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Regnum Galliae Regnum Mariae

Du pouvoir des clefs

14 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

Du pouvoir des clefs

CHAPITRE 12

Quel est celui à qui il a été dit : je te donnerai les clefs : Mt 16

 Le troisième doute porte sur la personne à qui il a été dit : je te donnerai les clefs. Pour les docteurs catholiques le sens de ces paroles est on ne peut plus limpide. Mais les adversaires en détournent le sens naturel au point de les rendre obscures. Qui, je le demande, en lisant normalement : « tu es bienheureux Simon fils de Jonas », et en découvrant tout de suite après : « je te donnerai les clefs », ne dirait pas que les clefs ont été promises par le Christ au fils de Jonas ? Néanmoins, Luther (dans son livre sur le pouvoir du pape), Jean Calvin (livre 4 Institutions, chapitre 6, verset 4 et suivants, les magdebourgeois (centurie 1, livre 1, et souvent dans le livre samlchadicus sur la primauté du pape) et tous les hérétiques de notre temps veulent que rien de particulier n’ait été promis à Pierre, fils de Jonas; mais que tout ce qui est dit là appartienne à toute l’Église, que Pierre représentait alors.

Il est à noter que c’est de deux façons que saint Pierre pouvait représenter personnellement l’Église, historiquement et paraboliquement. Quelqu’un représente la personne d’un autre historiquement quand il signifie que des actions, vraiment faites par lui, doivent être mises sur le compte d’un autre qu’il représente. C’est ainsi qu’Abraham, ayant vraiment eu deux fils, signifia Dieu qui aurait deux peuples, comme l’apôtre l’explique (Ga. 4). Et Marthe, qui s’appliquait à de nombreux travaux domestiques et Marie qui était assise aux pieds de Jésus, représentaient deux vies différentes, l’active et la contemplative.

On signifie allégoriquement une chose par une autre, quand une chose vraiment arrivée est dénuée de signification, mais présente quelque chose qui est vraisemblable pour signifier autre chose. Comme dans l’Évangile, le semeur de bon grain représente le Christ prêchant. C’est de cette façon que les légats des princes ont coutume de recevoir les clefs d’une ville : dans l’intérim : ils n’acquièrent rien en propre pour eux, mais ils ne font que représenter la personne du prince. C’est de cette dernière façon que les adversaires estiment que Pierre représentait l’Église quand il a entendu le Seigneur lui dire : je te donnerai les clefs. Ce qui veut dire en clair que les clefs ont été d’abord données à l’Église, et communiquée aux pasteurs par l’Église. Et ce serait cela le sens littéral. Comme le dit le concile smalchadique du premier pape : « C’est à l’Église que les clefs du royaume ont été immédiatement et principalement attribuées, et c’est par conséquent l’Église qui possède le pouvoir d’appeler ».

 Mais nous, nous pensons que c’est de la première façon que Pierre représente l’Église. De façon telle que c’est lui qui, (pour parler comme eux), principalement et immédiatement, a reçu les clefs, et qui, en les acceptant, signifiait en même temps qu’il recevrait, d’une certaine façon, par après, l’Église elle-même. Nous expliquerons plus tard en quoi consiste cette façon. Montrons maintenant brièvement qu’il en est bien ainsi. D’abord, le Christ a désigné la personne de Pierre de tellement de façons que (comme le dit avec raison Cajetan), les notaires qui tiennent les registres publics, ne décrivent pas avec plus détails un homme particulier. Il décrit d’abord la substance de la personne par le pronom « à toi ». Il ajoute ensuite le nom qu’il a reçu à sa naissance, quand il dit : « tu es heureux, Simon ». Il ajoute même le nom du père : « fils de Jonas ». Il n’a pas voulu non plus omettre le nom qu’il venait tout juste de lui donner : et « moi je te dis que tu es Pierre ». À quoi aurait pu bien servir une description si détaillée si rien n’avait été promis à Pierre en propre ? De plus, Pierre n’était pas, à ce moment là, un légat ou un vicaire de l’Église. Car, qui lui avait confié une province de cette sorte ? Nous ne pouvons donc pas imaginer que c’est au nom de l’Église, et non pas en son propre nom, qu’il a reçu les clefs.

De plus, c’est à lui personnellement que les clefs lui ont été promises par le Christ, quand il a dit : « tu es le Christ, le fils du Dieu vivant »! C’est ce que signifiaient ces paroles : « et moi je te dis ». Et comme saint Jérôme l’a enseigné, la vraie confession a reçu une récompense. Cette excellente confession, c’est Pierre qui l’a proférée, et c’est en personne qu’il l’a proférée. C’est donc en personne qu’il a reçu la promesse des clefs. Et si on nie que c’est à Pierre qu’ont été promises les clefs parce qu’il était une figure de l’Église, il faudra nier aussi qu’Abraham a eu deux fils parce que ces deux fils signifiaient deux peuples. Il ne sera pas vrai non plus que Marthe se souciait de plusieurs choses et que Marie était assise aux pieds de Jésus parce que ces deux femmes représentaient la vie active et la vie contemplative. Si c’est une chose grave de mettre en doute des histoires si bien attestées, ce serait aussi une chose grave de douter que quelque chose ait été promis à Pierre en propre, quand cela est raconté aussi clairement dans l’Évangile.

