tout le cœur humain tende à l’honnêteté et félicité surnaturelle, qui consiste en l’union avec Dieu. Que si ces quatre courants et fleuves de la charité rencontrent en une âme quelqu’une des quatre vertus naturelles, ils la réduisent à leur obéissance, se mêlant avec elle pour la perfectionner, comme l’eau de senteur perfectionne l’eau naturelle quand elles sont mêlées ensemble. Mais si la sainte dilection ainsi répandue ne trouve point les vertus naturelles en l’âme, alors elle-même fait toutes les opérations selon que les occasions le requièrent.
Ainsi l’amour céleste trouvant plusieurs vertus en saint Paul, saint Ambroise, saint Denis, saint Pacôme, il répandit sur icelle une agréable clarté, les réduisant toutes à son service. Mais en la Magdeleine, en sainte Marie Égyptiaque, au bon larron, et en cent autres tels pénitents qui avaient été grands pécheurs, le divin amour ne trouvant aucune vertu, fit la fanétian et les œuvres de toutes les vertus, se rendant en iceux patient, doux, humble et libéral. Nous semons ès jardins une grande variété de graines, et les couvrons toutes de terre; comme les ensevelissant jusques à ce que le soleil plus fort les fasse lever et, par manière de dire, ressusciter lorsqu’elles produisent leurs feuilles et leurs fleurs, avec de nouvelles graines, une chacune selon son espèce, en sorte qu’une seule chaleur céleste fait toute la diversité de ces productions par les semences qu’elle trouve cachées dans le sein de la terre.
Certes, mon Théotime, Dieu a répandu en nos âmes les semences de toutes les vertus, lesquelles néanmoins sont tellement couvertes de notre imperfection et faiblesse, qu’elles ne paraissent point, ou fort peu, jusqu’à ce que la vitale chaleur de la dilection sacrée les vienne animer et ressusciter: produisant par icelles les actions de toutes les vertus; si que comme la manne contenait en soi la variété des saveurs de toutes les viandes, et en excitait le goût dans la bouche des Israélites, ainsi l’amour céleste comprend en soi la diversité des perfections de toutes les vertus, d’une façon si éminente et si relevée qu’elle en produit toutes les actions en temps et lieu selon les occurrences. Josué défit certes vaillamment les ennemis de Dieu par la bonne conduite des armées qu’il eut en charge; mais Samson les défaisait encore plus glorieusement, qui de sa propre main avec des mâchoires d’ânes en tuait à milliers. Josué, par son commandement et bon ordre, employant la valeur de ses troupes, faisait des merveilles; mais Samson par sa propre force, sans employer aucune autre, faisait des miracles. Josué avait les forces de plusieurs soldats sous soi; mais Samson les avait en soi, et pouvait lui seul autant que Josué et plusieurs soldats avec lui eussent pu tous ensemble. L’amour céleste excelle en l’une et l’autre façon, car trouvant des vertus en une âme (et pour l’ordinaire au moins y trouve-t-il la foi, l’espérance et la pénitence), il les anime, il leur commande, il les emploie heureusement au service de Dieu; et pour le reste des vertus qu’il ne trouve pas, il fait lui-même leurs fonctions, ayant autant et plus de force lui seul qu’elles ne sauraient avoir toutes ensemble.
Certes le grand Apôtre ne dit pas seulement que la charité nous donne la patience, bénignité, constance, simplicité; mais il dit qu’elle-même elle est patiente, bénigne, constante ; et c’est le propre des suprêmes vertus entre les anges et les hommes de pouvoir, non seulement ordonner aux inférieures qu’elles opèrent, mais aussi de pouvoir elles-mêmes faire ce qu’elles commandent aux autres. L’évêque donne les charges de toutes les fonctions ecclésiastiques, d’ouvrir l’église, d’y lire, exorciser, éclairer, prêcher, baptiser, sacrifier, communier, absoudre; et lui-même aussi peut faire et fait tout cela, ayant en soi une vertu éminente qui comprend toutes les autres inférieures. Ainsi saint Thomas, en considération de ce que saint Paul assure que la charité est patiente, bénigne et forte : La charité, dit-il, fait et accomplit les œuvres de toutes les vertus. Et saint Ambroise, écrivant à Démétrius, appelle la patience et les autres vertus membres de la charité ; et le grand saint Augustin dit que l’amour de Dieu comprend toutes les vertus, et fait toutes leurs opérations en nous. Voici ses paroles: « Ce qu’on dit que la vertu est divisée en quatre (il entend les quatre vertus cardinales), on le dit, ce me semble, à raison des diverses affections qui proviennent de l’amour: de manière que je ne ferai nul doute de définir ces quatre vertus, en sorte que la tempérance soit l’amour qui se donne tout entier à Dieu; la force, un amour qui supporte volontiers toutes choses pour Dieu; la justice, une force servant Dieu seul, et pour n cela commandant droitement à tout ce qui. est sujet à l’homme; la prudence, un amour qui choisit ce qui lui est profitable pour » s’unir avec Dieu, et rejette ce qui lui est nuisible.» Celui donc qui a la charité, a son esprit revêtu d’une belle robe nuptiale, laquelle, comme celle de Joseph, est parsemée de toute la variété des vertus ; ou plutôt il a une perfection qui contient la vertu de toutes les perfections, ou la perfection de toutes les vertus: et par ainsi la charité est patiente, bénigne; elle n’est point envieuse, mais bonteuse; elle ne fait point de légèretés, ains elle est prudente; elle ne s’enfle point d’orgueil, ains elle est humble ; elle n’est point ambitieuse ou dédaigneuse, ains aimable et affable; elle n’est point pointilleuse à vouloir ce qui lui appartient, ains franche et condescendante; elle ne s’irrite point, ains est paisible; elle ne pense aucun mal, ains est débonnaire; elle ne se réjouit point sur le suai, ains se réjouit avec la vérité et en la vérité; elle souffre tout, elle croit aisément fout ce qu’on lui dit de bien, sans aucune opiniâtreté, contention ni défiance; elle espère tout bien du prochain, sans jamais perdre courage de lui procurer son salut; elle soutient tout, attendant sans inquiétude ce qui lui est promis. Et pour conclusion, la charité est le fin or et enflammé que notre Seigneur conseillait à l’évêque de Laodicée d’acheter, lequel contient le prix de toutes choses, qui peut tout et qui fait tout. TRAITÉ DE L’AMOUR DE DIEU Livre XI
Saint Pierre Nolasque confesseur mémoire de Sainte Agnès pour la seconde fois
Collecte
O Dieu, qui, pour donner un exemple de votre charité, avez divinement inspiré à saint Pierre de rendre votre Église mère d’une nouvelle famille pour la rédemption des fidèles captifs, accordez-nous, par son intercession, d’être délivrés de la servitude du péché, et de jouir de la liberté sans fin dans la céleste patrie.
Office
AU DEUXIÈME NOCTURNE.
Quatrième leçon. Pierre Nolasque, né d’une famille noble à Recaud, près de Carcassonne, en France, se distingua par une charité singulière envers le prochain. Un présage de cette vertu se produisit un jour que Pierre, étant encore enfant, pleurait dans son berceau : un essaim d’abeilles vola vers lui, et construisit un rayon de miel dans sa main droite. Privé de ses parents dans son adolescence, et détestant l’hérésie des Albigeois qui exerçait alors ses ravages en France, il vendit son patrimoine, se retira en Espagne, et accomplit à Notre-Dame de Mont-Serrat un vœu par lequel il s’était lié. Il se dirigea ensuite vers Barcelone, et après y avoir employé tout l’argent qu’il possédait à racheter les fidèles du Christ, de la servitude des ennemis, il disait souvent qu’il désirait se vendre lui-même pour les délivrer, ou être chargé de leurs chaînes.
Cinquième leçon. L’événement suivant montra combien le désir du Saint plaisait à Dieu. Une nuit qu’il priait et roulait dans son esprit beaucoup de projets pour venir en aide aux Chrétiens vivant dans la captivité, la bienheureuse Vierge, lui apparaissant, lui fit entendre qu’il serait très agréable à son Fils et à elle qu’il instituât en son honneur un Ordre religieux, dont le soin principal serait de délivrer les captifs de la tyrannie des infidèles. Obéissant aussitôt à cet avertissement céleste, il institua l’Ordre de Notre-Dame de la Merci pour la rédemption des captifs, de concert avec saint Raymond de Pegnafort et Jacques 1er, roi d’Aragon, qui avaient reçu de la Mère de Dieu, en la même nuit, une révélation semblable. Les confrères de cet Ordre s’engagent, par un quatrième vœu, à demeurer en otage au pouvoir des païens, si cela est nécessaire pour la délivrance des Chrétiens.
Sixième leçon. Ayant fait vœu de virginité, il conserva toujours une chasteté sans tache. Il brilla d’une manière admirable par sa patience, son humilité, son abstinence et par toutes les autres vertus. Illustre par le don de prophétie, il annonça plusieurs événements futurs, parmi lesquels le plus célèbre est que le roi Jacques reprit Valence, occupée par les Maures, après avoir reçu du Saint l’assurance d’obtenir cette victoire. Il était consolé par de fréquentes apparitions de son Ange gardien et de ta Vierge Mère de Dieu. Enfin, accablé de vieillesse, instruit de l’imminence de sa mort, il tomba malade ; et, après avoir été fortifié par les sacrements, il exhorta ses frères à la charité envers les captifs. Puis, récitant avec grande dévotion le Psaume : « Je vous louerai, Seigneur, de tout mon cœur », étant arrivé à ces paroles :» Le Seigneur a envoyé la rédemption à son peuple », il rendit son esprit à Dieu, au milieu de la nuit de la Vigile de la Nativité du Seigneur, l’an mil deux cent cinquante-six. Alexandre VII a ordonné de célébrer sa fête le trente et unième jour de janvier
Dom Guéranger, l’Année Liturgique
Le Rédempteur des captifs, Pierre Nolasque, vient s’associer aujourd’hui sur le Cycle à son maître Raymond de Pegnafort ; et tous deux présentent pour hommage au Rédempteur universel les milliers de chrétiens qu’ils ont rachetés de l’esclavage, par la vertu de cette charité, qui, partie de Bethléem, a trouvé asile en leurs cœurs.
Né en France, dans notre Languedoc, Pierre a choisi pour seconde patrie l’Espagne, parce qu’elle offrait à son zèle une terre de dévouement et de sacrifices. Comme le Médiateur descendu du ciel, il s’est voué au rachat de ses frères ; il a renoncé à sa liberté pour procurer la leur ; et afin de leur rendre une patrie, il est resté en otage sous les liens de la servitude. Son dévouement a été fécond ; par ses efforts, un nouvel Ordre religieux s’est élevé dans l’Église, composé tout entier d’hommes généreux, qui, durant six siècles, n’ont prié, travaillé, vécu, que pour procurer le bienfait de la liberté à d’innombrables captifs, qui, sans eux, languissaient dans les fers, au péril de leurs âmes.
Gloire à Marie, qui a suscité ces Rédempteurs mortels ! Gloire l’Église catholique, qui les a produits de son sein toujours fécond ! Mais par-dessus tout, gloire à l’Emmanuel, qui dit, en entrant dans ce monde : « O Père ! les holocaustes pour le péché de l’homme ne vous ont point apaisé ; suspendez vos coups ; me voici. Vous m’avez donné un corps ; je viens, je m’immole ! ». Le dévouement du divin Enfant ne pouvait demeurer stérile. Il a daigné nous appeler ses frères, et s’offrir en notre place ; quel cœur d’homme pourrait désormais être insensible aux maux et aux dangers de ses frères ?
L’Emmanuel a récompensé Pierre Nolasque, en l’appelant à lui à l’heure même où, douze siècles plus tôt, il naissait à Bethléem. C’est du milieu des joies de la nuit de Noël que le Rédempteur mortel est parti pour aller rejoindre l’immortel Rédempteur. Au dernier moment, les lèvres défaillantes de Pierre murmuraient leur dernier cantique de la terre ; et quand il fut arrivé à ces paroles : Le Seigneur a envoyé la Rédemption à son peuple ; il a scellé avec lui son alliance pour jamais, son âme bienheureuse s’envola libre au ciel.
La sainte Église a dû assigner à la mémoire de Pierre un autre anniversaire que celui de son heureux trépas, puisque ce jour appartient tout entier à l’Emmanuel ; mais il était juste que l’élu marqué par une si haute faveur que de naître au ciel à l’heure où Jésus naît à la terre, reçût une place sur le Cycle avant la fin des quarante jours consacrés à la Naissance du divin libérateur.
Vous êtes venu apporter du ciel un feu sur la terre, ô Emmanuel, et vous nous dites que votre plus ardent désir est de le voir s’enflammer. Votre désir a été comblé dans le cœur de Pierre Nolasque, et dans celui de ses enfants. C’est ainsi que vous daignez associer des hommes à vos desseins d’amour et de miséricorde, et qu’en rétablissant l’harmonie entre Dieu et nous, vous resserrez l’union primitive entre nous et nos frères. Nous ne pouvons vous aimer, ô céleste Enfant, sans aimer tous les hommes ; et si vous venez à nous comme notre rançon et notre victime, vous voulez que nous soyons prêts aussi à nous sacrifier les uns aux autres.
O Pierre ! Vous avez été l’apôtre et le modèle de cette charité ; c’est pour cela que le Seigneur a voulu vous glorifier en vous appelant à la cour de son Fils, au jour anniversaire de la Naissance de ce Sauveur. Ce doux mystère qui, tant de fois, soutint votre courage, ranima vos dévouements, vous est apparu dans toute sa grandeur ; mais vos yeux ne voient plus seulement, comme nous, le tendre Enfant qui sourit dans son berceau ; c’est le Roi vainqueur, le Fils de Jéhovah dans sa splendeur divine, qui éblouit vos regards. Marie ne vous apparaît plus, comme à nous, pauvre et humblement penchée sur la crèche qui contient tout son amour ; à vos yeux, elle brille éclatante sur son trône de Reine, et resplendit d’un éclat qui ne le cède qu’à celui de la majesté divine. Et votre cœur n’est point troublé de cette gloire ; car, au ciel, vous êtes dans votre patrie. Le ciel est le temple et le palais de la charité ; et la charité, dès ici-bas, remplissait votre cœur ; elle était le principe de tous ses mouvements.
Priez, afin que nous connaissions davantage ce véritable amour de Dieu et des hommes qui nous rend semblables à Dieu. Il est écrit que celui qui demeure dans la charité, demeure en Dieu et Dieu en lui. ; faites donc que le mystère de charité que nous célébrons nous transforme en Celui qui fait l’objet de tous nos sentiments, dans ce temps de grâces et de merveilles. Donnez-nous d’aimer nos frères comme nous-mêmes, de les supporter, de les excuser, de nous oublier pour leur être utiles. Que nos exemples les soutiennent, que nos paroles les édifient ; que leurs âmes soient gagnées et consolées par notre affection ; que leurs corps soient soulagés par nos largesses.
Priez pour la France, votre patrie, ô Pierre ! Secourez l’Espagne, au sein de laquelle vous avez fondé votre sublime Institut. Protégez les restes précieux de cet Ordre par lequel vous avez opéré tant de miracles de charité. Consolez et délivrez les captifs que la main des hommes retient dans les prisons ou dans l’esclavage. Obtenez pour nous tous cette sainte liberté des enfants de Dieu dont parle l’Apôtre, et qui consiste dans l’obéissance à la loi de Dieu. Quand cette liberté régnera dans les cœurs, elle affranchira les corps. En vain l’homme extérieur cherche à être libre, si l’homme intérieur est asservi. Faites, ô Rédempteur de vos frères, que les liens de l’erreur et du péché cessent d’enchaîner nos sociétés ; c’est alors que vous les aurez rendues à la vraie liberté, qui produit et règle toutes les autres.
