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Octave du Sacré-Cœur

23 Juin 2023 , Rédigé par Ludovicus

Octave du Sacré-Cœur

Office

4e leçon

Sermon de saint Bernard, Abbé

En vérité, où les faibles peuvent-ils trouver un repos sûr et stable, sinon dans les blessures du Sauveur ? Je demeure là d’autant plus assuré qu’il est plus puissant pour sauver. Le monde frémit, le corps pèse de tout son poids, le diable dresse des embûches : je ne tombe pas ; « je suis campé sur le rocher solidement ». « J’ai commis un péché grave » : ma conscience sera troublée, mais non perturbée, parce que je me souviendrai des blessures du Seigneur. Oui, « il a été blessé pour nos fautes ». Qu’y a-t-il de si totalement voué à la mort que la mort du Christ ne puisse le délier ? Si je pense à un remède si puissant et si efficace, je ne puis plus être effrayé par aucune maladie, pour maligne qu’elle soit.

5e leçon

Pour ma part, ce qui me manque en moi, je le puise hardiment pour moi dans les entrailles du Seigneur, car elles débordent de miséricorde, et les trous ne manquent pas, par où cette miséricorde peut se répandre. « Ils ont percé ses mains et ses pieds », ils ont transpercé « son côté d’un coup de lance » ; par ces ouvertures il m’est loisible « de recevoir le miel du rocher et l’huile de la pierre très dure », c’est-à-dire « de goûter et de voir combien le Seigneur est doux ». « Il nourrissait des pensées de paix, et je ne le savais pas ». « Qui a connu en effet la pensée du Seigneur ? Ou qui a été son conseiller ? » Mais le clou qui pénètre en lui est devenu pour moi la clé qui ouvre, « afin que je puisse voir la volonté du Seigneur ». Comment ne pas voir par ce trou ? Le clou le proclame, la blessure le proclame : vraiment « Dieu est dans le Christ, se réconciliant le monde »

6e leçon

« Un fer a transpercé son âme » « et s’est approché de son cœur », pour qu’il sache désormais « compatir à mes faiblesses ». Le secret de son cœur paraît à nu par les trous percés dans son corps ; « le grand mystère de la piété » paraît à nu ; « les entrailles de miséricorde de notre Dieu » paraissent à nu ; « grâce à elles nous a visités l’Astre levant venu d’en haut ». Comment ses entrailles ne paraîtraient-elles pas par ses blessures ? Où, mieux que dans tes blessures, pourrait éclater en pleine lumière que « toi, Seigneur, tu es doux et indulgent et plein de miséricorde » ? « Nul n’a plus grande » compassion « que celui qui donne sa vie pour » des hommes condamnés et damnés. Ainsi mon mérite, c’est la compassion du Seigneur. Je ne serai certes pas à court de mérite tant que le Seigneur ne sera pas à court de compassion. Et si « les miséricordes du Seigneur sont de toujours à toujours », « je chanterai » moi aussi « les miséricordes du Seigneur pour toujours » 

7e leçon

Homélie de saint Augustin, Évêque.

« Lorsqu’ils s’approchèrent de Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes. Pourtant l’un des soldats lui ouvrit le côté d’un coup de lance, et il en sortit aussitôt du sang et de l’eau ». L’évangéliste a veillé au choix de son expression. Il ne dit pas : il frappa ou il blessa, ou rien d’analogue ; mais : « il lui ouvrit le côté », afin qu’y fût ouverte en quelque sorte la porte de vie par où se sont écoulés les sacrements de l’Église, sans lesquels on ne peut accéder à la vie qui est la vraie vie. Ce sang a été répandu pour la rémission des péchés ; cette eau vient se mêler au breuvage du salut : elle est à la fois ablution et breuvage. Ce mystère était annoncé dans la porte que Noé reçut l’ordre d’ouvrir au flanc de l’arche], afin d’y faire pénétrer les êtres vivants qui ne devaient pas périr par le déluge, et qui représentaient l’Église.

8e leçon

C’est encore en vue de ce mystère que la première femme fut tirée du côté de l’homme durant son sommeil, et qu’elle fut appelée vie et mère des vivants. C’était la figure d’un grand bien avant le grand mal de la prévarication. Ici le second Adam, inclinant la tête, s’endormit sur la Croix, pour qu’une Épouse lui fût formée par ce qui s’épancha de son côté durant son sommeil. O mort par qui les morts retrouvent la vie ! Quoi de plus pur que ce sang ? Quoi de plus salutaire que cette blessure ? « Et celui qui a vu, dit-il, en a rendu témoignage, et son témoignage est vrai : – et il sait qu’il dit vrai –, afin que vous croyez vous aussi. ». Il n’a pas dit : afin que vous sachiez, vous aussi, mais « afin que vous croyez » : car il sait, celui qui a vu, et à son témoignage doit croire celui qui n’a pas vu. A la foi en effet il appartient de croire plutôt que de voir.

9e leçon

Il rapporte deux témoignages de l’Écriture, un pour chacun des faits dont il raconte l’accomplissement. Il avait dit : « Mais lorsqu’ils s’approchèrent de Jésus, voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes », à quoi se rapporte ce témoignage : « Vous ne briserez aucun de ses os », précepte intimé à ceux qui, sous l’ancienne Loi, avaient ordre de célébrer la Pâque par l’immolation de l’Agneau, figure anticipée de la Passion du Seigneur. C’est pourquoi « le Christ, notre pâque, a été immolé », de qui le prophète Isaïe avait lui aussi annoncé : « Il a été conduit à la tuerie comme un agneau ». L’évangéliste avait ajouté : « Mais l’un des soldats lui ouvrit le côté d’un coup de lance » ; à quoi correspond cet autre témoignage : « Ils regarderont celui qu’ils auront transpercé », où fut promis que le Christ viendrait en cette chair, en laquelle il a été crucifié.

Hymnus Hymne
Auctor beáte sǽculi,
Christe, Redémptor ómnium,
Lumen patris de lúmine,
Deúsque verus de Deo :
Bienheureux créateur du monde,
Christ, universel rédempteur,
lumière jaillie de la lumière du Père,
Dieu vrai sorti de Dieu :
Amor coégit te tuus
Mortále corpus súmere,
Ut, novus Adam, rédderes,
Quod vetus ille abstúlerat.
C’est votre amour qui vous a contraint
à prendre un corps mortel,
pour nous rendre, nouvel Adam,
ce que l’ancien, nous avait pris.
Ille amor almus ártifex
Terræ marísque et síderum,
Erráta patrum míserans
Et nostra rumpens víncula.
Cet amour, auguste artisan
de la terre, de la mer et des astres,
prit en pitié les égarements de nos pères
et rompit nos liens.
Non Corde discédat tuo
Vis illa amóris íncliti :
Hoc fonte gentes háuriant
Remissiónis grátiam.
Que de votre Cœur ne se retire pas
la force de ce merveilleux amour ;
qu’à cette source les nations
puisent la grâce du pardon.
Percússum ad hoc est láncea
Passúmque ad hoc est vúlnera,
Ut nos laváret sórdibus,
Unda fluénte et sánguine.
Si la lance le frappa,
s’il endura ses blessures,
c’était pour nous laver de nos taches
par l’eau et le sang répandu.
Iesu tibi sit glória,
Qui Corde fundis grátiam,
Cum Patre, et almo Spíritu,
In sempitérna sǽcula. Amen.
Jésus, à Vous soit la gloire,
Vous dont le Cœur répand l’amour,
ainsi qu’au Père et à l’Esprit nourricier,
dans les siècles sempiternels.
Amen.
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Jeudi dans l’Octave du Sacré-Cœur

22 Juin 2023 , Rédigé par Ludovicus

Jeudi dans l’Octave du Sacré-Cœur

Office

4e leçon

Des Encycliques du Pape Pie XI.

A quel point cette expiation, cette réparation sont nécessaires, surtout de nos jours, on le comprendra sans peine, comme Nous le disions au début, en considérant d’un regard le monde « plongé dans le mal ». De toutes parts, en effet, monte vers Nous la clameur gémissante des peuples, dont les chefs ou les gouvernants se sont tous ensemble dressés et ligués contre le Seigneur et son Église Mais est encore attristant l’état de tant de fidèles, lavés au baptême dans le sang de l’Agneau sans tache et comblés de ses grâces, appartenant à tous les rangs de la société, qui, affligés d’une ignorance incroyable des choses divines, empoisonnés d’erreurs, se trainent dans le vice loin de la maison du Père, sans qu’un rayon de lumière de la vraie foi les éclaire, sans que l’espoir du bonheur futur les réjouisse, sans que l’ardeur de la charité les ranime et les réchauffe ; de telle sorte qu’ils semblent vraiment être plongés dans les ténèbres et assis à l’ombre de la mort.

5e leçon

A ces maux vient mettre un comble soit la mollesse ou la lâcheté de ceux qui – tels les disciples endormis ou fugitifs, chancelant dans leur foi – désertent misérablement le Christ agonisant d’angoisse ou entouré des satellites de Satan, soit la perfidie de ceux qui, à l’exemple du traître Judas, ont l’audace sacrilège de participer au sacrifice de l’autel et passent à l’ennemi. On ne peut vraiment s’empêcher de penser que semblent être proches les temps prédits par Notre-Seigneur : « Et à cause des progrès croissants de l’iniquité, la charité d’un grand nombre se refroidira ». A pieusement méditer ainsi, tous les fidèles ne pourront que s’enflammer d’amour pour le Christ souffrant ; avec un zèle plus vif ils voudront expier leurs fautes et celles d’autrui, réparer les torts faits à l’honneur du Christ et travailler au salut éternel des âmes.

6e leçon

Comme elle est vraie cette parole de l’Apôtre : « Là où la faute abonda, la grâce surabonda », et comme en un sens elle peut servir à peindre notre époque ! En dépit, en effet, de la perversité croissante des hommes, c’est merveille de voir, sous l’inspiration du Saint-Esprit, grandir le nombre des fidèles des deux sexes qui, d’un zèle plus ardent, s’efforcent de réparer tant d’insultes au divin Cœur, n’hésitent pas à s’offrir eux-mêmes comme victimes au Christ. Celui qui médite, en effet, avec amour sur tout ce que Nous venons de rappeler, s’en imprégnant, si l’on peut dire, jusqu’au plus profond de son être, ne peut faire autrement que d’avoir horreur et de s’abstenir de tout péché, comme du mal souverain, comme aussi de s’abandonner tout entier à la volonté de Dieu et de réparer l’honneur outragé de la divine Majesté par tous les moyens en son pouvoir : prières incessantes, souffrances librement consenties, épreuves éventuelles patiemment acceptées ; en un mot par une vie entièrement consacrée à cette soif d’expiation.

7e leçon

Homélie de saint Cyrille, évêque d’Alexandrie

Ce n’est pas pour attribuer de la piété aux Juifs durs et cruels, que le bienheureux évangéliste rapporte ce fait, mais afin de montrer que dans leur stupidité et leur sottise, selon la parole du Christ, ils filtrent le moucheron et avalent le chameau. On les voit en effet tenir pour rien les crimes les plus énormes et les plus grands, tandis qu’ils examinent avec un soin attentif des fautes minimes et légères, étalant dans les deux cas leur ignorance. Et la preuve en est facile. Voici en effet qu’après avoir mis à mort le Christ, ils font grand cas du respect du sabbat, et qu’avec une incroyable audace, après avoir outragé l’auteur de la Loi, ils se parent du respect pour la Loi.

8e leçon

Ils feignent d’honorer ce jour solennel du sabbat, eux qui ont mis à mort le Maître de ce jour solennel, et ils réclament une faveur digne d’eux seuls : qu’on brise les jambes des larrons, infligeant par une souffrance intolérable à ces misérables à demi-morts un coup plus cruel que la mort elle-même. « Les soldats vinrent donc et rompirent les jambes du premier, puis de l’autre qui avaient été crucifiés avec lui ». Déférant à la requête des Juifs et animés pareillement d’une furieuse cruauté, les soldats, trouvant les deux larrons encore en vie, leur brisent les jambes, rendant pour eux plus imminente la menace de l’issue fatale et les poussant à la mort comme par une contrainte désormais plus irrésistible. Mais trouvant Jésus la tête inclinée et pensant que déjà il avait expiré, ils jugent inutile de lui briser les jambes ; cependant comme ils doutaient encore quelque peu de sa mort, d’une lance ils lui transpercent le côté, d’où jaillit le sang mêlé d’eau, qui était comme une image et les prémices de la mystique eulogie et du saint baptême.

9e leçon

Par ces faits le très sage évangéliste confirme à ses auditeurs que c’est bien là le Christ autrefois annoncé par les saintes Écritures ; ils se sont en effet déroulés conformément aux divins oracles qui le concernaient. Et selon l’Écriture, aucun de ses os n’a été rompu, et il a été transpercé par la lance des soldats. Il dit encore que de cela fut spectateur le disciple qui en a témoigné et sait que son témoignage est vrai, se désignant lui-même et non un autre par ces paroles.

Lettre Encyclique Haurietis Aquas
DE SA SAINTETÉ PIE XII
Sur le culte au Sacré-Cœur de Jésus (15 mai 1956)

I. « Vous puiserez des eaux avec joie aux sources du Sauveur » Par ces mots, le prophète Isaïe, en se servant d’images expressives, prédisait ces dons de Dieu multiples et surabondants que l’ère chrétienne allait apporter. Ces mots, disons-Nous, Nous viennent spontanément à l’esprit, au moment de célébrer le centenaire du jour où Notre Prédécesseur d’immortelle mémoire, Pie IX, condescendant volontiers aux vœux qui affluaient de tout le monde catholique, ordonna de célébrer la fête du Sacré-Cœur de Jésus dans l’Église universelle.

Ce culte découle de la vertu de Charité

2. À la vérité, il est impossible d’énumérer les dons célestes que le culte rendu au Sacré-Cœur de Jésus répand dans les cœurs des fidèles : il les purifie, les ranime par ses divines consolations et il les entraîne à l’acquisition de toutes les vertus. C’est pourquoi, Nous souvenant du mot très sage de l’apôtre saint Jacques : « Tout beau présent, tout don parfait vient d’en haut et descend du Père des lumières », Nous voyons à bon droit, dans ce culte même, qui plus ardent que jamais prospère dans le monde entier, le don inestimable que le Verbe incarné et notre divin Sauveur, en tant que médiateur unique de grâce et de vérité entre son Père céleste et le genre humain, a communiqué à l’Église, sa mystique Épouse, dans le cours de ces derniers siècles, où il lui faut surmonter tant de difficultés et supporter tant d’épreuves. Grâce à ce don inestimable, l’Église peut en effet manifester une charité plus ardente à l’égard de son divin Fondateur et, pour ainsi dire, réaliser plus largement cette exhortation que, nous dit saint Jean l’Évangéliste, Jésus proféra lui-même : « Le dernier jour de la fête, le plus solennel, Jésus debout, s’écria : "Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. Celui qui croit en moi, comme l’a dit l’Écriture, des fleuves d’eau vive couleront de son sein". Il disait cela de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui ». Il n’était pas difficile pour ceux qui l’entendaient parler, de rapporter ces mots, par lesquels il promettait une source d’eau vive qui devait naître de leur sein, aux paroles des saints prophètes Isaïe, Ézéchiel et Zacharie dans leurs prédictions du règne du Messie, ou encore à cette pierre symbolique d’où l’eau jaillit miraculeusement sous la verge de Moïse.

3. La charité divine tire sa première source du Saint-Esprit, qui est l’Amour personnel tant du Père que du Fils au sein de l’auguste Trinité. C’est donc très justement que l’Apôtre des nations, faisant comme écho aux paroles de Jésus-Christ, attribue l’effusion de la charité dans les âmes des fidèles à cet Esprit d’amour : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné ».

4. Ce lien très étroit que les Saintes Écritures affirment intervenir entre la divine charité, qui doit brûler dans les cœurs des chrétiens, et l’Esprit Saint qui est essentiellement Amour nous dévoile à tous, Vénérables Frères, la nature intime elle-même de ce culte que l’on doit rendre au très saint Cœur de Jésus-Christ. Car, s’il est manifeste que ce culte, si nous considérons sa nature particulière, est l’acte de religion par excellence puisqu’il requiert de notre part une volonté pleine et absolue de nous vouer et consacrer à l’amour du divin Rédempteur, dont son Cœur transpercé est le vivant témoignage et le signe, de même il est également manifeste, et dans un sens encore plus profond, que ce même culte suppose avant tout que nous rendions amour pour amour à ce divin Amour. En effet, du fait seul de la charité découle cette conséquence que les cœurs des hommes se soumettent pleinement et parfaitement à l’autorité suprême du Seigneur, puisque, en réalité, le sentiment de notre amour s’attache à la volonté divine au point de ne faire qu’un en quelque sorte, selon ce qui est dit : « Celui qui s’unit au Seigneur n’est avec lui qu’un esprit ».

I. L’estime du culte du Sacré-Cœur repose sur de solides principes

5. Pourtant, bien que l’Église ait eu et ait encore en telle estime le culte du Cœur très saint de Jésus, au point qu’elle prend soin de le propager et de le faire prospérer dans les peuples chrétiens du monde entier, et qu’elle s’efforce, en outre, de tout son pouvoir, de le défendre contre les attaques du naturalisme et du sentimentalisme, il est néanmoins bien regrettable que dans les temps passés, et même de nos jours, ce culte très noble ne jouisse pas d’une égale estime et d’un égal honneur près de quelques chrétiens, même parfois de la part de ceux qui font montre de zèle pour la religion et l’acquisition de la sainteté.

Erreurs de ceux qui minimisent ou méprisent ce culte

6. « Si tu savais le don de Dieu ». Par ces mots, Vénérables Frères, Nous, qui par un secret conseil de Dieu avons été choisis comme gardien et dispensateur de ce trésor de foi et de piété que le divin Rédempteur a confié à son Église, conscient du devoir de Notre charge, Nous avertissons tous ceux qui, bien qu’étant Nos fils, et bien que le culte du Sacré-Cœur de Jésus, triomphant, pour ainsi dire, des erreurs et de l’indifférence des hommes, se répande dans son Corps mystique, cèdent aux préjugés et opinions et vont parfois jusqu’à estimer ce culte moins adapté, pour ne pas dire nuisible, aux nécessités spirituelles de l’Église et de l’humanité, les plus urgentes à l’heure actuelle.

Il n’en manque pas en effet qui, parce qu’ils confondent et mettent sur le même plan la nature supérieure de ce culte avec les formes particulières et diverses de dévotion que l’Église approuve et favorise sans les commander, pensent que ce culte est quelque chose de superflu que chacun peut pratiquer ou non à son gré ; certains vont jusqu’à prétendre que ce culte est importun et de peu d’utilité, voire même tout à fait inutile pour ceux qui militent pour le règne de Dieu, principalement dans le but de travailler, en y consacrant toutes leurs forces, leur temps et leurs ressources, à la défense et propagation de la vérité catholique, à la diffusion de la doctrine sociale chrétienne et à la multiplication des actes de religion et des œuvres qu’ils estiment beaucoup plus nécessaires à notre époque.

Il n’en manque pas enfin qui, bien loin de voir dans ce culte une aide efficace pour rénover et réformer honnêtement les mœurs chrétiennes, tant dans la vie privée des individus que dans les familles, y voient plutôt une piété plus nourrie de sensibilité que d’esprit et de cœur, et pour cela plutôt digne des femmes ; car ils y voient quelque chose qui ne convient guère à des hommes cultivés.

7. Il y en a encore, d’autre part qui, du fait qu’ils considèrent que ce culte fait appel surtout à la pénitence, à l’expiation et aux autres vertus qu’on déclare "passives" parce que privées apparemment de fruits extérieurs, ne l’estiment pas propre à ranimer la spiritualité de notre époque à qui incombe le devoir d’entreprendre une action franche et d’envergure pour le triomphe de la foi catholique et la défense vigoureuse des mœurs chrétiennes. Car ces mœurs, de nos jours, comme tout le monde le sait, se trouvent facilement entachées des erreurs de ceux qui pratiquent l’indifférence pour toute forme de religion, sans que leur esprit distingue le vrai du faux, et sont malheureusement pénétrés des principes du matérialisme athée et du laïcisme.

L’enseignement des derniers Papes

8. Qui ne voit, Vénérables Frères, que de telles manières de penser sont en totale opposition avec les déclarations qu’ont faites solennellement de cette chaire de vérité Nos Prédécesseurs, en approuvant le culte du Sacré-Cœur de Jésus ?

Qui oserait déclarer inutile et moins adaptée à notre présente époque cette piété que Notre Prédécesseur d’immortelle mémoire, Léon XIII, a déclaré être « la forme de religion la plus estimable » ? et il ne doutait pas qu’on y trouvât un remède capable de guérir les maux qui, de nos jours mêmes, et sans aucun doute d’une manière plus ample et plus aiguë, inquiètent et font souffrir les individus et la société. « Cette consécration qu’à tous Nous conseillons, sera pour tous d’un grand profit », disait-il. Et il y ajoutait cet avertissement et cette exhortation qui se rapportent au culte même du Sacré-Cœur de Jésus : « De là cette virulence des maux qui nous accablent et nous pressent vivement de demander le secours de Celui-là seul qui a pouvoir de les éloigner. Qui peut-il être Celui-là, sinon Jésus-Christ, Fils unique de Dieu ? "Car il n’est sous le ciel aucun autre nom, parmi ceux qui ont été donnés chez les hommes, qui doive nous sauver". Il faut donc recourir à Celui qui est la Voie, la Vérité et la Vie ».

9. Et Notre Prédécesseur immédiat d’heureuse mémoire, Pie XI, déclarait également ce culte non moins recommandable et non moins apte à nourrir la piété chrétienne quand il écrivait dans son Encyclique : « Dans cette... forme de la dévotion, n’y a-t-il pas la synthèse de toute la religion et plus encore la norme d’une vie plus parfaite, capable d’acheminer les âmes à connaître plus profondément et plus rapidement le Christ Seigneur, à l’aimer plus ardemment, à l’imiter avec plus d’application et plus d’efficacité ? ».

Pour Nous, non moins que Nos Prédécesseurs, ce point capital de vérité Nous paraît évident et probant ; et lorsque Nous avons pris en charge le souverain pontificat, Nous Nous sommes félicité de voir ce culte du Sacré-Cœur de Jésus se développer heureusement dans les nations chrétiennes, triomphalement pour ainsi dire. Nous Nous sommes réjouis des innombrables fruits de salut qui en découlaient sur l’Église tout entière. Il Nous a plu de le faire savoir dès Notre première Encyclique.

Ces fruits mêmes, au cours des années de Notre pontificat — elles ne furent pas remplies seulement de peines et d’angoisses, mais aussi de consolations ineffables — n’ont diminué ni en nombre, ni en force, ni en beauté ; mais ils ont plutôt augmenté. À la vérité, des entreprises variées ont heureusement vu le jour, capables de renouveler ce culte, tout en étant des plus adaptées aux besoins de notre temps : des associations pour promouvoir la culture de l’esprit, la religion et la bienfaisance ; des publications pour en expliquer la doctrine, des points de vue historique, ascétique et mystique ; des pratiques de réparation et, surtout, mentionnons ces manifestations de piété très ardente que multiplie l’« Association de l’Apostolat de la Prière ». On a vu, surtout, sous sa direction et son impulsion, des familles, des collèges, des Instituts et parfois même des nations se consacrer au très saint Cœur de Jésus, et plus d’une fois Nous nous en sommes réjoui d’un cœur paternel dans des Lettres, des Allocutions publiques, ou même des Radio messages que Nous avons donnés à cette intention.

10. Aussi, en voyant cette féconde abondance des eaux de salut, c’est-à-dire des dons célestes de l’amour surnaturel, jaillir du Cœur sacré de notre divin Rédempteur et se répandre sur les fils sans nombre de l’Église catholique, sous l’inspiration et l’action de l’Esprit-Saint, Nous ne pouvons Nous empêcher, Vénérables Frères, de vous exhorter d’un cœur paternel à rendre avec Nous les plus hautes louanges et les plus grandes grâces à Dieu dispensateur de tout bien, Nous écriant avec l’Apôtre des nations : « A Celui qui peut, par la puissance qui agit en nous, faire infiniment au delà de nos demandes ou de nos pensées, à lui soit la gloire dans l’Église et le Christ Jésus, pour tous les âges et dans le cours des siècles ! Amen ».

Mais, après avoir rendu grâces comme il faut à l’éternelle Divinité, Nous désirons vous exhorter, vous et tous Nos très chers fils de l’Église, par cette Encyclique, à étudier avec un esprit plus attentif ces principes qui, découlant de nos Saints Livres et de la doctrine des saints Pères et des théologiens, établissent comme sur des bases solides ce culte du très saint Cœur de Jésus. Car Nous sommes entièrement persuadé que c’est seulement après avoir considéré à fond l’essence et la sublime nature de ce culte dans l’éclat de la lumière de la vérité divinement révélée, c’est seulement alors, disons-Nous, que nous pourrons exactement et pleinement estimer son incomparable excellence et son abondance jamais épuisée des dons célestes. Alors surtout, ayant médité et contemplé pieusement les bienfaits sans nombre qui en ont découlé, nous pourrons ainsi commémorer dignement le premier centenaire de l’extension à l’Église universelle de la fête du très saint Cœur de Jésus.

II. L’Écriture et la Tradition

11. Dans le but d’offrir aux fidèles un aliment à de salutaires réflexions dont ils puissent plus facilement se nourrir pour comprendre plus à fond la véritable nature de ce culte et en recevoir des fruits abondants, Nous allons parcourir ces pages de l’Ancien et du Nouveau Testament qui nous révèlent et nous proposent la charité infinie de Dieu à l’égard du genre humain. Nous ne pourrons jamais l’approfondir assez. Nous aborderons dans leurs grandes lignes les commentaires que nous ont laissés les Pères et les Docteurs de l’Église. Enfin, Nous prendrons soin de mettre en lumière ce lien très étroit qui intervient entre cette forme de dévotion que l’on doit au Cœur du divin Rédempteur et te culte qui est dû à son amour et à l’amour de l’auguste Trinité envers tous les hommes.

Nous pensons, en effet, que déjà en projetant de cette lumière qui nous vient des Saintes Écritures et de la tradition patristique sur les principaux éléments fondamentaux de cette très noble forme de piété, il sera plus facile aux chrétiens de puiser « les eaux avec joie aux sources du salut ».

On le fera, en considérant toute l’importance particulièrement grave dont jouit le culte du très saint Cœur de Jésus dans la liturgie de l’Église et dans sa vie et son action, tant au dedans qu’au dehors. On pourra plus facilement alors recueillir ces fruits spirituels qui permettront à chacun de renouveler ses mœurs pour son salut, comme le désirent les pasteurs du troupeau du Christ.

Pourquoi l’Église accorde un culte de latrie au Sacré-Cœur

12. Pour que tous puissent comprendre plus exactement la valeur de la doctrine dont témoignent les textes cités de l’Ancien et du Nouveau Testament relatifs à ce culte, il faut avoir bien présente à l’esprit la raison pour laquelle l’Église accorde un culte de latrie au Cœur du divin Rédempteur.

Comme vous le savez parfaitement, Vénérables Frères, il y a une double raison. La première, qui se rapporte également aux autres membres saints du Corps de Jésus-Christ, repose sur ce principe par lequel nous savons que son Cœur, en tant que la plus noble part de sa nature humaine, est uni hypostatiquement à la personne du Verbe divin.

C’est pourquoi on doit lui attribuer le même culte d’adoration dont l’Église honore la personne même du Fils de Dieu incarné. C’est là une vérité qu’il faut professer, de foi catholique, car elle a été sanctionnée solennellement dans le Concile œcuménique d’Éphèse et le deuxième de Constantinople.

La seconde raison qui se rapporte particulièrement au Cœur du divin Rédempteur et qui, pour un motif également particulier, exige qu’on lui rende un culte de latrie, découle du fait que son Cœur, plus que tout autre membre de son Corps, est un signe ou symbole naturel de son immense charité envers le genre humain. Comme le remarquait Notre Prédécesseur d’immortelle mémoire, Léon XIII : « Il y a dans le Sacré-Cœur de Jésus un symbole et une image claire de l’amour infini de Jésus-Christ, amour qui nous pousse à nous aimer les uns les autres ».

13. Sans aucun doute, certes, les Livres Saints ne font jamais une mention claire d’un culte particulier d’amour et de dévotion rendu au Cœur physique du Verbe incarné comme symbole de sa très ardente charité. S’il faut assurément le reconnaître franchement, cela ne doit pas cependant nous étonner et ne peut en aucune façon nous amener à douter que l’amour de Dieu à notre égard, principale raison de ce culte, est proclamé et inculqué, tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, par de telles images que les cœurs en sont vivement émus. Ces images, puisqu’elles étaient mises en avant déjà dans les Saintes Écritures pour annoncer la venue du Fils de Dieu fait homme, peuvent donc être considérées comme un présage du signe et du témoignage de cet amour divin très noble, c’est-à-dire du très saint et adorable Cœur du divin Rédempteur.

La préfiguration du culte du Sacré-Cœur dans l’Ancien Testament

14. En ce qui concerne notre sujet, Nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire de citer de nombreux passages des Livres de l’Ancien Testament qui contiennent les premières vérités divinement révélées. Nous estimons qu’il suffit de rappeler que le souvenir de cette Alliance conclue entre Dieu et son peuple et consacrée par des victimes pacifiques — dont Moïse publia la Loi fondamentale gravée sur les deux Tables et que les prophètes ont expliquée — ne fut pas seulement un pacte ratifié par les engagements de l’autorité suprême de Dieu et l’obéissance à elle due par les hommes, mais un pacte confirmé et vivifié par les plus nobles motifs d’amour.

Car même pour le peuple d’Israël, la suprême raison d’obéir à Dieu n’était pas la crainte des châtiments divins que les tonnerres et les éclairs de la cime du Sinaï jetaient dans les cœurs, mais plutôt l’amour dû à Dieu : « Écoute, Israël : Yahweh est notre Dieu, Yahweh est unique. Tu aimeras Yahweh, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Et ces commandements que je te donne aujourd’hui seront sur ton cœur ».

15. Ne nous étonnons donc pas si Moïse et les prophètes, que le docteur Angélique appelle à bon droit les ancêtres du peuple élu, convaincus que le fondement de toute la Loi repose sur ce précepte de l’amour, ont décrit les liens et rapports qui existaient entre Dieu et son peuple par des images empruntées à l’amour mutuel entre père et fils, ou entre époux, plutôt qu’à l’aide d’images sévères inspirées par l’autorité suprême de Dieu ou l’obéissance obligatoire et craintive due par nous tous.

Ainsi, pour donner des exemples, Moïse lui-même, quand il entonne son chant si célèbre pour l’affranchissement de son peuple libéré de la servitude d’Égypte, formula ces pensées et images qui émeuvent si fortement le cœur : « Tel un aigle qui, éveillant sa nichée, plane au-dessus de ses petits, il (Dieu) déploya ses ailes, le prit et l’emporta sur son pennage ».

Mais peut-être nul autre des saints prophètes mieux qu’Osée ne dévoile et ne décrit aussi nettement et aussi fortement l’amour dont Dieu poursuit sans cesse son peuple. Dans les écrits de ce prophète, en effet, qui se distingue parmi les autres petits prophètes par la sublimité de sa phrase concise, Dieu professe, à l’égard de son peuple cet amour juste et saintement soucieux comme l’est l’amour d’un père aimant et miséricordieux, ou d’un époux, dont l’honneur est blessé.

Il s’agit d’un amour qui, bien loin de diminuer ou de cesser à cause de la perfidie des trahisons ou de crimes affreux, les punit plutôt comme ils le méritent, dans ce seul but de laver de leurs fautes, de purifier et bien loin de les répudier ou de les abandonner de s’attacher par des liens nouveaux et raffermis l’épouse infidèle et égarée et ses fils ingrats : « Quand Israël était jeune, je l’aimais et j’appelais mon fils hors de l’Égypte... C’est moi qui guidais les pas d’Éphraïm, le soutenant par ses bras ; et ils n’ont pas vu que je les guérissais. Je les tirais avec des liens d’humanité, avec des liens d’amour... Je guérirai leur infidélité, j’aurai pour eux un amour sincère, car ma colère s’est détournée d’eux. Je serai comme la rosée pour Israël, il fleurira comme le lis et il poussera des racines comme le Liban ».

16. Ce sont de semblables pensées que traduit le prophète Isaïe quand il montre Dieu lui-même et son peuple élu conversant et discutant ensemble de points de vue opposés : « Sion disait : "Yahweh m’a abandonnée, le Seigneur m’a oubliée !" Une femme peut-elle oublier son nourrisson, n’ayant pas pitié du fruit de ses entrailles ? Si même celles-ci oubliaient, moi je ne t’oublierai pas ». Et ces paroles ne sont pas moins émouvantes pour le cœur que celles de l’auteur du Cantique des cantiques, qui, à l’aide des images de l’amour conjugal, décrit d’une manière expressive les liens de mutuel amour qui lient entre eux Dieu et la nation qu’il chérit : « Comme un lis au milieu des épines, telle est mon amie parmi les jeunes filles... Je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi ; il fait paître son troupeau parmi les lis... Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras ; car l’amour est fort comme la mort, la jalousie est inflexible comme le séjour des morts ; ses ardeurs sont des traits de feu, une flamme de Yahweh ».

17. Cet amour de Dieu, très tendre, indulgent et patient, qui, s’il se détourne de son peuple d’Israël à cause de ses crimes accumulés ne le répudie cependant pas, nous semble certes fort et sublime, mais il ne fut, en somme, que le présage prophétique de cette charité très ardente que le Rédempteur promis aux hommes allait faire déborder pour tous de son Cœur très aimant et qui devait être l’exemplaire de notre dilection et le fondement de la Nouvelle Alliance. Car, en réalité, Celui seul qui est le Fils unique du Père, et le Verbe fait chair « plein de grâce et de vérité », en venant vers les hommes écrasés de péchés innombrables et de misères, put faire jaillir de sa nature humaine unie hypostatiquement à la Personne divine, sur le genre humain, « une source d’eau vive » qui arroserait très largement la terre aride et la transformerait en jardin florissant et plein de fruits.