 Celui à qui le Seigneur a dit : je te donnerai les clefs du royaume des cieux, c’est celui-là même qui, un peu après, a entendu le Seigneur lui dire : « arrière satan, tu es un scandale pour moi ! » Or, ces paroles ont été dites à Pierre seul, et à sa seule personne, comme le récit nous l’indique clairement, et comme Luther l’enseigne dans son livre sur le pouvoir du pape. Qui donc peut mettre en doute que c’est à Pierre en personne qu’ont été promises les clefs ?Mais peut-être que ce n’est pas à la même personne qu’il a été dit : « je te donnerai les clefs », et « arrière satan » ! C’est à la même personne évidemment ! Car ces deux paroles de Jésus se trouvent dans le même chapitre, et Pierre est nommé par son nom dans les deux cas. C’est ce qu’enseignent tous les pères de l’Église. Il n’est que trop certain que pour saint Hilaire, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome c’est à la même personne que, en Matthieur16, ont été dites : « je te donnerai les clefs », et « va derrière moi ».

Car même si saint Hilaire n’a pas osé référer à Pierre le mot satan, c’est à Pierre qu’il réfère tout ce qui précède. Et lui-même (dans les livres 6 et 10 de la trinité, et dans le psaume 131, réfère même le mot satan à Pierre : « Si grande était l’obligation qu’il avait de souffrir pour le salut de l’humanité, qu’il a donné le nom de satan à Pierre, le premier confesseur du Fils de Dieu, le fondement de l’Église, le portier du royaume du ciel, et juge céleste dans les jugements terrestres. » Et saint Augustin (livre 1 contre les deux épîtres de Gaudance, chapitre 31) : « Razias est-il meilleur que l’apôtre Pierre qui, après avoir dit tu es le christ, Fils du Dieu vivant, et nommé bienheureux par le Seigneur au point de lui remettre les clefs du royaume, sans penser pour autant devoir l’imiter, fut blâmé au même moment, et entendit : va après moi, satan, tu ne comprends pas les choses de Dieu ».

Saint Ambroise dit des choses semblables au sujet d’Isaac (chapitre 3), commentant ces paroles de Jésus à Pierre : tu ne peux pas me suivre maintenant, tu me suivras plus tard, dit : « Il lui avait remis les clefs du royaume, et lui avait déclaré qu’il était incapable de le suivre. » Il est évident que, pour saint Ambroise, les clefs ont été confiées à celui qui ne pouvait pas le suivre alors, mais le pourrait plus tard. Il est clair que ces paroles ont été dites à Pierre en personne, comme il a été crucifié dans sa propre personne, et qu’il a suivi le Christ en mourant.

Mais Luther a des objections à faire dans son livre du pouvoir du pape. La première. Il est certain que c’est à Pierre que le Seigneur a dit : va après moi, tu ne comprends pas les choses de Dieu. Or, ces choses ne conviennent pas à celui à qui le Père a révélé des secrets célestes, et qui a reçu les clefs du ciel. Ce n’est donc pas dans sa personne propre, mais dans la personne de l’Église qu’il a entendu des révélations célestes, et qu’il a reçu les clefs du royaume des cieux. Je réponds que c’est à la même personne que toutes ces choses-là se rapportent, comme nous l’avons déjà démontré, mais pas de la même façon. C’est comme une grâce donnée par Dieu qu’il a reçu la révélation et les clefs, et c’est par sa propre infirmité qu’il s’est scandalisé de la passion et de la mort du Christ. Le nom de satan ne doit pas nous troubler outre mesure. Il ne signifie pas, en effet, le diable, mais l’adversaire. Il ne signifie rien d’autre, en effet, dans la langue hébraïque. Et même s’il arrive souvent que satan signifie le diable, ce n’est pas partout.

La deuxième objection. C’est au nom de tous les disciples que saint Pierre a dit : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. C’est donc au nom de tous qu’il entendit ces paroles : je te donnerai les clefs.  Que ce soit au nom de tous les apôtres que Pierre ait répondu, le déclarent saint Jean Chrysostome qui a écrit que, dans ce passage, Pierre a été la bouche de tous les apôtres, et saint Jérôme qui explique que saint Pierre a parlé au nom de tous, ainsi que saint Augustin qui (dans le sermon 13 de la parole de Dieu) déclare qu’un a parlé pour tous. On le déduit aussi du fait que le Seigneur les a tous interrogés : « Et vous, que dites-vous de moi ? » Car, ou bien il faut blâmer les apôtres pour ne par avoir répondu à la question du Sauveur, ou bien il faut admettre que saint Pierre a répondu au nom de tous.

Je réponds que saint Pierre a répondu au nom de tous non comme un porte-parole quelconque, mais comme le prince, le chef et la bouche des apôtres (comme le dit saint Jean Chrysostome). Car, il fut le seul à répondre non parce que les autres ignoraient la meilleure réponse. Mais, par leur silence, ils approuvèrent la réponse de saint Pierre, et c’est de cette façon que tous ont parlé par sa bouche. Donc, comme Pierre fut le seul à répondre et que les autres acquiescèrent, il fut aussi le seul à recevoir les clefs du Christ, mais pour qu’elles soient communiquées à d’autres après lui. Qu’il en soit bien ainsi, nous le prouvons par un raisonnement. Si Pierre avait répondu au nom de tous, il l’aurait fait cela parce que les autres le lui avaient demandé, ou parce qu’il savait ce qu’ils répondraient. Ce n’est pas pour la première raison car, c’est par une révélation divine, qu’il l’a appris, non par une consultation humaine, car le Christ lui a dit : ce n’est ni la chair ni le sang qui t’ont révélé cela. Ce n’est pas non plus pour la deuxième, car c’est à lui seul qu’a été faite cette révélation. De même. S’il connaissait l’opinion des autres, il aurait trouvé une façon de l’indiquer, comme il l’a fait quand il a dit (Jn 6) : « Vers qui irons-nous ?  Tu as les paroles de la vie éternelle ». Et, ensuite : « Nous croyons et nous savons que tu es le Christ, le Fils de Dieu ». Saint Jean Chrysostome note que, dans ce texte, saint Pierre parle pour tous : « et nous croyons, nous ». Et c’est pour cela que le Christ les a avertis que ce n’était pas vrai pour tous, car, Judas ne croyait pas. Il a dit : « Ne vous ai-je pas tous choisis ? Et pourtant, l’un de vous est un démon ». Puisque Pierre ne fit pas mention des autres quand il dit : tu es le christ, le fils du Dieu vivant, ce n’est que la confession de Pierre que le Seigneur approuva.