Saint Jean Chrysostome évêque confesseur et docteur
Collecte
Que la grâce céleste fasse croître, nous vous en prions Seigneur, votre Église que vous avez voulu illuminer par les glorieux mérites et les enseignement du bienheureux Jean Chrysostome, votre Confesseur et Docteur.
Office
AU DEUXIÈME NOCTURNE.
Quatrième leçon. Jean, né à Antioche, fut surnommé Chrysostome, à cause du fleuve d’or de son éloquence. Il quitta le barreau et les affaires du siècle pour s’adonner entièrement à l’étude des saintes lettres, dans laquelle il s’attira beaucoup de louanges par son génie et par sa science. Aussi ayant été initié aux mystères sacrés, puis fait Prêtre de l’Église d’Antioche, il fut préposé, malgré lui, à l’Église de Constantinople, après la mort de Nectaire, par les soins de l’empereur Arcadius. Dès qu’il eut reçu la charge pastorale, il commença à s’élever avec force contre la corruption des mœurs et la vie licencieuse des grands. Cette liberté le rendit l’objet d’une haine profonde de la part d’un grand nombre. Il blessa même vivement l’impératrice Eudoxie, en lui reprochant de s’être emparée de l’argent de la Veuve Callitrope, et du champ d’une autre veuve.
Cinquième leçon. C’est pourquoi les ennemis du Saint réunirent à Chalcédoine une assemblée de quelques Évêques ; Jean ayant été cité, ne voulut pas s’y rendre, disant que ce concile n’était ni public ni légitime. Il fut donc envoyé en exil, principalement par les efforts d’Eudoxie ; mais peu après, le regret de son absence excita une sédition parmi le peuple, et on le rappela aux grands applaudissements de la cité. Comme il ne laissait pas de tonner contre les vices, et qu’il défendait de célébrer des jeux devant la statue d’argent d’Eudoxie, sur la place de Sainte-Sophie, une conspiration des Évêques s.es ennemis le contraignit de nouveau à s’exiler, tandis que les veuves et les indigents pleuraient le bannissement de leur père commun. On ne saurait croire combien de maux Chrysostome souffrit en exil, ni combien d’âmes il convertit à la foi de Jésus-Christ.
Sixième leçon. Tandis que le souverain Pontife Innocent Ier, par un décret porté dans un concile tenu à Rome, le rétablissait sur son siège, il était accablé durant le voyage, de souffrances et de privations inouïes par les soldats qui le gardaient. Comme on le conduisait par l’Arménie, le Martyr saint Basilisque, dans l’église duquel il avait auparavant prié, lui parla ainsi durant la nuit : « Jean, mon frère, le jour de demain nous réunira dans un même lieu. » Il prit donc le lendemain le sacrement de l’Eucharistie, et, s’étant muni du signe de la croix, il rendit son âme à Dieu, le dix-huit des calendes d’octobre. Après sa mort, une effroyable grêle tomba sur Constantinople, et quatre jours plus tard, l’impératrice quitta cette vie. Théodose, fils d’Arcadius, fit apporter le corps du Saint à Constantinople avec une pompe insigne et au milieu d’une grande affluence de peuple : il le fit ensevelir honorablement le six des calendes de février, et lui-même, vénérant ses reliques, implora le pardon de ses parents. Depuis, le corps du Saint, ayant été transporté à Rome, fut enseveli dans la basilique Vaticane. Tous admirent le nombre, la piété, la beauté de ses sermons et de ses autres écrits, sa manière d’interpréter les livres sacrés et de les expliquer en s’attachant au sens littéral des paroles. Il semble que saint Paul lui ait dicté beaucoup des choses qu’il a écrites ou prêchées, et tout le monde l’estime digne d’une telle faveur. Pie X a déclaré et constitué cet illustre saint, Docteur de l’Église universelle et céleste patron de tous les orateurs sacrés.
Avant l’arrivée de notre Emmanuel, les hommes étaient comme des brebis sans pasteur ; le troupeau était dispersé, et le genre humain courait à sa ruine. Jésus ne s’est donc pas contenté d’être l’Agneau destiné à l’immolation pour nos péchés ; il a voulu revêtir le caractère de Pasteur, pour nous rallier tous dans le divin bercail. Mais, comme il devait remonter aux cieux, il a pourvu aux besoins de ses brebis en établissant une suite de pasteurs qui paissent, en son nom, le troupeau, jusqu’à la consommation des siècles. Or, les brebis du Seigneur ont principalement besoin de la doctrine, qui est la lumière dévie ; c’est pourquoi l’Emmanuel a voulu que les Pasteurs fussent aussi docteurs. La Parole divine et les Sacrements, telle est la dette des pasteurs envers leurs troupeaux. Ils doivent dispenser par eux-mêmes, et sans cesse, cette double nourriture à leurs brebis, et donner leur vie, s’il le faut, pour l’accomplissement d’un devoir sur lequel repose l’œuvre tout entière du salut du monde.
Mais, comme le disciple n’est point au-dessus du Maître, les Pasteurs et Docteurs du peuple chrétien, s’ils sont fidèles, sont en butte à la haine des ennemis de Dieu ; car ils ne peuvent étendre le royaume de Jésus-Christ qu’au détriment de la domination de Satan. Aussi l’histoire de l’Église n’est-elle, à chaque page, que le récit des persécutions qu’ont endurées les Pasteurs et Docteurs qui ont voulu continuer le ministère de zèle et de charité que le Christ a ouvert sur la terre. Trois sortes de combats leur ont été livrés dans la suite des siècles, et ont donné occasion à trois admirables victoires. Les Pasteurs et Docteurs des Églises ont eu à lutter contre l’erreur païenne, qui s’opposait par le carnage à la prédication de la loi sublime du Christ ; c’est cette persécution qui a couronné et réuni autour du berceau de l’Emmanuel, dans les quarante jours consacrés à sa Naissance, les Polycarpe, les Ignace, les Fabien, les Marcel, les Hygin, les Télesphore.
Après l’âge des persécutions, une nouvelle arène, non moins glorieuse, s’est ouverte pour les Pasteurs et Docteurs du peuple chrétien. Les princes, devenus d’abord enfants de l’Église, ont voulu bientôt l’enchaîner. Ils ont cru dans l’intérêt de leur politique d’asservir cette parole qui doit librement parcourir le monde en tous sens, comme la lumière visible qui est son image. Ils ont voulu être prêtres et pontifes, comme aux jours du paganisme, et mettre arrêt sur ces sources de vie qui se tarissent dès qu’une main profane les a touchées. Une lutte incessante s’est établie entre les deux pouvoirs, spirituel et temporel ; cette longue période a produit aussi ses athlètes et ses martyrs. En chaque siècle, Dieu a glorifié son Église par les combats et les triomphes de plus d’un vaillant champion de la parole et du ministère. Thomas de Cantorbéry, Hilaire de Poitiers, représentent dignement ces chevaliers à la Cour du Roi nouveau-né.
Mais il est une autre série de combats pour les Pasteurs et Docteurs du peuple fidèle : c’est la lutte contre le monde et ses vices. Elle dure depuis le commencement du Christianisme, elle occupera les forces de l’Église jusqu’au dernier jour ; et c’est parce qu’ils l’ont soutenue avec courage, que tant de saints prélats ont été odieux pour le nom de Jésus-Christ. Ni la charité, ni les services de tout genre, ni l’humilité, ni la mansuétude, ne les ont garantis de l’ingratitude, de la haine, de la calomnie, des persécutions ; parce qu’ils étaient fidèles à proclamer la doctrine de leur Maître, à venger la vertu, à s’opposer aux pécheurs. François de Sales n’a pas été plus exempt des effets de la malice des hommes que Jean Chrysostome lui-même, dont le triomphe réjouit aujourd’hui l’Église, et qui se présente au berceau de l’Emmanuel comme le plus illustre des martyrs du devoir pastoral.
Disciple du Sauveur des hommes jusque dans la pratique de ses conseils par la profession monastique, ce prédicateur à la bouche d’or n’a employé le don de son éloquence sublime qu’à recommander les vertus apportées par le Christ sur la terre, qu’à reprendre toute sorte de pécheurs. Une impératrice, dont il avait dénoncé les vanités païennes ; des hommes puissants, dont il avait signalé les œuvres mauvaises ; des femmes influentes, aux oreilles desquelles sa voix importune tonnait trop souvent ; un évêque d’Alexandrie, des prélats de cour, plus jaloux encore de sa réputation que de sa vertu : telles sont les forces que l’enfer réunit contre Jean. L’amour de son peuple ne le garantira pas plus que la sainteté de sa vie ; et l’on verra cet illustre pontife qui avait ravi par le charme de sa parole les habitants d’Antioche, et autour duquel Constantinople tout entière se réunissait dans un enthousiasme qui ne se ralentit pas un seul jour, après s’être vu déposé dans un indigne conciliabule, après avoir vu son nom effacé des diptyques de l’autel, malgré la protestation énergique du Pontife romain, s’en aller mourir de fatigue, entre les mains des soldats, sur la route de l’exil.
Mais ce Pasteur, ce Docteur n’était pas vaincu. Il répétait, avec le grand Paul : « Malheur à moi, si je ne prêche pas l’Évangile ! ». Et encore : « La parole de Dieu ne s’enchaîne pas. ». L’Église triomphait en lui, plus glorifiée et plus consolidée par la constance de Chrysostome mené en captivité pour avoir prêché la doctrine de Jésus-Christ, que par les succès de cette éloquence que Libanius avait enviée pour le paganisme. Écoutons les fortes paroles de Chrysostome, à la veille de partir pour son dernier exil. Déjà il a été enlevé une fois ; mais un affreux tremblement de terre, présage de la colère du ciel, a contraint Eudoxie elle-même à demander avec larmes son rappel à l’Empereur. De nouveaux orages se forment contre Jean ; mais il sent que toute la force de l’Église est en lui, et il défie la tempête. Apprenons ce que c’est qu’un Évêque formé à l’école de Jésus-Christ, le Pasteur et l’Évêque de nos âmes, comme parle saint Pierre :
« Les flots et la tourmente s’avancent contre nous ; cependant nous ne craignons pas d’en être submergés ; car nous sommes assis sur la pierre. Que la mer s’élance dans tout son courroux, elle ne dissoudra pas la pierre ; que les flots montent, ils ne submergeront pas le vaisseau de Jésus. Je vous le demande, que craindrions-nous ? La mort ? Mais le Christ est ma vie, et mourir m’est un gain. L’exil, me direz-vous ? Mais la terre est au Seigneur, avec tout ce qu’elle renferme. La confiscation des biens ? Mais nous n’avons rien apporté en venant en ce monde, et nous rien pouvons rien emporter. Les terreurs de ce monde me sont à mépris, et ses biens n’excitent que ma risée. Je ne crains pas la pauvreté, je ne convoite pas les richesses, je ne redoute pas la mort ; et si je désire vivre, c’est uniquement pour votre avantage. Votre intérêt est même le seul motif qui me porte à faire allusion à la circonstance présente.
« Voici la prière que je fais à votre charité : « Ayez confiance. Nul ne pourra nous séparer ; ce que Dieu a joint, ce n’est pas à l’homme de le désunir. Dieu l’a dit à propos de l’union de l’homme et de la femme. Tu ne peux, ô homme ! briser le lien d’un seul mariage ; comment pourrais-tu diviser l’Église de Dieu ? C’est donc elle que tu attaques, parce que tu ne peux atteindre celui que tu poursuis. Le moyen de rendre ma gloire plus éclatante, d’épuiser plus sûrement encore tes forces, c’est de me combattre ; car il te sera dur de regimber contre l’aiguillon. Tu n’en émousseras pas la pointe, et tes pieds en seront ensanglantés. Les flots n’entament pas le rocher ; ils retombent sur eux-mêmes, écume impuissante.
« O homme ! Rien n’est comparable à la force de l’Église. Cesse la guerre, si tu ne veux pas sentir épuiser tes forces ; ne fais pas la guerre au ciel. Si tu déclares la guerre à l’homme, tu peux vaincre, ou succomber ; mais quand tu attaques l’Église, l’espoir de vaincre t’est interdit ; car Dieu est plus fort que tout. Serions-nous donc jaloux du Seigneur ? Serions-nous plus puissants que lui ? Dieu a fondé, il a affermi ; qui essaiera d’ébranler ? Tu ne connais donc pas sa force ? Il regarde la terre, et il la fait trembler ; il commande, et ce qui était ébranlé devient solide. Si naguère il a raffermi votre ville agitée par un tremblement de terre, combien plus pourra-t-il rasseoir l’Église ! Mais elle est plus solide que le ciel même. Le ciel et la terre passeront, dit le Seigneur ; mais mes paroles ne passeront point. Et quelles paroles ? Tu es Pierre, et sur cette pierre qui est à moi, je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront pas contre elle.
« Si tu ne crois pas à cette parole, crois aux faits. Combien de tyrans ont essayé d’écraser l’Église ? Que de bûchers, que de bêtes féroces, que de glaives ! Et tout cela pour ne rien produire. Où sont maintenant ces redoutables ennemis ? Le silence et l’oubli en ont fait justice. Et l’Église, où est-elle ? Sous nos yeux, plus resplendissante que le soleil. Mais si, lorsque les chrétiens étaient en petit nombre, ils n’ont pas été vaincus ; aujourd’hui que l’univers entier est plein de cette religion sainte, comment les pourrais-tu vaincre ? Le ciel et la terre passeront, dit le Christ, mais mes paroles ne passeront, pas. Et il en doit être ainsi ; car l’Église a est plus aimée de Dieu que le ciel même. Ce n’est pas du ciel qu’il a pris un corps ; la chair qu’il a prise appartient à l’Église. Le ciel est pour l’Église, et non pas l’Église pour le ciel.
« Ne vous troublez pas de ce qui est arrivé. Faites-moi cette grâce, d’être immobiles dans la foi. N’avez-vous pas vu Pierre, lorsqu’il marchait sur les eaux, pour avoir douté un instant, courir le risque d’être submergé, non par l’impétuosité des flots, mais à cause de la faiblesse de sa foi ? Sommes-nous donc montés sur ce siège par les calculs humains ? L’homme nous a-t-il élevé, pour que l’homme nous puisse renverser ? Je ne le dis pas par arrogance, ni par une vaine jactance : à Dieu ne plaise ! je veux seulement affermir ce qui en vous serait flottant.
« La ville était rassise sur ses bases ; le diable a voulu ébranler l’Église. O esprit de scélératesse et d’infamie ! tu n’as pas su renverser des murailles, et tu espères ébranler l’Église ! Consiste-t-elle donc dans des murailles, l’Église ? Non ; l’Église, c’est la multitude des fidèles ; ils sont ses fermes colonnes, non liées avec le fer, mais serrées par la foi. Je ne dis pas seulement qu’une telle multitude a plus de force que le feu ; ta rage ne saurait triompher même d’un seul chrétien. Rappelle-toi quelles blessures t’ont infligées les martyrs. N’a-t-on pas vu souvent comparaître une jeune fille délicate, amenée devant le juge, avant l’âge nubile ? Elle était plus tendre que la cire, et cependant plus ferme que la pierre. Tu déchirais ses flancs ; tu ne lui enlevais pas la foi. La chair cédait sous l’instrument de torture, la constance dans la foi ne cédait pas. Tu n’as pu vaincre même une femme, et tu espères surmonter tout un peuple ? Tu n’as donc pas entendu le Seigneur qui disait : Là où deux ou trois sont rassemblés en mon Nom, j’y suis au milieu d’eux ? Et il ne serait pas présent au milieu d’un peuple nombreux, enchaîné par les liens de la charité !