C’est ce prodige si étonnant qu’allait produire l’éternel et très miséricordieux amour de Dieu que le prophète Jérémie semble annoncer en quelque sorte par ces mots : « C’est d’un amour éternel que je t’ai aimée, aussi je t’ai conservé ma faveur... Voici que des jours viennent — oracle de Yahweh — où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle... Voici l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël, après ces jours-là oracle de Yahweh ; — je mettrai ma loi au dedans d’eux ; je l’écrirai dans leur cœur ; et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple... ; car je pardonnerai leur iniquité, et je ne me souviendrai plus de leur péché ».

L’amour de Dieu dans le mystère de l’Incarnation-Rédemption selon l’Évangile

18. Toutefois, c’est grâce aux seuls Évangiles que nous avons la certitude et la preuve de cette Nouvelle Alliance conclue entre Dieu et les hommes car ce pacte que Moïse avait conclu entre Dieu et le peuple d’Israël n’était que le signe et le symbole de celui que le prophète Jérémie avait prédit, la Nouvelle Alliance, disons-Nous, est en réalité celle qui a été établie et réalisée grâce au Verbe incarné qui nous a concilié la faveur divine. Il faut reconnaître que cette Alliance est, d’une manière incomparable, plus noble et plus ferme, du fait qu’elle n’a pas été sanctionnée comme la précédente dans le sang des boucs et des veaux, mais dans le Sang très saint de Celui que ces animaux pacifiques et privés de raison annonçaient : « L’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde ».

L’Alliance chrétienne, en effet, bien mieux que l’ancienne, se montre franchement comme un pacte fondé, non sur l’assujettissement, ni la crainte, mais conclu en vertu de cet amour qui doit unir le père et les fils. Elle s’entretient et se renforce par une effusion plus généreuse de grâce divine et de vérité, selon ce mot de l’apôtre saint Jean : « De sa plénitude, nous avons tous reçu, et grâce sur grâce ; car la Loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ ».

19. Puisque cette parole du disciple « que Jésus aimait, et qui, pendant la Cène, reposa sur sa poitrine », nous introduit dans le mystère de l’amour infini du Verbe incarné, il semble juste, équitable et salutaire, Vénérables Frères, de nous arrêter un peu dans la contemplation très douce de ce mystère. Ainsi, baignés par la lumière que reflète l’Évangile pour éclairer ce mystère, puissions-nous parvenir à réaliser le vœu qu’exprimait l’Apôtre des nations dans sa lettre aux Éphésiens : « Que le Christ habite en vos cœurs par la foi ; soyez enracinés dans la charité et fondés sur elle, afin de pouvoir comprendre avec tous les saints ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, et connaître l’amour du Christ qui défie toute connaissance. Ainsi serez-vous remplis de la plénitude même de Dieu ».

20. Le mystère de la Rédemption divine est, en effet, par une raison de premier ordre et toute naturelle, un mystère d’amour ; c’est-à-dire de cet amour équitable du Christ pour son Père céleste à qui il présente le sacrifice de la croix, offert d’un cœur aimant et soumis, et la satisfaction surabondante et infinie qui lui était due pour les fautes du genre humain : « Le Christ en souffrant, par amour et obéissance, a offert à Dieu quelque chose de plus grande valeur que ne l’exigerait la compensation de toute l’offense du genre humain ». C’est de plus, un mystère d’amour miséricordieux de l’auguste Trinité et du divin Rédempteur à l’égard de tous les hommes : puisque ceux ci étaient dans l’impuissance totale d’expier leurs crimes, le Christ, par les richesses insondables de ses mérites que, par l’effusion de son Sang très précieux, il s’est acquis, a pu rétablir et perfectionner ce pacte d’amitié entre Dieu et les hommes que la misérable faute d’Adam une première fois, puis les innombrables péchés du peuple élu avaient violé.

Ainsi le divin Rédempteur en tant que Médiateur légitime et parfait du fait que, par son amour très ardent à notre égard, il a parfaitement concilié les devoirs et obligations du genre humain avec les droits de Dieu, a été sans contredit l’auteur de cette conciliation admirable réalisée entre la divine justice et la divine miséricorde qui constitue le mystère transcendant de notre salut. Le Docteur Angélique en parle en ces termes : « Il faut dire qu’il convenait à sa miséricorde et à sa justice de délivrer l’homme par la Passion du Christ. À sa justice, d’une part, parce que, par sa Passion, le Christ a satisfait pour le péché du genre humain ; et ainsi, par la justice du Christ, l’homme a été libéré. À sa miséricorde, d’autre part, parce que, du fait que l’homme ne pouvait lui-même satisfaire pour le péché de l’humanité tout entière, Dieu lui a fait don dans son Fils d’un Rédempteur. Et ce fut le fait d’une miséricorde plus abondante que s’il avait pardonné les péchés sans satisfaction. Aussi, il est dit : "Dieu qui est riche en miséricorde et poussé par le grand amour dont il nous a aimés, alors même que nous étions morts par suite de nos fautes, Dieu nous a fait revivre avec le Christ ».

Le triple amour du Rédempteur pour le genre humain

21. Mais, pour que nous puissions, autant qu’il est possible à des mortels, « comprendre avec tous les saints ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur » de l’amour mystérieux du Verbe incarné envers son Père céleste et les hommes souillés de la tache de leurs péchés, il faut remarquer que son amour ne fut pas uniquement spirituel, comme il convient à Dieu en tant que « Dieu est Esprit ». Il était, certes, de cette nature, l’amour dont Dieu aima nos parents et le peuple hébreu ; et ainsi, les expressions d’amour humain conjugal ou paternel, qu’on lit dans les psaumes, les écrits des prophètes et le Cantique des cantiques, sont des témoignages et des manifestations de l’amour authentique, mais entièrement spirituel dont Dieu poursuivait le genre humain.

Par contre, l’amour qui s’exhale dans l’Évangile, les lettres des apôtres et les pages de l’Apocalypse, où est décrit l’amour du Cœur même de Jésus-Christ, exprime non seulement la charité divine, mais encore les sentiments d’une affection humaine ; et cela, pour tous ceux qui sont catholiques, est absolument certain. Le Verbe de Dieu, en effet, n’a pas pris un corps impalpable et artificiel, comme déjà au premier siècle du christianisme le prétendaient certains hérétiques que l’apôtre saint Jean condamne par ces mots : « Car beaucoup de séducteurs se sont répandus dans le monde qui ne professent pas que Jésus-Christ se soit incarné. Le voilà bien le séducteur et l’antéchrist ! » Mais, en réalité, il a uni à sa Personne divine une nature humaine, individuelle, complète et parfaite, qui fut conçue dans le sein très pur de la Vierge Marie par la puissance du Saint-Esprit. Il ne manqua donc rien à cette nature humaine que s’est uni le Verbe de Dieu. Lui-même l’a prise, en vérité, sans aucune diminution ni aucun changement, tant pour ce qui est du corps que pour ce qui est de l’esprit : c’est-à-dire douée d’intelligence et de volonté, et de toutes les autres facultés de connaissance internes et externes, des facultés sensibles d’affection et de toutes les passions naturelles. Toutes ces choses sont enseignées par l’Église comme solennellement proclamées et confirmées par les Pontifes de Rome et les Conciles œcuméniques : « Tout entier dans sa nature, tout entier dans la nôtre », « parfait dans sa divinité, et également parfait dans son humanité », « entièrement Dieu-homme et entièrement homme-Dieu ».

22. C’est pourquoi, comme on ne peut mettre en doute d’aucune façon que Jésus-Christ a pris un Corps véritable qui jouit de tous les sentiments qui lui sont propres et parmi lesquels l’amour surpasse tous les autres, il ne peut y avoir également aucun doute qu’il a été doué d’un cœur physique et semblable au nôtre, puisque, sans cette partie très excellente du corps, il ne peut y avoir de vie d’homme, même en ce qui concerne ses affections.

Aussi, le Cœur de Jésus-Christ, uni hypostatiquement à la divine Personne du Verbe a, sans aucun doute, palpité d’amour et de tout autre sentiment, et cependant, tous ces sentiments étaient en parfait accord et s’harmonisaient et avec sa volonté d’homme pleine de divine charité, et avec l’amour divin lui-même que le Fils partage en commun avec le Père et avec l’Esprit-Saint, de telle sorte qu’il n’y eut jamais entre ces trois amours, aucun manque d’accord ou d’harmonie.

23. Cependant que le Verbe de Dieu ait pris pour lui une nature humaine véritable et parfaite, et se soit formé et modelé un cœur de chair qui, non moins que le nôtre, pouvait souffrir et être transpercé, cela, disons-Nous, à moins de le mettre et le considérer dans la lumière qui se dégage non seulement de l’union hypostatique et substantielle, mais également dans cette lumière qui vient de la Rédemption de l’homme comme de son complément, peut paraître scandale et folie pour certains, comme ce fut le cas du Christ crucifié pour les Juifs et les gentils. Car les symboles de la foi catholique, en accord parfait avec les Saintes Lettres nous assurent que le Fils unique de Dieu a pris une nature humaine capable de souffrir et mortelle pour cette raison principale qu’il désirait offrir, suspendu à la croix, un sacrifice sanglant pour consommer l’œuvre du salut des hommes. C’est d’ailleurs ce que nous enseigne l’Apôtre des nations par ces mots : « Car Sanctificateur et sanctifiés ont tous une même origine. C’est pour cette raison qu’il ne rougit pas de les appeler frères, quand il dit : j’annoncerai ton nom à mes frères. Et encore : me voici, moi et les enfants que Dieu m’a donnés. Puis donc que les enfants avaient en partage une nature de sang et de chair, il en a, lui aussi, pris une toute semblable... Voilà pourquoi il devait se faire en tout semblable à ses frères pour devenir ainsi un grand prêtre miséricordieux et fidèle, capable d’expier les péchés du peuple. C’est pour avoir connu lui-même l’épreuve et la souffrance qu’il peut venir en aide à ceux qui sont dans l’épreuve ».

Les Pères de l’Église

24. Aussi, les saints Pères, témoins véridiques de la doctrine divinement révélée, ont parfaitement compris ce que l’apôtre Paul avait déjà affirmé très clairement, que le mystère de l’amour divin était comme le principe et le couronnement, tant de l’Incarnation que de la Rédemption.

On lit souvent et clairement dans leurs écrits que Jésus-Christ a pris une nature humaine parfaite, avec un corps fragile et périssable comme le nôtre, pour entreprendre notre salut éternel, et nous manifester et nous dévoiler, de la manière la plus évidente, son amour infini aussi bien que sensible.

25. Saint Justin, comme un écho à la voix de l’Apôtre des nations, écrit ceci : « Nous adorons et aimons le Verbe Fils du Dieu incréé et ineffable ; puisqu’il s’est fait homme pour nous, pour que, devenu participant à nos affections, il leur apporte le remède ». De même, saint Basile, le premier des trois Pères de Cappadoce, affirme qu’il y eut dans le Christ de véritables affections sensibles et saintes : « Il est évident que le Seigneur a assumé les affections naturelles pour confirmer sa véritable et non fantastique incarnation ; quant aux affections des vices qui souillent la pureté de notre vie, il les rejeta comme indignes de sa divinité sans tache »]. Pareillement, saint Jean Chrysostome, lumière de l’Église d’Antioche, reconnaît que les émotions sensibles qu’éprouvait le divin Rédempteur démontraient clairement qu’il avait revêtu la nature humaine dans son intégrité : « S’il n’avait pas été de notre nature il n’aurait pas été ému par la douleur ». Parmi les Pères latins, méritent d’être évoqués ceux que l’Église vénère de nos jours comme les plus grands docteurs. Ainsi saint Ambroise témoigne que les émotions sensibles et les affections dont le Verbe incarné ne fut pas exempt, naissaient comme d’un principe naturel : « Et c’est pourquoi, ayant pris une âme, il prit aussi les affections de l’âme ; Dieu, en effet, du fait qu’il était Dieu, n’aurait pu être ému ou mourir ». C’est de ces affections que saint Jérôme tire son principal argument que le Christ a réellement pris la nature humaine : Notre-Seigneur pour prouver la vérité de sa nature humaine, a vraiment été sujet à la tristesse. Saint Augustin reconnaît particulièrement ces rapports qui existent entre les affections du Verbe incarné et la fin de la Rédemption de l’homme : « Mais ces affections de l’infirmité humaine, comme la chair même de l’humanité infirme et la mort de la chair humaine, le Seigneur Jésus les a prises, non par nécessité de sa condition, mais par une volonté de miséricorde, pour transfigurer en lui-même son Corps, qui est l’Église, dont il a daigné être la tête, c’est-à-dire ses membres qui sont ses saints et ses fidèles ; en sorte que si l’un d’eux venait, dans les épreuves humaines, à s’attrister et à souffrir, qu’il ne s’estime pas pour cela soustrait à l’action de sa grâce ; ce ne sont pas là des péchés, mais des marques de l’infirmité humaine, et, comme le chœur s’accorde à la voix qui entonne, ainsi son corps se modèlerait sur son propre Chef ». Avec plus de concision, mais non moins d’efficacité, les citations qui suivent, de saint Jean Damascène, proclament la doctrine manifeste de l’Église. « Dieu tout entier m’a pris entièrement, comme un tout uni au tout, pour apporter le salut à tout l’homme. Car n’aurait pu être guéri ce qui n’a pas été pris ». « Il a donc pris tout pour tout sanctifier ».

Le symbolisme du Cœur de Jésus

26. Il faut remarquer cependant que ces citations de la Sainte Écriture et des Pères, et de nombreux passages semblables que nous n’avons pas cités, bien que témoignant nettement que Jésus-Christ fut doué d’affections et d’émotions sensibles et qu’il prit la nature humaine pour réaliser notre salut éternel, ne rapportent néanmoins jamais ces affections à son Cœur physique de manière à en faire expressément un symbole de son amour infini. Mais si les Évangélistes et les autres écrivains ecclésiastiques ne décrivent pas directement le Cœur de notre Rédemption, Cœur vivant et doué de la faculté de sentir non moins que le nôtre, et palpitant et tressaillant des émotions et affections diverses de son âme, néanmoins, ils mettent souvent dans sa pleine lumière son amour divin et les émotions sensibles qui l’accompagnent, telles que désir, joie, peine, crainte et colère, comme ils se manifestent dans ses regards, ses paroles et ses gestes.

La face surtout de notre adorable Sauveur fut le témoignage et comme le miroir le plus fidèle de ces affections qui, émouvant diversement son âme, atteignaient comme dans un reflux son Cœur et en activaient les battements. À la vérité, en cette question, garde toute sa valeur ce que le Docteur Angélique instruit par l’expérience commune, note à propos de la psychologie humaine et de ce qui en découle : « L’ébranlement de la colère s’étend jusqu’aux membres extérieurs, et surtout à ces parties du corps où l’influence du cœur se révèle d’une manière plus expressive, comme les yeux, la face et la langue ».

27. C’est à bon droit, par conséquent, que le Cœur du Verbe incarné est considéré comme le signe et le principal symbole de ce triple amour dont le divin Rédempteur aime et continue d’aimer son Père éternel et tous les hommes, car il est le symbole de cet amour divin qu’il partage avec le Père et l’Esprit-Saint, mais qui pourtant, en lui seul, en tant que Verbe fait chair se manifeste à nous par son corps humain périssable et fragile, puisque « c’est en lui qu’habite corporellement toute la plénitude de la divinité ».

Il est, de plus, le symbole de cet amour très ardent qui, répandu dans son âme, enrichit la volonté du Christ, et dont les actes sont éclairés et dirigés par une double science très parfaite, à savoir la science bienheureuse et infuse. Enfin, il est aussi et cela d’une manière plus naturelle et directe le symbole de son amour sensible, car le Corps de Jésus-Christ, formé par le Saint-Esprit dans le sein de la Vierge Marie, jouit d’un pouvoir de sentir et de percevoir très parfait, plus, assurément, que tous les autres corps des hommes.

28. L’Écriture Sainte et les symboles de la foi catholique nous enseignent donc que dans l’âme très sainte de Jésus-Christ règne la plus haute consonance et harmonie, et qu’il a appliqué manifestement son triple amour à la réalisation de la fin poursuivie dans notre Rédemption. Par conséquent, il est évident que c’est à très bon droit que nous pouvons voir et vénérer le Cœur du divin Rédempteur comme l’image expressive de son amour et le témoignage de notre Rédemption, et comme aussi l’échelle mystique qui nous élève jusqu’à embrasser « Dieu notre Sauveur ». C’est pourquoi dans ses paroles, ses actes, ses préceptes, ses miracles et particulièrement dans ses œuvres qui nous témoignent plus clairement son amour comme l’Institution de la divine Eucharistie, sa Passion si douloureuse et sa mort, le don affectueux qu’il nous fit de sa très Sainte Mère, l’Église qu’il fonda pour nous et, enfin, le Saint-Esprit envoyé à ses apôtres comme à nous en tout cela, disons-Nous, nous devons admirer comme des preuves de son triple amour.

Nous devons pareillement méditer avec beaucoup d’amour les battements de son très saint Cœur, dont il a comme mesuré le temps de son passage sur cette terre jusqu’au moment suprême où, au témoignage des Évangélistes, « poussant un grand cri, il dit : "Tout est consommé". Et ayant incliné la tête, il rendit l’esprit ».

Alors, son Cœur s’arrêta et cessa de battre et son amour sensible fut suspendu jusqu’au jour où, triomphant de la mort, le Christ ressuscita du tombeau. Depuis que son Corps, revêtu de l’état de gloire éternelle, s’est réuni à l’âme du divin Rédempteur vainqueur de la mort, son Cœur très saint n’a jamais cessé et ne cessera de battre d’un mouvement paisible et imperturbable. Il ne cessera jamais pareillement de signifier le triple amour qui lie le Fils de Dieu à son Père céleste et à toute la communauté des hommes, dont il est de plein droit le Chef mystique.

III. Le Cœur de Jésus et la mission salvatrice du Rédempteur

29. Maintenant, Vénérables Frères, afin de recueillir des pieuses considérations que Nous venons de faire des fruits abondants et salutaires, il convient de méditer un moment sur les nombreuses manifestations d’affections divines et humaines de notre Sauveur Jésus-Christ et de les contempler, affections que son Cœur a exprimées pendant sa vie mortelle, qu’il exprime maintenant et qu’il exprimera pendant toute l’éternité. Des pages de l’Évangile, tout particulièrement, nous vient une lumière qui nous éclaire et nous réconforte pour nous permettre de pénétrer dans le sanctuaire de ce divin Cœur et d’admirer avec l’Apôtre des gentils « l’infinie richesse de la grâce (de Dieu) par sa bonté envers nous en Jésus-Christ ».

Pendant la vie terrestre

30. C’est un amour à la fois humain et divin qui habite le Cœur de Jésus-Christ, après que la Vierge Marie eut prononcé son "Fiat" magnanime et que le Verbe de Dieu, selon les paroles de l’Apôtre : « dit en entrant dans le monde : Vous n’avez voulu ni sacrifice ni oblation, mais vous m’avez formé un corps ; vous n’avez agréé ni holocauste ni sacrifices pour le péché. Alors j’ai dit : "Me voici (car il est question de moi dans le rouleau du livre), je viens, ô Dieu, pour faire votre volonté..." C’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés, par l’oblation que Jésus-Christ a faite, une fois pour toutes, de son propre corps ».

Il était animé du même amour, en parfaite harmonie avec les désirs de sa volonté humaine et l’amour divin, lorsque dans la maison de Nazareth il s’entretenait des choses divines avec sa très douce Mère et Joseph, son père putatif, qu’il secondait laborieusement et avec obéissance dans son métier de charpentier.

Et il était animé de ce triple amour dont Nous avons parlé dans ses continuelles courses apostoliques ; dans les innombrables miracles qu’il accomplissait, ressuscitant les morts ou guérissant des maladies de toutes sortes ; dans ses travaux épuisants ; dans la sueur, la faim, la soif ; dans les veilles au cours desquelles il priait avec beaucoup d’amour son Père céleste ; dans les prières qu’il faisait, dans les paraboles qu’il proposait et expliquait ; dans celles, particulièrement, qui ont trait à la miséricorde, celle de la drachme perdue, de la brebis égarée et du fils prodigue ; c’est dans ces actes et ces paroles, comme le dit saint Grégoire le Grand, que se manifeste le Cœur même de Dieu : « Apprends à connaître le Cœur de Dieu par les paroles de Dieu, afin que tu aspires plus ardemment aux choses éternelles ».

31. Une plus grande charité encore remplissait le Cœur de Jésus-Christ lors qu’il prononçait des paroles exprimant l’amour le plus ardent. Lorsque, par exemple, il s’exclamait devant la foule fatiguée et affamée : « J’ai compassion de cette foule » ; et lorsqu’il contemplait Jérusalem, sa ville qu’il aimait, aveuglée de ses péchés et à cause de cela destinée à une ruine extrême, il disait : « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés ! Que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous n’avez pas voulu ! ».

Son Cœur frémissait d’amour envers son Père et d’une sainte indignation lorsqu’il vit le commerce sacrilège qui se faisait dans le Temple et qu’il adressa aux coupables ces paroles : « Il est écrit : Ma maison sera appelée maison de prière ; mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs ».

32. Son Cœur était particulièrement affecté par l’amour et la crainte lorsque devant l’imminence de son atroce passion et la répulsion naturelle que lui causaient ses immenses souffrances et la mort, il s’écria : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ! » c’est avec un amour invincible et une profonde tristesse, qu’après avoir reçu le baiser du traître, il lui adressa ces paroles qui apparaissent comme le suprême appel adressé par son Cœur très miséricordieux à l’ami qui, imprégné avec une obstination extrême de sentiments impies et infidèles, devait le livrer à ses bourreaux : « Ami, tu es là pour cela ? C’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme ! » ; au moment de subir le supplice immérité de la croix, il dit, avec une commisération et un amour très profonds, aux saintes femmes qui pleuraient sur lui : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants... ; car, si l’on traite ainsi le bois vert, qu’en sera-t-il du sec ? ».

33. Enfin, lorsqu’il fut suspendu à la croix, notre divin Rédempteur sentit son Cœur bouillonner de sentiments divers et impétueux, d’un amour intense, d’épouvante, de miséricorde, de violent désir et de paix sereine, sentiments qui sont exprimés d’une façon significative par ces paroles : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » ; « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » ; « Je te le dis en vérité, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » ; « J’ai soif » ; « Père, je remets mon esprit entre vos mains ».

Les dons du Sacré-Cœur : l’Eucharistie

34. Qui pourrait décrire dignement les sentiments dont était imprégné le Cœur divin, indices de son amour infini, aux moments où il se donnait lui-même aux hommes dans le sacrement de l’Eucharistie, où il leur donnait sa Mère très Sainte et nous faisait participer à la charge sacerdotale ?

35. Avant de partager la dernière Cène avec ses disciples, le Christ Notre-Seigneur, qui savait qu’il devait instituer le sacrement de son corps et de son sang, par l’effusion duquel une nouvelle alliance devait être scellée, sentit son Cœur s’animer de sentiments ardents, qu’il exprima à ses apôtres par ces paroles : « J’ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir ». Ces sentiments ont, sans aucun doute, été plus ardents lorsque « Il prit du pain et, après avoir rendu grâces, il le rompit et le leur donna, en disant : "Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites ceci en mémoire de moi". Et pareillement pour la coupe, après qu’ils eurent soupé, en disant : "Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, répandu pour vous". ».

36. On peut donc affirmer que la divine Eucharistie, en tant que sacrement par lequel il se donne aux hommes et sacrifice par lequel il s’immole perpétuellement « du lever jusqu’au coucher du soleil », ainsi que le sacerdoce, sont des dons du Cœur très sacré de Jésus.

37. Un don très précieux également de ce Cœur très sacré est comme Nous l’avons dit, Marie, la Mère de Dieu et aussi notre Mère très aimante à tous. Elle a été la Mère de notre Rédempteur selon la chair et son Associée pour ramener les fils d’Ève à la vie de la grâce, ce qui lui valut d’être appelée la Mère spirituelle de tout le genre humain.

Saint Augustin a écrit à ce sujet : « Elle est la Mère des membres du Sauveur que nous sommes, parce qu’elle a coopéré par sa charité à ce que naissent à l’Église des fidèles qui sont membres de cette tête ».

La Croix

38. Au don non sanglant de lui-même, sous les espèces du pain et du vin, notre Sauveur Jésus-Christ a voulu ajouter comme témoignage principal de son intime et infini amour, le sacrifice cruel de la croix. Il a ainsi donné un exemple de cette charité suprême qu’il a proposée à ses disciples comme le plus haut point d’amour, lorsqu’il leur a dit : « Nul ne peut avoir d’amour plus grand que de donner sa vie pour ses amis ». C’est pourquoi l’amour de Jésus-Christ, Fils de Dieu, par le sacrifice du Golgotha, révèle excellemment et d’une façon significative l’amour de Dieu lui-même : « À ceci nous avons connu l’amour, c’est que lui a donné sa vie pour nous. Nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères ». C’est pourquoi notre Rédempteur a été cloué sur la croix par ses bourreaux plus par amour que par force ; et son sacrifice volontaire est le don suprême qu’il a fait à tous les hommes, selon cette phrase concise de l’Apôtre : « Il m’a aimé et il s’est livré lui-même pour moi ».

L’Église et les sacrements

39. Il ne peut y avoir aucun doute que le Cœur très sacré de Jésus, puisqu’il participe intimement à la vie du Verbe incarné et que par là il est devenu comme un instrument de la divinité, non moins que les autres membres de la nature humaine, pour accomplir les œuvres de la grâce et de la toute-puissance divine, est le symbole légitime de cette immense charité dont était animé notre Sauveur en contractant son union mystique avec l’Église par son sang : « Il a souffert par amour, pour faire de l’Église son épouse ». C’est donc du Cœur blessé de notre Rédempteur qu’est née l’Église, comme dispensatrice du sang de la Rédemption, et c’est aussi de lui que coule avec abondance la grâce des sacrements où les fils de l’Église puisent la vie suprême, comme nous le lisons dans la sainte liturgie ; « C’est du Cœur transpercé que l’Église, épouse du Christ, prend naissance..., qui de ton Cœur donne la grâce ».

De ce symbole, qui n’était pas inconnu des anciens Pères de l’Église et des anciens auteurs, le Docteur commun écrit, comme faisant écho à leurs voix : « Du côté du Christ a coulé l’eau pour nous laver, le sang pour nous racheter. C’est pourquoi le sang concerne le sacrement de l’Eucharistie, et l’eau le sacrement du Baptême ; lequel cependant, a le pouvoir de laver par la vertu du sang du Christ ». Ce qui est écrit ici du côté du Christ, ouvert par le soldat, doit également être dit de son Cœur qui a été atteint par le coup de lance donné par lui pour s’assurer de la mort de Jésus-Christ crucifié. C’est pourquoi la blessure du Cœur très sacré de Jésus, qu’avait déjà quitté cette vie mortelle, restera pendant le cours des siècles l’image vivante de cet amour, manifesté de plein gré, par lequel Dieu a donné son Fils unique pour racheter les hommes ; amour dont le Christ nous a tous aimés si fortement qu’il s’est immolé pour nous sur le calvaire en hostie sanglante : « Le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même à Dieu, pour nous, comme une oblation et un sacrifice d’agréable odeur ».

40. Après que notre Sauveur fut monté au ciel, avec son corps, orné des splendeurs de la gloire éternelle, et qu’il se fut assis à la droite du Père, il n’a pas cessé d’entourer l’Église, son épouse, de cet amour très ardent dont brûle son Cœur.

Il porte dans ses mains, ses pieds et son côté les signes manifestes de ses blessures, qui représentent sa triple victoire sur le démon, le péché et la mort. Il a de même dans son Cœur, comme dans un écrin très précieux, les immenses trésors de ses mérites, fruits de son triple triomphe, qu’il dispense largement au genre humain racheté. C’est là la vérité très consolante que l’Apôtre exprime par ces paroles : « Il est monté dans les hauteurs, il a emmené des captifs et il a fait des largesses aux hommes... Celui qui est descendu est celui-là même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de tout remplir ».

 

Le don du Saint-Esprit

41. Le don du Saint-Esprit, envoyé aux apôtres, a été la première manifestation de sa généreuse charité, après sa triomphale ascension à la droite du Père. Dix jours après, l’Esprit-Saint, envoyé par le Père, est descendu sur eux, qui étaient réunis au Cénacle, selon qu’il le leur avait promis à la dernière Cène : « Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre intercesseur pour qu’il soit avec vous toujours ». Le Saint-Esprit, étant amour personnel mutuel, c’est-à-dire du Père à l’égard du Fils et du Fils à l’égard du Père, est envoyé par l’un et l’autre, sous forme de langues de feu, et il a infusé dans leurs âmes l’abondance de la charité divine et des autres dons célestes. Cette infusion de l’amour divin est également née du Cœur de notre Sauveur « dans lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science ».

Cet amour est, en effet, un don du Cœur de Jésus et de son Esprit, lequel est l’Esprit du Père et du Fils ; c’est lui qui explique la naissance de l’Église et son admirable propagation dans toutes les nations qui étaient livrées au culte des idoles, à la haine fraternelle, à la corruption des mœurs et à la violence.

Cet amour divin est le don très précieux du Cœur de Jésus et de son Esprit ; c’est lui qui a donné aux apôtres et aux martyrs ce courage qui leur a permis de lutter jusqu’à leur mort héroïque, afin de prêcher la vérité de l’Évangile et d’en témoigner par leur sang ; c’est lui qui a fait grandir les vertus des confesseurs et les a incités à faire des œuvres très utiles et remarquables qui devaient profiter pour leur propre salut temporel et éternel et celui des autres ; c’est lui, enfin, qui a amené des vierges à renoncer spontanément et joyeusement aux voluptés des sens et à se consacrer complètement au céleste Époux. Pour célébrer cet amour divin qui coule du Cœur du Verbe incarné et qui est infusé par le Saint-Esprit dans les âmes de tous les croyants, l’Apôtre des gentils a écrit cet hymne victorieux qui prédisait le triomphe de Jésus-Christ et des membres du Corps mystique, dont il est la tête, sur tous ceux qui entraveraient de quelque manière l’instauration parmi les hommes du divin royaume de l’amour : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? Sera-ce la tribulation, ou l’angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l’épée ?... Mais dans toutes ces épreuves, nous sommes plus que vainqueurs, par Celui qui nous a aimés. Car j’ai l’assurance que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes, ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus Notre-Seigneur ».

Le culte du Sacré-Cœur et le culte de la Personne du Verbe incarné

42. Rien par conséquent ne s’oppose à ce que nous adorions le Cœur très sacré de Jésus-Christ en tant que participation et symbole naturel et très expressif de cet amour inépuisable que notre divin Rédempteur ne cesse d’éprouver à l’égard du genre humain. Bien qu’il ne soit plus soumis aux vicissitudes de cette vie mortelle, il n’en continue pas moins de vivre et de battre, il est uni d’une façon indissoluble à la Personne du Verbe divin, et, en elle et par elle, à la volonté divine.

C’est pourquoi, puisque le Cœur du Christ déborde d’amour divin et humain, et qu’il est rempli des trésors de toutes les grâces que notre Rédempteur a acquis durant sa vie par ses souffrances et par sa mort, il est la source éternelle de cet amour que son Esprit répand dans tous les membres de son Corps mystique.

43. Le Cœur de notre Sauveur reflète donc d’une certaine façon l’image de la divine Personne du Verbe et de sa double nature humaine et divine, et en lui nous pouvons considérer non seulement le symbole, mais comme la somme de tout le mystère de notre Rédemption. Lorsque nous adorons le Cœur très sacré de Jésus-Christ, nous adorons en lui et par lui tant l’amour incréé du Verbe divin que son amour humain, ses autres sentiments et ses autres vertus, puisque c’est l’un et l’autre amours qui ont poussé notre Rédempteur à s’immoler pour nous et pour toute l’Église son épouse, selon les paroles de l’Apôtre : « Le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier, après l’avoir purifiée dans l’eau baptismale, avec la parole, pour la faire paraître devant lui, cette Église, glorieuse, sans tache, sans ride ni rien de semblable, mais sainte et immaculée ».

44. Le Christ a aimé l’Église d’un triple amour, comme Nous l’avons dit, et il continue à l’aimer ardemment, lui qui se fait comme notre Avocat pour nous concilier la grâce et la miséricorde du Père, « toujours vivant pour intercéder en notre faveur ». Les prières qui naissent de son amour inépuisable et sont adressées au Père ne cessent jamais. Comme « dans les jours de sa chair », aujourd’hui, triomphant dans le ciel, il prie son Père céleste avec non moins d’efficacité, et à Celui qui « a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais ait la vie éternelle », il montre son Cœur vivant et comme blessé, brûlant d’un amour plus intense que lorsque, inanimé, il fut blessé par la lance du soldat romain : « (ton Cœur), a été blessé afin que, par la blessure visible, nous voyions la blessure de l’amour invisible »...

45. Il ne fait donc aucun doute que le Père céleste, « qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré à la mort pour nous tous », lorsque des prières lui sont adressées par un tel avocat, avec un amour si ardent, ne refusera jamais de faire descendre par lui sur tous les hommes l’abondance de ses grâces divines.

IV. La naissance et le développement du culte du Sacré-Cœur

46. Nous avons voulu, Vénérables Frères, vous exposer, à vous et au peuple chrétien, dans ses grands traits, la nature intime du culte du Cœur très sacré de Jésus et les éternelles richesses qui en découlent, telles qu’elles résultent, comme de leur source première, de la doctrine révélée. Nous pensons cependant que Nos considérations, éclairées de la lumière de l’Évangile, ont fait ressortir que ce culte n’est rien d’autre en substance que le culte de l’amour divin et humain du Verbe incarné, et même que le culte de cet amour dont également le Père et l’Esprit-Saint entourent les pécheurs ; car, comme l’enseigne le Docteur Angélique, l’amour de la Sainte Trinité est le principe de la Rédemption humaine, puisqu’il débordait sur la volonté humaine de Jésus-Christ et son Cœur adorable, et que c’est ce même amour qui l’a conduit à répandre son Sang pour nous délivrer de la captivité du péché : « J’ai à recevoir un baptême, et comme je suis dans l’angoisse jusqu’à ce qu’il soit accompli ! »

Ce culte n’a jamais été complètement étranger à la piété des fidèles

47. Nous sommes donc persuadés que le culte par lequel nous honorons l’amour de Dieu et de Jésus-Christ envers le genre humain, à travers le signe auguste du Cœur transpercé du Rédempteur crucifié, n’a jamais été complètement étranger à la piété des fidèles, bien qu’il ait été mis en pleine lumière et qu’il ait été répandu universellement d’une façon remarquable dans l’Église à une époque qui n’est pas si éloignée de la nôtre, particulièrement après que le Seigneur eut lui-même révélé en privé ce mystère divin à certains de ses fils privilégiés qu’il avait choisis pour être ses messagers et ses hérauts.