Se présentent les témoignages des pères qui enseignent sans aucune obscurité que Pierre a répondu si rapidement qu’il ne savait pas ce que les autres pensaient. Saint Hilaire : « Il a été jugé digne d’être le premier à connaître ce qu’était le Christ de Dieu. » S’il est le premier, la révélation n’a donc pas été faite au même moment aux autres. Et (dans le livre 6 de la trinité), il écrit : « C’est dans le silence des autres apôtres, qu’il comprend le Fils de Dieu par la révélation du Père ». Et au même endroit : « Il a dit ce que la voix humaine n’avait pas encore exprimé ». Saint Jean Chrysostome (homélie 55 sur saint Matthieu, écrit : « Quand il demanda ce que pensait le peuple, tous répondirent. Quand il les interrogea sur ce qu’ils pensaient de lui, Pierre les prit de vitesse, et dit, avant que chacun ait pu ouvrir la bouche : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Saint Cyrille (livre 12, saint Jean, chapitre 64) : « En tant que prince et chef des autres, il s’exclama le premier : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Saint Augustin (sermon 24, sur l’évangile du jour) : « Voici le Pierre qui, par une révélation divine de toutes les vérités, a mérité d’être le premier à confesser le Christ, en disant : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Saint Léon (sermon 11 de la passion) enseigne : « C’est avec raison qu’on loue l’apôtre Pierre pour la confession de cette unité, pendant que les apôtres cherchaient quoi répondre à la question du Christ.  En prévenant les bouches de tous, il dit en toute vitesse : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Et, (dans le sermon 2 sur saints Pierre et Paul) : « Quand on fait appel à l’ambiguïté de l’intelligence humaine, la réponse est commune à tous ceux qui sont interrogés. Or, quand on veut savoir ce que pensent les disciples, celui qui est le premier dans la dignité apostolique est le premier à répondre. » De tous ces témoignages ont peut déduire que Pierre n’a pas répondu au nom des autres pour aucune autre raison que parce que tous étaient du même avis que lui.

La troisième objection. Les clefs sont promises à Pierre non en tant que fils de Jonas, mais en tant qu’auditeur du Père céleste. C’est donc proprement à l’auditeur du Père céleste, non à la chair et au sang, que les clefs sont promises. On ne peut dire d’aucun homme qu’il est certain qu’il soit un véritable auditeur de Dieu. Mais nous savons avec certitude que l’Église tend toujours l’oreille à la parole de Dieu. Les clefs ne sont donc pas promises à un homme, mais à l’Église. Je réponds que ces paroles de Luther sont en conflit avec les paroles elles-mêmes de l’Évangile, car le Christ a dit : bienheureux es-tu, fils de Jonas. Et, un peu après : je te donnerai les clefs. Or, Luther dit que les promesses des clefs n’ont pas été faites à Simon fils de Jonas. Le Christ redit : « que mon Père t’a révélé ». Et Luther : d’aucune personne nous sommes certains qu’elle écoute vraiment Dieu; donc, Pierre, non plus. Est donc faux ou incertain ce que le Christ a dit : mon Père te l’a révélé. Qu’est-ce que le Père a révélé à Pierre s’il n’a rien entendu ? Si Saint Pierre a vraiment entendu quelque chose, et comme le témoignage de Jésus est certain, il doit être aussi certain que les clefs ont été données à celui qui a entendu parler le Père.

De plus, être un auditeur des paroles du Père n’est pas la raison formelle pour laquelle les clefs ont été données. Autrement, le pouvoir des clefs dépendrait de la probité des ministres, ce qui est l’hérésie des donatistes, que même dans la confession augustinienne nous voyons rejetée (chapitre de l’Église). Mais cette confession célèbre fut une occasion, ou une cause méritoire expliquant pourquoi les clefs avaient été données à lui plutôt qu’à d’autres, comme le montrent les commentaires de saint Hilaire, de saint Jérôme, de saint Jean Chrysostome et de Théophylacte.

La quatrième objection. Saint Paul (épître aux romains, chapitre 4 ) dit : « Comme la foi d’Abraham fut réputée à justice », la foi de tous ceux qui croient doit être aussi réputée à justice. De la même façon, donc, si c’est parce qu’il a confessé le Christ, Fils du dieu vivant qu’il a reçu les clefs, il est certain que tous ceux qui confessent le Christ Fils de Dieu ont les clefs du royaume des cieux. Cet argument, dit Luther, est d’une forme semblable à l’argument de saint Paul, et ne peut pas être réfuté, à moins de réfuter l’argument de saint Paul. Je réponds que cet argument est semblable par la forme mais dissemblable par la matière, et qu’il ne conclut donc rien. Car, de par sa nature, la foi conduit à la justice, et fait un juste d’un injuste, et un plus juste d’un juste, si ne font pas défaut les autres choses qui, avec la foi, sont requises pour la justification. Mais la confession de la foi ne conduit pas, par sa nature, à la réception des clefs. Dieu pouvait de centaines de manières différentes récompenser la foi de Pierre, mais c’est pas l’obtention des clefs qu’il l’a fait. On peut voir quelque chose de semblable dans l’exemple d’Abraham. En effet, par la foi, Abraham n’a pas obtenu seulement d’être justifié, mais il a mérité d’être le père de plusieurs nations, comme le dit l’apôtre. Mais tous les croyants ne sont pas pour autant pères de plusieurs peuples. De plus, la foi n’est pas par elle-même et naturellement unie au don des clefs ou de fécondité, comme elle est par elle-même et naturellement unie avec la justice.