« J’ai en mes mains le gage, je possède sa promesse écrite ; c’est là le bâton sur lequel je m’appuie, c’est là ma sécurité, c’est là mon port tranquille. Que l’univers entier s’agite ; je me contente de relire ces caractères sacrés ; c’est là mon mur, c’est là ma forteresse. Mais quels caractères ? Ceux-ci : Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles. Le Christ est avec moi ! qu’ai-je à craindre ? Quand les flots s’élèveraient contre moi, quand les mers, quand la fureur des princes ; pour moi, tout cela est moins qu’une toile d’araignée. Si votre charité ne m’eût retenu, j’étais prêt à partir pour l’exil, dès aujourd’hui même. Voici ma prière : « Seigneur, que votre volonté se fasse ; non telle ou telle volonté, mais la vôtre. Qu’il arrive ce que Dieu voudra ; s’il veut que je reste ici, je l’en remercie ; en quelque lieu qu’il veuille que je sois transporté, je lui rends grâces. »
Tel est le cœur du ministre de Jésus-Christ, humble et invincible. Et Dieu donne de ces hommes dans tous les siècles ; et quand ils deviennent rares, tout languit et s’éteint. Quatre Docteurs de ce caractère ont été donnés à l’Église Orientale : Athanase, Grégoire de Nazianze, Basile et Chrysostome ; et le siècle qui les a produits conserva la foi, malgré les plus redoutables périls. Les deux premiers brillent au Cycle, à l’époque où l’Église est toute radieuse de l’éclat de son Époux ressuscité ; le troisième signale le temps où les dons de l’Esprit d’amour ont fécondé l’Église ; Chrysostome nous réjouit par sa présence, en ce jour où le Verbe de Dieu nous apparaît sous les livrées de l’infirmité et de l’enfance. Nous, heureux fils de l’Église latine qui seule a eu le bonheur de conserver la foi primitive, parce que Pierre est avec elle, honorons ces quatre fortes colonnes de l’édifice de la tradition ; mais rendons aujourd’hui nos hommages à Chrysostome, le Docteur de toutes les Églises, le vainqueur du monde, le Pasteur inébranlable, le successeur des Martyrs, le prédicateur par excellence, l’admirateur de Paul, l’imitateur du Christ.
L’Église Grecque emploie tout son enthousiasme liturgique, dans les Menées, pour exalter la gloire de son grand Docteur. Nous lui emprunterons quelques strophes.
Que de couronnes ornent votre front, ô Chrysostome ! Que votre nom est glorieux dans l’Église de la terre et dans l’Église du ciel ! Vous avez enseigné avec vérité, vous avez combattu avec constance vous avez souffert pour la justice, vous êtes mort pour la liberté de la parole de Dieu. Les applaudissements des hommes ne vous ont point séduit ; le don de l’éloquence évangélique, dont l’Esprit-Saint vous avait enrichi, n’était qu’une faible image de la splendeur et de la force des feux dont le Verbe divin remplissait votre cœur. Vous l’avez aimé, ce Verbe, ce Jésus, plus que votre gloire, plus que votre repos, plus que votre vie. Votre mémoire a été poursuivie par les hommes ; des mains perfides ont effacé votre nom des tables de l’autel ; d’indignes passions ont dicté une sentence dans laquelle, comme votre Maître, vous étiez mis au rang des criminels, et vous avez été précipité des degrés de la chaire sacrée. Mais il n’est pas au pouvoir des hommes d’éteindre le soleil, ni d’effacer la mémoire de Chrysostome. Rome vous a été fidèle ; elle a gardé avec honneur votre nom, comme aujourd’hui encore elle garde votre corps sacré, près de celui du Prince des Apôtres. Le monde chrétien tout entier vous proclame comme l’un des plus fidèles dispensateurs de la Vérité divine.
En retour de nos hommages, ô Chrysostome, regardez-nous du haut du ciel comme vos brebis ; instruisez-nous, réformez-nous, rendez-nous chrétiens. Comme votre sublime maître Paul, vous ne saviez que Jésus-Christ ; mais c’est en Jésus-Christ que tous les trésors de la science et de la sagesse sont cachés. Révélez-nous ce Sauveur qui est venu à nous, avec tant de charmes et de douceur ; faites-nous connaître son esprit ; enseignez-nous la manière de lui plaire, les moyens de l’imiter ; faites-lui agréer notre amour. Comme vous, nous sommes exilés ; mais nous aimons trop le lieu de notre exil ; souvent nous sommes tentés de le prendre pour une patrie. Détachez-nous de ce séjour terrestre, et de ses illusions. Que nous ayons hâte d’être réunis à vous, comme vous fûtes réuni à Basilisque, afin d’être avec Jésus-Christ, en qui nous vous retrouverons pour jamais.
Pasteur fidèle, priez pour nos Pasteurs ; obtenez-leur votre esprit, et rendez leurs troupeaux dociles. Bénissez les prédicateurs de la parole sainte, afin qu’ils ne se prêchent pas eux-mêmes, mais Jésus-Christ. Rendez-nous l’éloquence chrétienne qui s’inspire des Livres saints et de la prière, afin que les peuples, séduits par un langage du ciel, se convertissent et rendent gloire à Dieu. Protégez le Pontife romain dont le prédécesseur osa seul vous défendre ; que son cœur soit toujours l’asile des Évêques persécutés pour la justice. Rendez la vie à votre Église de Constantinople, qui a oublié vos exemples et votre foi. Relevez-la de l’avilissement où elle languit depuis longtemps. Touché enfin par vos prières, que le Christ, Sagesse éternelle, se souvienne de son Église de Sainte-Sophie ; qu’il daigne la purifier, et y rétablir l’autel sur lequel il s’immola durant tant de siècles. Aimez toujours les Églises de l’Occident, auxquelles votre gloire a constamment été chère. Hâtez la chute des hérésies qui ont désolé plusieurs de nos chrétientés, dissipez les ténèbres de l’incrédulité, ranimez la foi parmi nous et faites fleurir les vertus.
Je l'ai souvent dit, je le répéterai maintenant encore, et je ne cesserai point de le dire : Qu'est-ce donc? C'est que souvent Jésus-Christ, lorsqu'il veut parler de choses élevées et sublimes, s'abaisse à la portée de ses auditeurs, et ne se sert point de paroles dignes de sa grandeur, mais des plus simples et des plus grossières. S'il avait une fois parlé des choses divines en propres termes, il n'avait pas besoin de se répéter pour nous instruire, du moins autant qu'il est possible, mais il n'en est pas de même des paroles simples et grossières, par lesquelles il se mettait à la portée de ses auditeurs, si elles n'eussent été fréquemment répétées, comme il s'agissait de choses sublimes, elles n'auraient point touché, ni ébranlé un auditeur charnel qui rampait à terre. Voilà pourquoi Jésus-Christ a beaucoup plus dit de choses simples que d'élevées, mais de peur que cela ne fît tort à ses disciples, et ne les laissât toujours courbés vers la terre, il ne dit point ces choses simples, il ne se sert point de ces grossières comparaisons, sans marquer pour quelle raison il en use de la sorte, et c'est ce qu'il a fait en cet endroit. Ayant discouru du baptême, et de cette renaissance qu'opère la grâce, voulant parler ensuite de son ineffable et mystérieuse génération, il interrompt son discours et il en déclare lui-même la cause. Quelle est-elle ? c'est la grossièreté et la faiblesse de ses auditeurs : il l'a même insinué incontinent après par ces paroles: « Si vous ne me croyez pas lorsque je avons parle des choses de la terre, comment me croirez-vous quand je vous parlerai des choses du ciel ? » C'est pourquoi, quand Jésus-Christ dit quelque chose de simple et de grossier, il faut en attribuer la raison à la faiblesse et à la grossièreté de ses auditeurs.
Au reste quelques-uns croient qu'en cet endroit ces mots, les choses de la terre, signifient le vent, et que cela revient à dire, si vous ayant donné l'exemple des choses de la terre, néanmoins je ne me suis pas fait entendre, comment pourrez-vous comprendre des choses qui sont très élevées et très sublimes? Mais s'il appelle ici le baptême terrestre, n'en soyez pas surpris, il l'appelle ainsi, ou parce qu'il est conféré sur la terre, ou parce qu'il le compare avec sa redoutable génération, car quoique la renaissance qu'opère le baptême soit céleste, si néanmoins on la compare avec cette génération que produit la substance du Père, on peut la dire terrestre. Et remarquez que Jésus-Christ n'a point dit : Vous ne comprenez pas, mais: Vous ne croyez pas. En effet, accuser de folie celui qui ne veut pas croire, ne le comprenant pas, ce qui est du domaine de la raison, rien n'est plus juste, et au contraire si quelqu'un refuse de recevoir ce que la raison n'admet pas et qui n'est accessible qu'à la foi, on ne l'accusé pas de folie, mais on le blâme à cause de son incrédulité. Jésus-Christ donc voulant ramener Nicodème, lui parle avec plus de force et lui reproche son incrédulité, afin qu'il ne cherche pas à comprendre par le raisonnement le sens de ses paroles mais si la foi nous oblige de croire à notre régénération, quel supplice ne méritent pas ceux qui cherchent à connaître par la raison la génération du Fils unique?
Mais peut-être quelqu'un dira : pourquoi Jésus-Christ a-t-il dit ces choses, si ses auditeurs devaient refuser de les croire? C'est parce que si ceux-là ne les croyaient pas, il était sûr que les hommes qui viendraient après eux les croiraient, et en retireraient un grand avantage. Jésus-Christ donc, parlant à Nicodème avec beaucoup de force, lui fait voir enfin que non seulement il connaît ces choses, mais encore bien d'autres, incomparablement plus grandes, ce qu'il montre par les paroles qui suivent, où il dit: « Personne n'est monté au ciel, que celui qui est descendu du ciel », savoir : « le Fils de l'homme qui est dans le ciel ». Et quelle est, direz-vous, cette conséquence? Elle est très grande et très bien liée à ce qui précède, Nicodème avait dit : « Nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu pour nous instruire comme un docteur », Jésus-Christ amende ces paroles, en lui disant, ou à peu près : Ne pensez pas que je sois docteur, comme l'ont été plusieurs prophètes, qui étaient des hommes terrestres, car moi, je viens du ciel. Aucun des prophètes n'est monté au ciel, et moi j'y habite. Ne voyez-vous pas, mes frères, que ce qui paraît même très élevé reste fort au-dessous d'une telle grandeur? Car Jésus-Christ n'est pas seulement dans le ciel, il est partout, il remplit tout, mais il se rabaisse encore à la portée et à la faiblesse de son auditeur, afin de l'élever peu à peu. Au reste, en cet endroit, Jésus-Christ n'appelle pas la chair le Fils de l'homme, mais il se désigne tout entier, pour ainsi parler, par le nom de la moindre substance. En effet, il a coutume de se nommer tout entier, tantôt par la divinité, tantôt par l'humanité.
« Et comme Moïse éleva dans le désert le serpent d'airain, il faut de même que le Fils de l'homme soit élevé en haut ». Ceci encore parait ne pas se rattacher à ce qui précède, et néanmoins s'y rapporte tout à fait. Car, après, avoir dit que le baptême procure aux hommes un très grand bien, il découvre aussitôt la source de ce bienfait, et fait connaître qu'elle n'est pas moins, précieuse que l'autre, puisque le baptême tire toute sa vertu de la croix. Saint Paul, écrivant aux Corinthiens, en use de même, il joint ces biens ensemble, en disant : « Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous, ou avez-vous été baptisé au nom de Paul?» (I Cor. I, 13). Par où l'apôtre fait parfaitement connaître l'ineffable amour de Jésus-Christ, en ce qu'il a souffert pour ses ennemis et est mort pour eux, afin de leur remettre entièrement leurs péchés par le baptême.
Mais pourquoi n'a-t-il pas clairement dit qu'il devait être crucifié, et a-t-il renvoyé ses auditeurs à l'ancienne figure? Premièrement pour leur montrer la liaison et la concorde qu'il y a entre l'Ancien et le Nouveau Testament, et leur apprendre que ce qui s'est passé dans l'un, n'est pas contraire à ce qui se passe dans l'autre. En second lieu, afin que vous compreniez vous-mêmes et que vous soyez bien persuadés qu'il n'est pas allé à la mort malgré lui; de plus que cette mort ne lui fait aucun tort, et enfin que c'est par elle qu'il procure le salut de plusieurs. Et de peur que quelqu'un ne dît : Comment peut-il se faire que ceux qui croient à un homme crucifié soient sauvés, puisque la mort l'a enlevé lui-même? Il nous rappelle une ancienne histoire. Si les Juifs qui regardaient la figure du serpent d'airain (Ex. XXI), évitaient la mort, à plus forte raison, ceux qui croient en Jésus-Christ crucifié, recevront-ils de grands ors et des grâces plus excellentes. En effet, si Jésus-Christ a été crucifié, ce n'est pas qu'il ait été le plus faible ou les Juifs les plus forts, son temple animé a été attaché à la croix, parce que Dieu a aimé le monde.
« Afin que tout homme qui croit en lui, ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle ». Ne voyez-vous pas la cause de la mort et le salut qu'elle procure? Ne voyez-vous pas l'accord de la figure avec la vérité? Alors les Juifs évitèrent la mort, mais une mort temporelle, maintenant les fidèles sont préservés de la mort éternelle. Là le serpent élevé en l'air guérissait les morsures des serpents; ici, Jésus crucifié guérit les blessures que fait le dragon spirituel. Là, celui qui regardait des yeux du corps était guéri; ici, celui qui voit des yeux de l'âme, se décharge de tous ses péchés. Là pendait une figure d'airain qui représentait un serpent, ici le corps du Seigneur que le Saint-Esprit a formé. Là, un serpent mordait et un serpent guérissait; ici la mort a donné la mort, et la mort a donné la vie. Le serpent qui tuait avait du venin, celui qui donnait la vie n'avait point de venin. Ici c'est la même chose : la mort qui donnait la mort avait le péché, comme le serpent avait le venin; mais la mort du Seigneur était exempte de tout péché, comme le serpent d'airain l'était du venin : « Car il n'avait commis aucun péché », dit l’Écriture, « et de sa bouche il n'est jamais sorti aucune parole de tromperie ». (I P. II, 23) C'est là ce qu'a déclaré saint Paul par ces paroles: « Jésus-Christ ayant désarmé les principautés et les puissances, les a menées hautement en triomphe à la face de tout le monde, après les avoir vaincues par lui-même ». (Col. II, 15) De même qu'un courageux athlète, qui, élevant fort haut son ennemi, le jette par terre, remporte une plus illustre victoire, ainsi Jésus-Christ, à la face de tout le monde, a terrassé les puissances qui nous étaient ennemies, et, après avoir guéri ceux qui avaient été blessés dans le désert, il les a, par son crucifiement, délivrés de toutes les bêtes; aussi Jésus-Christ n'a point dit : II faut que le Fils de l'homme soit attaché à une croix, mais il a dit : Il faut qu'il soit élevé, de manière à choquer moins celui qui l'écoutait, et à se rapprocher de la figure.
