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Regnum Galliae Regnum Mariae
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Vigile de l’Ascension

18 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

Vigile de l’Ascension

Collecte

Dieu, vous de qui procèdent tous les biens, accordez à vos serviteurs suppliants, que, par votre inspiration, nos pensées se portent à ce qui est bien, et que notre volonté, guidée par vous, l’accomplisse.

Office

1ère leçon

Homélie de saint Augustin, Évêque

Notre Seigneur, Fils unique du Père, et coéternel avec lui, « ayant pris la forme d’esclave » pouvait, en cette forme d’esclave, prier en silence s’il le fallait ; mais il a voulu se présenter en suppliant devant son Père, de telle manière qu’il montra se souvenir qu’il était notre docteur. C’est pourquoi il a voulu que la prière qu’il a faite pour nous, nous fût connue ; car l’édification des disciples ressort non seulement des leçons que leur donne un si grand maître, mais encore de la prière qu’il adresse à son Père en leur faveur. Et si ces paroles étaient l’édification de ceux qui se trouvaient présents pour les entendre, Jésus voulait certainement qu’elles devinssent aussi la nôtre, à nous qui devions les lire, recueillies dans son Évangile.

2e leçon

C’est pourquoi lorsqu’il nous dit : « Père, l’heure est venue, glorifiez votre Fils ; » il nous enseigna que ce qu’il ferait ou laisserait se faire, en quelque temps que ce fût, est disposé d’avance par celui qui n’est point sujet au temps ; car les événements qui se déroulent dans la suite des temps, ont leurs causes efficientes dans la sagesse de Dieu, en laquelle ne se trouve rien de temporaire. Gardons-nous donc de croire que cette heure soit venue amenée par la fatalité, car elle a été fixée par Dieu qui dispose les temps. Les lois des astres n’ont pas non plus régi la passion du Christ ; il est inadmissible que les astres puissent forcer à mourir le Créateur des astres.

3e leçon

Il en est qui entendent que le Fils a été glorifié par le Père en ce sens qu’il ne l’a pas épargné mais l’a livré pour nous tous. Mais si l’on dit que le Christ a été glorifié par sa passion, combien plus par sa résurrection ? Dans sa passion, en effet, son humilité se manifeste plutôt que sa gloire ; l’Apôtre l’atteste lorsqu’il dit : « Il s’est humilié lui-même, s’étant fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix ». Ensuite il ajoute, au sujet de sa glorification : « C’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom ; afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père ». Voilà la glorification de notre Seigneur Jésus-Christ, elle a commencé à sa résurrection.

La troisième matinée des Rogations s’est écoulée, l’heure de midi se fait entendre ; elle vient ouvrir la dernière journée que le Fils de Dieu doit passer sur la terre avec les hommes. Nous avons semblé perdre de vue, durant ces trois jours, le moment si proche de la séparation ; toutefois, le sentiment de la perte qui nous menace vivait au fond de nos cœurs, et les humbles supplications que nous présentions au ciel, en union avec la sainte Église, nous préparaient à célébrer le dernier des mystères de notre Emmanuel.

A ce moment, les disciples sont tous rassemblés à Jérusalem. Groupés autour de Marie dans le Cénacle, ils attendent l’heure à laquelle leur Maître doit se manifester à eux pour la dernière fois. Recueillis et silencieux, ils repassent dans leurs cœurs les divines marques de bonté et de condescendance qu’il leur a prodiguées durant ces quarante jours, et les solennels enseignements qu’ils ont reçus de sa bouche. C’est maintenant qu’ils le connaissent, qu’ils savent qu’il est sorti de Dieu ; quant à ce qui les concerne, ils ont appris de lui la mission à laquelle il les a destinés : ce sera d’enseigner, eux ignorants, les peuples de la terre ; mais, ô regret inconsolable ! Il s’apprête à les quitter ; « encore un peu de temps, et ils ne le verront plus. »

Par un touchant contraste avec leurs tristes pensées, la nature entière semble s’être mise en devoir d’offrir à son auteur le plus splendide triomphe ; car ce départ doit être un départ triomphant. La terre s’est parée des prémices de sa fécondité, la verdure des campagnes le dispute à l’émeraude, les fleurs embaument l’air de leurs parfums, sous le feuillage des arbres les fruits se hâtent de mûrir, et les moissons grandissent de toutes parts. Tant d’heureux dons sont dus à l’influence de l’astre qui brille au ciel pour vivifier la terre, et qui a reçu le noble privilège de figurer par son royal éclat, et dans ses phases successives, le passage de l’Emmanuel au milieu de nous.