La cinquième objection, À la mort de Pierre, les clefs sont-elles demeurées dans l’Église, ou ont-elles été perdues ? Si elles sont demeurées, c’est à l’Église qu’elles furent données, Si elles ont péri, les hommes ne peuvent plus aujourd’hui être absous ou déliés. De même. Quand le pontife est élu, il apporte avec lui les clefs, oui ou non ? S’il les apporte, il est donc pontife avant de le devenir; s’il ne les apporte pas, d’où les tient-il ? Lui sont-elles apportées du ciel par un ange, ou ne la reçoit-il pas plutôt de l’Église, à laquelle elles ont été confiées ? Je réponds qu’à la mort d’un pape, les clefs ne périssent pas. Elles ne demeurent pas non plus formellement dans l’Église, sauf en tant qu’elles ont été communiquées aux ministres inférieurs. C’est dans les mains du Christ qu’elles demeurent. C’est tout à fait comme si en donnant un pro-roi à une province, un roi statuerait que ce serait son bon plaisir que les gens de cette province élisent un pro-roi, et qu’il lui concéderait le même pouvoir qu’au premier.

Sixième objection de Luther et de Calvin. Ils disent qu’en Mt 16, les clefs ne sont pas données, mais promises seulement. Elles sont données en Mt 18 et Jn 20, et c’est à tous les apôtres qu’elles sont données, non à Pierre seul. Car il est dit en Mt 18 : « Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans les cieux ». Et, en Jn 20 : « Recevez l’Esprit Saint. Les péchés seront remis à qui vous les remettrez, et retenus à qui vous les retiendrez. » Donc, quand elles avaient été données, ce n’était pas à un seul apôtre mais à tous les apôtres qu’elles l’avaient été. Je réponds que le dernier texte ne représente aucune difficulté, car il est certain que, par ses paroles, ce n’est pas tout le pouvoir des clefs qui est donné, mais seulement le pouvoir que donne le sacrement de l’ordre de remettre les péchés. En effet, dans ce passage est donné un pouvoir sur les péchés, tandis qu’en Mt 16, il est question de lier et de délier. Or, les hommes ne sont pas liés seulement par les péchés, mais par les lois. De plus, c’est plus simple de retenir un péché que de lier un pécheur, car retenir signifie laisser un pécheur dans son état, ne pas l’absoudre; tandis que lier c’est lui imposer un nouveau lien, qui se fait par l’excommunication, un interdit, une loi etc. C’est pourquoi les pères enseignent que c’est par les sacrements de baptême et de pénitence que s’exerce ce pouvoir de remettre les péchés.  Voir saint Jean Chrysostome et saint Cyrille sur ce passage, et saint Jérôme (épître à Hedibiam, question 9).

Le premier texte offre une difficulté plus grande. Origène, par exemple, affirme, en commentant ce passage, que ce n’est pas le pouvoir ecclésiastique qui est donné là, mais que c’est la correction fraternelle qui est recommandée. Il dit que ce passage traite de l’absolution de quelqu’un qui, à cause de l’admonition d’un frère, renonce à son péché, et en est libéré par la pénitence qui est due. Est lié celui qui, après avoir été dénoncé par quelqu’un, est considéré comme un païen et un publicain. Il précise même que ce texte ne parle pas de la même chose que Mt 16. Même si l’explication d’Origène est improbable, elle ne favorise certainement pas les Luthériens. Theophylacte explique le texte autrement. Il dit que les paroles du Seigneur se rapportent à ceux qui souffrent, et que quelqu’un les lie tant qu’il retient l’injustice. Ils libèrent en remettant quand cesse l’injustice. Car celui qui reçoit l’injustice, la remet à quelqu’un qui se repent ou qui ne se repent pas. S’il la remet à celui qui se repent, il sera absous dans le ciel, mais non parce qu’il la remet, car même s’il ne voulait pas la remettre il serait absous dans le ciel. S’il la remet à celui qui ne se repent pas, alors n’est pas absous dans le ciel celui auquel il a pardonné sur terre. On peut dire la même chose du pouvoir de lier. Car, même si était vraie leur affirmation, elle n’infirmerait en rien notre cause. Car, il est certain qu’il a été donné à Pierre autre chose que de remettre les injures qui lui ont été faites. C’est donc la position commune des pères (saint Hilaire, saint Jérôme, saint Augustin, saint Anselme) que le Seigneur, en saint Jean parle du pouvoir des clefs par lequel les apôtres et leurs successeurs lient et absolvent les pécheurs.