« Car Dieu a tellement aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique, afin que tout homme qui croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle ». C'est-à-dire: Ne vous étonnez pas que je sois élevé, afin que vous soyez sauvés, ainsi a décidé mon Père, et mon Père vous a tellement aimés, qu'il a donné son Fils pour ses serviteurs et pour des serviteurs ingrats; quand personne n'en ferait autant pour son ami. Saint Paul dit même
« Et certes, à peine quelqu'un voudrait-il mourir pour un juste ». (Rm. V, 7). L'apôtre appuie davantage sur cet amour de Dieu, parce qu'il parlait à des fidèles, Jésus-Christ l'exprime ici avec plus de ménagement, parce qu'il parlait à Nicodème, mais ce qu'il dit est plus significatif encore, comme on peut s'en convaincre en pesant chacun des mots dont il se sert. Car ces paroles: « Il a tellement aimé », et cette opposition : « Dieu, le monde », montrent un incomparable amour.
En effet, elle est grande la différence qui est entre Dieu et le monde, ou plutôt elle est immense. Dieu, l'immortel, celui qui est sans principe, qui a une grandeur infinie, a aimé des hommes formés de terre et de cendres, chargés d'une multitude de péchés, qui ne cessaient de l'offenser, des ingrats : oui, dis-je, voilà ceux qu'il a aimés. Les paroles qui suivent sont aussi fortes, car il ajoute : « Qu'il a donné son Fils unique », non pas un de ses serviteurs, ni un ange, ni un archange. Mais personne n’a jamais marqué tant d'affection, tant d'amour pour son fils même, que Dieu en a eu pour des serviteurs ingrats. Jésus-Christ prédit donc ici sa Passion; sinon ouvertement, du moins d'une manière enveloppée, mais l'avantage et le bien qui devait revenir de sa Passion, il le déclare ouvertement : «Afin, dit-il, que tout homme qui croit en lui, ne périsse point mais qu'il ait la vie éternelle». Jésus-Christ avait dit qu'il serait élevé, et il avait insinué sa mort. Ces paroles pouvaient causer du chagrin et de la tristesse à Nicodème, lui inspirer à son sujet des sentiments humains, et lui faire penser que sa mort serait la fin de sa vie. Voyez de quelle façon il rectifie tout cela, en disant que la victime offerte est le Fils de Dieu, le principe et la source de la vie et de la vie éternelle, or, celui qui, par sa mort, devait donner la vie aux autres, ne pouvait longtemps demeurer dans la mort. Si ceux qui croient en Jésus-Christ crucifié ne périssent point, bien moins périra-t-il celui qui est crucifié. Celui qui tire les autres de leur perte doit lui-même être bien plus exempt de périr, celui qui donne la vie aux autres, à plus forte raison se la donnera-t-il à lui-même.
Ne voyez-vous pas, mes chers frères, que partout on a besoin de la foi ? Car Jésus-Christ dit que la croix est une source et un principe de vie. La raison ne l'admettra pas facilement témoin les sarcasmes actuels des gentils. Mais la foi qui s'élève au-dessus de la faiblesse de la raison, croit et reçoit cette vérité. Et d'où vient que Dieu a tant aimé le monde ? D'où cela vient-il ? Uniquement de sa bonté.
3. Qu'un si grand amour nous couvre donc de honte, qu'un si grand excès de bonté nous lasse donc rougir. Dieu, pour nous sauver, n'a même pas épargné son propre Fils (Rm. VIII, 32), et nous épargnons nos richesses pour notre perte. Dieu adonné pour nous son Fils unique, et nous ne méprisons pas l'argent pour son amour, ni même pour notre bien et notre avantage. Une pareille conduite, une ingratitude si extrême, de quel pardon est-elle digne? Si nous voyons un homme s'exposer pour nous aux périls et à la mort, nous le préférons à tous les autres, nous le considérons même comme notre ami le plus intime, nous lui donnons tous nos biens et nous disons qu'ils sont plus à lui qu'à nous-mêmes, et encore ne croyons-nous pas nous, être assez libérés envers lui. Mais, à l'égard de Jésus-Christ, nous ne nous conduisons pas de même, nous n'avons pas un cœur si reconnaissant. Jésus-Christ a donné sa vie pour nous, et il a répandu pour nous son précieux sang, pour nous, dis-je, êtres sans bonté et sans amour pour lui. Mais nous, notre argent, nous ne le dépensons même pas pour notre utilité, nous abandonnons celui qui est mort pour nous, nous le laissons nu, nous le laissons sans logement et qui nous délivrera du supplice au jugement futur? Si Dieu ne nous punissait pas, si c'était à nous à nous punir nous-mêmes, ne prononcerions-nous pas l'arrêt contre nous? ne nous condamnerions-nous pas au feu de l'enfer, pour avoir méprisé et laissé se consumer de faim celui qui a donné sa vie pour nous?
Et pourquoi m'arrêter à parler de l'argent et des richesses? Si nous avions mille vies, n'aurait-il pas fallu les offrir toutes pour Jésus-Christ? Et en cela même nous n'aurions encore rien fait qui fût comparable au bien que nous avons reçu. En effet, celui qui oblige le premier, donne une marque évidente de sa bonté, mais celui qui a reçu un bienfait, quoiqu'il donne ensuite, ne fait pas une grâce : il s'acquitte d'une dette, et surtout lorsque celui qui donne le premier fait ce bien à des gens qui sont ses ennemis, et que celui qui use de retour et de reconnaissance donne à son bienfaiteur des biens qu'il lui doit, et qu'il doit recouvrer un jour.
Mais toutes ces choses ne nous touchent pas, et nous sommes si ingrats, que lors même que nous couvrons d'or nos serviteurs, nos mules, nos chevaux, nous méprisons Notre-Seigneur, nous le laissons marcher nu dans les rues, demander son pain de porte en porte, debout dans les carrefours, et nous tendre les mains, sans lui rien donner, et souvent même en le regardant avec dureté, bien qu'il se soumette pour notre amour à toutes ces peines et ces misères. Car volontairement il a faim, afin que vous le nourrissiez, il marche nu, pour vous fournir l'occasion de revêtir un vêtement incorruptible, et cependant vous ne lui donnez rien, vos habits, ou les vers les mangent, ou bien vous en chargez inutilement des coffres, et ils ne sont pour vous qu'un embarras, pendant que celui qui vous les a donnés, avec tout ce que vous possédez, se promène tout nu dans les rues.
Mais vous ne les enfermez pas dans vos coffres, vous vous en habillez magnifiquement? Que vous en revient-il de plus, je vous prie ? Est-ce afin que cette foule de peuple qui inonde la place vous regarde? Et de quoi cela vous sert-il? Le peuple n'admire pas celui qui porte ces habits magnifiques, mais bien celui qui donne aux pauvres. Si vous voulez qu'on vous admire, habillez les pauvres, et vous recevrez mille applaudissements. Alors Dieu se joindra aux hommes pour vous louer; mais si vous faites le contraire, personne ne vous louera; tous vous porteront envie et parleront mal de vous, voyant votre corps bien paré et votre âme négligée. Ces sortes d'ornements se voient jusque sur le corps des prostituées, souvent même ce sont elles qui portent les plus beaux et les plus riches habits. Mais les gens de bien ne recherchent que la vertu et s'appliquent seulement à bien orner leur âme.
Je vous dis souvent ces choses, et je ne cesserai point de vous les dire, moins par intérêt pour les pauvres que par sollicitude pour vos âmes. Si nous-mêmes nous n'assistons pas les pauvres, il leur viendra du moins d'ailleurs quelque consolation, quelque secours, et quand même il ne leur en viendrait aucun, quand ils périraient, de faim, ce ne serait pas pour eux une grande perte. La faim et la pauvreté, quel tort ont-elles fait à Lazare? Mais vous, rien ne vous délivrera de l'enfer, si les pauvres n'accourent à votre secours, dénués, privés de toute consolation, vous direz ce que dit le riche condamné au feu éternel. Mais à Dieu ne plaise que la réponse qui lui fut faite s'adresse jamais à aucun de vous! Au contraire, fasse le ciel que vous soyez tous reçus dans le sein d'Abraham, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
Saint Polycarpe évêque et martyr
Collecte
O Dieu, qui nous donnez chaque année un nouveau sujet de joie par la solennité de votre Martyr et Pontife, le bienheureux Polycarpe, accordez-nous, dans votre miséricorde, de pouvoir ressentir les effets de la protection de celui dont nous célébrons la naissance.
Office
AU DEUXIÈME NOCTURNE.
Du livre de saint Jérôme, prêtre : Des Écrivains Ecclésiastiques.
Quatrième leçon. Polycarpe, disciple de l’Apôtre Jean, et ordonné par lui Évêque de Smyrne, fut le primat de toute l’Asie. Il eut pour maîtres, ou du moins il vit quelques-uns des Apôtres et plusieurs de ceux qui avaient vu le Seigneur. Au sujet de certaines questions qui s’étaient élevées sur le jour de la Pâque, sous l’empire d’Antonin le Pieux, alors qu’Anicet gouvernait l’Église, il vint à Rome, où il ramena à la foi un grand nombre de fidèles qui s’étaient laissés séduire par les artifices de Marcion et de Valentin. Rencontrant un jour par hasard Marcion, cet hérésiarque lui dit : « Me connais-tu ? » Polycarpe lui répondit : « Je te reconnais pour le fils aîné du diable ». Plus tard, sous les règnes de Marc-Antonin et de Lucius-Aurelius Commode, dans la quatrième persécution depuis celle de Néron, sous les yeux du proconsul de Smyrne, siégeant dans l’amphithéâtre, et du peuple entier faisant entendre des clameurs contre lui, il fut livré au feu. Il avait écrit aux Philippiens une épître fort utile qui se lit encore aujourd’hui dans les Églises d’Asie.
Au milieu des douceurs qu’il goûte dans la contemplation du Verbe fait chair, Jean le Bien-Aimé voit arriver son cher disciple Polycarpe, l’Ange de l’Église de Smyrne, tout resplendissant de la gloire du martyre. Ce sublime vieillard vient de répondre, dans l’amphithéâtre, au Proconsul qui l’exhortait à maudire le Christ : « Il y a quatre-vingt-six ans que je le sers, et il ne m’a jamais fait de mal ; que dis-je ? Il m’a comblé de biens. Comment pourrais-je maudire mon Roi qui m’a sauvé ? » Après avoir passé par le feu et par le glaive, il est arrivé aux pieds de ce Roi Sauveur, et va jouir éternellement du bonheur de sa présence, en retour des quatre-vingt-six ans qu’il l’a servi, des fatigues qu’il s’est données pour conserver dans son troupeau la foi et la charité, et de la mort sanglante qu’il a endurée.
Comme son maître apostolique, il s’est opposé avec énergie aux efforts des hérétiques qui altéraient la foi. Fidèle aux ordres de cet angélique confident de l’Homme-Dieu, il n’a pas voulu que celui qui corrompt la foi du Christ reçût de sa bouche le salut ; il a dit à l’hérésiarque Marcion qu’il ne le reconnaissait que pour le premier-né de Satan. Adversaire énergique de cette orgueilleuse secte qui rougissait de l’Incarnation d’un Dieu, il nous a laissé cette admirable Épître aux Philippiens, dans laquelle il dit : « Quiconque ne confesse pas que Jésus-Christ est venu dans la chair, est un Antéchrist. » Il convenait donc qu’un si courageux témoin fût appelé à l’honneur d’assister près du berceau dans lequel le Fils de Dieu se montre à nous dans toute sa tendresse, et revêtu d’une chair semblable à la nôtre. Honorons ce disciple de Jean, cet ami d’Ignace, cet Évêque de l’âge apostolique, qui mérita les éloges de Jésus-Christ même, dans la révélation de Pathmos. Le Sauveur lui avait dit par la bouche de Jean : « Sois fidèle jusqu’à la mort ; et je te donnerai la couronne de vie. ». Polycarpe a été fidèle jusqu’à la mort ; c’est pourquoi il assiste couronné, en ces jours anniversaires de l’avènement de son Roi parmi nous.
L’Église, dans son Office, lit aujourd’hui, pour Légende, la courte notice, empruntée au livre de saint Jérôme : De Scriptoribus ecclesiasticis.
L’Église Grecque célèbre la gloire de saint Polycarpe dans ses Menées, auxquels nous empruntons les traits suivants :
Vous avez rempli toute retendue de votre nom, ô Polycarpe ! car vous avez produit beaucoup de fruits pour le Sauveur, durant les quatre-vingt-six ans que vous avez passés à son service. Ces fruits ont été les âmes nombreuses que vous avez gagnées au Christ, les vertus qui ont orné votre vie, enfin votre vie elle-même que vous avez rendue comme un fruit mûr à ce Sauveur. Quel bonheur a été le vôtre, d’avoir reçu les leçons du disciple qui se reposa sur la poitrine de Jésus ! Après une séparation de plus de soixante années, vous allez le rejoindre aujourd’hui ; et cet ineffable maître vous salue avec transport. Vous adorez ensemble ce divin Enfant dont vous avez imité la simplicité, et que vous aimiez uniquement ; demandez-lui pour nous de lui être comme vous « fidèles jusqu’à la mort ».
Cultivez encore du haut du ciel, ô Polycarpe, ce champ de l’Église, que vous avez fécondé par vos labeurs et arrosé de votre sang. Rétablissez la foi et l’unité au sein des Églises de l’Asie qui furent édifiées par vos mains vénérables. Hâtez, par vos prières, la dissolution de l’Islamisme, qui n’a dû ses succès et sa durée qu’aux tristes effets du schisme byzantin. Souvenez-vous de la France à qui vous avez envoyé d’illustres Apôtres, martyrs comme vous. Bénissez paternellement l’Église de Lyon qui vous révère comme son fondateur par le ministère de votre disciple Pothin, et qui prend elle-même une part si glorieuse dans l’Apostolat des Gentils, par son Œuvre de la Propagation de la Foi.
Veillez sur la conservation de la foi dans sa pureté ; gardez-nous du contact des séducteurs. L’erreur que vous avez combattue, et qui ne veut voir dans les mystères du Fils de Dieu incarné que des symboles stériles, s’est ranimée de nos jours. Marcion a reparu avec ses mythes orgueilleux ; soufriez sur ces derniers débris d’un système suranné qui égare encore quelques âmes. Rendant hommage à la Chaire Apostolique, vous aussi vous avez voulu voir Pierre ; et Rome vous a vu venir conférer avec son Pontife des intérêts de votre Église de Smyrne. Vengez les droits de ce Siège auguste, d’où découle, pour nos Pasteurs, la seule mission légitime, et pour tous, les enseignements souverains de la foi. Obtenez-nous de passer les derniers jours de cette pieuse quarantaine dans un recueillement profond et dans l’amour de notre Roi nouveau-né. Que cet amour, joint à la pureté de nos cœurs, nous obtienne faveur et miséricorde ; et, pour consommer notre carrière, demandez pour nous la couronne de vie.
LETTRE DE POLYCARPE DE SMYRNE AUX PHILIPPIENS
Polycarpe et les presbytes qui sont avec lui à l'Église de Dieu qui séjourne comme une étrangère à Philippes ; que la miséricorde et la paix vous soient données en plénitude par le Dieu tout-puissant et Jésus-Christ notre Sauveur.