48. À la vérité, il y eut toujours des hommes spécialement dévoués à Dieu, qui, suivant l’exemple de la Mère de Dieu, des apôtres et des illustres Pères de l’Église, ont rendu un culte d’adoration, d’action de grâce et d’amour à la nature humaine très sainte du Christ, et particulièrement aux blessures dont son Corps a été déchiré lors de ses salutaires tourments.

49. Ces paroles de l’apôtre Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » qui expriment que de l’incrédule qu’il était il est devenu un héraut de la foi, ne contiennent-elles pas, sans aucun doute, une profession de foi, d’adoration et d’amour qui, au delà de la nature humaine blessée du Seigneur, s’élève à la majesté de la Personne divine ?

50. Si, par le Cœur transpercé du Sauveur, les hommes sont toujours plus ardemment portés à honorer son amour infini qui embrasse le genre humain les paroles du prophète Zacharie, appliquées par saint Jean l’Évangéliste à Jésus crucifié : « Ils regarderont Celui qu’ils ont transpercé », s’adressent aux chrétiens de tous les temps il faut cependant reconnaître que ce n’est que peu à peu et progressivement que ce même Cœur a fait l’objet d’un culte particulier, en tant qu’image de l’amour divin et humain du Verbe incarné.

De sainte Marguerite-Marie à Pie IX

51. Si Nous voulons évoquer les étapes glorieuses parcourues par ce culte au cours de l’histoire de la piété chrétienne, nous voyons tout de suite se présenter à nous les noms de certains de ceux qui ont acquis une célébrité particulière dans ce domaine et qui doivent être tenus pour les pionniers d’une forme de religion qui se répandait de plus en plus privément et progressivement dans les communautés religieuses. Nous citons par exemple, parmi ceux qui ont affermi ce culte du Cœur très sacré de Jésus, l’ont fait progressivement se développer et ont, ainsi, bien mérité de lui : saint Bonaventure, saint Albert le Grand, sainte Gertrude, sainte Catherine de Sienne, le bienheureux Henri Suso, saint Pierre Canisius, saint François de Sales. Saint Jean Eudes fut l’auteur du premier office liturgique célébré en l’honneur du Cœur très sacré de Jésus, dont la fête solennelle, avec l’approbation de nombreux évêques de France, fut célébrée pour la première fois le 20 octobre 1672. Mais, parmi ceux qui ont promu ce mode très noble de religion, il faut assurément faire une place spéciale à sainte Marguerite-Marie Alacoque, qui, avec le bienheureux Claude de la Colombière, son directeur spirituel, réussit, par son zèle remarquable, à ce que soit établit ce culte, qui prit tant d’extension, à la grande admiration des fidèles, et que, à cause de ses propriétés d’amour et de réparation, il soit distingué des autres formes de la piété chrétienne.

52. Il suffit d’évoquer cette époque où se développait le culte du Cœur très sacré de Jésus pour comprendre parfaitement que son admirable progression tenait à ce qu’il convenait parfaitement à la nature de la religion chrétienne, qui est une religion d’amour. On ne doit donc pas dire que ce culte tire son origine d’une révélation privée faite par Dieu ni qu’il est apparu soudainement dans l’Église, mais qu’il a fleuri spontanément de la foi vivante et de la piété fervente dont étaient animées des personnes privilégiées à l’égard du Rédempteur adorable et de ses glorieuses blessures, témoignages les plus éloquents de son immense amour.

Ainsi, comme on le voit, ce qui a été révélé à sainte Marguerite-Marie n’a rien apporté de nouveau à la doctrine catholique. Son importance vient de ce que le Christ Notre-Seigneur, en montrant son Cœur très sacré, a voulu retenir d’une façon extraordinaire et singulière les esprits des hommes pour qu’ils contemplent et honorent le mystère de l’amour miséricordieux de Dieu à l’égard du genre humain. Par cette manifestation particulière, le Christ, en des paroles expresses et réitérées, a montré son Cœur comme le symbole qui attirerait les hommes à la connaissance de son amour ; en même temps, il en a fait comme le signe et le gage de sa miséricorde et de sa grâce pour les besoins de l’Église de notre temps.

53. En outre, le fait que le Siège apostolique ait approuvé cette liturgie solennelle avant les écrits de sainte Marguerite-Marie montre manifestement que ce culte découle des principes mêmes de la doctrine chrétienne ; ce n’est pas proprement à cause d’une révélation divine privée, mais pour répondre aux vœux des fidèles que la Sacrée Congrégation des Rites, par un décret du 25 janvier 1765, approuvé par Notre Prédécesseur Clément XIII le 6 février de la même année, a autorisé les évêques de Pologne et l’Archiconfrérie romaine, dite du Cœur très sacré de Jésus, à célébrer la fête liturgique ; ce faisant, le Siège apostolique a voulu développer un culte déjà en vigueur dont le symbole était de « rappeler le souvenir de ce divin amour », qui a conduit notre Sauveur à s’offrir comme victime pour expier les crimes des hommes.

54. Cette première approbation, qui était un privilège et se restreignait à certaines fins, fut suivie, presque un siècle plus tard, d’une autre beaucoup plus importante et exprimée en paroles plus solennelles. Nous voulons parler du décret que nous avons rappelé plus haut, de la Sacrée Congrégation des Rites, du 23 août 1856, par lequel Notre prédécesseur d’immortelle mémoire, Pie IX, répondant aux prières des évêques de France et de presque tout le monde catholique, a ordonné que la fête du Cœur très sacré de Jésus fût étendue à l’Église entière et fût célébrée par elle comme il convient. Ce fait, doit être avec juste raison recommandé au souvenir éternel des fidèles car, comme nous le lisons dans la liturgie de cette fête : « Le culte du Cœur très sacré de Jésus, comme un fleuve débordant, renversant tous les obstacles, se répand dans le monde entier ».

Il n’y a ni superstition ni matérialisme dans le culte du Sacré-Cœur

55. Après ce que Nous venons d’exposer, Vénérables Frères, il ressort avec évidence de la Sainte Écriture, de la Tradition, de la Liturgie sacrée, comme d’une source claire et profonde, que les fidèles doivent revenir au culte du Cœur très sacré de Jésus s’ils désirent pénétrer dans son intimité et y trouver dans la méditation un aliment pour entretenir et augmenter leur ardeur religieuse. Si ce culte est pratiqué assidûment, avec un esprit éclairé et des vues élevées, il est impossible qu’une âme fidèle ne parvienne pas à cette douce connaissance de l’amour du Christ, qui est la somme de vie chrétienne, comme l’enseigne l’Apôtre, se référant à son expérience personnelle : « À cause de cela, je fléchis le genou devant le Père..., afin qu’il vous donne, selon les trésors de sa gloire, d’être puissamment fortifiés par son Esprit en vue de l’homme intérieur et que le Christ habite dans vos cœurs par la foi, de sorte que, étant enracinés et fondés dans la charité vous deveniez capables de... connaître l’amour du Christ, qui surpasse toute connaissance, en sorte que vous soyez remplis de toute la plénitude de Dieu ».

Le Cœur du Christ Jésus est lui-même une image très claire de cette plénitude universelle de Dieu : plénitude de miséricorde, voulons-Nous dire, qui est propre au Nouveau Testament, dans lequel « se sont manifestés la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes » : « Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui ».

56. Ce fut toujours la conviction de l’Église, à qui il revient d’enseigner les hommes" dès les premiers documents officiels concernant le culte du Cœur très sacré de Jésus, que les raisons qui en sont à la base, c’est-à-dire l’acte d’amour et de réparation par lequel on honore l’amour infini de Dieu envers le genre humain, ne sont pas du tout entachées de superstition et de ce que l’on appelle "matérialisme", mais que ce culte est une forme de piété qui parfait pleinement la religion du point de vue spirituel et que le Sauveur lui-même avait annoncée lorsqu’il disait à la Samaritaine : « Mais l’heure vient, et c’est maintenant, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; aussi bien, le Père désire que soient tels ceux qui l’adorent ; Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité ».

57 Il est donc faux de dire que la contemplation du Cœur physique de Jésus empêche de parvenir à l’amour intime de Dieu et qu’elle retarde l’âme dans le chemin qui conduit aux plus hautes vertus. L’Église rejette complètement cette fausse doctrine mystique, comme par la voix de Notre Prédécesseur d’heureuse mémoire, Innocent XI, elle a rejeté les assertions de ceux qui disaient : « Elles (les âmes de cette voie intérieure) ne doivent pas exprimer des mouvements d’amour à l’égard de la Sainte Vierge, des saints ou de l’humanité du Christ, parce que ces objets étant sensibles, il en est de même de l’amour à leur égard. Aucune créature, ni la Sainte Vierge, ni les saints, ne doivent avoir de place dans notre cœur, parce que seul Dieu veut l’occuper et le posséder ».

Il est manifeste que ceux qui pensent ainsi estiment que l’image du Cœur du Christ ne signifie rien de plus élevé que son amour sensible, et même qu’il n’y a rien en elle qui puisse constituer le nouveau fondement d’un culte de latrie, ce culte ne convenant qu’à ce qui est divin de nature. Mais il n’est personne qui ne voie que cette façon d’interpréter les saintes images est absolument fausse, puisqu’elle circonscrit dans des limites trop étroites leur signification transcendante. Les théologiens catholiques ne pensent ni n’enseignent ainsi. Saint Thomas écrit : « Il n’est pas rendu de culte religieux aux images considérées en elles-mêmes comme des choses, mais en tant qu’elles sont des images conduisant au Dieu incarné. Le sentiment qui est lié à l’image en tant qu’image ne se limite pas à elle, mais il tend vers Celui dont elle est l’image. C’est pourquoi, lorsque l’on rend un culte religieux aux images du Christ il n’y a pas de déviation du culte de latrie ni de la vertu de religion ». C’est donc à la Personne même du Verbe incarné en tant que fin que s’adresse le culte relatif qui est rendu aux images, soit aux reliques se rapportant aux affreux tourments que notre Sauveur a supportés pour nous, soit à cette image dont la puissance et la signification dépassent tout le reste, le Cœur du Christ qui a été transpercé sur la croix.

58. C’est pourquoi, de cette chose corporelle qu’est le Cœur de Jésus-Christ et de sa signification naturelle, nous pouvons et nous devons, soutenus par la foi chrétienne, nous élever non seulement jusqu’à la contemplation de son amour, qui est perçu par les sens, mais encore plus haut, jusqu’à la contemplation et l’adoration de son suprême amour infus ; et enfin, dans une certaine disposition d’âme à la fois douce et sublime, jusqu’à la méditation et l’adoration de l’amour divin du Verbe incarné. À la lumière donc de la foi, par laquelle nous croyons que les deux natures, humaine et divine, sont unies dans la personne du Christ, nous pouvons concevoir les liens très étroits qui existent entre l’amour sensible du Cœur physique de Jésus et son double amour spirituel humain et divin. On ne doit pas dire seulement de ces amours qu’ils existent ensemble dans la personne adorable du divin Rédempteur, mais qu’ils sont liés entre eux par un lien naturel, l’amour humain et l’amour sensible sont subordonnés à l’amour divin et ils reflètent en eux la ressemblance analogique de ce dernier.

Nous ne prétendons pas qu’il faille penser que dans le Cœur de Jésus l’on doive voir et adorer l’image dite formelle, c’est-à-dire le signe parfait et absolu de son amour divin, puisqu’il n’est pas possible d’en représenter l’essence intime d’une façon adéquate par une quelconque image créée ; mais le fidèle, en rendant un culte au Cœur de Jésus, adore avec l’Église un signe et comme un mémorial de l’amour divin qui a été jusqu’à aimer, également avec le Cœur du Verbe incarné, le genre humain coupable de tant de fautes.

59. Il est donc nécessaire, dans ce chapitre de doctrine si important et si délicat, que chacun ait toujours présent à l’esprit que la vérité du symbole naturel en vertu duquel le Cœur physique de Jésus est rattaché à la Personne du Verbe, repose tout entière sur la vérité fondamentale de l’union hypostatique ; si quelqu’un nie cela, il renouvelle les erreurs plusieurs fois condamnées par l’Église, parce que contraires à l’unité de personne dans le Christ ainsi qu’à la distinction et à l’intégrité des deux natures.

Il doit conduire à la plénitude de la charité

60. Cette vérité fondamentale fait comprendre que le Cœur de Jésus est le Cœur de la Personne divine, c’est-à-dire du Verbe incarné et qu’il représente et, pour ainsi dire, met sous nos yeux tout l’amour qu’il a eu et qu’il continue d’avoir pour nous. C’est pourquoi il faut attacher une telle importance au culte que l’on doit rendre au Cœur très sacré de Jésus, comme cela serait de la profession pratique de toute la religion chrétienne. La religion de Jésus repose en effet entièrement sur l’homme-Dieu médiateur, de sorte que l’on ne peut atteindre le Cœur de Dieu que par le Cœur du Christ, comme lui-même l’a dit : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va au Père que par moi ». Nous pouvons ainsi facilement conclure que le culte du Cœur très sacré de Jésus est en substance le culte de l’amour que Dieu a pour nous en Jésus et en même temps la pratique de notre amour envers Dieu et les autres hommes ; ou, en d’autres termes, ce culte se propose l’amour de Dieu envers nous comme objet d’adoration, d’action de grâce et d’imitation ; il a pour fin de nous conduire à la perfection et à la plénitude de l’amour qui nous unit à Dieu et aux autres hommes, en suivant toujours plus allègrement le commandement nouveau que le divin Maître a laissé aux apôtres comme un héritage sacré, lorsqu’il leur a dit : « Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés... Ceci est mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres ». Ce commandement est vraiment nouveau et propre au Christ, car, comme l’écrit saint Thomas d’Aquin : « La différence entre le Nouveau et l’Ancien Testament se résume à peu de chose ; le prophète Jérémie dit en effet : "Je conclurai avec la maison d’Israël une alliance nouvelle" ». L’accomplissement de ce commandement dans l’Ancien Testament, sous l’effet de la crainte et d’un amour saint, relève du Nouveau Testament : c’est pourquoi ce commandement était dans l’ancienne Loi, non comme lui étant propre, mais comme une préparation à la nouvelle Loi .

V. Pour une pratique plus éclairée et plus étendue du culte du Sacré-Cœur

61. Avant de mettre fin à ces réflexions si belles et si consolantes sur l’authentique nature et la richesse chrétienne de ce culte, conscient des devoirs de Notre charge apostolique qui a été confiée en premier à saint Pierre après sa triple profession d’amour envers le Christ Notre-Seigneur, Nous croyons opportun de vous renouveler, Vénérables Frères, à vous et par votre intermédiaire à tous Nos chers fils dans le Christ, Nos exhortations à promouvoir activement cette forme très suave de dévotion ; Nous espérons en effet, qu’il en naîtra pour notre époque également de nombreux bienfaits.

62. En réalité, si l’on examine comme il faut les arguments sur lesquels se fonde le culte rendu au Cœur transpercé de Jésus, il est manifeste pour tout le monde qu’il ne s’agit pas d’une forme commune de piété que chacun peut arbitrairement faire passer en second rang ou déprécier, mais d’une discipline qui conduit excellemment à la perfection chrétienne. Car si, selon le concept théologique traditionnel enseigné par le Docteur Angélique « la dévotion apparaît comme n’étant rien d’autre que la volonté de se donner avec empressement aux choses qui concernent le service de Dieu », peut il y avoir un service de Dieu plus obligatoire et plus nécessaire, plus noble et plus doux que celui qui est rendu à son amour ? Quel service peut être plus agréable à Dieu que celui qui est rendu par amour à son divin amour, puisque tout service rendu libéralement est en quelque sorte un don et que l’amour « constitue le premier don, source de tout don gratuit » ? Il faut donc avoir en très grand honneur cette forme de culte qui permet à l’homme de mieux honorer et aimer Dieu et de se consacrer avec plus de facilité et de promptitude à l’amour divin ; notre Rédempteur lui-même a daigné nous la proposer et la recommander au peuple chrétien, et les Souverains Pontifes, dans des documents mémorables, l’ont protégée et l’ont couverte de louanges élevées. Par conséquent, celui qui manifestement sous-estimerait ce bienfait donné par Jésus-Christ à l’Église agirait mal et témérairement, et offenserait Dieu lui-même.

Il ne faut pas se limiter aux manifestations extérieures et aux demandes d’avantages personnels

63. Il ne fait ainsi aucun doute que les fidèles qui rendent hommage au Cœur très sacré du Rédempteur satisfont à l’obligation très importante qu’ils ont de servir Dieu, de consacrer au Créateur et Rédempteur leurs personnes, leurs sentiments intimes et leurs activités, et ils obéissent par là au commandement divin : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force ». Ils ont de plus la ferme certitude que ce ne sont pas des avantages personnels, corporels ou spirituels, temporels ou éternels, qui sont leur principal motif de servir Dieu, mais la bonté de Dieu lui-même auquel ils cherchent à rendre hommage en l’aimant, en l’adorant et en lui rendant les grâces qui lui sont dues.

S’il n’en était pas ainsi, le culte au Cœur très sacré de Jésus ne répondrait pas au caractère authentique de la religion chrétienne, car alors l’homme n’aurait pas en vue dans ce culte avant tout l’amour divin ; ce serait alors à bon droit que l’on parlerait de l’excès d’amour ou de sollicitude pour soi-même que manifestent quelquefois ceux qui comprennent ou pratiquent mal cette très noble dévotion. Tous doivent donc avoir la ferme persuasion que le culte très auguste du Cœur de Jésus ne consiste pas avant tout dans des manifestations extérieures de piété, ni principalement dans la demande d’avantages dont le Christ Notre-Seigneur a parlé dans des promesses privées pour que les hommes s’acquittent avec plus de ferveur des principales obligations de la religion catholique, l’amour et l’expiation, et par là pourvoient au mieux à leurs avantages spirituels.

Les fruits abondants de la dévotion au Sacré-Cœur

64. C’est pourquoi Nous exhortons tous Nos fils dans le Christ à pratiquer avec ferveur cette forme de dévotion, ceux qui ont déjà l’habitude de puiser aux eaux salutaires qui coulent du Cœur du Rédempteur, ceux surtout qui la regardent de loin, en spectateurs, avec curiosité et hésitation. Qu’ils voient bien qu’il s’agit, comme Nous l’avons déjà dit, d’un culte déjà très ancien dans l’Église, solidement fondé sur l’Écriture, qui est en accord avec la tradition et la liturgie, et que les Pontifes romains ont couvert de très nombreuses et très hautes louanges ; non seulement ils ont institué une fête en l’honneur du Cœur très auguste du Rédempteur qu’ils ont étendue à toute l’Église, mais ils lui ont consacré solennellement tout le genre humain]. L’Église en a reçu des fruits abondants et très réconfortants ; de nombreux retours à la religion chrétienne, un renouveau de foi chez beaucoup, une union plus étroite des fidèles avec notre Rédempteur très aimant : tous ces fruits se sont montrés être particulièrement nombreux et importants au cours de ces derrières décennies.

65. En regardant le si merveilleux spectacle de la piété à l’égard du Cœur très sacré de Jésus si largement répandue dans tous les groupes de fidèles, et si ardente, Nous Nous sentons rempli de consolation, de reconnaissance et de joie ; et après avoir rendu à notre Rédempteur, qui est un trésor infini de bonté, les grâces qui lui sont dues, Nous ne pouvons que remercier paternellement tous ceux, clercs et laïcs, qui ont collaboré activement à promouvoir ce culte.

La nécessité du culte du Sacré-Cœur pour les besoins actuels de l’Église

66. Mais, Vénérables Frères, malgré les fruits abondants de vie chrétienne qu’a produits partout la dévotion au Cœur très sacré de Jésus, il n’échappe à personne que l’Église militante et surtout la société civile des hommes n’ont pas encore atteint cette pleine et absolue mesure de perfection qui répond aux vœux de Jésus-Christ, Époux de l’Église mystique et Rédempteur du genre humain. Beaucoup de fils de l’Église, en effet, défigurent par de nombreuses taches et de nombreuses rides le visage de leur Mère qu’ils reflètent en eux ; tous les fidèles, n’ont pas cette sainteté de mœurs à laquelle Dieu les a appelés ; tous les pécheurs ne sont pas revenus à la maison du Père qu’ils ont fautivement quittée pour y revêtir la plus belle robe et recevoir à leur doigt l’anneau, symbole de la fidélité à l’Époux de leur âme ; tous les infidèles ne font pas encore partie du Corps mystique du Christ.

Il y a encore plus. Si Nous éprouvons une douleur amère à voir la foi languissante des bons qui, séduits par les faux attraits des choses terrestres, voient diminuer et progressivement s’éteindre l’ardeur de l’amour divin dans leurs âmes, Nous souffrons encore bien davantage des actes des hommes impies qui, aujourd’hui plus que jamais, comme excités par l’ennemi infernal, poursuivent d’une haine implacable et ouverte Dieu, l’Église, et surtout le représentant sur la terre du divin Rédempteur et de son amour envers les hommes, selon cette phrase bien connue du docteur milanais : « (Pierre) est interrogé sur ce dont on doute, mais le Seigneur qui interroge ne doute pas, il interroge non pour apprendre, mais pour enseigner celui que, avant de s’élever au ciel, il nous laissait comme représentant de son amour ».

67. En vérité, la haine à l’égard de Dieu et ceux qui le représentent légitimement est une faute comme il ne peut pas en être commis de plus grande par les hommes qui ont été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu et destinés à jouir perpétuellement de sa parfaite amitié dans le ciel ; la haine de Dieu sépare au plus haut point l’homme du Bien suprême, elle le conduit à écarter de lui et de ses proches tout ce qui vient de Dieu, tout ce qui unit à Dieu, tout ce qui mène à la joie de Dieu : la vérité, la vertu, la paix, la justice.

68. On doit malheureusement voir que le nombre des ennemis de Dieu croit en certains pays, que les erreurs du matérialisme se répandent dans l’opinion, que la licence effrénée des plaisirs augmente çà et là ; pourquoi s’étonnerait-on si dans les âmes de beaucoup diminue la charité qui est la loi suprême de la religion chrétienne, le fondement solide de la vraie et parfaite justice, la principale source de la paix et des chastes délices ? Comme nous en avertit, en effet, notre Sauveur : « À cause des progrès croissants de l’iniquité, la charité d’un grand nombre se refroidira ».

Le culte du Sacré-Cœur, salut du monde moderne

69. Devant le spectacle de tant de maux qui, aujourd’hui plus que jamais, atteignent si vivement les individus, les familles, les nations et le monde entier, où devons-nous, Vénérables Frères, chercher le remède ? Peut-on trouver une forme de piété supérieure au culte du Cœur de Jésus, qui réponde mieux au caractère propre de la foi catholique, qui subvienne mieux aux besoins actuels de l’Église et du genre humain ? Quel culte est plus noble, plus doux, plus salutaire que celui-là, tout entier dirigé vers l’amour même de Dieu ? Enfin, quel stimulant plus efficace que l’amour du Christ — avivé et augmenté sans cesse par la dévotion au Cœur très sacré de Jésus — pour amener les fidèles à mettre en pratique, dans leur vie, la loi évangélique, sans laquelle — comme nous en avertissent les paroles du Saint-Esprit : « l’œuvre de la justice sera la paix » — il ne peut pas y avoir entre les hommes de paix digne de ce nom ?

70. C’est pourquoi, suivant l’exemple de Notre Prédécesseur immédiat, il Nous plaît d’adresser de nouveau à tous nos fils dans le Christ ces paroles d’avertissement que Léon XIII, d’immortelle mémoire, adressait à la fin du siècle dernier à tous les fidèles et à tous ceux qui se préoccupent sincèrement de leur salut et de celui de la société civile : « Aujourd’hui, un autre symbole divin, présage très heureux, apparaît à nos yeux : c’est le Cœur très sacré de Jésus... resplendissant d’un éclat incomparable au milieu des flammes. Nous devons placer en lui toutes nos espérances ; c’est à lui que nous devons demander le salut des hommes, et c’est de lui qu’il faut l’espérer »..

71. C’est Notre vif désir que tous ceux qui se glorifient du nom de chrétiens et qui luttent activement pour établir le Royaume du Christ dans le monde trouvent dans la dévotion au Cœur de Jésus comme un étendard et une source d’unité, de salut et de paix. Cependant, personne ne doit penser que ce culte porte préjudice aux autres formes de dévotion dont le peuple chrétien, sous la conduite de l’Église, honore le divin Rédempteur. Au contraire, une dévotion fervente envers le Cœur de Jésus alimentera et accroîtra sans aucun doute, particulièrement, le culte de la sainte croix et l’amour envers le très auguste Sacrement de l’autel.

Nous pouvons en effet affirmer ce qui est merveilleusement illustré par les révélations faites par Jésus-Christ à sainte Gertrude et à sainte Marguerite-Marie que nul ne peut vraiment bien comprendre Jésus crucifié s’il n’a d’abord pénétré dans le mystérieux sanctuaire de son Cœur. Et on ne saisira bien la force de l’amour qui poussa le Christ à se donner à nous comme aliment spirituel, qu’en honorant d’un culte particulier le Cœur eucharistique de Jésus, qui a pour but de nous rappeler, selon les termes de Notre prédécesseur d’heureuse mémoire Léon XIII, « l’acte d’amour suprême par lequel notre Rédempteur, répandant toutes les richesses de son Cœur, afin de demeurer avec nous jusqu’à la fin des siècles, institua l’adorable Sacrement de l’Eucharistie ». Et certes « ce n’est pas une part minime de son Cœur que l’Eucharistie, qu’il a tirée pour nous de la si grande charité de son Cœur ».

72. Enfin, poussés par le désir ardent d’opposer de solides barrières aux machinations impies des ennemis de Dieu et de l’Église, et de ramener dans le sentier de l’amour de Dieu et du prochain les familles et les nations, Nous n’hésitons pas à présenter le culte du Cœur très sacré de Jésus comme l’école la plus efficace de l’amour divin ; Nous parlons de l’amour divin qui doit être le fondement du Royaume de Dieu dans toutes les âmes, dans les familles et les nations, pour les affermir, comme le disait avec beaucoup de sagesse Notre Prédécesseur de pieuse mémoire : « Le Royaume de Jésus-Christ trouve sa force et sa beauté dans l’amour divin : son fondement et son sommet sont d’aimer saintement et dans l’ordre. De là résultent nécessairement les principes suivants : remplir ses devoirs inviolablement ; ne pas commettre d’injustice envers son prochain ; faire passer les biens humains après les biens célestes ; mettre l’amour de Dieu au-dessus de toutes choses ».

Le Cœur immaculé de Marie

73. Pour que des fruits plus abondants découlent dans la famille chrétienne et dans tout le genre humain du culte du Cœur très sacré de Jésus, les fidèles doivent veiller à l’associer étroitement au culte envers le Cœur immaculé de Marie. Puisque, de par la volonté de Dieu, la Bienheureuse Vierge Marie a été indissolublement unie au Christ dans l’œuvre de la Rédemption humaine, afin que notre salut vienne de l’amour de Jésus-Christ et de ses souffrances intimement unis à l’amour et aux douleurs de sa Mère, il convient parfaitement que le peuple chrétien qui a reçu la vie divine du Christ par Marie, après avoir rendu le culte qui lui est dû au Cœur très sacré de Jésus, rende aussi au Cœur très aimant de sa céleste Mère de semblables hommages de piété, d’amour, de gratitude et de réparation. C’est en parfait accord avec ce dessein très sage et très suave de la Providence divine que Nous avons, par un acte mémorable, solennellement consacré la sainte Église et le monde entier au Cœur immaculé de la Bienheureuse Vierge Marie.

Les fêtes du centenaire du décret de Pie IX

74. Il y aura un siècle cette année, comme Nous le disions plus haut, qu’en vertu d’une décision de Notre Prédécesseur d’heureuse mémoire Pie IX, la fête du Sacré-Cœur de Jésus est célébrée dans l’Église Universelle. Nous désirons vivement, Vénérables Frères, que le peuple chrétien fête partout solennellement ce Centenaire en rendant au divin Cœur de Jésus des hommages publics d’adoration, d’action de grâces et d’expiation. Ces fêtes de la joie et de la piété chrétiennes se célébreront avec une ferveur particulière en union de charité et de prière avec les fidèles du monde entier dans la Nation où Dieu voulut que naquit la Vierge consacrée qui fut l’animatrice et l’infatigable promotrice de ce culte.

75. Réconforté d’une très douce espérance et Nous réjouissant à l’avance des fruits spirituels qui, Nous en avons confiance, résulteront pour l’Église du culte du Cœur très sacré de Jésus si du moins il est bien compris et pratiqué avec ferveur conformément à ce que Nous avons exposé, Nous prions Dieu pour qu’il veuille bien, avec le puissant secours de sa grâce, seconder Nos vœux ardents ; que, par la grâce du Très-Haut, la piété des fidèles à l’égard du Cœur très sacré de Jésus trouve dans les solennités de cette année un accroissement continuel, et que s’étende davantage pour tous dans le monde entier sa souveraineté et son royaume très doux : royaume « de vérité et de vie, royaume de sainteté et de grâce ; royaume de justice, d’amour et de paix ».

76. En gage de ces bienfaits, à chacun de vous, Vénérables Frères, au clergé et aux fidèles qui vous sont confiés, particulièrement à ceux qui se consacrent à promouvoir et à accroître le culte du Cœur très sacré de Jésus, Nous accordons avec toute l’effusion de Notre cœur la Bénédiction apostolique.

Donné à Rome, auprès de Saint-Pierre, le 15 mai de l’an 1956, de Notre pontificat le dix-huitième.

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Saint Paulin de Nole confesseur

22 Juin 2023 , Rédigé par Ludovicus

Saint Paulin de Nole confesseur

Collecte

Dieu, vous avez promis à ceux qui abandonnent tout en ce siècle pour vous, le centuple dans le siècle à venir et la vie éternelle : accordez-nous, dans votre bonté ; que, suivant fidèlement les traces du saint Pontife Paulin, nous ayons la force de mépriser les biens de la terre et de désirer les seuls biens du ciel.

Office

Au deuxième nocturne.

Quatrième leçon. Pontius Meropius Anicius Paulin, né l’an trois cent cinquante-trois de la Rédemption, d’une famille très distinguée de citoyens romains, à Bordeaux, en Aquitaine, fut doué d’une intelligence vive et de mœurs douces. Sous la direction d’Ausone, il brilla de la gloire de l’éloquence et de la poésie. Très noble et très riche, il entra dans la carrière des charges publiques et, à la fleur de l’âge, conquit la dignité de sénateur. Ensuite, en qualité de consul, il se rendit en Italie et, ayant obtenu la province de Campanie, il établit sa résidence à Nole. Là, touché de la lumière divine, et à cause des signes célestes qui illustraient le tombeau de saint Félix, prêtre et martyr, il commença à s’attacher avec plus d’énergie à la véritable foi chrétienne, qu’il méditait déjà dans son esprit. Il renonça donc aux faisceaux et à la hache, qui n’avait encore été souillée par aucune exécution capitale ; retourné en Gaule, il fut ballotté par diverses épreuves et par de grands travaux sur terre et sur mer et perdit un œil ; mais guéri par le bienheureux Martin, évêque de Tours, il fut lavé dans les eaux lustrales du baptême par le bienheureux Delphin, évêque de Bordeaux.

Cinquième leçon. Méprisant les richesses qu’il possédait en abondance, il vendit ses biens, en distribua le prix aux pauvres et, quittant sa femme Therasia, changeant de patrie et brisant les liens de la chair, il se retira en Espagne, s’attachant ainsi à la pauvreté admirable du Christ, plus précieuse à ses yeux que l’univers entier. Un jour qu’à Barcelone, il assistait dévotement aux sacrés mystères, le jour solennel de la naissance du Seigneur, le peuple, transporté d’admiration, l’entoure avec tumulte et, malgré ses résistances, il fut ordonné prêtre par l’évêque Lampidius. Il retourna ensuite en Italie, fonda à Nole, où il avait été amené par le culte de saint Félix, un monastère près du tombeau de ce saint ; s’étant adjoint des compagnons, il commença une vie cénobitique. Illustre déjà par la dignité sénatoriale et la dignité consulaire, embrassant la folie de la croix, à l’admiration du monde presque entier, Paulin, revêtu d’une robe sans valeur, demeurait, au milieu des veilles et des jeûnes, la nuit et le jour, les yeux fixés dans la contemplation des choses célestes. Mais, comme son renom de sainteté croissait de plus en plus, il fut élevé à l’évêché de Nole et, dans l’accomplissement de sa .charge pastorale, il laissa des exemples merveilleux de piété, de sagesse et surtout de charité.

Sixième leçon. Au cours de ces travaux, il avait composé des écrits remplis de sagesse, traitant de la religion et de la foi ; souvent aussi, se laissant aller à la versification, il avait célébré dans des poèmes les actes des saints, acquérant un renom supérieur de poète chrétien. Il s’attacha par l’amitié et par l’admiration tout ce qu’il y avait à cette époque d’hommes éminents par la sainteté et la doctrine. Beaucoup affluaient de toutes parts vers lui, comme chez le maître de la perfection chrétienne. La Campanie ayant été ravagée par les Goths]1 il employa à nourrir les pauvres et à racheter les prisonniers tout son avoir, ne gardant pas même pour lui les choses nécessaires à la vie. Plus tard, lorsque les Vandales ravageaient le même pays, une veuve le supplia de racheter pour elle son fils, pris par les ennemis ; comme il avait absorbé tous ses biens dans l’exercice de la charité, il se livra lui-même en esclavage pour cet enfant, et, jeté dans les fers, il fut emmené en Afrique. Enfin, gratifié de la liberté, non sans le secours visible de Dieu et revenu à Nole, le bon pasteur retrouva ses brebis chéries et là, dans sa soixante dix-huitième année, s’endormit dans le Seigneur d’une fin très tranquille. Son corps, enseveli près du tombeau de saint Félix, fut plus tard, à l’époque des Lombards, transféré à Bénévent, puis sous l’empereur Othon III, à Rome, dans la basilique de Saint-Barthélemy en l’île du Tibre. Mais le pape Pie X ordonna que les dépouilles sacrées de Paulin fussent restituées à Nole et éleva sa fête au rite double pour toute l’Église.