Et bien qu’on semble traiter ici principalement du pouvoir de juridiction, par lequel les pécheurs sont excommuniés, les pères nommés parlent, cependant ici, et du pouvoir d’ordre et du pouvoir de juridiction. Et il semble certain qu’on puisse déduire cela du texte lui-même, car il est dit, d’une façon générale : « tout ce que vous lierez », Comme en Mt 15 : « tout ce que tu lieras ». Mais, s’il en est vraiment ainsi, que répondrons-nous à nos adversaires ? Ce qui a été promis au seul Pierre n’est-il pas donné à tous les apôtres ? Cajetan (dans le traité des institutions et des actes des pontifes romains, chapitre 5), enseigne que le pouvoir des clefs du royaume des cieux et le pouvoir de délier et de lier, ne sont pas deux choses semblables. Car, les clefs du royaume des cieux incluent le pouvoir d’ordre et de juridiction, lesquels sont signifiés par l’action de lier et de délier. C’est, selon lui, quelque chose de plus ample et de plus large que le simple pouvoir d’ouvrir et de fermer, de délier et de lier. Mais cette doctrine nous semble plus subtile que vraie. Car, on n’a jamais entendu dire qu’il y ait, dans l’Église, d’autres clefs que celles de l’ordre et de la juridiction. Et le sens plénier de ces paroles est : je te donne les clefs du royaume, et tout ce que tu délieras sur la terre etc. Est d’abord désigné celui à qui a été promise en premier lieu l’autorité ou le pouvoir désigné par les clefs, puis, on explique les actions ou la tâche par ces mots lier et délier, de sorte que délier et ouvrir signifient la même chose, ainsi que fermer et lier. Pour dire le vrai, le Seigneur a décrit les actions des clefs par les mots lier et délier, non par fermer et ouvrir, pour que nous comprenions qu’il s’agit là d’expressions métaphoriques, et que le ciel est ouvert aux hommes quand ils sont déliés des péchés qui en empêchent l’entrée.

Laissant cela de côté pour l’instant, nous affirmons d’abord que, par les paroles du Seigneur (Mt 16), n’est pas donné, mais seulement promis ou expliqué ou annoncé d’avance quel pouvoir auraient, en leur temps, les apôtres et leurs successeurs. Car, il est clair que les apôtres n’ont été faits prêtres qu’à la dernière scène; qu’ils n’ont été évêques et pasteurs qu’après la résurrection. En conséquence, au moment où le Seigneur leur parlait ainsi, ils n’étaient que des hommes privés, et n’avaient aucun pouvoir ecclésiastique. Donc, si par ces mots : « tout ce que vous lierez sera lié », est donné réellement le pouvoir de lier, sera réellement donné et non seulement promis le pouvoir de lier par ces mots : « tout ce que tu lieras ». Car les mots sont absolument semblables. Or, les adversaires soutiennent que par les mots : tout ce que tu lieras, rien n’a été donné, mais seulement promis. Ils doivent donc concéder que par les mots : « tout ce que vous lierez », rien n’est donné, car ce n’est là aussi qu’une promesse. La cause de cette promesse est la parole de Jésus selon laquelle il faut considérer comme un païen et un publicain celui qui n’écoute pas l’Église. Et, pour qu’il ne pense pas qu’on puisse mépriser l’autorité de l’Église, il ajoute que le pouvoir des prélats de l’Église sera tel que ce qu’ils lieront sur la terre sera lié dans les cieux.

Tu diras : si le pouvoir des clefs n’a pas été donné aux apôtres à ce moment, mais seulement promis, quand leur a-t-il été donné ? Je réponds qu’il leur a été donné en Saint Jean 20 et 21, quand le Seigneur a dit à ses apôtres : « Paix à vous. Comme le Père m’a envoyé, je vous envoie ». C’est alors qu’il leur a attribué le pouvoir ou la clef de juridiction. Il fit d’eux, par ces mots, comme des légats, et des gouverneurs de l’Église en son nom. Par les paroles suivantes : « recevez le Saint-Esprit, les péchés seront remis à qui vous les remettrez », il leur a donné le pouvoir d’ordre, comme nous avons dit plus haut. Et pour que nous comprenions que ce pouvoir suprême a été conféré aux apôtres en tant que légats, non comme pasteurs ordinaires, mais avec une certaine subordination à Pierre, il dit à Pierre seul (Saint Jean 21) : « pais mes brebis ».  Et c’est alors que lui a été confié le soin de ses frères les apôtres.

Et c’est pour cela aussi, que, en Mt 16, la promesse des clefs a été faite à Simon fils de Jonas, ou Simon fils de Jean, comme on l’a en grec. Et comme, en Mt 16, les clefs n’ont pas été promises avant que Simon ne donne un témoignage de sa foi singulière, le Christ ne lui a pas dit (en saint Jean) de paître ses brebis, avant qu’il ait répondu, à celui qui le lui demandait, qu’il l’aimait plus que les autres. Et il est clair qu’il n’y aurait pas eu de raison pour laquelle Jésus dise à Pierre seul : je te donne les clefs, pais mes brebis, s’il n’allait recevoir rien de plus que les autres. C’est donc à bon droit que saint Léon (épitre 89) a écrit aux évêques de la province de Vienne qu’à Pierre a été donné, avant les autres, le pouvoir de lier et de délier.