1, 1 J'ai pris grande part à votre joie, en notre Seigneur Jésus-Christ, quand vous avez reçu les images de la véritable charité, et que vous avez escorté, comme il vous convenait de le faire, ceux qui étaient enchaînés de ces liens dignes des saints, qui sont les diadèmes de ceux qui ont été vraiment choisis par Dieu et notre Seigneur. 2. Et je me réjouis de ce que la racine vigoureuse de votre foi, dont on parle depuis les temps anciens, subsiste jusqu'à maintenant et porte des fruits en Notre Seigneur Jésus Christ, qui a accepté pour nos péchés d'aller au-devant de la mort ; " Dieu l'a ressuscité en le délivrant des douleurs de l'enfer " (Ac 2, 24) ; 3. " sans le voir, vous croyez en lui, avec une joie ineffable et glorieuse " (1 P 1, 8) à laquelle beaucoup désirent parvenir, et vous savez que " c'est par grâce que vous êtes sauvés, non par vos œuvres " (Ep 2, 5, 8-9), mais par le bon vouloir de Dieu par Jésus-Christ.
II, 1. " Aussi, ceignez vos reins et servez Dieu dans la crainte " (1 P 1, 13 ; Ps 2, 11) et la vérité, laissant de côté les bavardages vides, et l'erreur de la foule, " croyant en celui qui a ressuscité notre Seigneur Jésus-Christ d'entre les morts, et lui a donné la gloire " (1 P 1, 21) et un trône à sa droite. " A lui tout est soumis, au ciel et sur la terre " (Ph 2, 10 ; 3, 21) ; à lui obéit tout ce qui respire, il viendra " juger les vivants et les morts " (Ac 10,42), et Dieu demandera compte de son sang à ceux qui refusent de croire en lui . 2. " Celui qui l'a ressuscité " d'entre les morts, " nous ressuscitera aussi " (2 Co 4,14), si nous faisons sa volonté et si nous marchons selon ses commandements, et si nous aimons ce qu'il a aimé, nous abstenant de toute injustice, cupidité, amour de l'argent, médisance, faux témoignage, " ne rendant pas mal pour mal, malédiction pour malédiction, 3. nous souvenant des enseignements du Seigneur qui dit : " Ne jugez pas, pour ne pas être jugés ; pardonnez, et l'on vous pardonnera ; faites miséricorde pour recevoir miséricorde ; la mesure avec laquelle vous mesurerez servira aussi pour vous " (cf. Mt 5, 3, 10 ; Lc 6, 36-38), et " bienheureux les pauvres et ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume de Dieu est à eux " (Mt 5, 3, 10 ; cf. Lc 6, 20).
III, 1. Ce n'est pas de moi-même, frères, que je vous écris ceci sur la justice, mais c'est parce que vous m'y avez invité les premiers ; 2. car ni moi ni un autre tel que moi ne pouvons approcher de la sagesse du bienheureux et glorieux Paul, qui, étant parmi vous, parlant face à face aux hommes d'alors enseigna avec exactitude et avec force la parole de vérité, et après son départ vous écrivit une lettre ; si vous l'étudiez attentivement, vous pourrez vous élever dans la foi qui vous a été donnée: 3. la foi est notre mère à tous, elle est suivie de l'espérance et précédée de l'amour pour Dieu et le Christ et pour le prochain. Celui qui demeure en ces vertus a accompli les commandements de la justice ; car celui qui a la charité est loin de tout péché.
IV, 1. Le principe de tous les maux, c'est l'amour de l'argent (cf. 1 Tm 6, 10). Sachant donc que " nous n'avons rien apporté dans le monde et que nous n'en pourrons non plus rien emporter " (1 Tm 6, 7), armons-nous " des armes de la justice " (2 Co 6, 7), et apprenons d'abord nous-mêmes à marcher dans les commandements du Seigneur. 2. Ensuite, apprenez à vos femmes à marcher dans la foi qui leur a été donnée, dans la charité, dans la pureté, à chérir leurs maris en toute fidélité, à aimer tous les autres également en toute chasteté, à donner à leurs enfants l'éducation dans la crainte de Dieu. 3. Que les veuves soient sages dans la foi qu'elles doivent au Seigneur, qu'elles intercèdent sans cesse pour tous, qu'elles soient éloignées de toute calomnie, médisance, faux témoignage, amour de l'argent, et de tout mal, sachant qu'elles sont l'autel de Dieu ; il examinera tout attentivement, et rien ne lui échappe de nos pensées, de nos sentiments, " des secrets de notre cœur " (1 Co 14, 25).
V, 1. Sachant donc que " l'on ne se moque pas de Dieu " (Ga 6, 7), nous devons marcher d'une façon digne de ses commandements et de sa gloire. 2. De même, que les diacres soient sans reproche devant sa justice: ils sont les serviteurs de Dieu et du Christ, et non des hommes : ni calomnie, ni duplicité, ni amour de l'argent ; qu'ils soient chastes en toutes choses, compatissants, zélés, marchant selon la vérité du Seigneur qui s'est fait le serviteur de tous. Si nous lui sommes agréables en ce temps présent, il nous donnera en échange le temps à venir, puisqu'il nous a promis de nous ressusciter d'entre les morts, et que, si notre conduite est digne de lui, " nous régnerons nous aussi avec lui " (2 Tm 2, 12), si du moins nous avons la foi. 3. De même, que les jeunes gens soient irréprochables en toutes choses, veillant avant tout à la pureté, refrénant tout le mal qui est en eux. Il est bon, en effet, de retrancher les désirs de ce monde, car tous " les désirs font la guerre à l'esprit " (1 P 2, 11), et " ni les fornicateurs, ni les efféminés, ni les infâmes, n'auront part au royaume de Dieu " (1 Co 6, 9-10), ni ceux qui font le mal. C'est pourquoi ils doivent s'abstenir de tout cela, et être soumis aux presbytres et aux diacres comme à Dieu et au Christ. Les vierges doivent vivre avec une conscience sans reproche et pure.
VI, 1. Les presbytres, eux aussi, doivent être compatissants, miséricordieux envers tous ; qu'ils ramènent les égarés, qu'ils visitent tous les malades, sans négliger la veuve, l'orphelin, le pauvre ; mais ne croient pas trop vite du mal de quelqu'un et ne soient pas raides dans leurs jugements, sachant que nous sommes tous débiteurs du péché. 2. Si donc nous prions le Seigneur de nous pardonner, nous devons nous aussi pardonner ; car nous sommes sous les yeux de notre Seigneur et Dieu, et qui nous ont prêché l'Évangile et les prophètes qui nous ont annoncé la venue du Seigneur ; soyons zélés pour le bien, évitons les scandales, les faux frères, et ceux qui portent hypocritement le nom du Seigneur et qui égarent les têtes vides.
VII, 1. " Quiconque, en effet, ne confesse pas que Jésus-Christ est venu dans la chair, est un antéchrist " (cf. 1 Jn 4, 2-3), et celui qui ne confesse pas le témoignage de la croix est du diable, et celui qui détourne les dits du Seigneur selon ses propres désirs, et qui nie la résurrection et le jugement, est le premier-né de Satan. 2. C'est pourquoi abandonnons les vains discours de la foule et les fausses doctrines, et revenons à l'enseignement qui nous a été transmis dès le commencement ; restons sobres pour pouvoir prier (cf. 1 P 4, 7), persévérons dans les jeûnes, suppliant dans nos prières le Dieu qui voit tout de ne pas nous soumettre à la tentation (Mt 6, 1), car, le Seigneur l'a dit, " l'esprit est prompt, mais la chair est faible " (Mt 26, 41).
VIII, 1. Soyons donc sans cesse fermement attachés à notre espérance et au gage de notre justice, le Christ Jésus, (1 P 2, 22) ; mais pour nous, pour que nous vivions en lui, il a tout supporté. 2. Soyons donc les imitateurs de sa patience, et si nous souffrons pour son nom, rendons-lui gloire. C'est ce modèle qu'il nous a présenté en lui-même, et c'est cela que nous avons cru.
IX, 1. Je vous exhorte donc tous à obéir à la parole de justice, et à persévérer dans la patience que vous avez vue de vos yeux, non seulement dans les bienheureux Ignace, Zosime et Rufus, mais aussi en d'autres qui étaient de chez vous, et en Paul lui-même et les autres Apôtres ; 2. persuadés que tous ceux-là n'ont pas couru en vain (Ga 1, 2 ; Ph 2, 16), mais bien dans la foi et la justice, et qu'ils sont dans le lieu qui leur était dû près du Seigneur avec qui ils ont souffert. " Ils n'ont pas aimé le siècle présent " (cf. 2 Tm 4, 10), mais bien celui qui est mort pour nous, et que Dieu a ressuscité pour nous.
X, 1. Demeurez donc en ces sentiments, et suivez l'exemple du Seigneur, fermes et inébranlables dans la foi, aimant vos frères, vous aimant les uns les autres, unis dans la vérité, vous attendant les uns les autres dans la douceur du Seigneur, ne méprisant personne. 2. Quand vous pouvez faire le bien, ne différez pas, car " l'aumône délivre de la mort " (Tb 12, 9). " Soyez tous soumis les uns les autres, gardant une conduite irréprochable parmi les Païens, pour que vos bonnes œuvres " (1 P 2, 12) vous attirent la louange, et que le Seigneur ne soit pas blasphémé à cause de vous. 3. " Mais malheur à celui qui fait blasphémer le nom du Seigneur " (Is 52, 5). Enseignez à tous la sagesse dans laquelle vous vivez vous-mêmes.
XI, 1. J'ai été bien peiné au sujet de Valens, qui avait été quelque temps presbytre chez vous, de voir qu'il méconnaît à ce point la charge qui lui avait été donnée. Je vous avertis donc de vous abstenir de l'avarice et d'être chastes et vrais. Abstenez-vous de tout mal. 2. Celui qui ne peut pas se diriger lui-même en ceci, comment peut-il y exhorter les autres ? Si quelqu'un ne s'abstient pas de l'avarice, il se laissera souiller par l'idolâtrie, et sera compté parmi les païens qui " ignorent le jugement du Seigneur " (Jr 5, 4), ou " ignorons-nous que les saints jugeront le monde ", comme l'enseigne Paul (1 Co 6, 2) ? 3. Pour moi, je n'ai rien remarqué ou entendu dire de tel à votre sujet, vous chez qui a travaillé le bienheureux Paul, vous qui êtes au commencement de sa lettre. C'est de vous en effet qu'il " se glorifie devant toutes les Églises " (2 Th 1, 4) qui, seules alors, connaissaient Dieu, nous autres nous ne le connaissions pas encore. 4. Ainsi donc, je suis bien peiné pour lui et pour son épouse ; (2 Th 3, 15), mais rappelez-les comme des membres souffrants et égarés, pour sauver votre corps tout entier. Ce faisant, vous vous faites grandir vous-mêmes.
XII, 1. Je suis assuré que vous êtes très versés dans les Saintes Lettres et que rien ne vous en est ignoré : moi je n'ai pas ce don. Il me suffit de vous dire, comme il est dit dans ces Écritures: " Mettez-vous en colère et ne péchez pas ", et " que le soleil ne se couche pas sur votre colère " (cf. Ps 4, 5 ; Ep 4, 26). Heureux qui s'en souvient ; je crois qu'il en est ainsi pour vous. 2. Que Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, et lui-même, le grand prêtre éternel, le fils de Dieu, Jésus-Christ, vous fassent grandir dans la foi et dans la vérité, en toute douceur et sans colère, en patience et longanimité, endurance et chasteté ; qu'il vous donne part à l'héritage de ses saints, et à nous-mêmes avec vous, et à tous ceux qui sont sous le ciel, qui croient en notre Seigneur Jésus-Christ et en son Père qui l'a ressuscité d'entre les morts. 3. Priez tous les saints. Priez aussi pour les rois, pour les autorités et les princes, et pour ceux qui vous persécutent et vous haïssent, et pour les ennemis de la croix ; ainsi le fruit que vous portez sera visible à tous, et vous serez parfaits en lui.
XIII, 1. Vous m'avez écrit, vous et Ignace, pour que si quelqu'un va en Syrie, il emporte aussi votre lettre ; je le ferai si je trouve une occasion favorable, soit moi-même, soir celui que j'enverrai pour vous représenter avec moi. 2. Comme vous nous l'avez demandé, nous vous envoyons les lettres d'Ignace, celles qu'il nous a adressées et toutes les autres que nous avons chez nous ; elles sont jointes à cette lettre, et vous pourrez en tirer grand profit, car elles renferment foi, patience, et toute édification qui se rapporte à notre Seigneur. Faites-nous savoir ce que vous aurez appris de sûr d'Ignace et de ses compagnons.
XIV. Je vous écris ceci par Crescens, que je vous ai récemment recommandé et que je vous recommande encore maintenant. Il s'est conduit chez nous de façon irréprochable, et je crois qu'il fera de même chez vous. Je vous recommande aussi sa soeur quand elle viendra chez vous. Portez-vous bien dans le Seigneur Jésus-Christ et dans sa grâce, avec tous les vôtres. Amen.
Conversion de Saint Paul apôtre mémoire de Saint Pierre Apôtre
Collecte
O Dieu, qui avez instruit le monde entier par la prédication du bienheureux Apôtre Paul, accordez-nous, nous vous en supplions, que célébrant aujourd’hui sa conversion, nous avancions vers vous en imitant ses exemples.
Office
Des Actes des Apôtres.
Première leçon. Saul, respirant encore menaces et meurtre contre les disciples du Seigneur, vint auprès du prince des prêtres, et lui demanda des lettres pour les synagogues de Damas, afin que, s’il y trouvait des hommes et des femmes de cette voie, il les conduisît enchaînés à Jérusalem. Comme il était en chemin, et qu’il approchait de Damas, tout à coup une lumière du ciel brilla autour de lui. Et, tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait : Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? Il dit : Qui êtes-vous, Seigneur ? Et le Seigneur : Je suis Jésus que tu persécutes ; il t’est dur de regimber contre l’aiguillon.
Deuxième leçon. Alors, tremblant et frappé de stupeur, il dit : Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? Et le Seigneur lui répondit Lève-toi, entre dans la ville ; car c’est là que te sera dit ce qu’il faut que tu fasses. Or les hommes qui l’accompagnaient demeuraient tout étonnés, entendant bien la voix, mais ne voyant personne. Saul se leva donc de terre, et, les yeux ouverts, il ne voyait rien. Ainsi, le conduisant par la main, ils le firent entrer dans Damas. Et il y fut trois jours ne voyant point ; et il ne but ni ne mangea.
Troisième leçon. Or il y avait un certain disciple à Damas, du nom d’Ananie ; et le Seigneur lui dit en vision : Ananie. Et il dit : Me voici, Seigneur. Et le Seigneur lui dit : Lève-toi, et va dans la rue qu’on appelle Droite, et cherche dans la maison de Judas un nommé Saul de Tarse ; car il est en prières. (Saul vit aussi un homme du nom d’Ananie, entrant et lui imposant les mains, pour qu’il recouvrât la vue). Ananie répondit : Seigneur, j’ai appris d’un grand nombre de personnes combien cet homme a fait de maux à vos saints dans Jérusalem ; ici même, il a le pouvoir des princes des prêtres, pour charger de liens ceux qui invoquent votre nom. Mais le Seigneur lui repartit : Va, car cet homme m’est un vase d’élection, pour porter mon nom devant les Gentils, les rois et les enfants d’Israël. Aussi je lui montrerai combien il faut qu’il souffre pour mon nom.
Au deuxième nocturne.
Sermon de saint Augustin, évêque.