Au troisième nocturne.

Homélie de saint Paulin, Évêque.

Septième leçon. Le Seigneur tout-puissant aurait pu, très chers frères rendre tous les hommes également riches, de façon qu’aucun d’eux n’eût besoin d’un autre ; mais par un dessein de sa bonté infinie, le Seigneur miséricordieux et plein de pitié a ordonné les choses comme il l’a fait, afin d’éprouver vos dispositions. Il a fait le malheureux afin de pouvoir reconnaître celui qui est miséricordieux ; il a fait le pauvre afin de donner à l’homme opulent l’occasion d’agir. Le but des richesses, c’est, pour vous, la pauvreté de votre frère, « si vous avez l’intelligence de l’indigent et du pauvre », si vous ne possédez pas seulement pour vous ce que vous avez reçu ; et cela, parce que Dieu vous a remis en ce siècle la part de votre frère aussi, Dieu voulant vous devoir ce que vous aurez offert spontanément au moyen de ses dons aux indigents, et désirant vous enrichir en retour au jour éternel de la part qu’aura votre frère. C’est par les mains des pauvres, en effet, que le Christ reçoit maintenant, et alors, au jour éternel, il rendra pour eux en son nom.

Huitième leçon. Réconfortez celui qui a faim et vous n’aurez pas de crainte au jour mauvais de la colère qui doit venir. « Bienheureux, en effet, dit Dieu, celui qui a l’intelligence de l’indigent et du pauvre, au jour mauvais le Seigneur le délivrera. » Travaillez donc et cultivez avec soin cette partie de votre terre, mon frère, afin qu’elle fasse germer pour vous une moisson fertile, pleine de la graisse du froment, vous apportant, avec des intérêts élevés, le fruit au centuple de la semence qui se multiplie. Dans la recherche et la culture de cette possession et de ce travail, l’avarice est sainte et salutaire ; car une pareille avidité, qui mérite le royaume du ciel et soupire après le bien éternel, est la racine de tous les biens. Souhaitez donc ardemment de telles richesses et possédez un tel patrimoine que le créancier doit compenser en fruits centuplés, pour enrichir aussi vos héritiers avec vous des biens éternels. Car cette possession est vraiment grande et précieuse, qui ne charge pas son possesseur d’un fardeau temporel, mais l’enrichit d’un revenu éternel.

Neuvième leçon. Veillez donc, mes très chers, avec une sollicitude de tous les instants et un travail assidu pour la justice, non seulement à rechercher les biens éternels, mais à mériter d’éviter des maux sans nombre. Car nous avons besoin d’une grande aide et d’une grande protection ; nous avons besoin de nous appuyer sur des prières nombreuses et incessantes. Notre adversaire, en effet, ne se repose pas et l’ennemi très vigilant bloque toutes nos voies pour nous perdre. En outre, en ce siècle, se jettent sur nos âmes de nombreuses croix, des dangers innombrables, les fléaux des maladies, les feux des fièvres et les flèches des douleurs ; les torches des passions s’allument, partout sont cachés des filets tendus sous nos pas, de toutes parts nous voyons avec terreur des glaives tirés, la vie se passe en embûches et en combats et nous marchons sur des feux recouverts d’une cendre trompeuse. Avant donc de vous exposer, conduits par les circonstances ou par votre volonté, à quelque fléau de telles douleurs, hâtez-vous de devenir agréables et chers au médecin, afin qu’au temps où vous en aurez besoin, vous trouviez tout prêt le remède salutaire. Autre chose est de prier seul pour vous-même, autre chose d’avoir une multitude d’intercesseurs s’empressant pour vous auprès de Dieu.

Dans les jours de l’enfance du Sauveur, Félix de Nole était venu réjouir nos yeux par le spectacle de sa sainteté triomphante et si humble, qui nous révèle sous un de ses aspects les plus doux la puissance de notre Emmanuel. Illuminé de tous les feux de la Pentecôte, Paulin s’élève de cette même ville de Nole à son tour, faisant hommage de sa gloire à celui dont il fut la conquête. La voie sublime par laquelle il devait gagner les sommets des cieux, ne s’offrit point à lui, en effet, tout d’abord ; et ce fut Félix qui, sur le tard déjà, jeta dans son âme les premiers germes du salut.

Héritier d’une fortune immense, à vingt-cinq ans préfet de Rome, sénateur et consul, Paulin était loin de penser qu’il pût y avoir une carrière plus honorable pour lui, plus profitable au monde, que celle où l’engageaient ainsi les traditions de son illustre famille. Et certes alors, au regard des sages de ce siècle, c’était une vie intègre, s’il en fut, que la sienne, entourée des plus nobles amitiés, soutenue par l’estime méritée des petits et des grands, trouvant son repos dans ce culte des lettres qui, dès les années de son adolescence, l’avait rendu l’honneur de la brillante Aquitaine où Bordeaux lui donna le jour. Combien, qui ne le valaient pas, sont aujourd’hui encore proposés pour modèles d’une vie laborieuse et féconde ?

Un jour, cependant, voici que ces existences qui semblent si remplies, n’offrent plus à Paulin lui-même que le spectacle d’hommes « tourbillonnant au milieu de jours vides, et, pour trame de leur vie, tissant d’œuvres vaines une toile d’araignée » ! Que s’est-il donc passé ? C’est qu’un jour, dans la fertile Campanie soumise à son gouvernement, Paulin s’est rencontré près de la tombe de l’humble prêtre proscrit jadis par cette Rome, dont les terribles faisceaux qu’on porte devant lui signifient la puissance ; et les flots d’une lumière nouvelle ont envahi son âme ; Rome et sa puissance sont rentrées dans la nuit, devant l’apparition « des grands droits du Dieu redoutable ». A plein cœur, le descendant des vieilles races qui soumirent le monde donne sa foi à Dieu ; le Christ qui se révèle à lui dans la lumière de Félix, a conquis son amour. Assez cherché, assez couru vainement : il trouve enfin ; et ce qu’il trouve, c’est que rien ne vaut mieux que de croire à Jésus-Christ.

Dans la droiture de sa grande âme, il ira jusqu’aux dernières conséquences de ce principe nouveau qui remplace pour lui tous les autres. Jésus a dit : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; et puis viens, suis-moi ». Paulin n’hésite pas. Ce n’est pas lui qui négligera le meilleur, et préférera le moindre ; parfait jusque-là pour le monde, pourrait-il maintenant ne point l’être pour Dieu ? A l’œuvre donc ! déjà ne sont plus à lui ces possessions immenses, que l’on appelait des royaumes ; les divers peuples de l’empire, chez qui s’étendaient au soleil ces incalculables richesses, sont dans la stupeur d’un commerce nouveau : Paulin vend tout, pour acheter la croix et suivre avec elle son Dieu. Car, il le sait : l’abandon des biens de ce monde n’est que l’entrée du stade, et non la course elle-même ; l’athlète n’est pas vainqueur par le seul fait qu’il laisse ses habits, mais il ne se dépouille que pour commencer à combattre ; et le nageur a-t-il donc passé le fleuve, parce que déjà il est nu sur le bord ?

Paulin, dans son empressement, a coupé plutôt qu’il n’a détaché le câble qui retenait sa barque au rivage. Le Christ est son nautonier]. Aux applaudissements de sa noble épouse Thérasia, qui ne sera plus que sa sœur et son émule, il vogue jusqu’au port assuré de la vie monastique, ne songeant qu’à sauver son âme. Un seul point le tient encore en suspens : se retirera-t-il à Jérusalem, où tant de souvenirs semblent appeler un disciple du Christ ? Mais, avec la franchise de sa forte amitié, Jérôme qu’il a consulté lui répond : « Aux clercs les villes, aux moines la solitude. Ce serait une suprême folie que de quitter le monde, pour vivre au milieu d’une foule plus grande qu’auparavant. Si vous voulez être ce qu’on vous nomme, c’est-à-dire moine, c’est-à-dire seul, que faites-vous dans les villes, qui, à coup sûr, ne sont pas l’habitation des solitaires, mais de la multitude ? Chaque vie a ses modèles. Nos chefs à nous sont les Paul et les Antoine, les Hilarion et les Macaire ; nos guides, Élie, Élisée, tous ces fils des Prophètes qui habitaient dans la campagne et les solitudes, et dressaient leurs tentes près des bords du Jourdain ».

Paulin suivit les conseils du solitaire de Bethléhem ; préférant son titre de moine à l’habitation même de la cité sainte, il chercha le petit champ dont lui parlait Jérôme, au territoire de Nole, mais en dehors de la ville, près de la glorieuse tombe où il avait vu la lumière. Jusqu’à son dernier jour, Félix lui tiendra lieu ici-bas de patrie, d’honneurs, de fortune, de parenté. C’est dans son sein, comme dans un nid très doux, qu’il fera sa croissance, changeant par la vertu de la divine semence du Verbe qui est en lui sa forme terrestre, et recevant dans son être nouveau les célestes ailes, objet de son ambition, qui relèveront jusqu’à Dieu. Que le monde ne compte plus sur lui pour relever ses fêtes, ou lui confier ses charges : absorbé dans la pénitence et l’humiliation volontaire, l’ancien consul n’est plus que le dernier des serviteurs du Christ et le gardien d’un tombeau].

A la nouvelle d’un pareil renoncement donné en spectacle au monde, la joie fut grande parmi les saints du ciel et de la terre ; mais non moindre se manifesta l’étonnement indigné, le scandale des politiques, des prudents du siècle, de tant d’hommes pour qui l’Évangile ne vaut, qu’autant qu’il ne heurte pas les préjugés à courte vue de leur sagesse mondaine. « Que vont dire les grands ? écrivait saint Ambroise. D’une telle famille, d’une telle race, si bien doué, si éloquent, quitter le sénat, arrêter la succession d’une pareille suite d’ancêtres : cela ne se peut supporter. Voilà bien ces hommes, qui, quand il s’agit de leurs fantaisies, ne trouvent point étrange de s’infliger les transformations les plus ridicules ; arrive-t-il qu’un chrétien soucieux de la perfection change de costume, ils crient à l’indignité ! »

Paulin ne s’émut point de ces attaques, pas plus qu’il ne compta que son exemple serait suivi d’un grand nombre. Il savait que Dieu manifeste en quelques-uns ce qui pourrait profiter à tous, s’ils le voulaient, et que cela suffit à justifier sa Providence. Comme le voyageur ne se laisse point détourner de sa route par les aboiements des chiens qui le regardent passer, ceux, disait-il, qui s’engagent dans les étroits sentiers du Seigneur doivent négliger les réflexions des profanes et des sots, se félicitant de déplaire à qui Dieu déplaît ; l’Écriture nous suffit pour savoir que penser d’eux et de nous.

Résolu de ne point répondre, et de laisser les morts ensevelir leurs morts, une exception toutefois s’imposa au cœur de notre saint, par le côté des sentiments les plus délicats, en faveur d’Ausone son ancien maître. Paulin était resté l’élève préféré du rhéteur fameux à l’école de qui venaient se former, dans ces temps, les empereurs eux-mêmes ; Ausone toujours s’était montré pour lui un ami, un père ; l’âme transpercée par le départ de ce fils de sa tendresse, le vieux poète avait exhalé ses plaintes en des accents qui touchèrent celui-ci.

Paulin voulut tâcher d’élever cette âme qui lui était chère au-dessus des futilités de la forme, et des mythologiques vanités où continuait de s’enfermer sa vie ; il justifia donc sa démarche dans un poème dont la grâce exquise devait charmer Ausone, et l’amener peut-être à goûter la profondeur du sens chrétien, qui inspirait à son ancien élève une poésie si nouvelle pour le disciple attardé d’Apollon et des Muses.

« Père, lui disait-il, pourquoi vouloir me rappeler au culte des Muses ? Une autre puissance domine aujourd’hui mon âme, un Dieu plus grand qu’Apollon. Le vrai, le bon, je l’ai trouvé à la source même du bien et de la vérité, en Dieu vu dans son Christ. Échangeant sa divinité pour notre humanité dans un commerce sublime, homme et Dieu, ce maître des vertus transforme notre être, et remplace par de chastes voluptés les plaisirs d’autrefois. Par la foi dans la vie future, il dompte en nous les vaines agitations de la vie présente. Ces richesses que nous semblons mépriser, il ne les rejette pas comme impures ou sans prix ; mais, apprenant à les mieux aimer, il nous les fait confiera Dieu qui, en retour, promet davantage. N’appelez pas stupide celui qui s’adonne au plus avantageux, au plus sûr des négoces. Et la piété, pourrait-elle donc être absente d’un chrétien ? et pourrais-je ne pas vous la témoigner, ô père à qui je dois tout : science, honneurs, renommée ; qui, par vos soins, m’avez, en cultivant ses dons, préparé pour le Christ ! Oui ; le Christ s’apprête à vous récompenser, pour ce fruit qu’a nourri votre sève : ne rejetez pas sa louange, ne reniez pas les eaux parties de vos fontaines. Mon éloignement irrite votre tendresse ; mais pardonnez à qui vous aime, si je fais ce qui est expédient.

J’ai voué mon cœur à Dieu, j’ai cru au Christ ; sur la foi des divins conseils, j’ai acheté des biens du temps la récompense éternelle. Père, je ne puis croire que cela soit par vous taxé de folie. Pareils errements ne m’inspirent aucun repentir, et il me plaît d’être tenu pour insensé par ceux qui suivent une voie contraire ; il me suffit que mon sentiment soit tenu pour sage par le Roi éternel. Tout ce qui est de l’homme est court, infirme, caduc, et, sans le Christ, poussière et ombre ; qu’il approuve ou condamne, tant vaut le jugement que le juge : il meurt, et son jugement passe avec lui. Au moment du dépouillement suprême, elle sera tardive la lamentation, et peu recevable l’excuse de celui qui aura craint les vaines clameurs des langues humaines, et n’aura point redouté la vengeresse colère du Juge divin. Pour moi, je crois, et la crainte est mon aiguillon : je ne veux pas que le dernier jour me saisisse endormi dans les ténèbres, ou chargé de poids tels que je ne puisse m’envoler d’une aile légère au-devant de mon Roi dans les cieux. C’est pourquoi, coupant court aux hésitations, aux attaches, aux plaisirs de ce monde, j’ai voulu parer à tout événement ; vivant encore, j’en ai fini des soucis de l’a vie ; j’ai confié à Dieu mes biens pour les siècles à venir, afin de pouvoir d’un cœur tranquille attendre la terrible mort. Si vous l’approuvez, félicitez un ami riche d’espérances ; sinon, souffrez que je m’en tienne à l’approbation de Jésus-Christ ».

Rien mieux qu’un tel langage ne saurait nous donner une idée de ce qu’étaient nos pères du vieil âge, avec leur simplicité si pleine en même temps de grâce et de force, et cette logique de la foi qui, s’appuyant de la parole de Dieu, n’avait besoin d’aucune autre chose pour atteindre d’un bond tous les héroïsmes. Où trouver rien qui, on peut le dire, se déduise plus naturellement que les résolutions dont Paulin nous fait part ? Quel sens pratique, dans toute la vraie et grande signification du mot, ce Romain garde dans sa sainteté ! On reconnaît bien là l’aimable correspondant de saint Augustin, qui, interrogé par le grand docteur sur son opinion touchant certains points douteux de la vie future, lui répondait d’une façon si charmante : « Vous daignez me demander mon avis sur ce que sera l’occupation des bienheureux, après la résurrection de la chair. Mais si vous saviez comme je m’inquiète bien plus de la vie présente, de ce que j’y suis, de ce que j’y puis faire ! Soyez mon maître et mon médecin ; apprenez-moi à faire la volonté de Dieu, à marcher sur vos traces à la suite du Christ ; que, tout d’abord, j’arrive à mourir comme vous de cette mort évangélique qui précède et assure l’autre ».

Cependant notre saint, qui ne voulait qu’imiter et apprendre, apparaissait bientôt comme l’un des plus lumineux flambeaux de l’Église. L’humble retraite où il prétendait se cacher, était devenue le rendez-vous des plus illustres patriciens et patriciennes, le centre d’attraction de toutes les grandes âmes de ce siècle. Des points les plus divers, Ambroise, Augustin, Jérôme, Martin, et leurs disciples, élevaient la voix dans un concert de louange que nous allions dire unanime, si, pour la plus grande sainteté de son serviteur, Dieu n’avait permis, au commencement, une exception douloureuse. Certains membres du clergé de Rome, émus dans un autre sens qu’il ne convenait des marques de vénération données à ce moine, s’étaient efforcés, non sans succès, de circonvenir sous un prétexte spécieux le Pontife suprême ; Sirice en vint presque à séparer Paulin de sa communion. La mansuétude, la longanimité du serviteur de Dieu, ne tardèrent pas au reste à ramener Sirice lui-même de l’erreur où l’avait mis son entourage, et l’envie dut porter ses morsures ailleurs.

L’espace nous fait défaut pour esquisser plus longuement cette noble existence. La Légende qui lui est consacrée, si courte qu’elle soit, complétera ces pages. Rappelons, en finissant, que la Liturgie est grandement redevable à saint Paulin pour les détails précieux que renferment ses lettres et ses poèmes, principalement sur l’architecture chrétienne et le symbolisme de ses diverses parties, le culte des images, l’honneur rendu aux Saints et à leurs reliques sacrées. Une tradition, qui malheureusement n’est point suffisamment établie pour exclure tous les doutes, fait également remonter jusqu’à lui l’usage liturgique des cloches ; agrandissant les dimensions de la clochette antique, il l’aurait transformée dans ce majestueux instrument si bien digne de devenir le porte-voix de l’Église elle-même, et auquel la Campanie et Nole ont donné leur nom (nolæ, campanæ).

Paulin évêque de Nole, instruit dans les lettres humaines et les saintes Écritures, composa en vers et en prose beaucoup d’œuvres remarquables. Sa charité surtout fut célèbre. Lorsque les Goths ravageaient la Campanie, il consacra tout ce qui lui restait à la nourriture des pauvres et au rachat des captifs, ne se réservant pas même le nécessaire pour vivre. Ce fut alors, raconte saint Augustin, que réduit volontairement à la dernière pauvreté après une extrême opulence, mais immensément riche de sainteté, il fut pris par les barbares et fit cette prière : Seigneur, ne permettez pas que je sois tourmenté pour de l’or ou de l’argent ; car vous savez où sont tous mes biens. Dans la suite, les Vandales infestant ces mêmes contrées, une veuve vint le supplier de lui racheter son fils, et, comme il avait tout dépensé en œuvres de miséricorde, il se livra lui-même en servitude à titre d’échange.

Étant donc passé en Afrique, on lui donna à cultiver le jardin de son maître qui était le gendre du roi. Or il arriva qu’ayant prophétisé à ce maître la mort de son beau-père, et le roi lui-même ayant vu en songe Paulin assis au milieu de deux autres juges, qui lui enlevait un fouet des mains, on reconnut quel grand personnage était ainsi captif ; il fut renvoyé comblé d’honneurs et accompagné de tous les prisonniers de sa ville, dont il obtint la liberté. De retour à Noie, il avait repris sa charge d’évêque, enflammant tout le monde et d’exemple et de parole pour les pratiques de la piété chrétienne, lorsqu’il fut saisi d’une douleur de côté ; bientôt la chambre où il était couché fut ébranlée par un tremblement de terre, et peu après il rendit son âme à Dieu

Vos biens vous sont maintenant rendus, ô vous qui avez cru à la parole du Seigneur ! Lorsque tant d’autres, en ce siècle qui vit les barbares, cherchèrent vainement à garder leur trésor, le vôtre était en sûreté. Que de lamentations parvinrent jusqu’à vous, dans l’effroyable écroulement de cet empire dont vous aviez été l’un des premiers magistrats ! Assurément ceux de vos collègues dans les honneurs, ceux de vos compagnons d’opulence qui n’avaient point imité votre renoncement volontaire, n’étaient en cela coupables d’aucune faute ; mais à l’heure terrible où la puissance n’était qu’un titre à de plus grands maux, où la richesse ne valait plus à ses possesseurs que désespoir et tortures, combien, même pour ce monde, votre prudence apparut la meilleure ! Vous vous étiez dit que le royaume des cieux souffre violence, et que ce sont les violents qui le ravissent ; mais la violence que vous vous étiez imposée, en brisant pour de meilleures attaches vos liens d’ici-bas, était-elle comparable à celle que plus d’un de vos détracteurs d’alors eut à subir, sans profit pour cette vie et pour l’autre ? Ainsi en arrive-t-il souvent, même en dehors de ces temps lamentables où la ruine semble s’abattre sur l’univers. Les privations que Dieu réclame des siens pour les conduire dans les sentiers de la vie parfaite, n’égalent point la souffrance fréquemment rencontrée par les mondains dans le chemin de leur préférence.

Et combien étaient mal venus à vous reprocher comme une désertion la retraite où vous conviait Jésus-Christ, ces hommes, les Albinus, les Symmaque, dont l’attachement obstiné au paganisme expirant amenait sur Rome ce déluge de colère ! Si l’empire eût pu être sauvé, il l’eût été par vos imitateurs, Pammachius, Aper, et d’autres, trop peu nombreux, qui vous faisaient dire : « O Rome, tu pourrais ne point craindre les menaces portées contre toi dans l’Apocalypse, si tes sénateurs comprenaient toujours ainsi le devoir de leur charge ». Quel contrepoids, en effet, n’eussent pas offert à la vengeance, si le spectacle en eût été moins rare, des réunions pareilles à celle que vous chantez dans l’un de vos plus beaux poèmes ! C’était au lendemain de la formidable invasion de Radagaise ; la vieille Rome, mourante, invoquait plus follement que jamais ses faux dieux ; mais, de Noie, la louange montait vers le Très-Haut, puissante comme le vivant psaltérion dont les accords la faisaient s’élever jusqu’au ciel. Noble instrument, dont les dix cordes s’appelaient, d’une part, Aemilius, Paulin, Apronianus, Pinianus, Asterius ; de l’autre, Albina, Therasia, Avita, Mélanie, Eunomia : tous clarissimes, suivant les traces de Cécile et de Valérien ou voués à Dieu dès l’enfance ; tous semblables en vertu dans un sexe dissemblable, et ne formant qu’un chœur au tombeau de Félix pour l’exécution des hymnes sacrées. A leur suite et avec eux, une troupe nombreuse d’illustres personnages et de vierges chantaient de même au Seigneur, apaisant son courroux contre une terre maudite, et retardant du moins ses coups. Dix justes auraient sauvé Sodome ; mais il fallait plus pour la Babylone ivre du sang des martyrs, pour la mère des fornications et des abominations du monde entier.

La récompense ne vous en est pas moins acquise ; et, même en dehors de vous, votre labeur n’a point été stérile. Stérile, jamais la foi ne peut l’être ; depuis le temps d’Abraham, elle n’a point cessé d’être le grand élément de la fécondité pour le monde. Si les Romains dégénérés n’ont point voulu comprendre, en ce IVe siècle, la leçon qui leur était donnée par les héritiers des plus nobles familles de leur empire, s’ils n’ont point su voir où était le salut, de votre foi et de celle de vos illustres compagnons est née pour le ciel une nouvelle race, honneur d’une Rome nouvelle, et dépassant les hauts faits du vieux patriciat. Comme vous, « contemplant à la divine lumière les premiers âges et ceux qui suivirent, nous admirons l’œuvre profonde du Créateur, et cette lignée mystérieuse préparée dans la nuit des siècles antiques aux Romains d’autrefois ».

Gloire donc à vous, qui n’avez point écouté d’une oreille sourde l’Évangile, et, fort de la foi, l’avez emporté sur le prince de ce monde. Rendez à nos temps, si semblables aux vôtres du côté de la ruine, ce franc amour de la vérité, cette simplicité de la foi qui, dans les IVe et Ve siècles, sauvèrent du naufrage la société baptisée. La lumière n’est pas moindre aujourd’hui qu’alors ; elle a même grandi, incessamment accrue par le travail des docteurs et les définitions des pontifes. Mais la vérité, toujours également puissante à sauver les hommes, ne délivre pourtant que ceux qui vivent d’elle ; et voilà pourquoi, hélas ! le dogme, toujours mieux et plus pleinement défini, ne relève pas le monde en nos jours. C’est qu’il ne devrait pas rester lettre morte ; ce n’est point à l’état de théorie spéculative que Jésus-Christ l’a transmis à son Église, et cette Église, quand elle l’expose à ses fils, n’entend pas davantage charmer simplement, par des agréments de style ou l’ampleur de ses développements, les oreilles de ceux qui l’écoutent. La parole de Dieu est une semence ; on la jette en terre, non pour l’y cacher, mais pour qu’elle germe et se fasse jour, dominant toute autre germination autour d’elle parce que son droit comme sa puissance est de s’approprier tous les sucs du sol qui l’a reçue, pour transformer la terre même et lui faire rendre ce que Dieu en attend. Puisse-t-elle du moins, cette divine semence, ô Paulin, produire son plein effet dans tous ceux qui maintenant vous admirent et vous prient ! Sans diminuer l’Écriture, sans prétendre interpréter au gré de nos terrestres penchants ce que disait le Seigneur, vous avez pris à la lettre dans votre loyauté ce qui devait l’être ; et c’est pourquoi, aujourd’hui, vous êtes saint. Que toute parole de Dieu soit également pour nous sans appel ; qu’elle demeure la règle suprême de nos actes et de nos pensées.

En ce jour qui précède immédiatement la vigile de la fête consacrée à honorer la naissance de Jean-Baptiste, nous ne saurions oublier votre dévotion si profonde à l’Ami de l’Époux. La place que vous occupez sur le Cycle vous rend pour nous l’avant-coureur de celui qui fut le précurseur de Dieu en terre. Préparez nos âmes à saluer l’apparition de cet astre éclatant ; puissent-elles, comme la vôtre, être échauffées par ses rayons, et célébrer dignement les grandeurs que vous avez chantées en lui

 

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Saint Louis de Gonzague confesseur

21 Juin 2023 , Rédigé par Ludovicus

Saint Louis de Gonzague confesseur

Collecte

Ô Dieu, vous distribuez les biens célestes, et vous avez réuni dans le jeune et angélique Louis, une merveilleuse innocence à la pratique de la mortification : faites, qu’en nous appuyant sur ses mérites et son intercession : si nous n’avons pas sa pureté, nous imitions au moins sa pénitence.

Office

Au deuxième nocturne.

Quatrième leçon. Louis, fils de Ferdinand de Gonzague, marquis de Castiglione et d’Esté, parut naître au ciel avant de naître à la terre, car sa vie se trouvant en danger, on se hâta de le baptiser. Il garda avec tant de fidélité cette première innocence, qu’on l’aurait cru confirmé en grâce. Dès qu’il eut l’usage de sa raison il s’en servit pour s’offrir à Dieu, et mena chaque jour une vie plus sainte. A l’âge de neuf ans, il fit, à Florence, devant l’autel de la bienheureuse Vierge, qu’il ne cessa d’honorer comme sa mère, le vœu d’une perpétuelle virginité ; par un insigne bienfait du Seigneur, il devait la conserver sans qu’aucune révolte du corps ou de l’âme vînt jamais l’éprouver. Il se mit, dès cet âge, à réprimer si fortement les autres troubles intérieurs, qu’il n’en ressentit, dans la suite, plus même le premier mouvement. Il maîtrisait si bien ses sens et surtout ses yeux, que, non seulement il ne regarda jamais Marie d’Autriche, quoiqu’il dût la saluer presque tous les jours pendant plusieurs années, étant au nombre des pages d’honneur de l’infant d’Espagne ; mais qu’il s’abstenait même de considérer le visage de sa propre mère. Aussi fut-il appelé à juste titre un homme sans la chair, ou un ange dans la chair.

Cinquième leçon. A la garde des sens, Louis joignait la mortification corporelle. Il jeûnait trois fois la semaine, se contentant d’ordinaire d’un peu de pain et d’eau ; mais, à vrai dire, son jeûne semble avoir été, en ce temps, perpétuel, puisque là quantité de nourriture prise à ses repas égalait à peine une once. Souvent aussi il déchirait sa chair, trois fois en un même jour, au moyen de cordes ou de chaînes ; quelquefois des laisses de chien lui servaient de discipline et des éperons remplaçaient pour lui le cilice. Trouvant sa couche trop molle, il y glissait secrètement des morceaux de bois, afin de la rendre plus dure et de s’éveiller plus tôt pour prier ; il passait en effet une grande partie de la nuit dans la contemplation des choses divines, couvert d’un seul vêtement, même au plus fort de l’hiver, demeurant à genoux sur le sol, ou bien encore courbé et prosterné par faiblesse ou fatigue. Parfois il gardait une complète immobilité dans la prière, trois, quatre ou cinq heures de suite, tant qu’il n’avait pas au moins durant une heure, évité toute distraction. La récompense de cette constance fut une stabilité d’esprit telle que sa pensée ne s’égarait jamais durant l’oraison, mais restait perpétuellement fixée en Dieu comme en une sorte d’extase. Pour s’attacher uniquement au Seigneur, Louis, ayant enfin triomphé des résistances de son père, après un très rude combat de trois années, et renoncé en faveur d’un frère à ses droits sur la principauté de ses ancêtres, vint à Rome s’associer à la Compagnie de Jésus, à laquelle il s’était entendu appeler par une voix céleste, lorsqu’il se trouvait à Madrid.

Sixième leçon. Dès le noviciat, on commença à le regarder comme un maître en toutes sortes de vertus Sa fidélité aux règles, de même aux moindres lois était d’une exactitude extrême ; son mépris du monde sans égal ; sa haine de lui même, implacable ; son amour pour Dieu, si ardent, qu’il consumait peu à peu ses forces corporelles. Aussi en vint-on -à lui prescrire de détourner pour un temps sa Pensée des choses divines ; mais en vain s’efforçait-il de fuir son Dieu, qui partout se présentait à lui. Également animé d’une admirable charité envers le prochain, Louis contracta auprès des malades qu’il servait avec zèle dans les hôpitaux publics, un mal contagieux, qui dégénéra en une lente consomption. Au jour qu’il avait prédit, le treize des calendes de juillet, au début de sa vingt-quatrième année, il passa de la terre au ciel, après avoir demandé qu’on le flagellât et qu’on le laissât mourir étendu sur le sol. Dieu le montra à sainte Madeleine de Pazzi en possession d’une si grande gloire, que la sainte n’aurait pas cru qu’il y en eût de semblable en paradis. Elle affirma qu’il avait été d’une sainteté extraordinaire, et que la charité avait fait de lui un martyr inconnu. De nombreux et éclatants miracles le rendirent illustre et leur preuve juridique décida Benoît XIII à inscrire aux fastes des Saints cet angélique jeune homme, et à le donner, principalement à la jeunesse studieuse, comme un modèle d’innocence et de chasteté, en même temps qu’un protecteur.

Au troisième nocturne.

Homélie de saint Jean Chrysostome.

Septième leçon. La virginité est bonne, j’en conviens avec toi ; et même elle vaut mieux que le mariage, je te l’accorde aussi volontiers ; et s’il est permis, j’ajouterai qu’elle est supérieure au mariage, autant que le ciel est au-dessus de la terre, autant que les Anges sont au-dessus des hommes en excellence ; et s’il reste quelque chose à ajouter après cela, au lieu de dire autant, je dirai encore plus. Car s’il n’y a ni épouses ni époux parmi les Anges, il faut dire aussi qu’ils ne sont pas formés de chair et de sang. En outre, ils n’habitent point sur la terre, ils ne sont pas sujets aux troubles des sens et aux désordres des passions. Ils n’ont pas besoin de manger et de boire ; ils ne sont point tels qu’une voix douce, une molle harmonie, un beau visage puissent les charmer : en un mot, aucun attrait de ce genre ne les séduit.

Huitième leçon. Mais l’espèce humaine, bien qu’elle soit naturellement inférieure à ces esprits bienheureux, met toute sa force et toute son application à leur ressembler, autant qu’elle en est capable. Comment cela ? Les Anges ne connaissent point l’union conjugale ; ni les vierges non plus. Les Anges, toujours en présence de Dieu, sont tout à son service ; les vierges font de même. Si les vierges, tant que le poids du corps les retient en bas ne peuvent monter dans-le ciel, une compensation, et très grande, les console ; car il leur est permis, pourvu qu’elles soient pures d’esprit et de corps, de recevoir le roi du ciel. Vois-tu l’excellence de la virginité ? Comme elle relève les habitants de la terre, au point d’assimiler ceux qui sont revêtus d’un corps aux pures intelligences !

Neuvième leçon. Car, en quoi, je le demande, Élie, Élisée, Jean, ces véritables amateurs de la virginité, diffèrent-ils des Anges ? En rien, sinon qu’ils étaient de nature mortelle. Si quelqu’un s’applique à chercher en eux d’autres différences, il ne les trouvera pas autrement doués que ces esprits bienheureux. Et même, ce en quoi ils paraissent d’une condition inférieure doit leur être compté comme un grand mérite. En effet, pour que des habitants de la terre puissent arriver à la hauteur de cette vertu, à force d’énergie et d’application, vois de quelle force, de quelle sagesse de conduite il faut qu’ils soient pourvus.

 

Oh ! combien grande est la gloire de « Louis fils d’Ignace ! Je ne l’aurais jamais cru, si mon Jésus ne me l’avait montrée. Je n’aurais jamais cru qu’il y eût dans le ciel de gloire aussi grande ». C’est Madeleine de Pazzi, dont nous célébrions il y a moins d’un mois la mémoire, qui s’exprime ainsi dans l’une de ses admirables extases. Des hauteurs du Carmel, d’où sa vue plonge par delà les cieux, elle révèle au monde l’éclat dont rayonne au milieu des célestes phalanges le jeune héros que nous fêtons en ce jour.