La dernière objection de Luther et de Calvin  est tirée du témoignage des pères. Car, saint Cyprien (dans le livre de la simplicité des prélats, ou de l’unité de l’Église ) enseigne que les clefs qui ont été plus tard données à tous n’ont pas été données à Pierre séparément pour d’autre raison que pour signifier l’unité de l’Église : « Tous les apôtres ont été comme Pierre également chargés d’honneurs et de responsabilités, mais c’est de Pierre que l’unité prend son point de départ, et c’est pour que l’Église soit une que la primauté a été donnée à Pierre ». Saint Hilaire (livre 6 de la trinité) pale ainsi : « Vous autres, hommes saints et bienheureux, c’est pas le mérite de votre foi que vous avez hérité des clefs du royaume des cieux, et du droit de lier et de délier sur la terre et au ciel ». Saint Jérôme (livre 1, contre Jovinien) dit que c’est sur Pierre qu’est fondée l’Église, même si la même chose arrive ailleurs à tous les apôtres, et que tous reçoivent… » Saint Augustin (traité 50, en Jean) : « Si saint Pierre n’était pas le sacrement de l’église, le Seigneur ne lui aurait pas dit : je te donnerai les clefs du royaume des cieux. Mais si cela n’est dit qu’à Pierre, l’Église ne le fait donc pas. Mais si l’Église le fait, quand Pierre a reçu les clefs, il représentait donc l’Église. »  On trouve des choses semblables dans le dernier traité sur saint Jean, dans le psaume 108, dans la doctrine du Christ, chapitre 18, et dans le livre sur l’agonie de Jésus, chapitre 3. De plus, saint Léon (sur l’anniversaire de son intronisation), en expliquant ces paroles : je te donnerai les clefs, dit qu’a passé dans les autres apôtres la force de ce pouvoir, et que s’est communiquée à tous la portée de ce décret. »

Je réponds. Quand saint Cyprien a dit que les apôtres étaient égaux en honneur et en pouvoir, il n’a rien dit contre nous. Nous reconnaissons, nous aussi, que les apôtres sont égaux par le pouvoir apostolique, et qu’ils ont eu sur les chrétiens la même autorité, mais qu’ils ne furent pas égaux entre eux. C’est ce que saint Léon (épître 84 à Anastase, évêque de Thessalonique, expliquant ces paroles de saint Cyprien dit : « Entre les saints apôtres, il y eut une différence sur le plan de l’honneur et du pouvoir, et bien que tous aient été semblables par l’élection divine, c’est à un seul qu’il a été donné de présider aux autres ». C’est ce que saint Cyprien enseigne là et ailleurs. Car, quand il dit que c’est de lui qu’origine l’unité, pour que l’Église se montre une. Il ne veut pas dire qu’à Pierre plus qu’aux autres a été donné, dans l’ordre du temps, ce pouvoir pour que par lui soit représentée l’unité de l’Église, mais que l’Église a commencé dans le seul Pierre, comme dans son fondement et sa tête, de sorte que c’est de lui que l’Église possède un fondement et une tête, et qu’elle se montre une. Comme une maison est dite une par son fondement, et un corps par sa tête.

Que ce soit là le sens des paroles de saint Cyprien, on le prouve d’abord en constatant qu’il est faux que le pouvoir apostolique ait été donné à Pierre avant tous les autres. Car, à tous il a été donné en Jn 20. Et c’est après cela qu’il a été dit à Pierre : pais mes brebis (Jn 21). On ne doit donc pas entendre « un commencement parfait par un seul » parce qu’à un seul a été donné d’abord les clefs, mais parce qu’à un seul elles ont été données comme à un pasteur ordinaire, premier et tête des autres. De plus, on peut prouver la même chose avec les paroles de saint Cyprien, car, dans le livre sur la simplicité des prélats, expliquant l’unité de l’Église, et pour quelle raison elle tire son origine du seul Pierre, il écrit que l’Église est une de la même façon que tous les rayons du soleil sont dits une seule lumière, parce qu’ils émanent tous d’un seul soleil. Et comme plusieurs ruisseaux sont une seul eau parce qu’ils viennent tous de la même source; et plusieurs branches un seul arbre, parce qu’elles proviennent toutes de la même racine. Or, cette racine et cette fontaine d’où l’Église tire son unité, saint Cyprien enseigne en plusieurs endroits que c’est le siège de Pierre. Il dit (dans le livre 1de l’épître 3 à Corneille) : « Ils osent naviguer vers la cathédrale de Pierre et à l’Église principale d’où est née l’unité sacerdotale ».

Qu’y a-t-il de plus clair ? Et, (dans le livre 4 de l’épître 8 à Corneille), il dit en parlant de la chaire de Pierre : « Nous savons très bien qu’on nous a exhortés à la reconnaitre et à la tenir comme la matrice et la racine de l’Église catholique ». Et dans son épître à Bubajan : « Nous la tenons, nous autres, comme la racine et la tête d’une seule Église » Et, un peu plus bas, expliquant ce qu’est cette racine, il dit : « C’est d’abord à Pierre, en premier, que le Seigneur a donné cette puissance. C’est sur lui qu’il a édifié l’Église, et c’est lui qu’il a institué et montré comme origine de l’universalité. » Et un peu plus bas : « L’Église qui est une est fondée par la parole du Seigneur sur celui qui est seul à avoir reçu les clefs ». Tu vois clairement là que l’Église est dite une parce qu’elle est fondée sur le seul Pierre.