Quatrième leçon. On nous a lu aujourd’hui le passage des Actes des Apôtres ou l’on rapporte que l’Apôtre Paul devint, de persécuteur des Chrétiens, prédicateur du Christ. Le Christ, en effet, a renversé un persécuteur pour en faire un docteur de l’Église ; le frappant et le guérissant, lui donnant à la fois la mort et la vie. Agneau immolé par des loups, il change les loups en agneaux. Dans la célèbre prophétie où nous voyons le patriarche Jacob bénir ses enfants (la main étendue sur ceux qui étaient présents et les yeux fixés sur l’avenir), se trouve prédit ce qui s’est accompli dans Paul. Paul était, comme il l’atteste lui-même, de la tribu de Benjamin. Or, lorsqu’en bénissant ses fils, Jacob fut arrivé à bénir Benjamin, il dit de lui : « Benjamin, loup ravissant. »
Cinquième leçon. Quoi ? Sera-t-il toujours loup ravisseur ? Nullement ; mais « celui qui, le matin, ravit la proie, partage le soir les aliments. » Voilà ce .qui s’est accompli dans l’Apôtre saint Paul, que cette prédiction concernait. Considérons-le maintenant, si vous le voulez bien, ravissant le matin, et partageant le soir les dépouilles. Matin et soir sont mis ici pour d’abord et ensuite. Nous entendrons donc ainsi cette proposition : il ravira d’abord, et ensuite il partagera les aliments. Voyez le ravisseur : Saul, disent les Actes, ayant reçu les lettres des princes des prêtres, allait (à Damas) afin que partout où il trouverait des Chrétiens, il les entraînât et les amenât aux prêtres pour être châtiés.
Sixième leçon. Il allait, respirant et exhalant le meurtre ; c’est-à-dire, ravissant le matin. Aussi quand Etienne, le premier Martyr, fut lapidé pour le nom du Christ, Paul était-il très manifestement présent, et il assistait même au supplice d’Étienne avec des sentiments si hostiles que, pour lui, ce n’était pas assez de le lapider de ses propres mains : afin de se trouver en quelque sorte dans toutes les mains qui lançaient des pierres, il gardait les vêtements de tous les bourreaux, exerçant mieux sa fureur en les secondant tous, que s’il l’eût lapidé de ses propres mains. Nous comprenons la première partie de la prophétie : « Il ravira le matin. » Voyons de quelle manière il partage les aliments le soir. Du ciel la voix du Christ le terrasse, il reçoit d’en haut l’ordre de ne plus sévir, et il tombe la face contre terre : il devait être abattu d’abord, puis relevé ; d’abord frappé, puis guéri.
Au troisième nocturne.
Homélie de saint Béde le Vénérable, Prêtre. Les leçons sont du commun des Apôtres 2, les répons propres à la fête.
Septième leçon. Celui-là est parfait, qui vend tout ce qu’il possède, en donne le prix aux pauvres, et vient se mettre à la suite de Jésus-Christ : aussi aura-t-il dans les cieux un trésor inépuisable. C’est pourquoi, lorsque Pierre l’interrogea, Jésus répondit (en s’adressant à tous ceux qui agissent ainsi) : « En vérité, je vous dis que vous qui m’avez suivi, lorsqu’à la régénération, le Fils de l’homme sera assis sur le trône de sa gloire, vous aussi, vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël ». Par ces paroles, il apprit à ceux qui travaillent et souffrent en cette vie pour son nom, à espérer une récompense en l’autre, c’est-à-dire en la régénération, lorsqu’on ressuscitant nous aurons obtenu de renaître pour une vis immortelle, nous qui avions été engendrés dans la condition mortelle pour une vie fragile.
Huitième leçon. Et c’est une récompense bien juste, que ceux qui auront ici-bas méprisé la gloire de toute élévation humaine soient là-haut particulièrement glorifiés par le Christ, et assis auprès de lui à titre de juges, ces hommes qu’aucune considération n’a pu empêcher de suivre les traces de notre Seigneur. Mais que personne ne s’imagine que les Apôtres qui sont au nombre de douze, parce que Mathias fut élu à la place de Judas le prévaricateur, doivent être seuls à juger le monde ; les douze tribus d’Israël ne seront pas non plus seules à subir le jugement, autrement la tribu de Lévi qui est la treizième resterait non jugée.
Neuvième leçon. Et Paul, qui est le treizième Apôtre, se verra-t-il privé du privilège de juger, alors qu’il dit lui-même : « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? Combien plus les choses du siècle ? » Or il faut savoir que tous ceux qui, à l’exemple des Apôtres, ont laissé tout ce qu’ils possédaient et suivi le Christ, doivent venir avec lui comme juges, de même que tout le genre humain sera jugé. Dans l’Écriture le nombre douze indique souvent l’universalité, et c’est pourquoi les douze trônes des Apôtres désignent tous ceux qui jugeront, et les douze tribus d’Israël, l’universalité de ceux qui doivent être jugés.
Nous avons vu la Gentilité, représentée aux pieds de l’Emmanuel par les Rois Mages, offrir ses mystiques présents, et recevoir en retour les dons précieux de la foi, de l’espérance et de la charité. La moisson des peuples est mûre ; il est temps que le moissonneur y mette la faucille. Mais quel sera-t-il, cet ouvrier de Dieu ? Les Apôtres du Christ vivent encore à l’ombre de la montagne de Sion. Tous ont reçu la mission d’annoncer le salut jusqu’aux extrémités du monde ; mais nul d’entre eux n’a reçu encore le caractère spécial d’Apôtre des Gentils. Pierre, l’Apôtre de la Circoncision, est destiné particulièrement, comme le Christ, aux brebis perdues de la maison d’Israël. Toutefois, comme il est le Chef et le fondement, c’est à lui d’ouvrir la porte de l’Église aux Gentils. Il le fait avec solennité, en conférant le Baptême au centurion romain Cornélius.
Cependant, l’Église est en travail ; le sang du Martyr Étienne, sa dernière prière, vont enfanter un nouvel Apôtre, l’Apôtre des nations. Saul, citoyen de Tarse, n’a pas vu le Christ dans sa vie mortelle ; et le Christ seul peut faire un Apôtre. Du haut des cieux où il règne impassible et glorifié, Jésus appellera Saul à son école, comme il appelait, durant les années de sa prédication, à suivre ses pas et à écouter sa doctrine, les pêcheurs du lac de Génésareth. Le Fils de Dieu enlèvera Saul jusqu’au troisième ciel, il lui révélera tous ses mystères ; et quand Saul, revenu sur la terre, aura été, comme il le raconte, voir Pierre et comparer son Évangile avec le sien, il pourra dire : « Je ne suis pas moins Apôtre que les autres Apôtres. »
C’est dans ce glorieux jour de la Conversion de Saul, qui bientôt s’appellera Paul, que ce grand œuvre commence. C’est aujourd’hui que retentit cette voix qui brise les cèdres du Liban, et dont la force souveraine fait d’abord un chrétien du Juif persécuteur, qui bientôt sera un Apôtre. Cette admirable transformation avait été prophétisée par Jacob, lorsque, sur sa couche funèbre, il dévoilait l’avenir de chacun de ses enfants, dans la tribu qui devait sortir d’eux. Juda eut les premiers honneurs : de sa race royale, le Rédempteur, l’attente des nations, devait naître. Benjamin fut annoncé, à son tour, sous des traits plus humbles, mais néanmoins glorieux : il sera l’aïeul de Paul, et Paul, l’Apôtre des nations.
Le vieillard avait dit : « Benjamin est un loup ravisseur : le matin, il enlève la proie ; mais le soir, il distribue la nourriture. ». Celui qui, dans la matinée fougueuse de son adolescence, se lance comme un loup respirant la menace et le carnage, à la poursuite des brebis du Christ, n’est-ce pas, comme le dit un antique Docteur, Saul sur la route de Damas, porteur et exécuteur des ordres des pontifes du temple maudit, et tout couvert du sang d’Étienne qu’il a lapidé par les mains de tous ceux dont il gardait les vêtements ? Celui qui, sur le soir, ne ravit plus la dépouille du juste, mais, d’une main charitable et pacifique, distribue à ceux qui ont faim la nourriture qui leur donne la vie, n’est-ce pas Paul, Apôtre de Jésus-Christ, embrasé de l’amour de ses frères, et se faisant tout à tous, jusqu’à désirer d’être anathème pour eux ?
Telle est la force victorieuse de notre Emmanuel, toujours croissante et à laquelle rien ne résiste. S’il veut pour premier hommage la visite des bergers, il les fait convier par ses Anges, dont les doux accords ont suffi pour amener ces cœurs simples à la crèche où repose sous de pauvres langes l’espoir d’Israël. S’il désire l’hommage des princes de la Gentilité, il fait lever au ciel une étoile symbolique, dont l’apparition, aidée du mouvement intérieur de l’Esprit-Saint, détermine ces hommes de désirs à venir, du fond de l’Orient, déposer aux pieds d’un humble enfant leurs dons et leurs cœurs. Quand le moment est venu de former le Collège Apostolique, il s’avance sur les bords de la mer de Tibériade, et cette seule parole : Suivez-moi, a suffi pour attacher à ses pas les hommes qu’il a choisis. Au milieu des humiliations de sa Passion, un regard de sa part change le cœur du Disciple infidèle. Aujourd’hui, du haut du Ciel, tous les mystères accomplis, voulant montrer que lui seul est maître de l’Apostolat, et que son alliance avec les Gentils est consommée, il tonne sur la tête de ce Pharisien fougueux qui croit courir à la ruine de l’Église ; il brise ce cœur de Juif, et il crée par sa grâce ce nouveau cœur d’Apôtre, ce vase d’élection, ce Paul qui dira désormais : « Je vis, mais ce n’est pas moi, c’est le Christ qui vit en moi. ».
Mais il était juste que la commémoration de ce grand événement vînt se placer non loin du jour où l’Église célèbre le triomphe du premier des Martyrs. Paul est la conquête d’Étienne. Si l’anniversaire de son martyre se rencontre sous les feux du solstice d’été, il ne pouvait manquer d’apparaître auprès du berceau de l’Emmanuel, comme le plus brillant trophée du Proto-martyr ; les Mages le réclamaient aussi comme le conquérant de cette Gentilité dont ils ont été les prémices.
Enfin, pour compléter la cour de notre grand Roi, il convenait que les deux puissantes colonnes de l’Église, l’Apôtre des Juifs et l’Apôtre des Gentils, s’élevassent aux côtés de la crèche mystique : Pierre, avec ses clefs ; Paul, avec son glaive. C’est alors que Bethléem nous semble, de plus en plus, la figure de l’Église, et les richesses du Cycle en cette saison plus éblouissantes que jamais.
L'acte du pauvre
« L’efficacité de la Prière » selon le P. Garrigou-Lagrange
Voici une méditation sur l’efficacité de la Prière « Désirer ce que Dieu veut pour nous et comme Il le veut » du Révérend Père Dominicain Réginald Garrigou-Lagrange (1877-1964), Penseur du néothomisme qui s’opposa toute sa vie aux tentatives de modernisation de l’Église en prônant les enseignements de Saint Thomas d’Aquin.
L’efficacité de la Prière selon le P. Garrigou-Lagrange « Désirer ce que Dieu veut pour nous et comme Il le veut » :
« Demandez et vous recevrez » a dit Notre-Seigneur. « Il faut toujours prier » ajoutait-il. Il importe donc de se faire une juste idée de l’efficacité de la prière, de la source même de cette efficacité et du but auquel toute vraie prière doit être ordonnée. Voyons ce que saint Thomas à la suite de saint Augustin nous enseigne sur ce grand sujet.
Nous avons l’air de croire parfois que la prière est une force qui aurait son premier principe en nous, et par laquelle nous essayerions d’incliner la volonté de Dieu, par manière de persuasion. Et aussitôt notre pensée se heurte à cette difficulté, souvent formulée par les incrédules, en particulier par les Déistes : la volonté de Dieu personne ne peut la mouvoir, personne ne peut l’incliner. Dieu sans doute est la bonté qui ne demande qu’à se donner, Dieu est la miséricorde toujours prête à venir au secours de celui qui souffre et qui implore, mais il est aussi l’Être parfaitement immuable. La volonté de Dieu de toute éternité est aussi inflexible qu’elle est miséricordieuse. Personne ne peut se vanter d’avoir éclairé Dieu, de lui avoir fait changer de volonté. « Ego sum Dominus, et non mutor ». Par son décret providentiel, fortement et suavement, l’ordre du monde, la suite des événements, sont irrévocablement fixés d’avance.
Faut-il conclure que notre prière ne peut rien, qu’elle vient trop tard, que si nous prions, aussi bien que si nous ne prions pas, ce qui doit arriver arrivera ?
La parole de l’Évangile demeure : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira ». – La prière, en effet, n’est pas une force qui aurait son premier principe en nous, ce n’est pas un effort de l’âme humaine, qui essaierait de faire violence à Dieu, pour lui faire changer ses dispositions providentielles. Si l’on parle ainsi quelquefois, c’est par métaphore, c’est une manière humaine de s’exprimer. En réalité la volonté de Dieu est absolument immuable, mais c’est précisément dans cette immutabilité qu’est la source de l’infaillible efficacité de la prière.
C’est au fond très simple : la vraie prière par laquelle nous demandons pour nous, avec humilité, confiance et persévérance, les biens nécessaires à notre sanctification, est infailliblement efficace, parce que Dieu, qui ne peut se dédire, a décrété qu’elle le serait, et parce que Notre-Seigneur nous l’a promis.
Un Dieu qui n’aurait pas prévu et voulu de toute éternité les prières que nous lui adressons, c’est là une conception aussi puérile que celle d’un Dieu qui s’inclinerait devant nos volontés et changerait ses desseins. Non seulement, tout ce qui arrive a été prévu et voulu ou tout au moins permis d’avance par un décret providentiel, mais la manière dont les choses arrivent, les causes qui produisent les événements, tout cela est fixé de toute éternité par la Providence. Dans tous les ordres, physique, intellectuel et moral, en vue de certains effets, Dieu a préparé les causes qui les doivent produire. Pour les moissons matérielles, il a préparé la semence ; pour féconder une terre desséchée, il a voulu une pluie abondante ; pour une victoire qui sera le salut d’un peuple, il suscite un grand chef d’armée ; pour donner au monde un homme de génie, il a préparé une intelligence supérieure, servie par un cerveau mieux fait, par une hérédité spéciale, par un milieu intellectuel privilégié. Pour régénérer le monde aux périodes les plus troublées, il a décidé qu’il y aurait des saints. Et pour sauver l’humanité, dès toujours la divine Providence avait préparé la venue du Christ Jésus. Dans tous les ordres, du plus infime au plus élevé, en vue de certains effets, Dieu dispose les causes qui les doivent produire. Pour les moissons spirituelles comme pour les matérielles, il a préparé la semence, et la moisson ne s’obtiendra pas sans elle.
Or, la prière est précisément une cause ordonnée à produire cet effet, qui est l’obtention des dons de Dieu, nécessaires ou utiles au salut. Toutes les créatures ne vivent que des dons de Dieu, mais la créature intellectuelle est seule à s’en rendre compte. Les pierres, les plantes, les animaux reçoivent sans savoir qu’ils reçoivent. L’homme, lui, vit des dons de Dieu, et il le sait ; si le charnel l’oublie, c’est qu’il ne vit pas en homme ; si l’orgueilleux ne veut pas en convenir, c’est qu’il n’y a pas de pire sottise que l’orgueil. L’existence, la santé, la force, la lumière de l’intelligence, l’énergie morale, la réussite de nos entreprises, tout cela est le don de Dieu, mais par-dessus tout la grâce, qui nous porte au bien salutaire, nous le fait accomplir, et nous y fait persévérer.