Et pourtant, la vie si courte de Louis n’avait semblé offrir aux yeux distraits du grand nombre que les préliminaires, pour ainsi dire, d’une existence brisée dans sa fleur avant d’avoir donné ses fruits. Mais Dieu ne compte pas comme les hommes, et leurs appréciations sont de peu de poids dans ses jugements. Pour ses saints mêmes, le nombre des années, les actions éclatantes, remplissent moins une vie à ses yeux que l’amour. L’utilité d’une existence humaine ne doit-elle pas s’estimer, par le fait, à la mesure de ce qu’elle produit de durable ? Or, au delà du temps la charité reste seule, fixée pour jamais au degré d’accroissement que cette vie passagère a su lui donner. Peu importe donc si, sans la durée, sans les œuvres qui paraissent, l’élu de Dieu développe en lui l’amour autant et plus que tel autre dans les labeurs, si saints qu’ils soient, d’une longue carrière admirée par les hommes.

L’illustre Compagnie qui donna Louis de Gonzague à l’Église, doit la sainteté de ses membres et la bénédiction répandue sur leurs œuvres, à la fidélité qu’elle professa toujours pour cette importante vérité où toute vie chrétienne doit chercher sa lumière. Dès le premier siècle de son histoire, il semble que le Seigneur Jésus, non content de lui laisser prendre pour elle son nom béni, ait eu à cœur de faire en sorte qu’elle ne pût oublier jamais où résidait sa vraie force, dans la carrière militante et active entre toutes qu’il ouvrait devant elle. Les œuvres resplendissantes d’Ignace son fondateur, de François Xavier l’apôtre des Indes, de François de Borgia la noble conquête de l’humilité du Christ, manifestèrent en eux à tous les regards une merveilleuse sainteté ; mais elles n’eurent point d’autre base que les vertus cachées de cet autre triumvirat glorieux où, sous l’œil de Dieu, par la seule force de l’oraison contemplative, Stanislas Kostka, Louis de Gonzague et Jean Berchmans s’élevèrent dans ce même siècle jusqu’à l’amour, et, par suite, jusqu’à la sainteté de leurs héroïques pères.

C’est encore Madeleine de Pazzi, la dépositaire des secrets de l’Époux, qui nous révélera ce mystère. Dans le ravissement où la gloire de Louis se découvre à ses yeux, elle continue sous le souffle de l’Esprit divin : « Qui jamais expliquera, s’écrie-t-elle, le prix et la puissance des actes intérieurs ? La gloire de Louis n’est si grande, que parce qu’il opérait ainsi au dedans. De l’intérieur à ce qui se voit, aucune comparaison n’est possible. Louis, tant qu’il vécut sur terre, eut l’œil attentif au regard du Verbe, et c’est pourquoi il est si grand. Louis fut un martyr inconnu : quiconque vous aime, mon Dieu, vous connaît si grand, si infiniment aimable, que ce lui est un grand martyre de reconnaître qu’il ne vous aime pas autant qu’il désire aimer, et que vous n’êtes pas aimé de vos créatures, mais offensé !... Aussi lui-même fit son martyre. Oh ! Combien il a aimé sur terre ! C’est pourquoi, maintenant au ciel, il possède Dieu dans une souveraine plénitude d’amour. Mortel encore, il déchargeait son arc au cœur du Verbe ; et maintenant qu’il est au ciel, ces flèches reposent dans son propre cœur. Car cette communication de la divinité qu’il méritait par les flèches de ses actes d’amour et d’union avec Dieu, maintenant, en toute vérité, il la possède et l’embrasse ».

Aimer Dieu, laisser sa grâce tourner notre cœur vers l’infinie beauté qui seule peut le remplir, tel est donc bien le secret de la perfection la plus haute. Et qui ne voit combien cet enseignement de la fête présente, répond au but que poursuit l’Esprit-Saint depuis sa venue dans les jours de la glorieuse Pentecôte ? Ce suave et silencieux enseignement, Louis le donna partout où s’arrêtèrent ses pas durant sa courte carrière. Né pour le ciel, dans le saint baptême, avant même que de naître complètement à la terre, il fut un ange dès son berceau ; la grâce, passant de lui dans les personnes qui le portaient entre leurs bras, les remplissait de sentiments célestes. A quatre ans, il suivait dans les camps le marquis son père ; et quelques fautes inconscientes, qui n’avaient pas même terni son innocence, devenaient, pour toute sa vie, le point de départ d’une pénitence qu’on eût prise pour l’expiation nécessaire au plus grand des pécheurs. Il n’avait que neuf ans, lorsque, conduit à Florence pour s’y perfectionner dans l’étude de la langue italienne, il se montra l’édification de la cour du duc François où grandissait alors la future reine de France, Marie de Médicis, plus jeune que Louis de quelques années ; les attraits de cette cour, la plus brillante de l’Italie, ne réussirent qu’à le détacher pour jamais du monde ; ce fut alors qu’aux pieds de la miraculeuse image de l’Annonciade, il consacra à Notre-Dame sa virginité.

L’Église elle-même, dans la Légende, nous dira le reste de cette vie où, comme il arrive toujours chez les âmes pleinement dociles à l’Esprit-Saint, la plus céleste piété ne fit jamais tort aux devoirs de la terre. C’est parce qu’il fut véritablement le modèle en tout de la jeunesse studieuse, que Louis mérita d’en être déclaré protecteur. Intelligence d’élite, fidèle au travail comme à la prière au milieu du tumulte des villes, il se rendit maître de toutes les sciences alors exigées d’une personne de sa condition. Des négociations épineuses concernant les intérêts de ce siècle, lui furent plus d’une fois confiées ; et l’on vit à quel point il eût excellé dans le gouvernement des hommes et le maniement des affaires. Là encore, il devait servir d’exemple à tant d’autres, que leurs proches ou de faux amis prétendent retenir sur le seuil de la vie religieuse par la considération du bien qu’ils sont capables de faire, du mal qu’ils pourraient empêcher : comme si le Très-Haut, pour sa part de réserve plus spéciale au milieu des nations, devait se contenter des nullités impuissantes ; comme si les aptitudes de la plus riche nature ne pouvaient pas toujours se retourner vers Dieu, leur principe, d’autant mieux et plus complètement qu’elles sont plus parfaites. Ni l’État, ni l’Église, au reste, ne perdent jamais rien à cette retraite pour Dieu, à cet abandon apparent des sujets les meilleurs : si, dans l’ancienne loi, Jéhovah se montrait jaloux qu’on offrit à son autel le meilleur en toute sorte de biens, ce n’était pas pour appauvrir son peuple ; qu’on le reconnaisse ou non, la principale force de la société, la source des bénédictions qui gardent le monde, résidera toujours dans ces holocaustes aimés du Seigneur.

« La prudence de l’homme lui tient lieu de cheveux blancs, dit le Sage ; la vieillesse vraiment vénérable ne s’estime point au nombre des années ». Et c’est pourquoi, ô Louis, vous occupez une place d’honneur parmi les anciens de votre peuple. Gloire de la Compagnie sainte au milieu de laquelle, en si peu de temps, vous remplîtes la course d’une longue existence, obtenez qu’elle continue de garder précieusement, pour elle et les autres, l’enseignement qui se dégage de votre vie d’innocence et d’amour. Le seul vrai gain de l’homme à la fin de sa carrière est la sainteté, et c’est au dedans que la sainteté s’acquiert ; les œuvres du dehors n’entrent en compte, pour Dieu, que selon la pureté du souffle intérieur qui les inspire ; si l’occasion fait défaut pour ces œuvres, l’homme peut y suppléer en se rapprochant du Seigneur, dans le secret de son âme, autant et plus qu’il n’eût fait par elles. Ainsi l’aviez-vous compris ; et l’oraison, qui vous tenait absorbé dans ses inénarrables délices, en vint à égaler votre mérite à celui des martyrs. Aussi, de quel prix n’était pas à vos yeux ce céleste trésor de l’oraison, toujours à notre portée comme il le fut à la vôtre ! Mais pour y trouver comme vous la voie abrégée de toute perfection, selon vos propres paroles, il y faut la persévérance et le soin d’éloigner de l’âme, par une répression généreuse de la nature, toute émotion qui ne serait pas de Dieu. Comment une eau bourbeuse ou agitée par les vents, reproduirait-elle l’image de celui qui se tient sur ses bords ? Ainsi l’âme souillée, et celle-là même qui, sans être l’esclave des passions, n’est point maîtresse encore de toute agitation provenant de la terre, n’arrivera point au but de l’oraison qui est de reproduire en elle l’image tranquille de son Dieu.

La reproduction du grand modèle fut parfaite en vous ; et l’on put constater combien la nature en ce qu’elle a de bon, loin de pâtir et de perdre, gagne au contraire à cette refonte au divin creuset. Même en ce qui touche les plus légitimes affections, vous n’aviez plus de regards du côté de la terre ; mais voyant tout en Dieu, combien les sens n’étaient-ils pas dépasses dans leur infirmité menteuse, et combien aussi par là même croissait votre amour ! Témoin vos suaves prévenances, ici-bas et du haut du ciel, pour l’admirable mère que vous avait donnée le Seigneur : où trouver plus de tendresse que dans les épanchements de la lettre si belle écrite par vous à cette digne mère d’un saint, dans les derniers jours de votre pèlerinage ? Et quelle délicatesse exquise ne vous conduisait pas à lui réserver votre premier miracle, une fois dans la gloire ! Par ailleurs, l’Esprit-Saint, en vous embrasant de tous les feux de la divine charité, développait en vous pour le prochain un amour immense ; caria charité est une ; et on le vit bien, quand vous sacrifiâtes votre vie pour les malheureux pestiférés.

Ne cessez pas, illustre Saint, d’assister nos misères ; soyez propice à tous. Conduite par le successeur de Pierre au pied de votre trône, la jeunesse surtout se réclame de votre puissant patronage. Dirigez ses pas sollicités en tant de sens contraires ; que la prière et le travail pour Dieu soient sa sauvegarde ; éclairez-la, lorsque s’impose à elle le choix d’un état de vie. Puissiez-vous, durant ces critiques années de l’adolescence, user pour elle largement de votre beau privilège et protéger dans vos dévots clients l’angélique vertu ! Enfin, ô Louis, que ceux-là même qui ne vous auront pas imité innocent, vous suivent du moins dans la pénitence, ainsi que l’Église le demande au Seigneur en ce jour de votre fête.

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Mardi dans l’Octave du Sacré-Cœur

20 Juin 2023 , Rédigé par Ludovicus

Mardi dans l’Octave du Sacré-Cœur

Office

4e leçon

Des Encycliques du Pape Pie XI

Plus notre oblation et notre sacrifice ressembleront au sacrifice du Christ, autrement dit, plus parfaite sera l’immolation de notre amour-propre et de nos convoitises, plus la crucifixion de notre chair se rapprochera de cette crucifixion mystique dont parle l’Apôtre, plus abondants seront les fruits de propitiation et d’expiation que nous recueillerons pour nous et pour les autres. Car entre les fidèles et le Christ existe une admirable relation, semblable à celle qui relie la tête aux divers membres du corps ; mais de plus, par cette mystérieuse communion des saints, que professe notre foi catholique, les hommes et les peuples non seulement sont unis entre eux, mais encore avec Celui-là même « qui est la tête, le Christ. C’est de lui que tout le corps, coordonné et uni par le lien des membres qui se prêtent un mutuel secours et dont chacun opère selon sa mesure d’activité, grandit et se perfectionne dans la charité ». C’est la prière qu’avant de mourir le Christ Jésus, Médiateur entre Dieu et les hommes, adressait lui-même à son Père : « Que je sois en eux et vous en moi, afin qu’ils soient parfaitement un »

5e leçon

Par conséquent, de même que l’union avec le Christ trouve son expression et sa confirmation dans l’acte de consécration, de même l’expiation sert de prélude à cette union en effaçant les péchés ; elle la perfectionne en nous associant aux souffrances du Christ, elle la parachève enfin en offrant des victimes pour le prochain. Ce fut là bien certainement la miséricordieuse intention de Jésus quand il nous présenta son Cœur chargé des insignes de la Passion et débordant des flammes de l’amour ; en nous montrant ainsi, d’une part, la malice infinie du péché, et en nous faisant admirer, d’autre part, l’infinie charité du Rédempteur, il voulait nous inspirer une haine encore plus vive du péché, ainsi que plus d’ardeur à répondre à son amour. Du reste, l’esprit d’expiation ou de réparation a toujours tenu le premier et principal rôle dans le culte rendu au Sacré Cœur de Jésus ; rien n’est plus conforme à l’origine, à la nature, à la vertu et aux pratiques qui caractérisent cette dévotion ; d’ailleurs, l’histoire, les usages, la liturgie sacrée et les actes des Souverains Pontifes en portent témoignage.

6e leçon

Dans ses apparitions à Marguerite-Marie, quand il lui dévoilait son infinie charité, le Christ laissait en même temps percevoir comme une sorte de tristesse, en se plaignant des outrages si nombreux et si graves que lui faisait subir l’ingratitude des hommes. Puissent les paroles qu’il employait alors ne jamais s’effacer de l’âme des fidèles : « Voici ce Cœur – disait-il – qui a tant aimé les hommes, qui les a comblés de tous les bienfaits, mais qui, en échange de son amour infini, recueille non des actions de grâces, mais l’indifférence, l’outrage, et parfois de ceux-là mêmes que les témoignages d’un amour spécial obligeaient à lui demeurer plus fidèles. »

7e leçon

Homélie de saint Bernardin de Sienne.

Jean poursuit : « Arrivés à Jésus et le voyant déjà mort, ils ne lui rompirent pas les jambes, mais de sa lance l’un des soldats lui ouvrit le côté, et il en sortit aussitôt du sang et de l’eau ». O amour qui fonds tout ! Comment pour notre rédemption as-tu délaissé celui qui nous aime ? Car afin que de toutes parts nous inondât le déluge de l’amour, sur nous se sont déchirés les grands abîmes, c’est-à-dire les sources profondes de vie du Cœur de Jésus, que la lance cruelle, pénétrant jusqu’au plus intime, n’a pas épargnées. « Il sortit du sang et de l’eau. » Le sang coula pour la rédemption, mais aussi l’eau pour la purification : ainsi l’Église fut formée du côté du Christ, afin qu’elle se sache éternellement épousée et aimée du Christ, et qu’elle reconnaisse combien a déplu la faute pour laquelle le sang d’un Dieu a ainsi été répandu par l’Homme Dieu tant vivant que mort. Car nous ne sommes pas d’un vil prix, si le sang d’un Dieu est pour nous répandu.

8e leçon

Selon la lettre, l’eau ne coula pas confondue avec le sang. En effet les insensés n’auraient pas saisi, si elle avait coulé mêlée au sang. Et sans doute tout le sang s’est-il écoulé de ce divin corps en figure de l’amour répandu tout entier ; après quoi l’eau est sortie à son tour. Ce qui s’est accompli par un profond mystère : du même corps est d’abord sorti le prix du rachat, puis l’eau en qui est symbolisée la multitude des peuples rachetés. Les eaux abondantes, ce sont en effet des peuples nombreux. Cependant ceux qui appartiennent à la foi chrétienne ne forment qu’un peuple fidèle, de sorte que ce ne sont pas des eaux, mais de l’eau qui est sortie du côté du Christ ; c’est ce que dit l’Apôtre dans la Première aux Corinthiens : « Il n’y a qu’un seul pain et nous sommes un seul corps, malgré notre nombre, car nous participons tous à un seul pain et à un seul calice ». Et il dit encore aux Éphésiens : « Un seul Dieu, une seule foi, un seul baptême » 

9e leçon

Il faut cependant noter avec soin qu’il est dit du côté du Christ qu’il est ouvert et non blessé : car on ne peut à proprement parler faire de blessure qu’à un corps vivant. L’évangéliste Jean dit en effet : « de sa lance l’un des soldats lui ouvrit le côté », afin que par le côté ouvert, nous apprenions l’amour de son Cœur, qui va jusqu’à la mort : et que nous accédions à son amour ineffable par le chemin qu’il fait pour venir à nous. Approchons donc de son Cœur, Cœur profond, Cœur mystérieux, Cœur qui pense tout, Cœur qui connaît tout, Cœur aimant, bien plus, embrasé d’amour ; comprenons que la porte est ouverte et du moins sous la violence de l’amour, devenons conformes à ce Cœur ; entrons dans le secret caché de toute éternité, et maintenant comme révélé dans la mort par l’ouverture du côté : car l’ouverture du côté prouve qu’est ouvert le temple éternel, où est consommée l’éternelle félicité de tous les vivants.

 

Lettre Encyclique Annum Sacrum
DE SA SAINTETÉ LÉON XIII
Sur la consécration du genre humain au Sacré-Cœur de Jésus (25 mai 1899)

Nous avons naguère, comme vous le savez, ordonné par lettres apostoliques qu’un jubilé serait célébré prochainement dans cette ville sainte, suivant la coutume et la règle établies par les anciens. Aujourd’hui, dans l’espoir et dans l’intention d’accroître la piété dont sera empreinte cette solennité religieuse, Nous avons projeté et nous conseillons une manifestation éclatante. Pourvu que tous les fidèles Nous obéissent de cœur et avec une bonne volonté unanime et généreuse, Nous attendons de cet acte, et non sans raison, des résultats précieux et durables, d’abord pour la religion chrétienne et ensuite pour le genre humain tout entier.

Maintes fois, Nous Nous sommes efforcé d’entretenir et de mettre de plus en plus en lumière cette forme excellente de piété, qui consiste à honorer le Très Sacré Cœur de Jésus. Nous suivions en cela l’exemple de nos prédécesseurs Innocent XII, Benoît XIII, Clément XIII, Pie VI, Pie VII et Pie IX. Tel était notamment le but de notre décret publié le 28 juin de l’année 1889, et par lequel Nous avons élevé au rite de première classe la fête du Sacré Cœur.

Mais maintenant Nous songeons à une forme de vénération plus imposante encore, qui puisse être en quelque sorte la plénitude et la perfection de tous les hommages que l’on a coutume de rendre au Cœur très sacré. Nous avons confiance que cette manifestation de piété sera très agréable à Jésus-Christ, rédempteur.

D’ailleurs, ce n’est pas pour la première fois que le projet dont nous parlons est mis en question. En effet, il y a environ vingt-cinq ans, à l’approche des solennités du deuxième centenaire du jour où la bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque avait reçu de Dieu l’ordre de propager le culte du divin Cœur, des lettres pressantes émanant non seulement de particuliers, mais encore d’évêques, furent envoyées en grand nombre et de tous côtés à Pie IX. Elles tendaient à obtenir que le Souverain Pontife voulût bien consacrer au très saint Cœur de Jésus l’ensemble du genre humain. On jugea bon de différer, afin que la décision fût mûrie davantage. En attendant, les villes reçurent l’autorisation de se consacrer séparément si cela leur agréait, et une formule de consécration fut prescrite. Maintenant, de nouveaux motifs étant survenus, Nous pensons que l’heure est arrivée de mener à bien ce projet.

Ce témoignage général et solennel de respect et de piété est bien dû à Jésus-Christ, car Il est le Prince et le Maître suprême. En effet son empire ne s’étend pas seulement aux nations qui professent la foi catholique, ou aux hommes qui ayant reçu régulièrement le saint baptême se rattachent en droit à l’Église, quoiqu’ils en soient séparés par des opinions erronées ou par un dissentiment qui les arrache à sa tendresse.

Le règne du Christ embrasse aussi tous les hommes privés de la foi chrétienne de sorte que l’universalité du genre humain est réellement soumise au pouvoir de Jésus. Celui qui est le Fils unique de Dieu le Père, qui a la même substance que Lui et qui "est la splendeur de sa gloire et l’empreinte de sa substance". celui-là nécessairement possède tout en commun avec le Père ; il a donc aussi le souverain pouvoir sur toutes choses. C’est pourquoi le Fils de Dieu dit de lui-même par la bouche du prophète : "Pour moi, j’ai été établi roi sur Sion, sa sainte montagne ; le Seigneur m’a dit : "Tu es mon Fils, je t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi, je te donnerai les nations pour ton héritage et les limites de la terre pour ton patrimoine".

Par ces paroles, Jésus-Christ déclare qu’il a reçu de Dieu la puissance, soit sur toute l’Église qui est figurée par la montagne de Sion, soit sur le reste du monde jusqu’à ses bornes les plus lointaines. Sur quelle base s’appuie ce souverain pouvoir, c’est ce que nous apprennent clairement ces paroles : "Tu es mon fils". Par cela même, en effet, que Jésus-Christ est le fils du Roi du monde, il hérite de toute sa puissance ; de là ces paroles : "Je te donnerai les nations pour ton héritage". A ces paroles sont semblables celles de l’apôtre saint Paul : "Son fils qu’il a établi héritier en toutes choses".

Mais il faut surtout considérer ce que Jésus-Christ a affirmé concernant son empire, non plus par les Apôtres ou par les prophètes, mais de sa propre bouche. Au gouverneur romain qui lui demandait "Tu es donc roi" ? il répondit sans aucune hésitation : ’’Tu le dis, je suis roi". La grandeur de ce pouvoir et l’immensité infinie de ce royaume sont confirmées clairement par les paroles de Notre-Seigneur aux apôtres : "Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre". Si toute puissance a été donnée au Christ, il s’ensuit nécessairement que son empire doit être souverain, absolu, indépendant de la volonté de tout être, de sorte qu’aucun pouvoir ne soit égal ni semblable au sien. Et puisque cet empire lui a été donné dans le ciel et sur la terre, il faut qu’il voie le ciel et la terre lui obéir.

Effectivement, il a exercé ce droit extraordinaire et qui lui est propre, lorsqu’il a ordonné aux apôtres de répandre sa doctrine, de réunir les hommes en une seule Église par le Baptême du salut, enfin de leur imposer des lois que personne ne pût méconnaître, sans mettre en péril son salut éternel.

Mais ce n’est pas tout. Jésus-Christ commande non seulement en vertu d’un droit naturel et comme Fils de Dieu, mais encore en vertu d’un droit acquis. Car "il nous a arrachés de la puissance des ténèbres" ; et en outre il "s’est livré lui-même pour la rédemption de tous". Non seulement les catholiques et ceux qui ont reçu régulièrement le baptême chrétien, mais tous les hommes et chacun d’eux sont devenus pour Lui "un peuple conquis". Aussi, saint Augustin a-t-il eu raison de dire à ce sujet : "Vous cherchez ce que Jésus-Christ a acheté ? voyez ce qu’Il a donné et vous saurez ce qu’Il a acheté. Le sang du Christ est le prix de l’achat. Quel objet peut avoir une telle valeur ? Lequel, si ce n’est le monde entier ? Lequel si ce n’est toutes les nations ? C’est pour l’univers entier que le Christ a payé un tel prix"].

Pourquoi les infidèles eux-mêmes sont-ils soumis au pouvoir de Jésus-Christ ? Saint Thomas nous en expose longuement la raison. En effet, après avoir demandé si le pouvoir judiciaire de Jésus-Christ s’étend à tous les hommes, et avoir affirmé que "l’autorité judiciaire découle de l’autorité royale", il conclut nettement : "Tout est soumis au Christ quant à la puissance, quoique tout ne lui soit pas soumis encore quant à l’exercice même de cette puissance". Ce pouvoir du Christ et cet empire sur les hommes s’exercent par la vérité, par la justice et surtout par la charité.

Mais à cette double base de sa puissance et de sa domination, Jésus-Christ nous permet dans sa bienveillance d’ajouter, si nous y consentons de notre côté, la consécration volontaire. Dieu et rédempteur à la fois, il possède pleinement, et d’une façon parfaite, tout ce qui existe. Nous, au contraire, nous sommes si pauvres et dénués, que nous n’avons rien qui nous appartienne et dont nous puissions lui faire présent. Cependant, dans sa bonté et sa charité souveraine, il ne refuse nullement que nous lui donnions et que nous lui consacrions ce qui lui appartient, comme si nous en étions les possesseurs. Non seulement il ne refuse pas cette offrande, mais il la désire et il la demande : "Mon fils, donne moi ton cœur". Nous pouvons donc lui être pleinement agréables par notre bonne volonté et l’affection de notre âme. En nous consacrant à lui, non seulement nous reconnaissons et nous acceptons son empire ouvertement et avec joie, mais encore nous témoignons réellement que si ce que nous donnons nous appartenait, nous l’offririons de tout notre cœur ; nous demandons ainsi à Dieu de vouloir bien recevoir de nous ces objets mêmes qui lui appartiennent absolument. Telle est l’efficacité de l’acte dont il s’agit, tel est le sens de nos paroles.

Puisque dans le Sacré Cœur réside le symbole et l’image sensible de la charité infinie de Jésus-Christ, charité qui nous pousse à l’aimer en retour, il est convenable de nous consacrer à son Cœur très auguste. Agir ainsi, c’est se donner et se lier à Jésus Christ ; car les hommages, les marques de soumission et de piété que l’on offre au divin Cœur se rapportent réellement et en propre au Christ lui même.

C’est pourquoi Nous engageons et Nous exhortons à accomplir avec ardeur cet acte de piété, tous les fidèles qui connaissent et aiment le divin Cœur. Nous désirerions vivement qu’ils se livrassent à cette manifestation le même jour, afin que les sentiments et les vœux communs de tant de milliers de fidèles fussent portés en même temps au temple céleste.

Mais oublierons-nous une quantité innombrable d’hommes, pour lesquels n’a pas encore brillé la vérité chrétienne ? Nous tenons la place de Celui qui est venu sauver ce qui était perdu et qui a donné son sang pour le salut du genre humain tout entier. Aussi, nous songeons avec assiduité à ramener vers la véritable vie ceux mêmes qui gisent dans les ténèbres de la mort. Nous avons envoyé de tous côtés pour les instruire des messagers du Christ ; et maintenant, déplorant leur sort, Nous les recommandons de toute notre âme et Nous les consacrons, autant qu’il est en Nous, au Cœur très sacré de Jésus.

De cette manière, l`acte de piété que Nous conseillons à tous sera profitable à tous. Après l’avoir accompli, ceux qui connaissent et aiment Jésus-Christ sentiront croître leur foi et leur amour. Ceux qui, connaissant le Christ, négligent cependant sa loi et ses préceptes, pourront puiser dans son Sacré-Cœur la flamme de la charité. Enfin, nous implorerons tous d’un élan unanime le secours céleste pour les infortunés qui souffrent dans les ténèbres de la superstition. Nous demanderons que Jésus-Christ, auquel ils sont soumis "quant à la puissance" les soumette un jour "quant à l’exercice de cette puissance". Et cela, non seulement "dans un siècle à venir, quand il accomplira sa volonté sur tous les êtres en récompensant les uns et en châtiant les autres", mais encore dès cette vie mortelle, en leur donnant la foi et la sainteté. Puissent-ils honorer Dieu par la pratique de la vertu, comme il convient, et chercher à obtenir la félicité céleste et éternelle.

Une telle consécration apporte aussi aux États l’espoir d’une situation meilleure, car cet acte de piété peut établir ou raffermir les liens qui unissent naturellement les affaires publiques à Dieu. Dans ces derniers temps surtout, on a fait en sorte qu’un mur s’élevât, pour ainsi dire, entre l’Église et la société civile. Dans la constitution et l’administration des États, on compte pour rien l’autorité de la juridiction sacrée et divine, et l’on cherche à obtenir que la religion n’ait aucun rôle dans la vie publique. Cette attitude aboutit presque à enlever au peuple la foi chrétienne ; si c’était possible, on chasserait de la terre Dieu lui même. Les esprits étant en proie à un si insolent orgueil, est-il étonnant que la plus grande partie du genre humain soit livrée à des troubles profonds, et battue par des flots qui ne laissent personne à l’abri de la crainte et du péril ? Il arrive fatalement, que les fondements les plus solides du salut public s’écroulent lorsqu’on laisse de côté la religion. Dieu, pour faire subir à ses ennemis le châtiment qu’ils avaient mérité, les a livrés à leurs penchants, de sorte qu’ils s’abandonnent à leurs passions et s’épuisent dans une licence excessive.

De là, cette abondance de maux qui depuis longtemps sévissent sur le monde, et qui Nous obligent à demander le secours de Celui qui seul peut les écarter. Or, qui est celui-là, sinon Jésus-Christ, fils unique de Dieu ? "car nul autre nom n’a été donné sous le ciel aux hommes, par lequel nous devions être sauvés". Il faut donc recourir à Celui qui est "la voie, la vérité et la vie." L’homme a erré, qu’il revienne dans la route droite ; les ténèbres ont envahi les âmes, que cette obscurité soit dissipée par la lumière de la vérité ; la mort s’est emparée de nous, conquérons la vie. Il nous sera enfin permis de guérir tant de blessures, on verra renaître avec toute justice l’espoir en l’antique autorité, les splendeurs de la foi reparaîtront, les glaives tomberont et les armes s’échapperont des mains lorsque tous les hommes accepteront l’empire du Christ et s’y soumettront avec joie, et quand "toute langue confessera que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père".

A l’époque où l’Église, toute proche encore de ses origines, était accablée sous le joug des Césars, un jeune empereur aperçut dans le ciel une croix qui annonçait et qui préparait une magnifique et prochaine victoire. Aujourd’hui, voici qu’un autre emblème béni et divin s’offre à nos yeux. C’est le cœur très sacré de Jésus, sur lequel se dresse la Croix et qui brille d’un magnifique éclat au milieu des flammes. En lui nous devons placer toutes nos espérances ; nous devons lui demander et attendre de lui le salut des hommes.

Enfin, Nous ne voulons point passer sous silence un motif particulier, il est vrai, mais légitime et sérieux, qui Nous pousse à entreprendre cette manifestation. C’est que Dieu, auteur de tous les biens, Nous a naguère sauvé d’une maladie dangereuse. Nous voulons évoquer le souvenir d’un tel bienfait et en témoigner publiquement Notre reconnaissance par l’accroissement des hommages rendus au très saint Cœur.

Nous décidons en conséquence que, le 9, le 10 et le 11 du mois de juin prochain, dans l’église de chaque localité et dans l’église principale de chaque ville, des prières déterminées seront dites. Chacun de ces jours-là, les litanies du Sacré-Cœur, approuvées par Notre autorité, seront jointes aux autres invocations. Le dernier jour, on récitera la formule de consécration que Nous vous envoyons, Vénérables Frères, en même temps que ces lettres.

Comme gage des faveurs divines et en témoignage de Notre bienveillance, Nous accordons très affectueusement dans le Seigneur la bénédiction apostolique à vous, à votre clergé et au peuple que vous dirigez.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 25 mai de l’année 1899, de notre pontificat la vingt-deuxième.

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Sainte Julienne Falconieri vierge mémoire des Saints Gervais et Protais Martyrs

19 Juin 2023 , Rédigé par Ludovicus

Sainte Julienne Falconieri vierge mémoire des Saints Gervais et Protais Martyrs

Collecte

Dieu, vous avez daigné réconforter admirablement par le Corps précieux de votre Fils la bienheureuse Julienne, votre Vierge, peinant sous le poids de sa dernière maladie : accordez-nous, nous vous en prions, par l’intercession de ses mérites, d’être nous aussi nourris et fortifiés dans l’agonie de la mort et ainsi de parvenir à la patrie céleste.

Office

Quatrième leçon. Julienne, de la noble famille des Falconiéri, eut pour père l’illustre fondateur de l’église dédiée à la Mère de Dieu saluée par l’Ange, monument splendide dont il fit tous les frais et qui se voit encore à Florence. Il était déjà avancé en âge, ainsi que Reguardata, son épouse, jusque-là stérile, lorsqu’on l’année mil deux cent soixante-dix, leur naquit cette enfant. Au berceau, elle donna un signe non ordinaire de sa sainteté future, car on l’entendit prononcer spontanément de ses lèvres vagissantes les très doux noms de Jésus et de Marie. Dès l’enfance, elle s’adonna tout entière aux vertus chrétiennes et y excella de telle sorte que saint Alexis, son oncle paternel, dont elle suivait les instructions et les exemples, n’hésitait pas à dire à sa mère qu’elle avait enfanté un ange et non pas une femme. Son visage, en effet, était si modeste, son cœur resta si pur de la plus légère tache, que jamais, dans tout le cours de sa vie, elle ne leva les yeux pour considérer le visage d’un homme, que le seul mot de péché la faisait trembler et qu’il advint un jour qu’au récit d’un crime, elle tomba soudain presque inanimée. Elle n’avait pas encore achevé sa quinzième année, que, renonçant aux biens considérables qui lui venaient de sa famille et dédaignant les alliances d’ici-bas, elle voua solennellement à Dieu sa virginité entre les mains de saint Philippe Béniti, et la première reçut de lui, l’habit dit des Mantellates.

Cinquième leçon. L’exemple de Julienne fut suivi par beaucoup de nobles femmes, et l’on vit sa mère elle-même se ranger sous la direction de sa fille. Aussi, leur nombre augmentant peu à peu, elle établit ces Mantellates en Ordre religieux, leur donnant pour vivre pieusement, des règles qui révèlent sa sainteté et sa haute prudence. Saint Philippe Béniti connaissait si bien ses vertus que, sur le point de mourir, il ne crut pouvoir recommander à personne mieux qu’à Julienne non seulement les religieuses, mais l’Ordre entier des Servîtes, dont il avait été le propagateur et le chef. Cependant elle n’avait sans cesse que de bas sentiments d’elle-même ; maîtresse des autres, elle servait ses sœurs dans toutes les occupations domestiques même les plus viles. Passant des jours entiers à prier, elle était très souvent ravie en extase. Elle employait le temps qui lui restait, à apaiser les discordes des citoyens, à retirer les pécheurs de leurs voies mauvaises et à soigner les malades, auxquels, plus d’une fois, elle rendit la santé en exprimant avec ses lèvres le pus qui découlait de leurs ulcères. Meurtrir son corps par les fouets, les cordes à nœuds, les ceintures de fer, prolonger ses veilles ou coucher sur la terre nue lui était habituel. Chaque semaine, pendant deux jours, elle n’avait pour seule nourriture que le pain des Anges ; le samedi, elle ne prenait que du pain et de l’eau, et, les quatre autres jours, elle se contentait d’une petite quantité d’aliments grossiers.