Pour en venir au témoignage de saint Hilaire, nous admettons que tous les apôtres ont reçu les clefs, mais pas de la même manière que Pierre. C’est pourquoi le même saint Hilaire écrit que, parce qu’il est le seul à avoir répondu quand tous les autres gardaient le silence, saint Pierre, par la profession de sa foi, a mérité un lieu suréminent. Saint Pierre a donc eu, parmi les apôtres, un lieu suréminent, si nous en croyons saint Hilaire. Et (dans le chapitre 16 de saint Matthieu, il dit de Pierre seul : « O bienheureux portier du ciel, à la décision duquel les clefs de l’entrée éternelle sont confiées. » Et je dis au sujet de saint Jérôme que la réponse se trouve dans un autre passage. Car le même saint Jérôme dit que les apôtres avaient eux aussi les clefs du royaume, mais comme étant soumis à Pierre. Et au sujet de saint Léon, je dis qu’est passée dans un grand nombre l’autorité de lier et de délier, mais qu’elle a été donnée principalement à Pierre. Car, le même saint Léon dit ailleurs : « Si le Christ a voulu que les autres princes aient quelque chose en commun avec lui, c’est toujours par Pierre qu’il a donné ce qu’il n’a pas dénié aux autres. » Et, dans l’épître (89 aux évêques de la province de Vienne), il dit : « À Pierre, avant les autres, a été donné le pouvoir de lier et de délier ».

Restent les témoignages de saint Augustin. Pour les expliquer diligemment, il y a trois choses qu’il faut noter. La première : Quand il dit que saint Pierre représentait l’Église au moment où il a reçu les clefs, il ne prétend pas qu’il les ait reçues ainsi historiquement, mais symboliquement, car il n’a jamais pensé devoir nier que Pierre les aient reçues en sa personne. C’est ce qu’on peut déduire de son traité sur le psaume 108, que Luther nous objecte. Car saint Augustin dit là que saint Pierre a été la figure de l’Église quand il a reçu les clefs, comme Juda a été la figure des Juifs ingrats quand il a trahi Jésus. Or, il est certain que c’est historiquement que Judas a livré le Christ en personne. De même, dans son dernier traité sur saint Jean, saint Augustin enseigne que saint Pierre a été la figure de l’Église militante et de la vie active quand il entendit : « suis-moi », et : « un autre te ceindra et t’amènera où tu ne veux pas »; et quand il reçut les clefs du royaume. Comme saint Jean a été la figure de l’église triomphante et de la vie contemplative, quand il se pencha sur la poitrine de Jésus, et quand il fut dit de lui : si je veux qu’il demeure. Or, il est certain que saint Jean s’est historiquement et vraiment penché sur la poitrine du Seigneur, et que c’est littéralement que se sont réalisées les paroles du seigneur, qu’il soit mort, ou qu’il ne soit pas mort d’une mort violente, ou même s’il faut donner un autre sens à cette phrase. Il n’est pas moins certain que saint Pierre a entendu en personne, de ses propres oreilles, ces paroles : « un autre te ceindra ». On doit donc conclure que c’est réellement et historiquement que saint Pierre a reçu les clefs.

Ensuite, (au livre 15 de la trinité, chapitre 26), saint Augustin dit que le Christ a été la figure de l’Église quand il a été baptisé. Or, sans doute possible, il a été véritablement et réellement baptisé. Donc, chez saint Augustin, le fait que l’un soit la figure d’un autre n’exclut pas l’historicité d’un récit. Mais, tu diras que, dans le psaume 108, saint Augustin semble laisser entendre qu’on ne peut pas attribuer à Juda tout ce qui est dit dans le psaume. Et voilà pourquoi il faudrait exposer au grand jour plusieurs choses pour que Judas soit la figure des impies. Et dans son dernier traité sur saint Jean, il explique figurativement les choses qui sont dites de saint Pierre et de saint Jean, parce qu’elles ne semblent pas convenir à leurs personnes. Car il est écrit de Pierre qu’il a aimé le Christ plus que saint Jean, et c’est le contraire qui est écrit au sujet de Jean, car on dit qu’il fut plus aimé par le Christ que Pierre.  Comme ces choses ne peuvent pas être vraies littéralement, et comme le Christ qui est juste,  aime toujours plus ceux qui l’aiment le plus, saint Augustin interprète ces paroles au sens où saint Pierre aurait tenu la place de l’Église. Il dit cela parce qu’il estime que les paroles du Christ ne lui conviennent pas vraiment.

Je réponds que saint Augustin n’a jamais dit que n’était pas littéralement vrai ce qui était dit de Judas dans le psaume, et de saint Pierre et de saint Jean dans l’Écriture. Car, il n’était pas assez ignorant ou impie pour nier que saint Jean se soit vraiment penché sur la poitrine de Jésus, ou qu’il faille entendre au sens littéral ce qui est dit de lui : celui-ci est le disciple que Jésus aimait. Il ne niait pas non plus qu’il fallait entendre au sens littéral la demande de Jésus : Simon fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci, ou cette autre : suis-moi. Saint Augustin ne nie donc pas qu’on puisse et qu’on doive entendre au sens littéral ce qui est dit de Jean et de Pierre. Il dit simplement que le sens littéral est souvent obscur, et qu’il n’est pas toujours facile de le trouver. Il pense que le sens mystique est plus éclairant et plus riche, et c’est pour cela que, laissant de côté le sens littéral, il a décidé d’expliquer ces passages de façon allégorique. En second lieu, il faut observer que quand saint Augustin dit que saint Pierre a reçu les clefs dans la personne de l’Église, il ne veut pas dire que ces clefs aient été réellement et historiquement reçues comme un vicaire ou un légat de l’Église, comme le légat d’un roi a coutume d’accepter les clefs d’une cité au nom de son prince; mais plutôt comme prince et modérateur de toute l’Église. De la même manière qu’on dit qu’est donné au royaume ce qui est donné au roi, surtout si cela se rapporte à l’utilité publique.