Faut-il s’étonner que la divine Providence ait voulu que l’homme, puisqu’il peut comprendre qu’il ne vit que d’aumônes, demandât l’aumône ? Ici comme partout Dieu veut d’abord l’effet final, puis il ordonne les moyens et les causes qui le doivent produire. Après avoir décidé de donner, il décide que nous prierons pour recevoir, comme un père, résolu d’avance d’accorder un plaisir à ses enfants, se promet de le leur faire demander. Le don de Dieu voilà le résultat, la prière voilà la cause ordonnée à l’obtenir ; elle a sa place dans la vie des âmes pour qu’elles reçoivent les biens nécessaires ou utiles au salut, comme la chaleur et l’électricité ont leur place dans l’ordre physique.
Jésus, qui veut convertir la Samaritaine, lui dit, pour la porter à prier : « Si tu savais le don de Dieu, c’est toi qui m’aurais demandé à boire, et je t’aurais donné de l’eau vive… jaillissant en vie éternelle ».
De toute éternité, Dieu a prévu et permis les chutes de Marie-Madeleine, mais il a ses desseins sur elle, il veut rendre la vie à cette âme morte ; seulement il décide aussi que cette vie ne lui sera rendue que si elle le désire, que l’air respirable ne sera rendu à cette poitrine, que si cette poitrine veut s’ouvrir, que si Madeleine veut prier, et il décide aussi de lui donner une grâce actuelle très forte et très douce qui la fera prier. Voilà la source de l’efficacité de la prière. Soyez sûrs que lorsque Madeleine aura prié, la grâce sanctifiante lui sera donnée, mais soyons surs aussi que sans cette prière elle restait dans son péché.
Il est donc aussi nécessaire de prier pour obtenir les secours de Dieu dont nous avons besoin pour, observer la loi divine et y persévérer, qu’il est nécessaire de semer pour avoir du blé.
Ne disons donc pas : « Que nous ayons prié ou non, ce qui devait arriver arrivera » : ce serait aussi absurde que de dire : « Que nous ayons semé ou non, l’été venu, si nous devons avoir du blé, nous en aurons ». La Providence porte non seulement sur les résultats, sur les fins, mais aussi sur les moyens à employer, et elle sauvegarde la liberté humaine par une grâce aussi douce qu’elle est forte, « fortiter et suaviter ». « En vérité, en vérité, je vous le dis, ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, Il vous le donnera ».
La prière n’est donc pas une force débile qui aurait son premier principe en nous. La source de son efficacité est en Dieu et dans les mérites infinis de Jésus-Christ. C’est d’un décret éternel de Dieu qu’elle descend, c’est de l’amour rédempteur qu’elle provient, c’est à la miséricorde divine qu’elle remonte. Un jet d’eau ne peut s’élever que si l’eau descend d’une même hauteur. De même quand nous prions, il ne s’agit pas de persuader Dieu, de l’incliner, de changer ses dispositions providentielles ; il s’agit seulement d’élever notre volonté à la hauteur de la sienne, pour vouloir avec Lui ce qu’il a décidé de nous donner : les biens utiles à notre sanctification et à notre salut. La prière, loin de tendre à abaisser le Très-Haut vers nous, est donc une élévation de notre âme vers Dieu. Denys compare l’homme qui prie au marin qui, pour aborder, tire sur le câble fixé au rocher du rivage. Ce rocher, qui domine les eaux, est parfaitement immobile ; pourtant, pour celui qui est dans la barque, il semble que ce soit le rocher qui avance : en réalité c’est la barque seule qui bouge. De même il nous semble que ce soit la volonté de Dieu qui s’incline en nous exauçant, c’est la nôtre seule qui monte ; nous nous mettons à vouloir, dans le temps, ce que Dieu voulait pour nous de toute éternité.
Bien loin de s’opposer au gouvernement divin, la prière coopère ainsi à ce gouvernement. Nous sommes deux à vouloir, au lieu d’un ; cette âme pécheresse pour laquelle nous avons longtemps prié, c’est Dieu qui l’a convertie, mais nous étions l’associé de Dieu, et de toute éternité il avait décidé de ne produire en elle cet effet salutaire qu’avec notre concours.
Mais, cela va sans dire, et c’est un point de doctrine défini par l’Église contre les pélagiens et semi-pélagiens, nous ne pouvons pas faire une vraie prière sans une grâce actuelle. On ne demande en effet que ce que l’on désire, et il s’agit ici de désirer ce que Dieu veut pour nous et comme il le veut, il s’agit de mettre notre volonté à l’unisson de la sienne. Pour cela il faut qu’il nous attire et que nous nous laissions attirer par lui. « Personne, dit Notre-Seigneur, ne vient à moi, si mon Père ne l’attire. » Et saint Paul ajoute : « Nous ne sommes pas capables de former par nous-mêmes, comme venant de nous-mêmes, la moindre pensée profitable pour le salut », à plus forte raison le moindre désir.
Cependant le pécheur, privé de la grâce sanctifiante, et incapable en cet état de mériter, peut prier. Il suffit d’une grâce actuelle, elle est offerte à tous, et ceux-là seuls en sont privés qui la refusent. Au moment où elle lui est accordée, que le pécheur tombe à genoux ; s’il ne résiste pas, il sera conduit de grâce en grâce jusqu’à la conversion et au salut. Avec humilité, confiance et persévérance, le chrétien toute sa vie doit ainsi demander à Dieu les énergies surnaturelles qu’il lui faut pour atteindre le ciel.
On voit par suite ce que la prière peut nous obtenir. La fin de la vie des âmes c’est le ciel ; à cette fin suprême Dieu subordonne tous les biens qu’il lui plaît de nous départir, car il ne nous les donne, ceux du corps et ceux de l’âme, que pour la conquête de l’éternité bienheureuse.
La prière ne peut donc nous obtenir que les biens qui sont dans la ligne de notre fin dernière, dans la ligne de la vie éternelle. En dehors de là elle ne peut rien, elle est trop haute pour nous obtenir tel succès temporel sans rapport avec notre salut. Il ne faut pas attendre d’elle ce résultat, pas plus qu’on ne demande à un ingénieur l’office d’un manœuvre.
Les biens qui nous acheminent vers le ciel sont de deux sortes : les spirituels, qui nous y conduisent directement, et les temporels, qui peuvent être indirectement utiles au salut, dans la mesure où ils se subordonnent aux premiers.
Les biens spirituels, ce sont la grâce, les vertus, les mérites. La prière est toute-puissante pour obtenir au pécheur la grâce de la conversion, et au juste la grâce actuelle nécessaire à l’accomplissement des devoirs du chrétien. La prière est souverainement efficace pour nous obtenir une foi plus vive, une espérance plus confiante, une charité plus ardente, une plus grande fidélité à notre vocation. La première des choses que nous devons demander selon le Pater, c’est que le nom de Dieu soit sanctifié, glorifié par une foi rayonnante, que son règne arrive, (c’est l’objet de notre espérance), que sa volonté soit faite, accomplie avec amour, avec une charité plus fervente. La prière est toute-puissante pour nous obtenir le pain de chaque jour, non seulement celui du corps, mais celui de l’âme, le pain supersubstantiel de l’Eucharistie, et les dispositions nécessaires pour une bonne communion. Elle est efficace pour nous obtenir le pardon de nos fautes avec la disposition intérieure de pardonner au prochain, pour nous faire triompher de la tentation : « Veillez et priez, de peur que vous ne tombiez dans la tentation », disait Notre-Seigneur ; pour nous délivrer du mal et de l’esprit du mal, « cette sorte de démon ne se chasse que par la prière et par le jeûne ». (Mt XVII, 20.)
Seulement, cela va sans dire, la prière doit être sincère : demander de vaincre une passion sans éviter les occasions, demander la grâce d’une bonne mort sans s’efforcer d’avoir une vie meilleure, ce n’est pas une vraie prière, un vrai désir, c’est à peine une velléité. La prière doit aussi être humble, c’est un pauvre qui demande. Elle doit être confiante en la miséricorde de Dieu, elle ne doit pas douter de son infinie bonté. Elle doit être persévérante pour montrer qu’elle vient d’un désir profond du cœur. Parfois le Seigneur ne semble pas nous exaucer tout de suite, pour éprouver notre confiance et la force de nos bons désirs, comme Jésus éprouva la confiance de la Chananéenne par une parole sévère qui semblait un refus : « C’est aux brebis perdues d’Israël que je suis envoyé…, il ne convient pas de donner aux chiens le pain des enfants. » Sous l’inspiration divine, la Chananéenne répondit : « Pourtant, Seigneur, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leur maître ». – « Ô femme, dit Jésus, ta foi est grande, qu’il te soit fait selon ce que tu demandes » ; et sa fille, qui était tourmentée par le démon, fut désormais délivrée (Mt XV, 22).
Mais si vraiment nous avons prié avec persévérance et si, malgré nos supplications, Dieu nous laisse aux prises avec la tentation, rappelons-nous l’apôtre saint Paul, qui lui aussi supplia à plusieurs reprises pour être délivré de l’aiguillon qui le tourmentait dans sa chair et qui reçut cette réponse : « Ma grâce te suffit pour vaincre », sufficit tibi gratia mea. Croyons avec l’Apôtre que cette lutte nous est profitable, et ne cessons pas de demander la grâce, qui seule peut nous empêcher de faiblir. Apprenons par là notre indigence, apprenons que nous sommes des pauvres, et que l’acte du pauvre consiste à demander. Le chrétien toute sa vie doit mendier les énergies surnaturelles qu’il lui faut pour faire son salut. L’âme humaine ne peut atteindre le ciel que si elle est lancée par Dieu ; mais une fois lancée, il faut qu’elle vole ; la prière est comme le coup d’aile du petit oiseau lancé hors du nid et qui réclame un nouveau secours.
Quant aux biens temporels, la prière peut nous obtenir tous ceux qui doivent, d’une façon ou d’une autre, nous aider dans notre voyage vers l’éternité : le pain du corps, la santé, la force, la prospérité de nos affaires, la prière peut tout obtenir, à condition que nous demandions avant tout et par-dessus tout à Dieu de l’aimer davantage : « Cherchez le royaume des cieux, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». Faut-il dire que la prière est inefficace parce que nous n’avons pas obtenu le succès d’une entreprise ? Mais si vraiment nous avons prié, nous n’avons pas demandé ce bien temporel pour lui-même, mais seulement dans la mesure où il était utile à notre salut. Si nous ne l’avons pas obtenu, c’est que nous devons nous sauver sans lui. Notre prière n’est pas perdue, nous n’avons pas obtenu ce bien temporel qui nous était inutile, mais nous avons obtenu ou nous obtiendrons une autre grâce plus précieuse.
La prière humble, confiante, persévérante, par laquelle nous demandons pour nous les biens nécessaires au salut est infailliblement efficace, en vertu de la promesse du Seigneur. Dieu, en effet, nous commande de travailler à notre salut. Il ajoute : « Sans moi (sans ma grâce) vous ne pouvez rien faire », « demandez, et vous recevrez » ; demandez-la-moi cette grâce, je vous la donnerai, je vous le promets. Bien plus, c’est Lui qui fait jaillir la prière de nos cœurs, qui nous porte à demander ce que de toute éternité il veut nous accorder. Si une telle prière n’était pas infailliblement efficace, le salut serait impossible, Dieu nous commanderait l’irréalisable ; la contradiction serait en Lui, suprême Vérité et suprême Bonté. Les simples comprennent tout de suite la parole de Jésus : « Demandez et vous recevrez, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira ; qui de vous donnera une pierre à son enfant, si celui-ci lui demande du pain, et s’il lui demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent ? Si donc, méchants comme vous êtes, vous donnez de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est aux cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent ! ». Telle la prière simple est profonde du paysan rentrant du travail, posant sa bêche devant la porte de l’église et entrant pour dire un « Notre Père ». Quel crime celui qui consiste à arracher cette foi sublime au pauvre, qui par elle se rattache à l’Éternité ! Savoir prier, pour l’âme, c’est savoir respirer.
La prière est donc une force plus puissante que toutes les forces physiques prises ensemble, plus puissante que l’argent, plus puissante que la science. Ce que tous les corps et tous les esprits créés par leurs propres forces naturelles ne peuvent pas, la prière le peut. « Tous les corps, dit Pascal, le firmament et ses étoiles, la terre et ses royaumes, ne valent pas le moindre des esprits… De tous les corps ensemble on ne saurait en faire réussir une petite pensée, cela est impossible et d’un autre ordre… Tous les corps ensemble et tous les esprits ensemble, et toutes leurs productions, ne valent pas le moindre mouvement de charité, cela est d’un ordre infiniment plus élevé… ». La prière, elle, peut obtenir la grâce, qui nous fera produire cet acte de charité.
La vraie prière joue ainsi dans le monde un rôle infiniment plus grand que la plus étonnante des découvertes. Qui oserait comparer l’influence exercée par un savant incontesté comme Pasteur, à celle qu’exerça par sa prière un saint Paul, un saint jean, un saint Benoît, un saint Dominique ou un saint François ?
Chaque âme immortelle vaut plus que tout le monde physique, elle est comme un univers, unum versus alia, puisque par ses deux facultés supérieures, intelligence et volonté, elle s’ouvre sur toutes choses et sur l’Infini. A ces univers en marche vers Dieu, qui sont les âmes, la prière assure deux choses : la lumière surnaturelle qui les dirige, et l’énergie divine qui les pousse. Sans la prière, l’obscurité se fait dans les âmes, qui se refroidissent et meurent, comme des astres éteints. Ayons confiance en cette force d’origine divine ; rappelons-nous d’où elle vient, rappelons-nous où elle va ; c’est de l’Éternité qu’elle descend, d’un décret de l’infinie bonté, c’est à l’Éternité qu’elle remonte.
R. P. Réginald Garrigou-Lagrange (1877-1964)
Saint Timothée évêque et martyr
Collecte
Dieu tout-puissant, regardez notre faiblesse ; et parce que le poids de nos péchés nous accable, fortifiez-nous par la glorieuse intercession du bienheureux Timothée, votre Martyr et Pontife.
Office
AU DEUXIÈME NOCTURNE.
Quatrième leçon. Timothée, né à Lystres en Lycaonie, d’un père Gentil et d’une mère Juive, pratiquait déjà la religion chrétienne lorsque l’Apôtre Paul vint en ce pays. Celui-ci, frappé de la grande réputation de sainteté de Timothée, le prit pour compagnon de ses voyages ; mais il le circoncit, à cause des Juifs convertis au Christ, qui savaient que le père de Timothée était Gentil. Étant arrivés tous deux à Éphèse, l’Apôtre l’ordonna Évêque, afin qu’il gouvernât cette Église.
Cinquième leçon. L’Apôtre lui écrivit deux Épîtres, l’une de Laodicée, l’autre de Rome ; dans ces lettres, il le confirme dans l’exercice de sa charge pastorale. Comme Timothée ne pouvait supporter qu’on offrît aux simulacres des démons le sacrifice qui n’est dû qu’au Dieu unique, un jour que le peuple d’Éphèse immolait des victimes à Diane, dont on célébrait la fête, il s’efforça de le détourner de cet acte impie, mais le saint Évêque fut lapidé ; les Chrétiens l’enlevèrent à demi mort et le portèrent sur une montagne proche de la ville, où il s’endormit dans le Seigneur, le neuf des calendes de février.