Sixième leçon. Cette vie si dure lui occasionna une maladie d’estomac qui s’aggrava et la réduisit à l’extrémité alors qu’elle était dans sa soixante-dixième année. Elle supporta d’un visage joyeux et d’une âme ferme les souffrances de cette longue maladie ; la seule chose dont elle se plaignit, c’était que, ne pouvant retenir aucune nourriture, le respect dû au divin Sacrement la tint éloignée de la table eucharistique. Dans son angoisse, elle pria le Prêtre de consentir au moins à lui apporter ce pain divin que sa bouche ne pouvait recevoir et à l’approcher de sa poitrine. Le Prêtre, ayant acquiescé à son désir, à l’instant même, ô prodige ! Le pain sacré disparut et Julienne expira, le visage plein de sérénité et le sourire aux lèvres. On connut le miracle lorsque le corps de la Vierge dut être préparé selon l’usage pour la sépulture : on trouva, en effet, au côté gauche de la poitrine, imprimée sur la chair comme un sceau, la forme d’une hostie représentant l’image de Jésus crucifié. Le bruit de cette merveille et de ses autres miracles lui attira la vénération non seulement des habitants de Florence, mais de tout l’univers chrétien ; et cette vénération s’accrut tellement pendant près de quatre siècles entiers, qu’enfin le Pape Benoît XIII ordonna qu’au jour de sa Fête il y eût un Office propre dans tout l’Ordre des servites de la Bienheureuse Vierge Marie. Sa gloire éclatant de jour en jour par de nouveaux miracles, Clément XII, protecteur généreux du même Ordre, inscrivit Julienne au catalogue des saintes Vierges.

 

Miraculeusement munie du viatique sacré, Julienne achève aujourd’hui son pèlerinage ; elle se présente aux portes du ciel, montrant sur son cœur l’empreinte laissée par l’Hostie. Florence, où elle naquit, voit briller d’un éclat nouveau le lis qui resplendit sur ses armes ; d’autres sont déjà venus, d’autres viendront encore manifester, par les sublimes vertus pratiquées en ses murs, que l’Esprit d’amour se complaît dans la ville des fleurs. Qui dira la gloire des montagnes formant à la noble cité cette couronne que les hommes admirent, et que les anges trouvent plus splendide encore ? Vallombreuse, et, par delà, Camaldoli, l’Alverne : forteresses saintes, au pied desquelles tremble l’enfer ; réservoirs sacrés des grâces de choix, gardés par les séraphins ! De là, plus abondantes et plus pures que les flots de l’Arno, s’épanchent sur cette heureuse contrée les eaux vives du salut.

Trente-sept années avant la naissance de Julienne, il sembla que Florence allait devenir, sous l’influence d’un tel voisinage, un paradis nouveau : tant la sainteté y parut commune, tant les prodiges s’y vulgarisèrent. Sous les yeux de l’enfer en furie, la Mère de la divine grâce, aimée, chantée par ses dévots clients, multipliait ses dons. Au jour de son Assomption, sept personnages des plus en vue par la noblesse, la fortune et les charges publiques, avaient été soudain remplis d’une flamme céleste qui les portait à se consacrer sans partage au culte de Notre-Dame ; bientôt, sur le passage de ces hommes disant adieu au monde, les enfants à la mamelle s’écriaient tout d’une voix dans la ville entière : « Voici les serviteurs de la Vierge Marie ! » Parmi les innocents dont la langue se déliait ainsi pour annoncer les mystères divins, était un nouveau-né de l’illustre famille des Benizi ; on le nommait Philippe, et il avait vu le jour en cette fête même de l’Assomption où Marie venait de fonder, pour sa louange et celle de son Fils, le très pieux Ordre des Servîtes.

Nous aurons à revenir sur cet enfant, qui fut le propagateur principal du nouvel Ordre ; car l’Église célèbre sa naissance dans le ciel au lendemain de l’Octave de la grande fête qui le vit naître ici-bas. Il devait être devant Dieu le père de Julienne. En attendant, les sept conviés de Marie au festin de la pénitence, tous fidèles jusqu’à la mort, tous inscrits eux-mêmes au catalogue des Saints, s’étaient retirés à trois lieues de Florence au désert du mont Senario. Là, Notre-Dame mit sept années à les former au grand dessein dont ils étaient, à leur insu, les instruments prédestinés. Durant un si long temps, selon le procédé divin tant de fois relevé par nous en ces jours, l’Esprit-Saint commença par éloigner d’eux toute autre pensée que celle de leur propre sanctification, les employant à la mortification des sens et de l’esprit dans l’exclusive contemplation des souffrances du Seigneur et de sa divine Mère. Deux d’entre eux descendaient chaque jour à la ville, pour y mendier leur pain et celui de leurs compagnons. L’un de ces mendiants illustres était Alexis Falconiéri, le plus avide d’humiliations parmi les sept. Son frère, qui continuait d’occuper un des principaux rangs parmi les citoyens, était digne du bienheureux et s’honorait de ces héroïques abaissements. Aussi le vit-on, avec le concours de la religieuse cité sans distinction de classes, doter d’une magnifique église la pauvre retraite que les solitaires du mont Senario avaient fini par accepter, comme pied-à-terre, aux portes de Florence.

Pour honorer le mystère où leur auguste Souveraine s’était elle-même déclarée la servante du Seigneur, les Servites de Marie voulurent qu’on y représentât sur la muraille la scène où Gabriel salua pleine de grâce dans son humilité l’impératrice de la terre et des cieux. L’Annonciade fut le nom du nouveau monastère, qui devint le plus considérable de l’Ordre. Entre les merveilles que la richesse et l’art des siècles suivants ont réunies dans son enceinte, le principal trésor reste toujours cette fresque primitive dont le peintre, moins habile que dévot à Marie, mérita d’être aidé par les anges. D’insignes faveurs, descendant sans interruption de l’image bénie, amènent jusqu’en nos temps la foule à ses pieds ; si la ville des Médicis et des grands-ducs, englobée dans le brigandage universel de la maison de Savoie, a gardé mieux que plusieurs autres l’ardente piété des beaux temps de son histoire, elle le doit à son antique madone, et à ses saints qui semblent composer à Notre-Dame un cortège d’honneur.

Ces détails étaient nécessaires pour faire mieux comprendre le récit abrégé où l’Église renferme la vie de notre Sainte. Née d’une mère stérile et d’un père avancé en âge, Julienne fut la récompense du zèle que ce père, Carissimo Falconiéri, avait déployé pour l’Annonciade. C’est près de la sainte image qu’elle devait vivre et mourir ; c’est près d’elle encore que reposent aujourd’hui ses reliques sacrées. Élevée par saint Alexis, son oncle, dans l’amour de Marie et de l’humilité, elle se dévoua dès son plus jeune âge à l’Ordre qu’avait fondé Notre-Dame, n’ambitionnant qu’un titre d’oblate, qui lui permît de servir au dernier rang les serviteurs et servantes de la Mère de Dieu ; c’est ainsi que, plus tard, elle fut reconnue comme institutrice du tiers-ordre des Servites, et se vit à la tête de la première communauté des Mantelées ou tertiaires de son sexe. Mais son influence auprès de Dieu s’étendit bien plus, et l’Ordre entier la salue comme sa mère ; car ce fut elle qui véritablement acheva l’œuvre de sa fondation, et lui donna stabilité pour les siècles à venir.

L’Ordre, en effet, que quarante années de miraculeuse existence et le gouvernement de saint Philippe Benizi avaient merveilleusement étendu, traversait alors une crise suprême, d’autant plus redoutable que de Rome même partait la tempête. Il s’agissait d’appliquer partout les canons des conciles de Latran et de Lyon, qui prohibaient l’introduction d’Ordres nouveaux dans l’Église ; l’établissement des Servites étant postérieur au premier de ces conciles, Innocent V résolut leur suppression. Déjà défense avait été faite aux supérieurs de recevoir aucun novice à la profession ou à la vêture ; et, en attendant la sentence définitive, les biens de l’Ordre étaient considérés d’avance comme dévolus au Saint-Siège. Philippe Benizi allait mourir, et Julienne n’avait pas quinze ans. Toutefois, éclairé d’en haut, le saint n’hésita pas : il confia l’Ordre à Julienne, et s’endormit dans la paix du Seigneur. L’événement justifia sa confiance : à la suite de péripéties qu’il serait long de rapporter, Benoît XI, en 1304, donnait aux Servîtes la sanction définitive de l’Église. Tant il est vrai que dans les conseils de la Providence ne comptent ni le rang, ni le sexe, ni l’âge ! La simplicité d’une âme qui a blessé le cœur de l’Époux, est plus forte en son humble soumission que l’autorité la plus haute, et sa prière ignorée prévaut sur les puissances même établies de Dieu.

Servir Marie était, ô Julienne, la seule noblesse qui arrêtât vos pensées ; partager ses douleurs, la récompense unique qu’ambitionnât en ses abaissements votre âme généreuse. Vos vœux furent satisfaits. Mais, du haut de ce trône où elle règne maintenant sur les hommes et les anges, celle qui se confessa la servante du Seigneur et vit Dieu regarder sa bassesse, voulut aussi vous exalter comme elle-même au-dessus des puissants. Trompant l’obscurité silencieuse où vous aviez résolu de faire oublier l’éclat humain de votre naissance, votre gloire sainte éclipsa bientôt l’honneur, pourtant si pur, qui s’attachait dans Florence au nom de vos pères ; c’est à vous, humble tertiaire, servante des serviteurs de Notre-Dame, que le nom des Falconiéri doit d’être aujourd’hui connu dans le monde entier. Bien mieux : au pays des vraies grandeurs, dans la cité céleste où l’Agneau, par ses rayons inégalement distribués sur le front des élus, constitue les rangs de la noblesse éternelle, vous brillez d’une auréole qui n’est rien moins qu’une participation de la gloire de Marie. Comme elle fit en effet pour l’Église après l’Ascension du Seigneur, vous-même, en ce qui touche l’Ordre glorieux des Servîtes, laissant à d’autres l’action qui paraît au dehors et l’autorité qui régit les âmes, n’en fûtes pas moins dans votre humilité la maîtresse et la mère de la famille nouvelle que Dieu s’était choisie. Plus d’une fois dans le cours des âges la divine Mère voulut ainsi glorifier ses imitatrices, en faisant d’elles jusque-là, contre leur attente, ses copies très fidèles. Dans la famille confiée à Pierre par son divin Fils, Notre-Dame était la plus soumise au gouvernement du vicaire de l’Homme-Dieu et des autres Apôtres ; tous cependant savaient qu’elle était leur reine, et la source des grâces d’affermissement et d’accroissement répandues sur l’Église. De même, ô Julienne, la faiblesse du sexe et de l’âge n’empêcha point un Ordre puissant de vous proclamer sa lumière et sa gloire, parce que le Très-Haut, libre en ses dons, voulut accorder à votre jeunesse les résultats refusés à la maturité, au génie, à la sainteté de Philippe Benizi votre père.

Continuez votre aide à la famille pieuse des Servîtes de Marie. Étendez votre assistance bénie à tout l’Ordre religieux si éprouvé de nos jours. Que Florence garde par vos soins, comme son souvenir le plus précieux, celui des faveurs de Notre-Dame et des saints qu’a produits en elle la foi des vieux âges. Que toujours l’Église ait à chanter, pour des bienfaits nouveaux, la puissance que l’Époux divin daigna vous octroyer sur son Cœur. En retour de la faveur insigne par laquelle il voulut couronner votre vie et consommer en vous son amour, soyez propice à nos derniers combats ; obtenez-nous de ne point mourir sans être munis du viatique sacré. L’Hostie sainte, proposée par une autre Julienne à nos adorations plus spéciales en ces jours, illumine de ses feux toute cette partie du Cycle. Qu’elle soit l’amour de notre vie entière ; qu’elle nous fortifie dans la lutte suprême. Puisse notre mort être aussi le passage heureux du banquet divin d’ici-bas aux délices de l’union éternelle.

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Dimanche dans l’Octave du Sacré-Cœur

18 Juin 2023 , Rédigé par Ludovicus

Dimanche dans l’Octave du Sacré-Cœur

Introït

Jetez un regard sur moi et ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis seul et pauvre, voyez mon humiliation et mon labeur et pardonnez-moi tous mes péchés. Vers vous, Seigneur, j’ai élevé mon âme, ô mon Dieu, en vous je me confie, je ne serai pas confondu.

Collecte

Dieu, protecteur de ceux qui espèrent en vous, et sans lequel il n’y a rien de ferme, ni de saint : multipliez sur nous vos miséricordes ; afin que, sous votre loi et votre conduite, nous passions de telle sorte par les biens temporels, que nous ne perdions pas les éternels.

Épitre 1. P 5, 6-11

Mes bien-aimés : Humiliez-vous donc sous la puissante main de Dieu, afin qu’il vous élève au temps de sa visite ; vous déchargeant sur lui de tous vos soucis, car c’est lui qui prend soin de vous. Soyez sobres et veillez ; car votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui il pourra dévorer. Résistez-lui, demeurant fermes dans la foi, sachant que vos frères qui sont dans le monde souffrent les mêmes afflictions que vous. Le Dieu de toute grâce, qui nous a appelés dans le Christ Jésus à son éternelle gloire, lui-même vous perfectionnera, vous affermira et vous fortifiera, après que vous aurez un peu souffert. A lui soient la gloire et l’empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Évangile Lc. 15, 1-10

En ce temps-là : les publicains et les pécheurs s’approchaient de Jésus pour l’écouter. Et les pharisiens et les scribes murmuraient, en disant : Cet homme accueille les pécheurs, et mange avec eux. Alors il leur dit cette parabole : Quel est l’homme parmi vous qui a cent brebis, et qui, s’il en perd une, ne laisse les quatre-vingt-dix neuf autres dans le désert, pour s’en aller après celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la trouve ? Et lorsqu’il l’a trouvée il la met sur ses épaules avec joie ; et venant dans sa maison, il appelle ses amis et ses voisins, et leur dit : Réjouissez-vous avec moi car j’ai trouvé ma brebis qui était perdue. Je vous le dis, il y aura de même plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui fait pénitence, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence. Ou quelle est la femme qui, ayant dix drachmes, si elle en perd une, n’allume la lampe, ne balaie la maison, et ne cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle la trouve ? Et lorsqu’elle l’a trouvée, elle appelle ses amies et ses voisines, et leur dit : Réjouissez-vous avec moi, car j’ai trouvé la drachme que j’avais perdue. De même, je vous le dis, il y aura de la joie parmi les anges de Dieu, pour un seul pécheur qui fait pénitence.

Secrète

Regardez, Seigneur, ces dons de l’Église qui vous supplie, et accordez aux croyants de les recevoir toujours saintement pour leur salut.

Office

4e leçon

Des Encycliques du Pape Pie XI

Parmi toutes ces pratiques de la dévotion au Sacré-Cœur, il en est une remarquable qui mérite d’être signalée, c’est la pieuse consécration par laquelle, offrant à Dieu nos personnes et tous les biens que nous tenons de son éternelle bonté, nous les vouons au divin Cœur de Jésus. A tous ces hommages, il faut ajouter encore autre chose : à savoir l’amende honorable ou la réparation selon l’expression courante à offrir au Cœur sacré de Jésus. Si, dans la consécration, le but premier et principal pour la créature est de rendre à son Créateur amour pour amour, il s’ensuit naturellement qu’elle doit offrir à l’égard de l’amour incréé une compensation pour l’indifférence, l’oubli, les offenses, les outrages, les injures qu’il subit : c’est ce qu’on appelle couramment le devoir de la réparation.

5e leçon

Si les mêmes raisons nous obligent à ce double devoir, cependant le devoir de réparation et d’expiation s’impose en vertu d’un motif encore plus impérieux de justice et d’amour : de justice d’abord, car l’offense faite à Dieu par nos crimes doit être expiée, et l’ordre violé doit être rétabli par la pénitence ; mais d’amour aussi, car nous devons "compatir au Christ souffrant et saturé d’opprobres", et lui offrir, selon notre petitesse, quelque consolation. Tous nous sommes des pécheurs ; de nombreuses fautes nous chargent ; nous avons donc l’obligation d’honorer Dieu non seulement par notre culte, par une adoration qui rend à sa Majesté suprême de légitimes hommages, par des prières qui reconnaissent son souverain domaine, par des louanges et des actions de grâces pour son infinie bonté ; mais à ce Dieu juste vengeur nous avons encore le devoir d’offrir satisfaction pour nos innombrables péchés, offenses et négligences. Ainsi à la consécration, par laquelle nous nous donnons à Dieu et qui nous mérite d’être voués à Dieu, avec la sainteté et la stabilité qui, suivant l’enseignement du Docteur angélique] sont le propre de la consécration, il faut donc ajouter l’expiation qui répare entièrement les péchés, de peur que, dans sa sainteté, la Souveraine Justice ne nous repousse pour notre impudente indignité et, loin d’agréer notre offrande, ne la rejette.

6e leçon

En fait, ce devoir d’expiation incombe au genre humain tout entier. Comme nous l’enseigne la foi chrétienne, après la déplorable chute d’Adam, l’homme, infecté de la souillure originelle, esclave de la concupiscence et des plus lamentables dépravations, se trouva ainsi voué à la perte éternelle. De nos jours, des savants orgueilleux nient ces vérités et, s’inspirant de la vieille erreur de Pélage, vantent des vertus innées de la nature humaine qui la conduiraient, par ses seules forces, jusqu’aux cimes les plus élevées. Ces fausses théories de l’orgueil humain, l’Apôtre les réfute en nous rappelant que, par nature, nous étions enfants de colère. Dès les débuts, en réalité, la nécessité de cette expiation commune a été reconnue, puisque, cédant à un instinct naturel, les hommes se sont efforcés d’apaiser Dieu par des sacrifices même publics.

7e leçon

Homélie de saint Grégoire, Pape

Vous avez entendu, mes frères, dans la lecture de l’Évangile, que les pécheurs et les publicains s’approchèrent de notre Rédempteur, et qu’ils furent admis non seulement à s’entretenir, mais encore à manger avec lui. Voyant cette condescendance, les Pharisiens en conçurent du dédain pour le Sauveur. Il ressort de ce fait que la vraie justice est compatissante ; la fausse justice, dédaigneuse. Ce n’est pas que les justes ne montrent quelquefois, et avec raison, de l’indignation contre les pécheurs ; mais les actions qu’inspiré le zèle de la foi sont bien différentes de celles que provoque l’orgueil.

8e leçon

Les justes ont de l’indignation, mais comme s’ils n’en avaient point ; ils désespèrent des pécheurs, comme n’en désespérant point ; ils les poursuivent, mais c’est en les aimant ; car si le zèle du bien leur met souvent aux lèvres des réprimandes, ils conservent néanmoins au dedans la douceur de la charité. Ils mettent la plupart du temps au-dessus d’eux-mêmes, dans leur estime, ceux qu’ils reprennent, et ils croient meilleurs qu’eux-mêmes ceux dont ils sont établis les juges ; de la sorte, en contenant leurs inférieurs par la discipline, ils se conservent eux-mêmes par l’humilité.

9e leçon

Au contraire, ceux qui s’enorgueillissent d’une fausse justice, méprisent les autres, sans condescendre avec miséricorde à leur faiblesse, et par là même qu’ils ne se croient pas pécheurs, ils deviennent plus coupables. Les Pharisiens étaient assurément de ce nombre, car, en blâmant le Seigneur de ce qu’il accueillait les pécheurs, ils reprenaient avec leur cœur desséché, la source même de la miséricorde. Mais parce qu’ils étaient malades au point d’ignorer leur mal, le céleste médecin les traite par de doux remèdes, leur présente une touchante parabole, et presse dans leur cœur la tumeur qu’ils y portent.

ÉPÎTRE.

Les misères de cette vie sont l’épreuve que Dieu fait subir à ses soldats, pour les juger et les classer dans l’autre selon leur valeur. Aussi tous, en ce monde, ont leur part de souffrances. Le concours est ouvert, le combat engagé ; l’Arbitre des jeux regarde et compare : bientôt il prononcera sur les mérites divers des combattants, et les appellera du labeur de l’arène au repos du trône où il siège lui-même. Heureux alors ceux qui, reconnaissant la main de Dieu dans l’épreuve, se seront abaissés sous cette main puissante avec amour et confiance ! Contre ces âmes fortes dans la foi, le lion rugissant n’aura pu prévaloir. Sobres et vigilantes dans cette carrière de leur pèlerinage, sans se poser en victimes, sachant bien que tout souffre ici-bas, elles auront uni joyeusement leurs souffrances à celles du Christ, et elles tressailliront dans la manifestation éternelle de sa gloire qui sera aussi leur partage pour les siècles sans fin.

ÉVANGILE.

Cette parabole de la brebis rapportée au bercail sur les épaules du Pasteur était chère aux premiers chrétiens ; on la rencontre partout dans les monuments figures des premiers siècles. En même temps qu’elle continue d’affermir notre confiance dans la miséricorde infinie, elle nous rappelle ineffablement le Seigneur Jésus qui naguère rentrait triomphalement dans les cieux, portant avec lui l’humanité perdue et reconquise. « Car quel est ce Pasteur de notre parabole, s’écrie saint Ambroise, sinon le Christ qui te porte en son corps et a pris sur lui tes péchés ? Cette brebis est une par le genre, non par le nombre. Riche Pasteur, dont nous tous formons la centième partie du troupeau ! Car il a les Anges, il a les Archanges, les Dominations, les Puissances, les Trônes, et le reste, innombrables troupeaux qu’il a laissés sur les montagnes, pour courir après la brebis perdue ».

Mais c’est à saint Grégoire que l’Église demandait aujourd’hui, dans l’Office de la nuit, le commentaire de l’Évangile ; la suite de l’Homélie qu’elle lui emprunte complète l’enseignement, par l’explication de la parabole de la femme et des dix drachmes.

« Celui qui est signifié par le Pasteur », dit saint Grégoire le Grand, « l’est aussi par la femme. Car il est Dieu, et il est la Sagesse de Dieu. Et parce que l’image du prince est requise sur la drachme, la femme (mulier) a perdu sa drachme, lorsque l’homme, créé à l’image de Dieu, s’est éloigné par le péché de la ressemblance de son Créateur. Mais la femme allume sa lampe, la divine Sagesse apparaît dans l’humanité. Lampe en effet dit lumière dans un vase d’argile ; et la lumière dans l’argile, c’est la divinité dans la chair. De cette argile de son corps, la Sagesse dit elle-même : Ma force a séché comme l’argile. Car de même que l’argile durcit au feu, sa force a séché comme l’argile, parce qu’elle a affermi pour la gloire de la résurrection, dans le creuset des souffrances, la chair qu’elle avait prise. Ayant donc retrouvé la drachme perdue, elle convoque ses amies et ses voisines, disant : Réjouissez-vous avec moi, car j’ai retrouvé la drachme que j’avais perdue. Quelles sont ces amies sinon les célestes Puissances, d’autant plus voisines de la Sagesse éternelle, qu’elles s’en approchent dans la gloire d’une vision sans fin ? Mais nous ne devons pas négliger de rechercher pourquoi cette femme, qui figure l’éternelle Sagesse, a dix drachmes, dont elle retrouve l’une, après l’avoir perdue. Il faut donc savoir que le Seigneur a créé, pour le connaître éternellement, la nature des anges et des hommes, et qu’il a fait cette double nature à son image. La femme en conséquence eut dix drachmes ; car neuf est le chiffre des chœurs des anges, et l’homme fut créé dixième pour parfaire le nombre des élus ; séparé de son Créateur, il ne fut point perdu sans retour, parce que la divine Sagesse, revêtant chair, fit briller à ses yeux sa douce lumière à travers l’argile »

 

 

 

 

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Samedi dans l’Octave du Sacré-Cœur

17 Juin 2023 , Rédigé par Ludovicus

Samedi dans l’Octave du Sacré-Cœur

Collecte

 Dieu, qui dans le cœur de votre Fils, blessé par nos péchés, nous prodiguez avec miséricorde des trésors infinis de charité, faites qu’en lui rendant le fervent hommage de notre amour, nous lui offrions aussi nos devoirs de juste réparation

Office

4e leçon

Des Encycliques du Pape Pie XI

Parmi les nombreuses preuves de l’infinie bonté de notre Sauveur, il en est une qui brille d’un éclat tout particulier. Alors que la charité des fidèles allait se refroidissant, ce fut la charité même de Dieu qui se proposa pour être honorée d’un culte spécial, et les trésors de sa bonté se répandirent largement, grâce à la forme du culte rendu au Cœur sacré de Jésus, dans lequel sont cachés tous les trésors de la science et de la sagesse. Jadis, à la sortie de l’arche de Noé, Dieu notifia par un signe son pacte d’amitié avec le genre humain, en faisant briller un arc resplendissant dans les nuées. De même, à l’époque si troublée où se répandait l’hérésie, perfide entre toutes, du jansénisme qui étouffait l’amour et la piété dus à Dieu, en le présentant moins comme un Père digne d’amour que comme un juge à craindre pour sa sévérité implacable, Jésus vint, dans sa bonté infinie, nous montrer son Cœur sacré tel un symbole de paix et de charité offert aux regards des peuples ; c’était un gage assuré de victoire dans les combats.

5e leçon

Aussi Notre prédécesseur d’heureuse mémoire, Léon XIII, considérant justement, dans sa Lettre encyclique Annum sacrum, l’admirable opportunité du culte envers le Cœur sacré de Jésus, n’hésitait pas à dire : « Quand l’Église, encore toute proche de ses origines, gémissait sous le joug des Césars, une croix apparut dans le ciel à un jeune empereur ; elle était le présage et la cause d’un insigne et prochain triomphe. Aujourd’hui, un autre symbole divin d’heureux augure apparaît à nos yeux : c’est le Cœur très sacré de Jésus, surmonté de la croix et resplendissant d’un éclat incomparable au milieu des flammes. Nous devons placer en lui toutes nos espérances, c’est à lui que nous devons demander le salut des hommes, et c’est de lui qu’il faut l’attendre ».

6e leçon

Et c’est à juste titre. Car ce signe éminemment propice et la forme de dévotion qui en découle ne renferment-ils point la synthèse de la religion et la norme d’une vie d’autant plus parfaite qu’elle achemine les âmes à connaître plus profondément et plus rapidement le Christ Seigneur, à l’aimer plus ardemment et à l’imiter avec plus d’application et plus d’efficacité ? Qu’on ne s’étonne point dès lors que Nos prédécesseurs aient constamment défendu cette forme si excellente de dévotion contre les accusations de ses détracteurs, qu’ils l’aient couverte de louanges et qu’ils aient mis tout leur zèle à la propager, suivant les exigences des temps et des lieux. Sous le souffle de Dieu, la piété des fidèles envers le Cœur sacré de Jésus n’a point cessé de croître.

7e leçon

Homélie de saint Jean Chrysostome

Voyez-vous quelle est la force de la vérité ? C’est par le soin même des Juifs que s’accomplit la prophétie. C’est par eux encore qu’une autre prophétie reçoit son accomplissement. Car les soldats vinrent et brisèrent les jambes des autres, mais non celles du Christ. Cependant, afin de plaire aux Juifs, ils percent son côté d’une lance, et ainsi outragent un cadavre. O crime horrible et maudit ! Mais ne vous laissez pas troubler et abattre, mon ami. Car les actes mêmes qu’ils accomplissent par une volonté perverse, militent en faveur de la vérité. Il existait en effet une prophétie qui disait : « Ils regarderont celui qu’ils auront transpercé ». Et ce n’est pas tout, car cet attentat devint encore un argument de foi pour ceux qui devaient douter, comme Thomas et autres semblables. En même temps se consommait un mystère ineffable ; car « il sortit du sang et de l’eau ». Ce n’est pas sans raison et par hasard que jaillirent ces sources : mais parce que d’elles deux fut constituée l’Église.

8e leçon

Ils le savent les initiés qui sont régénérés par l’eau et se nourrissent du Sang et de la Chair. C’est là que prennent leur source les saints mystères : aussi lorsque vous approchez de la coupe redoutable, venez comme si vous alliez boire à ce côté même. « Et celui qui a vu en rend témoignage, et son témoignage est vrai ». C’est-à-dire je ne l’ai pas entendu d’autres, mais je l’ai vu moi-même étant présent, et mon témoignage est vrai. Et c’est tout naturel : car c’est un acte outrageant qu’il raconte ; il ne raconte rien de grand ni de merveilleux, qui vous puisse faire suspecter sa parole. Mais, fermant la bouche aux hérétiques, il annonce les mystères à venir, considère le trésor qu’ils renferment et rapporte minutieusement ce qui s’est passé. Elle s’accomplit encore cette autre prophétie : « On ne brisera aucun de ses os ». Si en effet cela fut dit de l’agneau des Juifs, c’est pourtant en vue de la réalité que la figure a précédé, et elle s’est ici plus pleinement accomplie. Voilà pourquoi il fait intervenir le prophète.

9e leçon

En effet, comme, se mettant lui-même en avant, il pouvait ne pas sembler digne de foi, il allègue Moïse, donnant à entendre que ceci ne s’était pas produit par hasard, mais avait été annoncé autrefois. Et voici ce qui a été dit : « On ne brisera aucun de ses os ». Et à son tour l’évangéliste confirme par lui-même le témoignage du prophète. Ce que j’ai raconté, dit-il, c’est afin que vous appreniez l’étroite parenté qui unit la figure et la réalité. Voyez-vous quel soin il prend, afin que l’on ajoute foi à ce qui paraît ignominieux et déshonorant ? L’outrage fait par le soldat à un cadavre était beaucoup plus grand que celui de la crucifixion. Néanmoins je l’ai narré aussi, dit-il, et je l’ai narré avec grand soin, « afin que vous croyez ». Que nul ne refuse donc sa foi, et n’aille, par un sentiment de honte, compromettre notre cause. Car les faits qui semblent les plus ignominieux sont les plus vénérables de nos biens.

Préambule

Le cœur étant le symbole de l’amour, c’est l’ardent amour de Jésus qu’on honore en vénérant son Cœur de chair.

Cet amour s’est particulièrement manifesté lors de la passion du Sauveur car il a dit lui-même : « Personne n’a de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’il aime ».

Sa vie il l’a offerte pour nous sur la croix en expiation de nos fautes, pour nous réconcilier avec son Père en nous obtenant son pardon et la vie de la grâce qui est celle des enfants de Dieu.

C’est ainsi que le Cœur de Jésus nous est représenté blessé par la lance d’un soldat et répandant du sang et de l’eau, symboles des sacrements par lesquels la grâce divine se répand dans nos âmes.

Pie XII a particulièrement insisté, dans son Encyclique Haurietis aquas (1956) sur ce cœur transpercé qui met en évidence le caractère sacerdotal et sacrificiel de l’œuvre rédemptrice, consommée sur la croix et dont le Christ, glorieux dans les cieux, renouvelle l’oblation par le ministère de ses prêtres sur les autels du monde entier.

Cette œuvre à la fois d’amour (cœur) et de réparation (blessure) exige de notre part, comme le dit l’oraison de ce jour : « Que nous lui rendions le fervent hommage de notre amour et que nous lui offrions aussi le devoir d’une juste satisfaction ».

1 et 2 : Aux sources de l’Ancien et du Nouveau Testament.

La liturgie fait ressortir l’amour miséricordieux, qui émane du Cœur de Jésus et nous a valu le salut, en puisant dans le psautier quelques-uns des éléments du propre de la messe de ce jour :

Introït : Psaume 32, 11-19. « Les desseins de son cœur subsistent d’âge en âge ; arracher leur âme à la mort, et les faire vivre au temps de la famine ».

Le cœur de Dieu, par où on entend son amour, a formé de toute éternité le dessein d’arracher le genre humain à la mort éternelle, juste châtiment de la faute d’Adam et des hommes qu’il avait prévue dans sa prescience divine.

Au cours des âges ce miséricordieux dessein de Dieu a toujours prévalu malgré l’opposition que lui ont faite les pécheurs.

Et aux temps messianiques, ainsi préparés par la Providence divine, cette charité toute gratuite de Dieu s’est manifestée avec surabondance par tous les événements de la vie du Fils de Dieu fait homme dont l’Église poursuit l’œuvre et la poursuivra jusqu’à la fin des temps.

Le sacrifice du Calvaire et son prolongement par le sacrifice de la messe sont les deux foyers de cette immense charité du Cœur du Christ. La mort du divin crucifié, nous préserve de la mort du péché et de ses conséquences funestes. L’Eucharistie alimente nos âmes et les préserve de la mort spirituelle.

Verset : Psaume 32, 1. « Justes, réjouissez-vous dans le Seigneur, la louange sied aux cœurs droits ».

A la pensée de cet amour immense et incessant de Dieu et de son Christ à notre égard, comment ne pas exulter de joie et glorifier le Seigneur.

Graduel : Psaume 24, 8-9. « Le Seigneur est bon et juste ; aux égarés il montre le chemin. Il fait marcher les humbles dans la droiture ; aux malheureux il enseigne sa voie ».

David exprima dans ce psaume combien grande était sa confiance en Dieu qui lui a toujours fait connaître ses voies et donné ses enseignements comme règle de vie.

L’Église fait nôtres ces élans de l’âme du Roi-Prophète car le divin Maître a dit : Alléluia, Mt. 11, 29 : « Venez à moi, vous tous qui êtes las et surchargés et je vous soulagerai. Prenez sur vous mon joug, et recevez mes leçons car je suis doux et humble de cœur et vous trouverez le repos de vos âmes ».

Offertoire : PS. 68, 21. « L’opprobre m’a brisé le cœur, je suis perdu ; j’attendais la pitié, mais en vain, des consolateurs et je n’en ai point trouvé ».

Ce psaume est une douloureuse lamentation d’un serviteur de Dieu persécuté par ses ennemis.

C’est un psaume messianique qui traduit la grande souffrance du Christ au cours de sa passion.