Que ce soit là la pensée de saint Augustin, on peut le déduire du fait que presque partout où il est dit que saint Pierre est la figure de l’Église, il explique qu’il dit cela à cause de la primauté (traité ultime sur saint Jean) : « C’est à cause du primat de son apostolat, que saint Pierre était la figure de l’Église » Dans le psaume 108 : « On reconnaît qu’il représente la personne de l’Église à cause de la suprématie qu’il a sur les autres apôtres. » Et (sermon 13 sur la parole du Seigneur), il dit : « Pierre le bienheureux connu par la pierre, portant la figure de l’Église, tenant la primauté de l’apostolat ». Il faut observer, à la fin, que, chez saint Augustin, saint Pierre a été, de deux façons, figure de l’Église. D’abord, recevant les clefs en tant que chef suprême de l’Église, saint Pierre a représenté tous les chefs qui auront les mêmes clefs, mais communiquées par Pierre, et non sans mesure. Car Pierre ne les a pas reçues pour les utiliser à lui seul, mais pour les communiquer aux autres évêques et prêtres, à l’exception des apôtres qui, par une grâce exceptionnelle et extraordinaire, les ont reçues immédiatement du Christ, comme nous l’avons dit ailleurs.

Il fut donc, au début, la figure de toute l’assemblée des ministres ecclésiastiques, et c’est ce que voulait dire saint Augustin (traité 50 sur saint Jean) quand il écrivit ; « Si cela n’est dit qu’à Pierre, l’Église ne le fait donc pas. Si cela se fait dans l’Église, c’est donc que saint Pierre représentait la sainte Église quand il reçut les clefs ». De ce passage, Calvin a enlevé le mot « ne…que », pour nous persuader que tout ce qui a été donné à Pierre lui a été donné en tant que représentant de l’Église. Or, saint Augustin n’a pas dit : si cela n’a pas été donné à Pierre, l’Église ne le fait pas, mais si cela n’est dit que de Pierre. Et le sens de ces paroles est : s’il a été dit au seul Pierre je te donne les clefs, de façon à ce qu’il soit le seul à pouvoir lier et délier, il s’ensuit que l’Église et les autres ministres ne font rien de tel. Mais si tous le font, comme nous le voyons, il est certain qu’en recevant les clefs, saint Pierre représentait l’Église.

En recevant les clefs d’une autre manière, le même Pierre fut la figure de toutes la sainte Église, c’est-à-dire de tous les justes, de tous les membres vivants du corps du Christ. Car, à cause des donatistes, saint Augustin a conçu une nouvelle manière de parler des clefs et de la rémission des péchés. En effet, en plus de cette façon de parler qui nous fait dire que les péchés sont remis par les prêtres dans l’administration des sacrements de baptême et de pénitence, façon de parler souvent employée par les pères, on a aussi souvent coutume de dire que les péchés sont remis par la charité de l’Église, par le gémissement de la colombe, et par les prières des saints. Et c’est de cette façon que les clefs du royaume n’appartiennent qu’aux justes, et c’est aussi ce qu’a signifié saint Pierre en recevant les clefs. Au traité 121 sur saint Jean, il dit : « La charité de l’Église qui est diffusée dans nos cœurs par le Saint-Esprit, remet les péchés de ceux qui y participent. Mais elle retient les péchés de ceux qui n’y participent pas. » Même chose (dans le livre 3 sur le baptême, chapitre 18) : « La rémission des péchés est donnée, celle qui est donnée par le gémissement de la colombe, quel que soit celui qui baptise, si la paix de l’Église s’étend sur le baptisé. Car le Seigneur n’aurait pas dit aux voleurs et aux meurtriers : les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez et retenus à ceux à qui vous les retiendrez. À l’extérieur rien, ne peut être lié, rien ne peut être délié, là où il n’y a personne qui puisse lier ou délier. Mais est délié celui qui a fait la paix avec la colombe, et est lié celui qui n’a pas fait la paix avec la colombe ». Et, au chapitre 17 : « Car, le fait que, dans le type d’unité, le Seigneur a donné à Pierre le pouvoir de délier sur terre ce qu’il délierait, il est évident que cette unité porte aussi le nom de colombe parfaite. » Et, un peu plus bas : « Par les prières des saints qui sont dans l’Église, comme le gémissement suppliant de la colombe, est accompli un grand sacrement, et est accordée une occulte dispensation de la miséricorde de Dieu, pour que soient absous les péchés de ceux qui ne sont pas baptisés par la colombe mais par un oiseau rapace s’ils accèdent à ce sacrement avec la paix de l’unité catholique. »  Voir des choses semblables dans livre 5 du baptême, chapitre 21, livre 3, et livre 7, chap 51.

Par ces paroles, saint Augustin ne veut pas dire que l’Église des justes remet les péchés de sa propre autorité, mais qu’à personne ne sont remis les péchés, tout baptisé et réconcilié qu’il soit, à moins que ne s’étende sur lui la charité de l’Église, et qu’il devienne un membre vivant de la colombe, et donc participant des prières des autres justes. Par les prières des saints, comme par le gémissement de la colombe, est demandée la pénitence intérieure et la charité par laquelle sont justifiée formellement ceux qui sont justifiés. Saint Augustin a développé cette façon de parler à cause des donatistes. Il leur semblait étrange que des hérétiques puissent justifier les hommes par le baptême, et introduire dans l’Église, alors qu’ils étaient couverts de péchés et à l’extérieur de l’Église. Pour répondre à cette difficulté, saint Augustin enseigna que ce n’était pas tant celui qui baptisait qui remettait les péchés que le gémissement de la colombe. Car celui qui est baptisé n’est pas justifié parce qu’il est baptisé par un tel ou un tel, mais parce que, par le baptême donné par n’importe qui, la charité de l’Église s’étend sur lui.

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