La veille du jour où nous allons rendre grâces à Dieu pour la miraculeuse Conversion de l’Apôtre des Gentils, la marche du Cycle nous ramène la fête du plus cher disciple de cet homme sublime. Timothée, l’infatigable compagnon de Paul, cet ami à qui le grand Apôtre écrivit sa dernière lettre, peu de jours avant de verser son sang pour Jésus-Christ, vient attendre son maître au berceau de l’Emmanuel. Il y trouve déjà Jean le Bien-Aimé, avec lequel il a porté les sollicitudes de l’Église d’Éphèse ; il y salue Étienne et les autres Martyrs qui l’y ont devancé, et leur présente la palme qu’il a lui-même conquise. Enfin, il vient apporter à l’auguste Marie les hommages de la chrétienté d’Éphèse, chrétienté qu’elle a sanctifiée de sa présence, et qui partage, avec celle de Jérusalem, la gloire d’avoir possédé dans son sein celle qui n’était pas seulement, comme les Apôtres, le témoin, mais, en sa qualité de Mère de Dieu, l’ineffable instrument du salut des hommes.
L’Église Grecque célèbre saint Timothée dans ses Menées, auxquels nous empruntons les strophes suivantes :
Nous honorons en vous, saint Pontife, un disciple des Apôtres, un des premiers anneaux qui nous rattachent au Christ ; vous nous apparaissez tout illuminé des entretiens du grand Paul. Son disciple, le divin Aréopagite, vous choisit pour le confident de ses sublimes contemplations sur les Noms Divins ; mais maintenant, inondé de la lumière éternelle, vous contemplez sans nuage le Soleil de justice. Soyez-nous propice, à nous qui ne pouvons que l’entrevoir à travers les voiles de son humilité ; obtenez-nous du moins de l’aimer, afin que nous puissions mériter de le voir un jour dans sa gloire. Pour alléger le poids de votre corps, vous soumettiez vos sens à une pénitence rigoureuse que Paul vous exhortait d’adoucir : aidez-nous à soumettre la chair à l’esprit. L’Église relit sans cesse les conseils que l’Apôtre vous donna, et en vous à tous les pasteurs, pour le choix et la conduite des membres du clergé ; donnez-nous des Evêques, des Prêtres et des Diacres ornés de toutes les qualités qu’il exige dans ces dispensateurs des Mystères de Dieu. Enfin, vous qui êtes monté au ciel avec l’auréole du martyre, tendez-nous votre palme, afin que, tout obscurs combattants que nous sommes, nous puissions nous élever jusqu’au séjour où l’Emmanuel reçoit et couronne ses élus pour l’éternité.
L'Esprit dit clairement qu'aux derniers temps certains abandonneront la foi, pour s'attacher à des esprits trompeurs, à des doctrines démoniaques ; ils seront égarés par le double jeu des menteurs dont la conscience est marquée au fer rouge ; ces derniers empêchent les gens de se marier, ils disent de s'abstenir d'aliments, créés pourtant par Dieu pour être consommés dans l'action de grâce par ceux qui sont croyants et connaissent pleinement la vérité.
Or tout ce que Dieu a créé est bon, et rien n'est à rejeter si on le prend dans l'action de grâce, car alors, cela est sanctifié par la parole de Dieu et la prière.
En exposant ces choses aux frères, tu seras un bon serviteur du Christ Jésus, nourri des paroles de la foi et de la bonne doctrine que tu as toujours suivie.
Quant aux récits mythologiques, ces racontars de vieilles femmes, écarte-les. Exerce-toi, au contraire, à la piété.
En effet, l'exercice physique n'a qu'une utilité partielle, mais la religion concerne tout, car elle est promesse de vie, de vie présente et de vie future.
Voilà une parole digne de foi, et qui mérite d'être accueillie sans réserve : si nous nous donnons de la peine et si nous combattons, c'est parce que nous avons mis notre espérance dans le Dieu vivant, qui est le Sauveur de tous les hommes et, au plus haut point, des croyants.
Voilà ce que tu dois prescrire et enseigner.
Que personne n'ait lieu de te mépriser parce que tu es jeune ; au contraire, sois pour les croyants un modèle par ta parole et ta conduite, par ta charité, ta foi et ta pureté.
En attendant que je vienne, applique-toi à lire l'Écriture aux fidèles, à les encourager et à les instruire.
Ne néglige pas le don de la grâce en toi, qui t'a été donné au moyen d'une parole prophétique, quand le collège des Anciens a imposé les mains sur toi.
Prends à cœur tout cela, applique-toi, afin que tous voient tes progrès.
Veille sur toi-même et sur ton enseignement. Maintiens-toi dans ces dispositions. En agissant ainsi, tu obtiendras le salut, et pour toi-même et pour ceux qui t'écoutent. 1Tm 4
IIIème dimanche après l’Epiphanie
Introït
Adorez Dieu, vous tous ses Anges, Sion a entendu et s’est réjouie, et les filles de Juda ont tressailli de joie. Le Seigneur est roi ; que la terre tressaille de joie, que toutes les îles se réjouissent.
Collecte
Dieu tout-puissant et éternel, jetez un regard favorable sur notre faiblesse et étendez la droite de votre majesté pour nous protéger.
Épître Rm. 12, 16-21
Mes Frères : Ne soyez point sages à vos propres yeux ; ne rendez à personne le mal pour le mal ; veillez à faire ce qui est bien devant tous les hommes. S’il est possible, autant qu’il dépend de vous, soyez en paix avec tous. Ne vous vengez point vous-mêmes, bien-aimés ; mais laissez agir la colère de Dieu ; car il est écrit : "A moi la vengeance ; c’est moi qui rétribuerai, dit le Seigneur." Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire ; car en agissant ainsi, tu amasseras des charbons de feu sur sa tête. Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais triomphe du mal par le bien.
Évangile Mt. 8, 1-13
En ce temps là : Comme Jésus descendait de la montagne, des foules nombreuses le suivirent. Et voici qu’un lépreux s’approcha, se prosterna devant lui et dit : "Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir." Il étendit la main, le toucha et dit : "Je le veux, sois guéri." Et à l’instant sa lèpre fut guérie. Alors Jésus lui dit : "Garde-toi d’en parler à personne ; mais va te montrer au prêtre, et offre le don prescrit par Moïse, en attestation pour eux." Comme Jésus était entré à Capharnaüm, un centurion l’aborda et lui fit cette prière : "Seigneur, mon serviteur est couché dans ma maison, paralysé, et il souffre cruellement." Il lui dit : "Je vais aller le guérir." Le centurion reprit : "Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit ; mais dites seulement un mot, et mon serviteur sera guéri. Car moi qui suis sous des chefs, j’ai des soldats sous mes ordres, et je dis à l’un : "Va," et il va ; et à un autre : "Viens," et il vient ; et à mon serviteur : "Fais ceci," et il le fait." Ce qu’entendant, Jésus fut dans l’admiration, et il dit à ceux qui le suivaient : "Je vous le dis en vérité : dans Israël, chez personne je n’ai trouvé une si grande foi. Or je vous le dis : beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident, et prendront place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux, tandis que les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures : là seront les pleurs et le grincement de dents." Et Jésus dit au centurion : "Va, et qu’il te soit fait selon ta foi !" Et à l’heure même le serviteur se trouva guéri.
Secrète
Nous vous en supplions, Seigneur, que cette hostie nous purifie de nos fautes, et qu’elle sanctifie les corps et les âmes de vos serviteurs pour célébrer le sacrifice.
Postcommunion
Nous vous en supplions, Seigneur, vous qui nous accordez la grâce de participer à de si grands mystères, rendez-nous dignes d’en recevoir véritablement les effets.
Office
Au premier nocturne.
Commencement de l’Épître de saint Paul Apôtre aux Galates.
Première leçon. Cap. 1, 1-5 Paul, apôtre, non de la part des hommes ni par l’intermédiaire d’un homme, mais par Jésus-Christ et Dieu le Père qui l’a ressuscité des morts, et tous les frères qui sont avec moi, aux Églises de Galatie. A vous grâce et paix de par Dieu notre Père et le Seigneur Jésus-Christ, qui s’est livré pour nos péchés afin de nous arracher à ce monde actuel et mauvais, selon la volonté de Dieu notre Père, à qui soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen.
Deuxième leçon. Cap. 1, 6-10 Je m’étonne que si vite vous abandonniez celui qui vous a appelés par la grâce du Christ, pour passer à un second évangile, non qu’il y en ait deux ; il y a seulement des gens en train de jeter le trouble parmi vous. et qui veulent bouleverser l’Évangile du Christ. Eh bien ! si nous-mêmes, si un ange venu du ciel vous annonçait un évangile différent de celui que nous vous avons prêché, qu’il soit anathème ! Nous l’avons déjà dit, et aujourd’hui je le répète : si quelqu’un vous annonce un évangile différent de celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ! En tout cas, maintenant est-ce la faveur des hommes, ou celle de Dieu que je veux gagner ? Est-ce que je cherche à plaire à des hommes ? Si je voulais encore plaire à des hommes, je ne serais plus le serviteur du Christ.
Troisième leçon. Cap. 1, 11-14 Frères, je vous le déclare, l’Évangile annoncé par moi ne relève pas d’un homme ; car ce n’est pas d’un homme que je l’ai reçu ni appris, c’est par révélation de Jésus-Christ. Vous avez entendu parler de ma conduite passée, dans le judaïsme : je persécutais à outrance l’Église de Dieu et je la ravageais. Dans le judaïsme je surpassais beaucoup de compatriotes de mon âge, montrant un zèle excessif pour les traditions de mes pères.
Au deuxième nocturne.
Exposé de saint Augustin, évêque, sur l’Épître aux Galates.
Quatrième leçon. Le motif pour lequel l’Apôtre écrit aux Galates est de leur faire comprendre que la grâce de Dieu est à l’œuvre en eux pour les libérer désormais de la loi. Lorsque la grâce de l’Évangile leur fut prêchée, il n’en manqua point qui, venus de la circoncision, ne tenaient pas encore, bien que chrétiens de nom, le bénéfice propre de la grâce. Ils voulaient demeurer sous les fardeaux de la loi imposée par le Seigneur Dieu à ceux qui servaient non la justice, mais le péché. Cette loi juste, Dieu la donnait à des hommes injustes, pour leur révéler leurs péchés et non pour les leur enlever. Seule enlève les péchés la grâce de la foi qui opère par l’amour.
Cinquième leçon. Les judaïsants voulaient donc replacer sous les fardeaux de la loi les Galates déjà placés sous la grâce. Ils assuraient que l’Évangile ne leur servirait de rien s’ils ne se faisaient circoncire et ne se soumettaient aux autres observances charnelles des rites judaïques. Aussi les Galates commencèrent-ils à tenir en suspicion l’apôtre Paul qui leur avait prêché l’Évangile. Selon eux, il était coupable de ne pas tenir la même règle de conduite que les autres Apôtres qui contraignaient les nations à judaïser.
Sixième leçon. Une question semblable est traitée aussi dans l’Épître aux Romains mais avec cette différence, semble-t-il, que l’Apôtre y tranche un débat et met un terme au litige qui s’était élevé entre les croyants issus, les uns, du judaïsme, les autres, du paganisme. Les premiers prétendaient que le salaire de l’Évangile leur avait été octroyé en raison du mérite des œuvres de la loi et ce salaire, ils se refusaient à le voir accordé, faute de mérite, pensaient-ils, aux incirconcis. Quant à ces derniers, ils cherchaient à s’élever au-dessus des Juifs en qui ils prétendaient voir les meurtriers du Seigneur. Mais, dans cette Épître-ci, l’Apôtre écrit à des gens déjà ébranlés par l’autorité des judaïsants qui les contraignaient à la pratique des observances de la loi.
Au troisième nocturne.
Homélie de saint Jérôme, prêtre.
Septième leçon. Tandis qu’il descend de la montagne, les foules vont au devant du Seigneur ; car elles n’ont pu gravir les sommets. Et le premier qui vient à sa rencontre est un lépreux : à cause de sa lèpre il ne pouvait entendre le si long discours prononcé par le Sauveur sur la montagne. Il faut noter qu’il est le premier cas spécial de guérison : le second rang revient au serviteur du centurion, le troisième à la belle-mère de Pierre accablée par la fièvre à Capharnaüm, le quatrième aux possédés du démon qui sont présentés au Seigneur et dont les esprits sont chassés par sa parole lorsqu’il guérit aussi tous les malheureux.
Huitième leçon. « Et voici qu’un lépreux vint se prosterner devant lui en disant... » Après la prédication et l’enseignement, voici, fort à propos, l’occasion d’un signe afin que la puissance du miracle confirme chez les auditeurs la parole qu’ils viennent d’entendre. « Seigneur, si tu veux, tu peux me purifier. » Celui qui fait appel à la volonté ne doute pas de la puissance. « Alors il étendit la main et il le toucha en disant : Je le veux, sois purifié. » Le Seigneur étend la main, la lèpre fuit aussitôt. Observe également combien la réponse est humble et sans jactance. Le lépreux dit : « Si tu veux. » Le Seigneur répond : « Je le veux. » Il avait dit aussi : « Tu peux me purifier » Le Seigneur ajoute ces mots : « Sois purifié. » Il ne faut donc pas, comme le pensent la plupart des Latins, joindre les deux expressions et lire : « Je veux purifier », mais les séparer. Ainsi Jésus dit d’abord : « Je le veux », ensuite il ordonne : « Sois purifié. »
Neuvième leçon. « Et Jésus lui dit : Garde-toi d’en parler à personne. » Et vraiment, était-il nécessaire d’annoncer en paroles ce que son corps proclamait ? « Mais va, montre-toi au prêtre. » Il le renvoie au prêtre pour différentes raisons. D’abord par motif d’humilité : il veut montrer qu’il témoigne de la déférence aux prêtres. Car la loi prescrivait à ceux qui avaient été guéris de la lèpre d’offrir des présents aux prêtres. Ensuite, à la vue du lépreux purifié ou bien ils croiront au Sauveur, ou bien ils ne croiront pas. S’ils croient, ils sont sauvés ; s’ils ne croient pas, ils seront sans excuse. Et en même temps, Jésus se dégage du reproche qu’on lui inflige très souvent, celui de violer la loi.
ÉPÎTRE.
Cette charité envers le prochain, que nous recommande l’Apôtre, prend sa source dans la fraternité universelle que le Sauveur est venu nous apporter du ciel par sa naissance. Il est venu faire la paix entre le ciel et la terre : les hommes doivent donc aussi avoir la paix entre eux. Si le Seigneur nous recommande de ne pas nous laisser vaincre par le mal, mais de surmonter le mal par le bien, ne l’a-t-il pas fait lui-même lorsqu’il est venu au milieu des enfants de colère pour en faire des enfants d’adoption, au moyen de ses abaissements et de ses souffrances ?
ÉVANGILE.
Le genre humain était malade de la lèpre du péché : le Fils de Dieu daigne le toucher dans le mystère de l’Incarnation, et il lui rend la santé ; mais il exige que le malade ainsi guéri aille se montrer au prêtre, et qu’il accomplisse les cérémonies prescrites dans la loi, pour montrer qu’il associe un sacerdoce humain à l’œuvre de notre salut. La vocation des Gentils, dont les Mages ont été les prémices, parait aussi dans la foi du Centurion. Un soldat romain et des millions d’autres qui lui sont semblables, seront réputés de vrais enfants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, tandis que des fils directs de ces Patriarches seront jetés hors de la salle du festin, dans les ténèbres de l’aveuglement ; et leur châtiment sera donné en spectacle à tous les peuples. Dans l’Offertoire, l’homme, sauvé par la venue de l’Emmanuel, chante la puissance du Dieu qui a déployé pour notre salut la force de son bras. L’homme était condamné à la mort éternelle ; mais, ayant pour frère un Dieu, il ne mourra pas : il vivra pour raconter les merveilles de ce Dieu qui l’a sauvé.