Assumant devant son Père la responsabilité de tous les péchés des hommes, ses frères en humanité, il ressentit très vivement quel abîme les sépare du Dieu de toute sainteté. Et pour les en délivrer en expiant en toute justice à leur place, il voulut souffrir en quelque façon ce redoutable isolement qu’accentuèrent encore la haine de ses ennemis, la trahison de Judas, l’abandon de ses apôtres et l’indifférence ou la faiblesse de ceux qui, au lieu de lui venir en aide, le lâchèrent ou l’accablèrent de leurs injustes sarcasmes et avanies. Il prévit aussi à ce moment l’ingratitude future des hommes à son égard et l’inutilité de ses souffrances pour ceux qui, au cours des siècles, le rejetteront volontairement en mourant en état de péché mortel et en se détournant ainsi à jamais de lui-même et de son Père.

Ce refoulement de l’amour de Dieu par les pécheurs endurcis transperça, plus encore que la lance, son divin Cœur.

Jean parle en témoin dans l’Évangile, et le caractère d’authenticité qu’il donne à ce témoignage indique l’importance qu’il attache à ce que nous y croyons.

Il s’agit, en effet, de la réalisation de deux prophéties qui montrent aux fidèles que la nouvelle alliance dans le sang de Jésus, conclue sur le Golgotha, fait suite à l’ancienne alliance, conclue aussi dans le sang, au pied du Sinaï, et qu’en contemplant avec le regard de la foi la divine Victime qu’ils auront transpercée et en se lamentant sur elle, les hommes y trouveront une source de salut.

« Car, explique saint Jean, cela est arrivé pour que s’accomplît cette parole de l’Écriture : « Au-un de ses os ne sera brisé » ; et cette autre encore, qui dit : « ils regarderont celui qu’ils auront transpercé ».

Le premier oracle se rapporte à l’agneau pascal dont il était interdit de briser les os en raison même du caractère prophétique de cette victime qui figurait le véritable Agneau de Dieu, immolé sur la croix et reçu en nourriture à la table du Seigneur.

Jésus ne devait pas subir comme nous la décomposition du tombeau. Il devait y être déposé intact et ressusciter sans qu’il ait subi de mutilation.

Le second oracle fait allusion à un texte de Zacharie qui est messianique. « En ce jour-là je répandrai sur la maison de David et sur l’habitant de Jérusalem un esprit de bienveillance et de supplication. Ils regarderont vers Celui qu’ils ont transpercé ; ils se lamenteront sur lui comme on le fait pour un fils unique et ils pleureront comme on pleure un premier-né... En ce jour-là il y aura une source ouverte à la maison de David et aux habitants de Jérusalem, pour le péché et l’impureté »].

Ce Fils unique, ce premier-né d’entre beaucoup de frères, comme l’appelle saint Paul, c’est Jésus dont le côté et le cœur transpercé sont pour tous les hommes une source salutaire.

Le sang est l’instrument de propitiation.

Il fut répandu au calvaire pour notre rédemption et il est offert à Dieu chaque fois qu’on réalise le sacrifice eucharistique.

L’eau est le symbole de l’Esprit qui donne la fécondité spirituelle. « Celui qui croit en moi, a dit Jésus, des fleuves d’eau vive couleront de son sein. Il disait cela de l’Esprit que rêvaient recevoir ceux qui croiraient en lui ».

Et c’est en « naissant de l’eau et de l’Esprit » par le baptême que les âmes sont purifiées et remplies de la vie surnaturelle de la grâce.

Les Pères ont donc vu à juste titre dans ce sang et cette eau, qui ont jailli du côté de Jésus, le symbole des deux sacrements grâce auxquels l’Église, nouvelle Ève sortant du côté du nouvel Adam, vit, est nourrie et se propage.

3 : Aux sources de l’Église par le ministère de laquelle le Christ, unique grand-prêtre, continue l’œuvre de notre salut et nous y fait participer activement.

L’œuvre toute d’amour de Jésus, qui consista à arracher les âmes au démon pour les ramener, à titre d’enfants, dont il est comme homme aîné, à Dieu son Père dans le royaume des cieux, fut accomplie très méritoirement dans le passé, mais elle doit être mise à présent à notre portée pour que nous puissions en bénéficier.

C’est à l’Église qu’il revient de le faire sous la conduite de l’Esprit-Saint par lequel, du haut du ciel et dans l’eucharistie, Jésus lui-même continue inlassablement à travailler à notre salut.

La célébration des mystères du Sauveur dans le cadre des fêtes du cycle liturgique a été établie dans ce but, et l’Église convie tous les fidèles à y prendre part au moins chaque dimanche par une assistance active à la Sainte Messe.

Le calvinisme au XVIe siècle et le jansénisme au XVIIe, ayant prôné un christianisme où l’amour de Dieu pour tous les hommes était essentiellement défiguré, l’Église affirma le caractère universel et constant de cet amour en instituant la fête du Sacré-Cœur. Un premier office et une messe du Sacré-Cœur furent composés au XVIIe siècle par Saint Jean Eudes. A la suite des apparitions de notre Seigneur à Sainte Marguerite-Marie Alacoque en 1675, la fête du Sacré-Cœur, fut célébrée le Vendredi qui suit le 2e dimanche après la Pentecôte (et qui venait à cette époque après l’octave de la Fête-Dieu).

Étendue à toute l’Église par Pie IX en 1856, elle fut portée par Pie XI à un rang plus élevé.

Cette solennité récapitule toutes les phases de l’existence du Sauveur célébrées depuis l’Avent jusqu’à la Fête-Dieu. Ce Cœur que l’on adore, en tant qu’appartenant au Fils de Dieu auquel est dû le culte de latrie, fut formé dans le sein de la Vierge (Temps de l’Avent). C’est celui qui battait déjà d’amour pour nous dans la poitrine de l’enfant de la crèche et qui élaborait, dans l’atelier de Nazareth, le sang généreux qui circulait dans les veines du divin ouvrier (Temps de Noël) ; c’est celui que dévorait le zèle de la maison de Dieu et du salut des âmes lors des tournées apostoliques du Sauveur en Palestine (Temps du Carême) ; c’est celui qui ressentit les angoisses de l’agonie sanglante au jardin des Oliviers et qui, après avoir été transpercé (Temps de la Passion) ressuscita à une vie nouvelle et glorieuse (Pâques) ; et c’est celui enfin qui monta au ciel (Ascension) et qui chaque jour se rend présent sur nos autels où on le vénère dans l’Eucharistie (Fête-Dieu).

Le Cœur de Jésus, symbole de son amour, résume donc toute l’œuvre de la rédemption accomplie par le Sauveur. Sa fête, venant à la suite de la célébration de tous les mystères du Christ au cours de l’année, montre que c’est à l’immense charité du Fils de Dieu que nous devons notre salut. Elle évoque, dans une plénitude saisissante « la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur de cette charité » comme le dit l’épître de ce jour où saint Paul reprend les expressions suggérées par l’admiration de Job devant la sagesse divine .

L’apôtre, écrivant aux Éphésiens, évoque, en effet le mystérieux dessein du salut des hommes conçu de toute éternité par Dieu dont l’amour miséricordieux est sans limites.

C’est dans et par le Christ que cet amour du Père nous est révélé et c’est dans le Christ et par l’Esprit-Saint que cette incomparable œuvre de salut se réalise au sein de l’Église.

Unis vitalement au Christ, comme des membres à leur Chef, tous les hommes sans exception sont appelés à participer à la filiation du Verbe incarné et à devenir par lui, avec lui et en lui enfants du Père.

Cette paternité divine n’exclut personne. Par le Fils tous doivent aller au Père dans l’unité de l’Esprit. Unité de foi et d’amour qui constitue ce que saint Paul appelle l’homme intérieur et qui nous remplit, par l’effet de la grâce surnaturelle, de la plénitude même de Dieu.

C’est à cet Apôtre des Gentils qu’il revint de leur annoncer ce mystérieux dessein d’amour dont les anges eux-mêmes n’ont la révélation qu’au fur et à mesure de sa réalisation au cours des siècles. Et il en bénit le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ de qui il tire son nom toute paternité aux cieux et sur la terre.

Voilà du reste son contexte qui met en plein relief l’amour de Dieu en Jésus-Christ, objet formel de la fête de ce jour : « Oui, frères, à moi, le plus infime de tous les saints, a été donnée cette grâce d’annoncer aux païens l’insondable richesse du Christ, et de mettre en lumière le plan de ce mystère, tenu caché depuis l’origine des siècles en Dieu le créateur de toutes choses, afin que, par le moyen de l’Église soit maintenant révélée aux principautés et dominations qui sont dans les cieux la sagesse infiniment diverse de Dieu. Et cela, conformément à l’éternel dessein qu’il a réalisé dans le Christ Jésus notre Seigneur, qui nous donne, si nous avons foi en lui, la hardiesse de nous approcher de Dieu avec confiance. C’est pourquoi je fléchis les genoux devant le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, de qui tire son nom toute paternité aux cieux et sur la terre. Qu’il vous accorde, selon la richesse de sa gloire, d’être puissamment fortifiés par son Esprit, pour que grandisse en vous l’homme intérieur ; que le Christ habite en vos œuvres par la foi ; soyez enracinés dans la charité et fondés sur elle, afin de pouvoir comprendre avec tous les saints ce qu’est la largeur, la longueur, la hauteur et al profondeur, et connaître l’amour du Christ, qui défie toute connaissance. Ainsi serez-vous remplis de la plénitude même de Dieu ».

Si toute l’œuvre du Christ est une œuvre d’amour qui se concentre dans le Calvaire, puisque c’est là surtout qu’il a donné sa vie pour nous, ainsi que le montre son Cœur transpercé, c’est maintenant dans le Sacrifice eucharistique que cette charité divine se manifeste avec le plus d’intensité et d’efficacité puisque Jésus lui-même, par le ministère des prêtres, continue à s’y offrir pour que ses mérites soient appliqués à nos âmes.

L’Eucharistie est le sacrement suprême de l’amour qui unit toute la communauté chrétienne dans les liens de la charité du Christ et qui fait du divin Cœur le roi et le centre de tous les cœurs.

C’est par l’Eucharistie surtout, qui est à la fois sacrifice et sacrement, que renonçant de plus en plus à notre égoïsme nous nous ouvrons toujours davantage à la charité dont le Sacré-Cœur est le foyer brûlant et débordant. « A ceci, dit saint Jean, nous avons connu l’amour : c’est qu’il a donné sa vie pour nous. Nous devons donc à notre tour donner aussi notre vie pour nos frères ».

But final du drame rédempteur : l’apothéose céleste dont la liturgie est l’annonce, la préparation et le prélude ici-bas.

C’est en union avec le Sacré-Cœur, uni substantiellement au Verbe de Dieu, que les anges et les saints glorifient Dieu dans le ciel, et qu’ici-bas nous rendons au Père, notamment à la sainte messe, tout honneur et toute gloire.

Nous préludons par là à l’action de grâces et à la louange toute d’amour que, dans les effusions de l’Esprit-Saint, tous les élus ne cesseront d’adresser durant l’éternité, à la très Sainte Trinité pour le don ineffable qu’elle nous a fait du Sacré-Cœur, source de vie et de sainteté, propitiation pour nos péchés, source de toute consolation, notre vie et notre résurrection.

La fête de ce divin Cœur nous prépare donc à la béatitude céleste, elle en est comme un avant-goût. « Seigneur Jésus, demande l’Église dans la Postcommunion, que vos mystères sacrés suscitent en nous une ferveur divine, qui, nous faisant goûter la suavité de votre cœur très aimant, nous apprenne à mépriser les choses de la terre et à aimer celles du ciel ».

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Fête du Sacré Coeur

16 Juin 2023 , Rédigé par Ludovicus

Fête du Sacré Coeur

Collecte

Daignez accorder, Dieu tout-puissant : à nous qui nous glorifions dans le très saint Cœur de votre Fils bien aimé, et qui célébrons les bienfaits solennels de sa charité envers nous ; que nous trouvions notre joie dans leur accomplissement et dans les fruits qu’ils ont produits.

Lecture Is. 12, 1-6

Je vous louerai, Seigneur, qui avez été irrité contre nous ; car votre colère s’est arrêtée, et vous m’avez comblé de consolation. Voici le Dieu mon Sauveur, j’agirai avec confiance et je ne craindrai plus ; car le Seigneur est ma force, il est ma gloire, et il est devenu l’auteur de mon salut. Dans votre allégresse, vous puiserez les eaux jaillissantes aux fontaines du Sauveur, et en ce jour-là vous direz : Célébrez le Seigneur et invoquez son Nom. Souvenez-vous que son Nom est au-dessus de tout. Chantez au Seigneur pour les œuvres magnifiques qu’il a opérées ; annoncez-les à la terre entière. Tressaille et fais retentir tes louanges, ô ville de Sion ; car le Saint d’Israël est grand au milieu de toi.

Évangile Jn 19 ,31-35

En ce temps-là : Ce jour étant celui de la Préparation, afin que les corps ne demeurassent pas en croix durant le Sabbat (car ce Sabbat était un jour très solennel), les Juifs prièrent Pilate qu’on leur rompît les jambes, et qu’on les enlevât. Il vint donc des soldats qui rompirent les jambes du premier, puis de l’autre qui avait été crucifié avec lui. Étant venus à Jésus, et le voyant déjà mort, ils ne lui rompirent point les jambes ; mais un des soldats lui ouvrit le côté avec une lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau. Et celui qui le vit en rend témoignage, et son témoignage est vrai.

Office

4e leçon

Sermon de saint Bonaventure, Évêque.

Étant une fois venus au très doux Cœur de Jésus et comme il est bon d’être là, ne nous laissons pas facilement séparer de celui dont il est écrit : « Ceux qui se retirent de vous seront écrits sur la terre ». Mais quel sera le partage de ceux qui s’en approchent ? Vous nous l’apprenez vous-mêmes. Vous avez dit à ceux qui venaient à vous : « Réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux ». Approchons-nous donc de vous, et nous tressaillirons et nous nous réjouirons en vous, nous souvenant de votre Cœur. « Oh ! Qu’il est avantageux et qu’il est agréable d’habiter » dans ce Cœur ! Je donnerai volontiers toutes choses, toutes les pensées et les affections de mon âme en échange de ce trésor, jetant toutes mes sollicitudes dans le Cœur du Seigneur Jésus, et sans nul doute ce Cœur me nourrira.

5e leçon

C’est à ce temple, à ce Saint des saints, à cette Arche du Testament, que j’adorerai, et que je louerai le nom du Seigneur, disant avec David : J’ai trouvé mon cœur pour prier mon Dieu. Et moi j’ai trouvé le Cœur de mon Roi, mon frère et mon tendre ami, Jésus. Ne l’adorerai-je pas ? Ayant donc trouvé ce Cœur qui est le vôtre et le mien, ô très doux Jésus, je vous prierai, ô vous qui êtes mon Dieu. Daignez seulement recevoir mes supplications dans ce sanctuaire où vous exaucez, ou plutôt attirez-moi tout entier dans votre Cœur. O Jésus, dont la beauté surpasse toute beauté, « lavez-moi encore plus de mon iniquité, et purifiez-moi de mon péché », afin qu’étant purifié par vous, je puisse approcher de vous qui êtes si pur, que je mérite d’habiter dans votre Cœur tous les jours de ma vie, et que je puisse voir et en même temps accomplir votre volonté.

6e leçon

Votre côté a été percé, pour qu’une entrée nous y fût ouverte. Votre Cœur a été blessé, afin qu’en lui et en vous, nous puissions habiter, à l’abri des perturbations du dehors. Toutefois il a encore été blessé pour que la blessure visible nous révélât la blessure invisible de l’amour. Pouvait-il mieux montrer cet amour ardent qu’en laissant blesser d’un coup de lance non seulement son corps, mais son Cœur aussi en même temps ? La blessure corporelle indique donc la blessure spirituelle. Qui n’aimerait ce Cœur profondément blessé ? Qui ne paierait d’amour celui qui a tant aimé ? Qui n’embrasserait un amant si chaste ? A nous qui demeurons encore dans notre enveloppe corporelle, à nous d’aimer de toutes nos forces, de payer d’amour, d’embrasser notre divin blessé, à qui des vignerons impies ont percé les mains et les pieds le côté et le Cœur ; à nous, de rester près de lui, afin qu’il daigne enchaîner du lien et blesser du trait de son amour, notre cœur encore dur et impénitent. — Désireux de voir honorer avec plus de dévotion et de ferveur, sous le symbole du Sacré-Cœur, la charité du Christ souffrant et mourant pour la rédemption du genre humain, et instituant en mémoire de sa mort le sacrement de son corps et de son sang ; souhaitant que les fidèles recueillissent plus abondamment les fruits de la divine charité, Clément XIII permit à plusieurs Églises de célébrer la Fête de ce Cœur très saint, Pie IX étendit cette fête à l’Église universelle, et enfin le souverain Pontife Léon XIII, accueillant les vœux du monde catholique, l’a élevée au rite double de première classe.

7e leçon

Homélie de saint Augustin, Évêque

« Un des soldats ouvrit son côté avec une lance, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau ». L’Évangéliste s’est servi d’une expression choisie à dessein ; il ne dit pas : Il frappa son côté, ou : Il le blessa, ou toute autre chose, mais : « Il ouvrit », pour nous apprendre qu’elle fut en quelque sorte ouverte au Calvaire, la porte de la vie d’où sont sortis les sacrements de l’Église, sans lesquels on ne peut avoir d’accès à la vie qui est la seule véritable vie. Ce sang, qui a été répandu, a coulé pour la rémission des péchés, cette eau vient se mêler pour nous au breuvage du salut ; elle est à la fois un bain qui purifie et une boisson rafraîchissante. C’était la signification de cette porte que Noé eut ordre d’ouvrir au flanc de l’arche, pour y faire passer les animaux que devait épargner le déluge et qui représentaient l’Église.

8e leçon

Homélie de saint Jean Chrysostome.

Remarquez-vous quelle est la puissance de la vérité ? Par ce qu’ils font, les Juifs accomplissent une prophétie, car une de plus s’est ici vérifiée. « Les soldats vinrent donc, et ils rompirent les jambes des deux larrons » ; mais non celles du Christ. Toutefois, pour ne pas déplaire aux Juifs, ils lui ouvrirent le côté d’un coup de lance, continuant à l’insulter, même après sa mort. O volonté détestable et criminelle. Cependant, ne te laisse pas troubler, frère bien-aimé : les actes que leur inspiraient leurs mauvais sentiments tournaient tous à l’honneur de la vérité. Elle est accomplie, la prophétie disant : « Ils porteront leurs regards sur celui qu’ils ont transpercé ». Ce que les soldats viennent de faire n’a pas servi seulement à réaliser la parole du prophète mais encore à convaincre plus tard ceux qui devaient refuser de croire, comme Thomas et d’autres avec lui. En outre un profond mystère s’est également accompli au même instant, car : « il coula du sang et de l’eau ». Ce n’est ni par hasard ni sans but que ces deux sources jaillirent ; c’est d’elles que l’Église a été formée.

9e leçon

Homélie de saint Bonaventure, Évêque.

Or donc, c’a été pour que l’Église fût formée du côté du Christ endormi, qu’une disposition toute divine a voulu qu’un des soldats ouvrit avec une lance et transperçât ce flanc sacré, de manière à faire couler du sang et de l’eau, et à répandre le prix de notre salut. C’est cette effusion, provenant d’une source mystérieuse, de la source du Cœur, qui donna aux sacrements de l’Église la vertu de communiquer la vie de la grâce ; c’est là désormais, pour ceux qui vivent dans le Christ, le breuvage de la source vive qui rejaillit dans la vie éternelle. Lève-toi donc, ô âme, fidèle amie du Christ, ne cesse de veiller ; viens, approche tes lèvres pour t’abreuver aux fontaines du Sauveur.

Un nouveau rayon brille au ciel de la sainte Église, et vient échauffer nos cœurs. Le Maître divin donné par le Christ à nos âmes, l’Esprit Paraclet descendu sur le monde, poursuit ses enseignements dans la Liturgie sacrée. La Trinité auguste, révélée tout d’abord à la terre en ces sublimes leçons, a reçu nos premiers hommages ; nous avons connu Dieu dans sa vie intime, pénètre par la foi dans le sanctuaire de l’essence infinie. Puis, d’un seul bond, l’Esprit impétueux de la Pentecôte, entraînant nos âmes à d’autres aspects de la vérité qu’il a pour mission de rappeler au monde, les a laissées un long temps prosternées au pied de l’Hostie sainte, mémorial divin des merveilles du Seigneur. Aujourd’hui c’est le Cœur sacré du Verbe fait chair qu’il propose à nos adorations.

Partie noble entre toutes du corps de l’Homme-Dieu, le Cœur de Jésus méritait, en effet, au même titre que ce corps adorable, l’hommage réclamé par l’union personnelle au Verbe divin. Mais si nous voulons connaître la cause du culte plus spécial que lui voue la sainte Église, il convient ici que nous la demandions de préférence à l’histoire de ce culte lui-même et à la place qu’occupe au Cycle sacré la solennité de ce jour.

Un lien mystérieux réunit ces trois fêtes de la très sainte Trinité, du Saint-Sacrement et du Sacré-Cœur. Le but de l’Esprit n’est pas autre, en chacune d’elles, que de nous initier plus intimement à cette science de Dieu par la foi qui nous prépare à la claire vision du ciel. Nous avons vu comment Dieu, connu dans la première en lui-même, se manifeste par la seconde en ses opérations extérieures, la très sainte Eucharistie étant le dernier terme ici-bas de ces opérations ineffables. Mais quelle transition, quelle pente merveilleuse a pu nous conduire si rapidement et sans heurt d’une fête à l’autre ? Par quelle voie la pensée divine elle-même, par quel milieu la Sagesse éternelle s’est-elle fait jour, des inaccessibles sommets où nous contemplions le sublime repos de la Trinité bienheureuse, à cet autre sommet des Mystères chrétiens où l’a portée l’inépuisable activité d’un amour sans bornes ? Le Cœur de l’Homme-Dieu répond à ces questions, et nous donne l’explication du plan divin tout entier.

Nous savions que cette félicité souveraine du premier Être, cette vie éternelle communiquée du Père au Fils et des deux à l’Esprit dans la lumière et l’amour, les trois divines personnes avaient résolu d’en faire part à des êtres créés, et non seulement aux sublimes et pures intelligences des célestes hiérarchies, mais encore à l’homme plus voisin du néant, jusque dans la chair qui compose avec l’âme sa double nature. Nous en avions pour gage le Sacrement auguste où l’homme, déjà rendu participant de la nature divine par la grâce de l’Esprit sanctificateur, s’unit au Verbe divin comme le vrai membre de ce Fils très unique du Père. Oui ; « bien que ne paraisse pas encore ce que nous serons un jour, dit l’Apôtre saint Jean, nous sommes dès maintenant les fils de Dieu ; lorsqu’il se montrera, nous lui serons semblables », étant destinés à vivre comme le Verbe lui-même en la société de ce Père très-haut dans les siècles des siècles.

Mais l’amour infini de la Trinité toute-puissante appelant ainsi de faibles créatures en participation de sa vie bienheureuse, n’a point voulu parvenir à ses fins sans le concours et l’intermédiaire obligé d’un autre amour plus accessible à nos sens, amour créé d’une âme humaine, manifesté dans les battements d’un cœur de chair pareil au nôtre. L’Ange du grand conseil, chargé d’annoncer au monde les desseins miséricordieux de l’Ancien des jours, a revêtu, dans l’accomplissement de son divin message, une forme créée qui pût permettre aux hommes de voir de leurs yeux, de toucher de leurs mains le Verbe de vie, cette vie éternelle qui était dans le Père et venait jusqu’à nous. Docile instrument de l’amour infini, la nature humaine que le Fils de Dieu s’unit personnellement au sein de la Vierge-Mère ne fut point toutefois absorbée ou perdue dans l’abîme sans fond de la divinité ; elle conserva sa propre substance, ses facultés spéciales, sa volonté distincte et régissant dans une parfaite harmonie, sous l’influx du Verbe divin, les mouvements de sa très sainte âme et de son corps adorable. Dès le premier instant de son existence, l’âme très parfaite du Sauveur, inondée plus directement qu’aucune autre créature de cette vraie lumière du Verbe qui éclaire tout homme venant en ce monde, et pénétrant par la claire vision dans l’essence divine, saisit d’un seul regard la beauté absolue du premier Être, et la convenance souveraine des divines résolutions appelant l’être fini en partage de la félicité suprême. Elle comprit sa mission sublime, et s’émut pour l’homme et pour Dieu d’un immense amour. Et cet amour, envahissant avec la vie le corps du Christ formé au même instant par l’Esprit du sang virginal, fit tressaillir son Cœur de chair et donna le signal des pulsations qui mirent en mouvement dans ses veines sacrées le sang rédempteur.

A la différence en effet des autres hommes, chez qui la force vitale de l’organisme préside seule aux mouvements du cœur, jusqu’à ce que les émotions, s’éveillant avec l’intelligence, viennent par intervalles accélérer ses battements ou les ralentir, l’Homme-Dieu sentit son Cœur soumis dès l’origine à la loi d’un amour non moins persévérant, non moins intense que la loi vitale, aussi brûlant dès sa naissance qu’il l’est maintenant dans les cieux. Car l’amour humain du Verbe incarné, fondé sur sa connaissance de Dieu et des créatures, ignora comme elle tout développement progressif, bien que Celui qui devait être notre frère et notre modèle en toutes choses manifestât chaque jour en mille manières nouvelles l’exquise sensibilité de son divin Cœur.

Quand il parut ici-bas, l’homme avait désappris l’amour, en oubliant la vraie beauté. Son cœur de chair lui semblait une excuse, et n’était plus qu’un chemin par où l’âme s’enfuyait des célestes sommets à la région lointaine où le prodigue perd ses trésors]. A ce monde matériel que l’âme de l’homme eût dû ramener vers son Auteur, et qui la tenait captive au contraire sous le fardeau des sens, l’Esprit-Saint préparait un levier merveilleux : fait de chair lui aussi, le Cœur sacré, de ces limites extrêmes de la création, renvoie au Père, en ses battements, l’ineffable expression d’un amour investi de la dignité du Verbe lui-même. Luth mélodieux, vibrant sans interruption sous le souffle de l’Esprit d’amour, il rassemble en lui les harmonies des mondes ; corrigeant leurs défectuosités, suppléant leurs lacunes, ramenant à l’unité les voix discordantes, il offre à la glorieuse Trinité un délicieux concert. Aussi met-elle en lui ses complaisances. C’est l’unique organum, ainsi l’appelait Gertrude la Grande ; c’est l’instrument qui seul agrée au Dieu très-haut. Par lui devront passer les soupirs enflammés des brûlants Séraphins, comme l’humble hommage de l’inerte matière. Par lui seulement descendront sur le monde les célestes faveurs. Il est, de l’homme à Dieu, l’échelle mystérieuse, le canal des grâces, la voie montante et descendante.

L’Esprit divin, dont il est le chef-d’œuvre, en a fait sa vivante image. L’Esprit-Saint, en effet, bien qu’il ne soit pas dans les ineffables relations des personnes divines la source même de l’amour, en est le terme ou l’expression substantielle ; moteur sublime inclinant au dehors la Trinité bienheureuse, c’est par lui que s’épanche à flots sur les créatures avec l’être et la vie cet amour éternel. Ainsi l’amour de l’Homme-Dieu trouve-t-il dans les battements du Cœur sacré son expression directe et sensible ; ainsi encore verse-t-il par lui sur le monde, avec l’eau et le sang sortis du côté du Sauveur, la rédemption et la grâce, avant-goût et gage assuré de la gloire future.

« Un des soldats, dit l’Évangile, ouvrit le côté de Jésus par la lance, et il en sortit du sang et de l’eau ». Arrêtons-nous sur ce fait de l’histoire évangélique qui donne à la fête d’aujourd’hui sa vraie base ; et comprenons l’importance du récit qui nous en est transmis par saint Jean, à l’insistance du disciple de l’amour non moins qu’il la solennité des expressions qu’il emploie. « Celui qui l’a vu, dit-il, en rend témoignage, et son témoignage est véritable ; et il sait, lui, qu’il dit vrai, pour que vous aussi vous croyiez. Car ces choses sont arrivées, pour que l’Écriture fût accomplie ». L’Évangile ici nous renvoie au passage du prophète Zacharie annonçant l’effusion de l’Esprit de grâce sur la maison du vrai David et les habitants de Jérusalem. Et ils verront dans celui qu’ils ont percé », ajoutait le prophète.

Mais qu’y verront-ils, sinon cette grande vérité qui est le dernier mot de toute l’Écriture et de l’histoire du monde, à savoir que Dieu a tant aimé le monde, qu’il lui a donné son Fils unique, pour que quiconque croit en lui ait la vie éternelle » ?

Voilée sous les figures et montrée comme de loin durant les siècles de l’attente, cette vérité sublime éclata au grand jour sur les rives du Jourdain, quand la Trinité sainte intervint tout entière pour désigner l’Élu du Père et l’objet des divines complaisances. Restait néanmoins encore à montrer la manière dont cette vie éternelle que le Christ apportait au monde passerait de lui dans nous tous, jusqu’à ce que la lance du soldat, ouvrant le divin réservoir et dégageant les ruisseaux de la source sacrée, vînt compléter et parfaire le témoignage de la Trinité bienheureuse. « Il y en a trois, dit saint Jean, qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, le Verbe et le Saint-Esprit ; et ces trois n’en font qu’un. Et il y en a trois qui rendent témoignage sur la terre : l’Esprit, l’eau et le sang ; et ces trois concourent au même but... Et leur témoignage est que Dieu nous a donné la vie éternelle, et qu’elle est dans son Fils ». Passage mystérieux qui trouve son explication dans la fête présente ; il nous montre dans le Cœur de l’Homme-Dieu le dénouement de l’œuvre divine, et la solution des difficultés que semblait offrir à la Sagesse du Père l’accomplissement des desseins éternels.

Associer des créatures à sa béatitude, en les faisant participantes dans l’Esprit-Saint de sa propre nature et membres de son Fils bien-aimé, telle était, disions-nous, la miséricordieuse pensée du Père ; tel est le but où tendent les efforts de la Trinité souveraine. Or, voici qu’apparaît Celui qui vient par l’eau et le sang, non dans l’eau seule, mais dans l’eau et le sang, Jésus-Christ ; et l’Esprit, qui de concert avec le Père et le Fils a déjà sur les bords du Jourdain rendu son témoignage, atteste ici encore que le Christ est vérité, quand il dit de lui-même que la vie est en lui. Car c’est l’Esprit, nous dit l’Évangile, qui sort avec l’eau du Cœur sacré, des sources du Sauveur, et nous rend dignes du sang divin qui l’accompagne. L’humanité, renaissant de l’eau et de l’Esprit, fait son entrée dans le royaume de Dieu ; et, préparée pour l’Époux dans les flots du baptême, l’Église s’unit au Verbe incarné dans le sang des Mystères. Vraiment sommes-nous avec elle désormais l’os de ses os et la chair de sa chair, associés pour l’éternité à sa vie divine dans le sein du Père.

Va donc, ô Juif ! Ignorant les noces de l’Agneau, donne le signal de ces noces sacrées. Conduis l’Époux au lit nuptial ; qu’il s’étende sur le bois mille fois précieux dont sa mère la synagogue a formé sa couche au soir de l’alliance ; et que de son Cœur sorte l’Épouse, avec l’eau qui la purifie et le sang qui forme sa dot. Pour cette Épouse il a quitté son Père et les splendeurs de la céleste Jérusalem ; il s’est élancé comme un géant dans la voie de l’amour ; la soif du désir a consumé son âme. Le vent brûlant de la souffrance a passé sur lui, desséchant tous ses os ; mais plus actives encore étaient les flammes qui dévoraient son Cœur, plus violents les battements qui précipitaient de ses veines sur le chemin le sang précieux du rachat de l’Épouse. Au bout de la carrière, épuisé, il s’est endormi dans sa soif brûlante. Mais l’Épouse, formée de lui durant ce repos mystérieux, le rappellera bientôt de son grand sommeil. Ce Cœur dont elle est née, brisé sous l’effort, s’est arrêté pour lui livrer passage ; au même temps s’est trouvé suspendu le concert sublime qui montait par lui de la terre au ciel, et la nature en a été troublée dans ses profondeurs. Et pourtant, plus que jamais, ne faut-il pas que chante à Dieu l’humanité rachetée ? Comment donc se renoueront les cordes de la lyre ? Qui réveillera dans le Cœur divin la mélodie des pulsations sacrées ?

Penchée encore sur la béante ouverture du côté du Sauveur, entendons l’Église naissante s’écrier à Dieu, dans l’ivresse de son cœur débordant : « Père souverain, Seigneur mon Dieu, je vous louerai, je vous chanterai des psaumes au milieu des nations. Lève-toi donc, ô ma gloire ! O réveille-toi, ma cithare et mon psaltérion ». Et le Seigneur s’est levé triomphant de son lit nuptial au matin du grand jour ; et le Cœur sacré, reprenant ses mélodies interrompues, a transmis au ciel les accents enflammés de la sainte Église. Car le Cœur de l’Époux appartient à l’Épouse, et ils sont deux maintenant dans une même chair.

Dans la pleine possession de celle qui blessa son Cœur, le Christ lui confirme tout pouvoir à son tour sur ce Cœur divin d’où elle est sortie. Là sera pour l’Église le secret de sa force. Dans les relations des époux, telles que les constitua le Seigneur à l’origine en vue de ce grand mystère du Christ et de l’Église, l’homme est le chef, et il n’appartient pas à la femme de le dominer dans les conseils ou la conduite des entreprises ; mais la puissance de la femme est qu’elle s’adresse au cœur, et que rien ne résiste à l’amour. Si Adam a péché, c’est qu’Ève a séduit et affaibli son cœur ; Jésus nous sauve, parce que l’Église a ravi son Cœur, et que ce Cœur humain ne peut être ému et dompté, sans que la divinité elle-même soit fléchie. Telle est, quant au principe sur lequel elle s’appuie, la dévotion au Sacré-Cœur ; elle est, dans cette notion première et principale, aussi ancienne que l’Église, puisqu’elle repose sur cette vérité, reconnue de tout temps, que le Seigneur est l’Époux et l’Église l’Épouse.

Les Pères et saints Docteurs des premiers âges n’exposaient point autrement que nous ne l’avons fait le mystère de la formation de l’Église du côté du Sauveur ; et leurs paroles, quoique toujours retenues par la présence des non-initiés autour de leurs chaires, ouvraient la voie aux sublimes et plus libres épanchements des siècles qui suivirent. « Les initiés connaissent l’ineffable mystère des sources du Sauveur, dit saint Jean Chrysostome ; de ce sang et de cette eau l’Église a été formée ; de là sont sortis les Mystères, en sorte que, t’approchant du calice redoutable, il faut y venir comme devant boire au côté même du Christ »]. — « L’Évangéliste, explique saint Augustin, a usé d’une parole vigilante, ne disant pas de la lance qu’elle frappa ou blessa, mais ouvrit le côté du Seigneur. C’était bien une porte en effet qui se révélait alors, la porte de la vie, figurée par celle que Noé reçut l’ordre d’ouvrir au côté de l’arche, pour l’entrée des animaux qui devaient être sauvés du déluge et figuraient l’Église ».

« Entre dans la pierre, cache-toi dans la terre creusée], dans le côté du Christ », interprète pareillement au XIIe siècle un disciple de saint Bernard, le Bienheureux Guerric, abbé d’Igny. Et l’Abbé de Clairvaux lui-même, commentant le verset du Cantique : Viens, ma colombe, dans les trous de la pierre, dans la caverne de la muraille] : « Heureuses ouvertures, dit-il, où la colombe est en sûreté et regarde sans crainte l’oiseau de proie volant à l’entour !... Que verrons-nous par l’ouverture ? Par ce fer qui a traversé son âme et passé jusqu’à son Cœur, voici qu’est révélé l’arcane, l’arcane du Cœur, le mystère de l’amour, les entrailles de la miséricorde de notre Dieu. Qu’y a-t-il en vous, ô Seigneur, que des trésors d’amour, des richesses de bonté ? J’irai, j’irai à ces celliers d’abondance ; docile à la voix du prophète, j’abandonnerai les villes, j’habiterai dans la pierre, j’aurai mon nid, comme la colombe, dans la plus haute ouverture ; placé comme Moïse à l’entrée du rocher, je verrai passer le Seigneur ». Au siècle suivant, le Docteur Séraphique, en de merveilleuses effusions, rappelle à son tour et la naissance de la nouvelle Ève du côté du Christ endormi, et la lance de Saül dirigée contre David et frappant la muraille, comme pour creuser dans Celui dont le fils de Jessé n’était que la figure, dans la pierre qui est le Christ, la caverne aux eaux purifiantes, habitation des colombes.

Mais nous ne pouvons qu’effleurer ces grands aperçus, écouter en passant la voix des Docteurs. Au reste, le culte de l’ouverture bénie du côté du Christ se confond le plus souvent, pour saint Bernard et saint Bonaventure, avec celui des autres plaies sacrées du Sauveur. Le Cœur sacré, organe de l’amour, ne se dégage pas encore suffisamment dans leurs écrits. Il fallait que le Seigneur intervînt directement pour faire découvrir et goûter au peuple chrétien, par l’intermédiaire de quelques âmes privilégiées, les ineffables conséquences des principes admis par tous dans son Église.

Le 27 janvier 1281, au monastère bénédictin d’Helfta, près Eisleben, en Saxe, l’Époux divin se révélait à l’épouse qu’il avait choisie pour l’introduire dans ses secrets et ses réserves les plus écartées. Mais ici nous céderons la parole à une voix plus autorisée que la nôtre. Gertrude, en la vingt-cinquième année de son âge, a été saisie par l’Esprit, dit en la Préface de sa traduction française l’éditeur du Legatus divinæ pietatis : elle a reçu sa mission, elle a vu, entendu, touché ; plus encore, elle a bu à cette coupe du Cœur divin qui enivre les élus, elle y a bu quand elle était encore en cette vallée d’absinthe, et ce qu’elle a pris à longs traits, elle l’a reversé sur les âmes qui voudront le recueillir et s’en montreront saintement avides. Sainte Gertrude eut donc pour mission de révéler le rôle et l’action du Cœur divin dans l’économie de la gloire divine et de la sanctification des âmes ; et sur ce point important nous ne séparerons pas d’elle sainte Mechtilde, sa compagne.

« L’une et l’autre, à l’égard du Cœur du Dieu fait homme, se distinguent entre tous les Docteurs spirituels et tous les mystiques des âges divers de l’Église. Nous n’en excepterons pas les Saints de ces derniers siècles, par lesquels Notre-Seigneur a voulu qu’un culte public, officiel, fût rendu à son Cœur sacré : ils en ont porté la dévotion dans toute l’Église ; mais ils n’en ont pas exposé les mystères multiples, universels, avec l’insistance, la précision, la perfection qui se rencontrent dans les révélations de nos deux Saintes.

Le Disciple bien-aimé de Jésus, qui avait reposé sur son sein, en la Cène, et avait pu entendre les battements de ce Cœur divin, qui sur la croix l’avait vu percé par la lance du soldat, en dévoila à Gertrude la glorification future, lorsqu’elle lui demanda pourquoi il avait gardé sous le silence ce qu’il avait senti lorsqu’il reposait sur ce Cœur sacré : « Ma mission, dit-il, fut d’écrire pour l’Église encore jeune un seul mot du Verbe incréé de Dieu le Père, lequel pourrait suffire à toute la race des hommes jusqu’à la fin du monde, Sans toutefois que jamais personne le comprît dans sa plénitude. Mais le langage de ces bienheureux battements du Cœur du Seigneur est réservé pour les derniers temps, alors que le monde vieilli et refroidi dans l’amour divin devra se réchauffer à la révélation de ces mystères ».

Gertrude fut choisie pour cette révélation, et ce qu’elle en a dit dépasse tout ce que l’imagination de l’homme aurait jamais pu concevoir. Tantôt le Cœur divin lui apparaît comme un trésor où sont renfermées toutes les richesses ; tantôt c’est une lyre touchée par l’Esprit-Saint, aux sons de laquelle se réjouissent la très sainte Trinité et toute la Cour céleste. Puis, c’est une source abondante dont le courant va porter le rafraîchissement aux âmes du Purgatoire, les grâces fortifiantes aux âmes qui militent sur la terre, et ces torrents de délices où s’enivrent les élus de la Jérusalem céleste. C’est un encensoir d’or, d’où s’élèvent autant de divers parfums d’encens qu’il y a de races diverses d’hommes pour lesquelles le Sauveur a souffert la mort de la croix. Une autre fois, c’est un autel sur lequel les fidèles déposent leurs offrandes, les élus leurs hommages, les anges leurs respects, et le Prêtre éternel s’immole lui-même. C’est une lampe suspendue entre ciel et terre ; c’est une coupe où s’abreuvent les Saints, mais non les Anges, qui néanmoins en reçoivent des délices. En lui la prière du Seigneur, le Pater noster, a été conçue et élaborée, elle en est le doux fruit. Par lui est suppléé tout ce que nous avons négligé de rendre d’hommages dus à Dieu, à la Sainte Vierge et aux Saints. Pour remplir toutes nos obligations, le Cœur divin se fait notre serviteur, notre gage ; en lui seul nos œuvres revêtent cette perfection, cette noblesse qui les rend agréables aux yeux de la Majesté divine ; par lui seul découlent et passent toutes les grâces qui peuvent descendre sur la terre. A la fin, c’est la demeure suave, le sanctuaire sacré qui s’ouvre aux âmes, à leur départ de ce monde, pour les y conserver dans d’ineffables délices pour l’éternité ».

En découvrant à Gertrude l’ensemble merveilleux que présente la traduction de l’amour infini dans le Cœur de l’Homme-Dieu, l’Esprit divin prévenait l’enfer au lieu même d’où devait surgir, deux siècles plus tard, l’apôtre des théories les plus opposées. En 1483, Luther naissait à Eisleben ; et son imagination désordonnée posait les bases de l’odieux système qui allait faire du Dieu très bon qu’avaient connu ses pères l’auteur direct du mal et de la damnation, créant le pécheur pour le crime et les supplices éternels, à la seule fin de manifester son autocratie toute-puissante. Calvin bientôt précisait plus encore, en enserrant les blasphèmes du révolté saxon dans les liens de sa sombre et inexorable logique. La queue du dragon, par ces deux hommes, entraîna la troisième partie des étoiles du ciel. Se transformant hypocritement au XVIIe siècle, changeant les mots, mais non les choses, l’ennemi tenta de pénétrer au sein même de l’Église et d’y faire prévaloir ses dogmes impies : sous prétexte d’affirmer les droits du domaine souverain du premier Être, le Jansénisme oubliait sa bonté. Celui qui a tant aimé le monde voyait les hommes, découragés ou terrifiés, s’éloigner toujours plus de ses intentions miséricordieuses.

Il était temps que la terre se souvînt que le Dieu très-haut l’avait aimée d’amour, qu’il avait pris un Cœur de chair pour mettre à la portée des hommes cet amour infini, et que ce Cœur humain, le Christ en avait fait usage selon sa nature, pour nous aimer comme on aime dans la famille d’Adam le premier père, tressaillir de nos joies, souffrir de nos tristesses, et jouir ineffablement de nos retours à ses divines avances. Qui donc serait chargé d’accomplir la prophétie de Gertrude la Grande ? Quel autre Paul, quel nouveau Jean manifesterait au monde vieilli le langage des bienheureux battements du divin Cœur ?

Laissant de côté tant d’illustrations d’éloquence et de génie qui remplissaient alors de leur insigne renommée l’Église de France, le Dieu qui fait choix des petits pour confondre les forts] avait désigné, pour la manifestation du Cœur sacré, la religieuse inconnue d’un obscur monastère. Comme au XIIIe siècle il avait négligé les Docteurs et les grands Saints eux-mêmes de cet âge, pour solliciter auprès de la Bienheureuse Julienne du Mont-Cornillon l’institution de la fête du Corps du Seigneur, il demande de même la glorification de son Cœur divin par une fête solennelle à l’humble Visitandine de Paray-le-Monial, que le monde entier connaît et vénère aujourd’hui sous le nom de la Bienheureuse Marguerite-Marie.

Marguerite-Marie reçut donc pour mission de faire descendre des mystiques sommets, où il était resté comme la part cachée de quelques âmes bénies, le trésor révélé à sainte Gertrude. Elle dut le proposer à toute la terre, en l’adaptant à cette vulgarisation sublime. Il devint en ses mains le réactif suprême offert au monde contre le froid qui s’emparait de ses membres et de son cœur engourdis par l’âge, l’appel touchant aux réparations des âmes fidèles pour tous les mépris, tous les dédains, toutes les froideurs et tous les crimes des hommes des derniers temps contre l’amour méconnu du Christ Sauveur.

« Étant devant le Saint-Sacrement un jour de son Octave (en juin 1675), raconte elle-même la Bienheureuse, je reçus de mon Dieu des grâces excessives de son amour. Et me sentant touchée du désir de quelque retour, et de lui rendre amour pour amour, il me dit : « Tu ne m’en peux rendre un plus grand qu’en faisant ce que je t’ai déjà tant de fois demandé ». Alors me découvrant son divin Cœur : « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes, qu’il n’a rien épargné, jusqu’à s’épuiser et se consommer pour leur témoigner son amour ; et pour reconnaissance je ne reçois de la plupart que des ingratitudes, par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les froideurs et les mépris qu’ils ont pour moi dans ce Sacrement d’amour. Mais ce qui m’est encore le plus sensible est que ce sont des cœurs qui me sont consacrés qui en usent ainsi. C’est pour cela que je te demande que le premier vendredi d’après l’Octave du Saint-Sacrement soit dédié à une fête particulière pour honorer mon Cœur, en communiant ce jour-là et en lui faisant réparation d’honneur par une amende honorable, pour réparer les indignités qu’il a reçues pendant le temps qu’il a été exposé sur les autels. Je te promets aussi que mon Cœur se dilatera a pour répandre avec abondance les influences de son divin amour sur ceux qui lui rendront cet honneur, et qui procureront qu’il lui soit rendu ».

En appelant sa servante à être l’instrument de la glorification de son divin Cœur, l’Homme-Dieu faisait d’elle un signe de contradiction, comme il l’avait été lui-même. Il fallut dix ans et plus à Marguerite-Marie pour surmonter, à force de patience et d’humilité, la défiance de son propre entourage, les rebuts de ses Sœurs, les épreuves de tout genre.

Cependant, le 21 juin 1686, vendredi après l’Octave du Saint-Sacrement, elle eut enfin la consolation de voir la petite communauté de Paray-le-Monial prosternée au pied d’une image où le Cœur de Jésus percé par la lance était représenté seul, entouré de flammes et d’une couronne d’épines, avec la croix au-dessus et les trois clous. Cette même année, fut commencée dans le monastère la construction d’une chapelle en l’honneur du Sacré-Cœur ; la Bienheureuse eut la joie de voir bénir le modeste édifice quelque temps avant sa mort, arrivée l’an 1690. Mais il y avait loin encore de ces humbles débuts à rétablissement d’une fête proprement dite, et à sa célébration dans l’Église entière.

Déjà cependant la Providence avait pris soin de susciter, dans le même siècle, à la servante du Sacré-Cœur un précurseur puissant en parole et en œuvres. Né à Ri, au diocèse de Séez, en 1601, le Vénérable Jean Eudes avait porté partout, dans ses innombrables missions, la vénération et l’amour du Cœur de l’Homme-Dieu qu’il ne séparait pas de celui de sa divine Mère. Dès 1664, il creusait à Caen les fondations de la première église du monde, dit-il lui-même, qui porte le nom de l’église du Très-Saint Cœur de Jésus et de Marie » et Clément X, en 1674, approuvait cette dénomination. Après s’être borné longtemps à célébrer, dans la Congrégation qu’il avait fondée, la fête du très saint Cœur de Marie en unité de celui de Jésus, le Père Eudes voulut y établir une fête spéciale en l’honneur du Cœur sacré du Sauveur ; le 8 février demeura assigné à la fête du Cœur de la Mère, et le 20 octobre fut déterminé pour honorer celui de son divin Fils. L’Office et la Messe que le Vénérable composa à cette fin, en 1670, furent approuvés pour ses séminaires, dès cette année et la suivante, par l’évêque de Rennes et les évêques de Normandie. Cette même année 1670 les vit insérer au Propre de l’abbaye royale de Montmartre. En 1674, la fête du Sacré-Cœur était également célébrée chez les Bénédictines du Saint-Sacrement. Cependant on peut dire que la fête établie par le Père Eudes ne sortit guère des maisons qu’il avait fondées ou de celles qui recevaient plus directement ses inspirations. Elle avait pour objet de promouvoir la dévotion au Cœur de l’Homme-Dieu, telle qu’elle ressort du dogme même de la divine Incarnation, et sans but particulier autre que de lui rendre les adorations et les hommages qui lui sont dus. C’était à la Bienheureuse Marguerite-Marie qu’il était réservé de présenter aux hommes le Cœur sacré comme la grande voie de réparation ouverte à la terre. Confidente du Sauveur et dépositaire de ses intentions précises sur le jour et le but que le ciel voulait voir assigner à la nouvelle fête, ce fut elle qui resta véritablement chargée de la promulguer pour le monde et d’amener sa célébration dans l’Église universelle.

Pour obtenir ce résultat qui dépassait les forces personnelles de l’humble Visitandine, le Seigneur avait rapproché mystérieusement de Marguerite-Marie l’un des plus saints Religieux que possédât alors la Compagnie de Jésus, le R. P. Claude de la Colombière. Il reconnut la sainteté des voies par où l’Esprit divin conduisait la Bienheureuse, et se fit l’apôtre dévoué du Sacré-Cœur, à Paray d’abord, et jusqu’en Angleterre, où il mérita le titre glorieux de confesseur de la foi dans les rigueurs des prisons protestantes. Ce fervent disciple du Cœur de l’Homme-Dieu mourait en 1682, épuisé de travaux et de souffrances. Mais la Compagnie de Jésus tout entière hérita de son zèle à propager la dévotion au Sacré-Cœur. Bientôt s’organisèrent des confréries nombreuses, de tous côtés on éleva des chapelles en l’honneur de ce Cœur sacré. Mais l’enfer s’indigna de cette grande prédication d’amour ; les Jansénistes frémirent à cette apparition soudaine de la bonté et de l’humanité du Dieu Sauveur, qui prétendait ramener la confiance dans les âmes où ils avaient semé la crainte. On cria à la nouveauté, au scandale, à l’idolâtrie ou tout au moins à la dissection inconvenante des membres sacrés de l’humanité du Christ ; et pendant que s’entassaient à grands frais d’érudition dissertations théologiques et physiologiques, les gravures les moins séantes étaient répandues, des plaisanteries de mauvais goût mises en vogue, tous les moyens employés pour tourner en ridicule ceux qu’on appelait les Cordicoles.

Cependant l’année 1720 voyait fondre sur Marseille un fléau redoutable : apportée de Syrie sur un navire, la peste faisait bientôt plus de mille victimes par jour dans la cité de saint Lazare. Le Parlement janséniste de Provence était en fuite, et l’on ne savait où s’arrêterait le progrès toujours croissant de l’affreuse contagion, quand l’évêque, Mgr de Belzunce, réunissant les débris de son clergé fidèle et convoquant son troupeau sur le Cours qui depuis a pris le nom de l’héroïque pasteur, consacra solennellement son diocèse au Sacré-Cœur de Jésus. Dès ce moment, le fléau diminua ; et il avait cessé entièrement, lorsque, deux ans plus tard, il reparut, menaçant de recommencer ses ravages. Il fut arrêté sans retour à la suite du vœu célèbre par lequel les échevins s’engagèrent, pour eux et leurs successeurs à perpétuité, aux actes solennels de religion qui ont fait jusqu’à nos jours la sauvegarde de Marseille et sa gloire la plus pure.

Ces événements, dont le retentissement fut immense, amenèrent la fête du Sacré-Cœur à sortir des monastères de la Visitation où elle avait commencé de se célébrer au jour fixé par Marguerite-Marie, avec la Messe et l’Office du P. Eudes. On la vit, à partir de là, se répandre dans les diocèses. Lyon toutefois avait précédé Marseille. Autun vint en troisième lieu. On ne croyait pas alors en France qu’il fût nécessaire de recourir à l’autorité du Souverain Pontife pour l’établissement de nouvelles fêtes. Déférant aux vœux de la pieuse reine Marie Leczinska, les prélats qui formaient l’Assemblée de 1765 prirent une résolution pour établir la fête dans leurs diocèses, et engager leurs collègues à imiter cet exemple.

Mais la sanction formelle du Siège apostolique ne devait pas manquer plus longtemps à ces efforts de la piété catholique envers le divin Cœur. Rome avait déjà accordé de nombreuses indulgences aux pratiques privées, érigé par brefs d’innombrables confréries, lorsqu’en cette même année 1765, Clément XIII, cédant aux instances des évêques de Pologne et de l’archiconfrérie romaine du Sacré-Cœur, rendit le premier décret pontifical en faveur de la fête du Cœur de Jésus, et approuva pour cette fête une Messe et un Office. Des concessions locales étendirent peu à peu cette première faveur à d’autres Églises particulières, jusqu’à ce qu’enfin, le 23 août 1856, le Souverain Pontife Pie IX, de glorieuse mémoire, sollicité par tout l’Épiscopat français, rendit le décret qui insérait au Calendrier la fête du Sacré-Cœur et en ordonnait la célébration dans l’Église universelle. Trente-trois ans plus tard, Léon XIII élevait au rite de première classe la solennité que son prédécesseur avait établie.

La glorification du Cœur de Jésus appelait celle de son humble servante. Le 18 septembre 1864 avait vu la béatification de Marguerite-Marie proclamée solennellement par le même Pontife qui venait de donner à la mission qu’elle avait reçue la sanction définitive du Siège apostolique.

Depuis lors, la connaissance et l’amour du Sacré-Cœur ont progressé plus qu’ils n’avaient fait dans les deux siècles précédents. On a vu par tout le monde communautés, ordres religieux, diocèses, se consacrant à l’envi à cette source de toute grâce, seul refuge de l’Église en ces temps calamiteux. Les peuples se sont ébranlés en de dévots pèlerinages ; des multitudes ont passé les mers, pour apporter leurs supplications et leurs hommages au divin Cœur en cette terre de France, où il lui a plu de manifester ses miséricordes. Elle-même si éprouvée, notre patrie tourne les yeux, comme espoir suprême, vers le splendide monument qui s’élève sur le mont arrosé par le sang des martyrs ses premiers apôtres, et, dominant sa capitale, attestera pour les siècles futurs la foi profonde et la noble confiance qu’a su garder, dans ses malheurs, celle qui naquit et demeure à jamais la Fille aînée de la sainte Église.

O Cœur sacré, qui fûtes le lien de cette union puissante et si féconde, daignez rapprocher toujours plus votre Église et la France ; et qu’unies aujourd’hui dans l’épreuve, elles le soient bientôt dans le salut pour le bonheur du monde !

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Super Eph., cap. 4

15 Juin 2023 , Rédigé par Ludovicus

Super Eph., cap. 4

Lectio 2

Super Eph., cap. 4 l. 2 Posita eorum exhortatione pro servanda ecclesiastica unitate, in hac parte apostolus formam dictae unitatis ipsis Ephesiis insinuat. Ubi sciendum est, quod cum Ecclesia Dei sit sicut civitas, est aliquod unum et distinctum, cum non sit unum sicut simplex, sed sicut compositum ex diversis partibus. Et ideo apostolus duo facit. Primo ostendit id quod est commune Ecclesiae; secundo ostendit id quod est distinctum in ipsa, ibi unicuique autem nostrum data est gratia, et cetera. In qualibet autem civitate, ad hoc ut sit una, quatuor debent esse communia, scilicet unus gubernator, una lex, eadem insignia, et idem finis: haec autem quatuor dicit apostolus esse in Ecclesia. Dicit ergo: dico quod debetis habere unum corpus et unum spiritum, quia estis in unitate Ecclesiae, quae est una. Primo, quia habet ducem unum, scilicet Christum, et quantum ad hoc dicit unus Dominus, non plures, pro quorum diversis voluntatibus oporteat vos discordare. Dicitur enim He. III, 6: Christus est tamquam filius in domo sua. Ac. II, 36: certissime ergo sciat omnis domus Israel, quia et Dominum eum et Christum Deus fecit hunc Iesum, quem vos crucifixistis. I Cor. VIII, 6: unus Dominus noster Iesus Christus. Za. XIV, 9: in illa die erit Dominus unus, et nomen eius unum. Secundo quia lex eius est una. Lex enim Ecclesiae est lex fidei. Rm. III, 27: ubi est ergo nunc gloriatio tua? Exclusa est. Per quam legem? Factorum? Non, sed per legem fidei. Sed fides quandoque sumitur pro ipsa re credita, secundum illud: haec est fides Catholica, etc., id est, ista debent credi. Quandoque vero sumitur pro habitu fidei, quo creditur in corde. Et de utroque hoc potest dici. De primo, ut sit sensus una est fides, id est, idem iubemini credere et eodem modo operari, quia unum et idem est quod creditur a cunctis fidelibus, unde universalis seu Catholica dicitur. Unde I Cor. I, 10: idipsum dicatis, id est sentiatis, omnes, et cetera. Alio modo una est fides, id est unus habitus fidei quo creditur; una, inquam, non numero, sed specie, quia idem debet esse in corde omnium; et hoc modo idem volentium dicitur una voluntas. Tertio eadem sunt insignia Ecclesiae, scilicet sacramenta Christi, inter quae primum Baptisma, quod est ianua omnium aliorum. Et ideo dicit unum Baptisma. Dicitur autem unum triplici ratione. Primo quia Baptismata non differunt secundum baptizantes; quia a quocumque conferantur, uniformem virtutem habent, quia qui baptizat interius, unus est, scilicet Christus. Jn. I, 33: super quem videris spiritum descendentem, et manentem super eum, hic est qui baptizat in Spiritu Sancto. Secundo dicitur unum, quia datur in nomine unius, scilicet Trinitatis. Baptizantes eos in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. Tertio quia iterari non potest. Poenitentia autem, matrimonium, Eucharistia, et extrema unctio, iterari possunt, non autem Baptismus. He. VI, 4: impossibile est eos qui semel sunt illuminati, scilicet per Baptismum, gustaverunt autem donum caeleste, et participes facti sunt Spiritus Sancti, gustaverunt nihilominus bonum Dei verbum virtutesque saeculi venturi, et prolapsi sunt, scilicet per peccatum, renovari rursus ad poenitentiam. Non iteratur autem vel propter characterem, vel quia causa eius non iteratur. Rm. VI, 4: consepulti enim sumus cum illo per Baptismum in mortem, et cetera. Nunc autem Christus semel pro peccatis mortuus est, ut dicitur I P. III, 18. Quarto in Ecclesia est idem finis, qui est Deus. Filius enim ducit nos ad Patrem. I Cor. XV, 24: cum tradiderit regnum Deo et Patri, cum evacuaverit omnem principatum, et potestatem, et virtutem, oportet autem illum regnare, et cetera. Et quantum ad hoc subiungit, dicens unus Deus, etc., ubi primo, ponit apostolus eius unitatem; secundo eius dignitatem, ibi qui est super omnes, et cetera. Circa primum duo dicit: primum pertinet ad naturam divinam; unde dicit unus Deus. Dt. VI, 4: audi, Israel, Dominus Deus tuus unus est. Aliud pertinet ad eius benevolentiam ad nos et ad pietatem; unde dicit et Pater omnium. Is. LXIII, 16: tu, Domine, Pater noster, et redemptor noster. Ma. II, 10: numquid non Pater unus omnium nostrum? Numquid non Deus creavit nos? Dignitatem autem eius commendat ex tribus. Ex altitudine divinitatis, cum dicit qui est super omnes. Ps. CXII, 4: super omnes gentes Dominus, et cetera. Ex amplitudine eius potestatis, cum dicit per omnia. Jr. XXXIII, 24: caelum et terram ego impleo, et cetera. Ps. VIII, 8: omnia subiecisti sub pedibus, et cetera. Lc. X, 22: omnia mihi quippe tradita sunt, quippe quia omnia per ipsum facta sunt, Jn. I, 3. Sed modo quo dicitur Sg. XI, 21: omnia in numero, et pondere, et mensura disposuisti. Ex largitate gratiae, cum dicit et in omnibus nobis, scilicet per gratiam. Jr. XIV, 9: tu autem in nobis es, Domine, et cetera. Sed primum appropriatur Patri, qui est fontale principium divinitatis et omnes creaturas excellit. Secundum filio, qui est sapientia attingens a fine usque ad finem fortiter, Sg. VIII, 1. Tertium vero Spiritui Sancto, qui replet orbem terrarum, Sg. I, 7.

 

Lectio 3

Super Eph., cap. 4 l. 3 Supra ostendit apostolus ecclesiasticam unitatem quantum ad id quod in Ecclesia est commune, hic idem ostendit quantum ad hoc quod singulis fidelibus membris Ecclesiae est proprium et speciale. Circa quod tria facit: primo proponit distinctionem; secundo inducit ad hoc auctoritatem, ibi propter quod dicit, etc.; tertio ponit auctoritatis expositionem, ibi quod autem ascendit, et cetera. Dicit ergo: habemus in Ecclesia unum Deum, unam fidem, etc., sed tamen diversas gratias diversis particulariter collatas habemus, quia unicuique nostrum data est gratia, quasi dicat: nullus nostrum est qui non sit particeps divinae gratiae et communionis. Jn. I, 16: de plenitudine eius omnes accepimus gratiam pro gratia. Sed certe ista gratia non est data omnibus uniformiter seu aequaliter, sed secundum mensuram donationis Christi, id est secundum quod Christus est dator, et eam singulis mensuravit. Rm. XII, 6: habentes donationes secundum gratiam quae data est nobis differentes. Haec differentia non est ex fato, nec a casu, nec ex merito, sed ex donatione Christi, id est secundum quod Christus nobis commensuravit. Ipse enim solus recepit spiritum non ad mensuram, Jn. III, 34, caeteri autem sancti ad mensuram recipiunt. Rm. XII, 3: unicuique sicut Deus divisit mensuram fidei. I Cor. III, 8: unusquisque propriam mercedem accipiet, et cetera. Mt. XXV, 15: unicuique secundum propriam virtutem, et cetera. Quia sicut in potestate Christi est dare vel non dare, ita dare tantum vel minus. Sequitur propter quod dicit, et cetera. Hic ponit quamdam auctoritatem assumptam de Ps. LXVII, 19, et refertur ad hoc quod dixit secundum mensuram donationis Christi; ubi tria facit. Primo commemorat Christi ascensionem; secundo humani generis liberationem; tertio ponit donorum spiritualium collationem. Partes consequuntur se. Ostendit ergo primum, dicens sic: propter quod, scilicet significandum, dicit, scilicet propheta David in Ps. LXVII, 19: ascendens Christus in altum, et cetera. Mi. II, 13: ascendit ante eos pandens iter, et cetera. Jb XXXIX, 18: in altum alas erigit, et cetera. Ascendens, inquam, sed non solus, quia captivam duxit captivitatem, eos scilicet quos Diabolus captivaverat. Humanum enim genus captivatum erat, et sancti in charitate decedentes, qui meruerant gloriam, in captivitate Diaboli detinebantur quasi captivi in Limbo. Is. V, 13: ductus est captivus populus meus, et cetera. Hanc ergo captivitatem Christus liberavit, et secum duxit in caelum. Is. XLIX, 24 s.: numquid tolletur a forti praeda, aut quod captum fuerit a robusto salvabitur, ac salvum poterit esse? Quia haec dicit Dominus: equidem et captivitas a forti tolletur, et quod ablatum fuerit a robusto, salvabitur. Sed certe hoc non verificatur solum quantum ad iam mortuos, sed etiam quantum ad viventes, qui captivi tenebantur sub peccato, quos, a peccato liberans, servos fecit iustitiae, ut dicitur Rm. VI, 18, et sic quodammodo eos in captivitatem duxit, non ad perniciem sed ad salutem. Lc. V, 10: ex hoc iam homines eris capiens. Non solum autem homines a Diaboli captivitate eripuit, et suae servituti subiecit, sed etiam eos spiritualibus bonis dotavit. Unde subditur dedit dona hominibus, scilicet gratiae et gloriae. Ps. LXXXIII, 12: gratiam et gloriam dabit Dominus. II P. I, 4: per quem et pretiosa nobis promissa donavit, et cetera. Nec est contrarium quod in littera praecedenti dicitur accepit dona in hominibus, quia certe ipse dedit ut Deus et accepit ut homo in fidelibus, sicut in membris suis. Dedit in caelo sicut Deus, et accepit in terra secundum modum loquendi quo dicitur Mt. XXV, 40: quod uni ex minimis meis fecistis, mihi fecistis. Deinde cum dicit quod autem ascendit, etc., exponit propositam auctoritatem, et primo quantum ad ascensionem; secundo quantum ad materiam donationis, ibi et ipse dedit, et cetera. Circa primum duo facit. Primo ostendit quomodo descendit, ibi qui descendit; secundo quomodo ascendit, ibi qui ascendit, et cetera. Circa primum considerandum, quod cum Christus vere sit Deus, inconveniens videbatur quod sibi conveniret descendere, quia nihil est Deo sublimius. Et ideo ad hanc dubitationem excludendam subdit apostolus quod autem ascendit quid est, nisi quia et descendit primum, et cetera. Ac si diceret: ideo postea dixi quod ascendit, quia ipse primo descenderat, ut ascenderet: aliter enim ascendere non potuisset. Quomodo autem descendit, subdit, dicens quia in inferiores partes terrae. Quod potest intelligi dupliciter. Uno modo ut per inferiores partes terrae intelligantur istae partes terrae, in quibus nos habitamus, quae dicuntur inferiores, eo quod sunt infra caelum et aerem. In has autem partes terrae dicitur descendisse filius Dei, non motu locali, sed assumptione inferioris et terrenae naturae, secundum illud Ph. II, 7: exinanivit semetipsum, et cetera. Alio modo potest intelligi de Inferno, qui etiam infra nos est. Illuc enim descendit Dominus secundum animam, ut inde sanctos liberaret. Et sic videtur hoc eis convenire quod dixerat: captivam duxit captivitatem. Za. IX, 11: tu quoque in sanguine testamenti tui eduxisti vinctos tuos de lacu, in quo non erat aqua. Ap. X, 1: vidi alium Angelum fortem descendentem de caelo, et cetera. Ex. III, 7: vidi afflictionem populi mei qui est in Aegypto, etc.; et sequitur: et descendi liberare eum. Deinde cum dicit qui descendit, etc., manifestat eius ascensionem quantum ad tria. Primo quantum ad personam ascendentis, cum dicit qui descendit, ipse est qui ascendit, et cetera. In quo designatur unitas personae Dei et hominis. Descendit enim, sicut dictum est, filius Dei assumendo humanam naturam, ascendit autem filius hominis secundum humanam naturam ad vitae immortalis sublimitatem. Et sic est idem Filius Dei qui descendit et filius hominis qui ascendit. Jn. III, 13: nemo ascendit in caelum, nisi qui descendit de caelo filius hominis, qui est in caelo. Ubi notatur quod humiles, qui voluntarie descendunt, spiritualiter Deo sublimante ascendunt, quia qui se humiliat, exaltabitur, Lc. XIV, 11. Secundo ostendit terminum ascensionis, cum dicit super omnes caelos. Ps. LXVII, 34: qui ascendit super omnes caelos ad orientem. Nec solum intelligendum est quod ascenderit super omnes caelos corporales, sed etiam super omnem spiritualem creaturam. Supra I, 20: constituens illum ad dexteram suam in caelestibus super omnem principatum, et potestatem, et virtutem, et dominationem, et omne nomen quod nominatur, et cetera. Tertio ponit ascensionis fructum, cum dicit ut adimpleret omnia, id est omne genus hominum spiritualibus donis repleret. Ps. LXIV, 5: replebimur in bonis domus tuae. Eccli. XXIV, 26: a generationibus meis adimplemini. Vel adimpleret, id est ut ad effectum perduceret, omnia quae de ipso erant scripta. Lc. ult.: oportet impleri omnia quae scripta sunt in lege et prophetis et Psalmis de me.


 

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