Rappelons-nous ces jours sombres du solstice d’hiver, où son disque pâle, tardif vainqueur des ténèbres, ne montait dans le ciel que pour y parcourir une étroite carrière, dispensant la lumière avec mesure, et n’envoyant à la terre aucun rayon assez ardent pour résoudre la constriction qui tenait glacée toute sa surface. Tel se leva, comme un astre timide, notre divin Soleil, dissipant à peine les ombres autour de lui, tempérant son éclat, afin que les regards des hommes n’en fussent pas éblouis. Comme le soleil matériel, il élargit peu à peu sa carrière ; mais des nuages vinrent souvent dissimuler son progrès. Le séjour en la terre d’Égypte, la vie obscure de Nazareth, dérobèrent sa marche aux yeux des hommes ; mais l’heure étant venue où il devait laisser poindre les rayons de sa gloire, il brilla d’un souverain éclat sur la Galilée et sur la Judée, lorsqu’il se mit à parler « comme ayant puissance », lorsque ses œuvres rendirent témoignage de lui, et que l’on entendit la voix des peuples qui faisait retentir « Hosannah au fils de David ».

Il allait atteindre à son zénith, quand tout à coup l’éclipse momentanée de sa passion et de sa mort persuada pour quelques heures à ses ennemis jaloux que leur malice avait suffi pour éteindre à jamais sa lumière importune à leur orgueil. Vain espoir ! Notre divin Soleil échappait dès le troisième jour à cette dernière épreuve ; et il plane maintenant au sommet des cieux, versant sa lumière sur tous les êtres qu’il a créés, mais nous avertissant que sa carrière est achevée. Car il ne saurait descendre ; pour lui, pas de couchant ; là s’arrête son rapport avec l’humble flambeau qui éclaire nos yeux mortels. C’est du haut du ciel qu’il brille désormais, et pour toujours, ainsi que l’avait annoncé Zacharie, lors de la naissance de Jean ; et comme l’avait prédit encore auparavant le sublime Psalmiste, en disant : « Il a fourni sa carrière comme un géant, il est arrivé au sommet des cieux, d’où il était parti, et nul ne peut se soustraire à l’action de sa puissante chaleur ».

Cette Ascension, qui établit l’Homme-Dieu centre de lumière pour les siècles des siècles, il en a fixé le moment précis à l’un des jours du mois que les hommes appellent Mai, et qui révèle dans son plus riant éclat l’œuvre que ce Verbe divin trouva belle lui-même, au jour où, l’ayant fait sortir du néant, il la disposa avec tant de complaisance. Heureux mois, non plus triste et sombre comme Décembre, qui vit les joies modestes de Bethléhem, non plus sévère et lugubre comme Mars, témoin du Sacrifice sanglant de l’Agneau sur la croix, mais radieux, épanoui, surabondant de vie et digne d’être offert, chaque année, en hommage à Marie, Mère de Dieu ; car c’est le mois du triomphe de son fils.

O Jésus, notre créateur et notre frère, nous vous avons suivi des yeux et du cœur depuis le moment de votre aurore ; nous avons célébré, dans la sainte liturgie, chacun de vos pas de géant par une solennité spéciale ; mais en vous voyant monter ainsi toujours, nous devions prévoir le moment où vous iriez prendre possession de la seule place qui vous convienne, du trône sublime où vous serez assis éternellement à la droite du Père. L’éclat qui vous entoure depuis votre résurrection n’est pas de ce monde ; vous ne pouvez plus demeurer avec nous ; vous n’êtes resté durant ces quarante jours, que pour la consolidation de votre œuvre ; et demain, la terre qui vous possédait depuis trente-trois années sera veuve de vous. Avec Marie votre mère, avec vos disciples soumis, avec Madeleine et ses compagnes, nous nous réjouissons du triomphe qui vous attend ; mais à la veille de vous perdre, permettez à nos cœurs aussi de ressentir la tristesse ; car vous étiez l’Emmanuel, le Dieu avec nous, et vous allez être désormais l’astre divin qui planera sur nous ; et nous ne pourrons plus « vous voir, ni vous entendre, ni vous toucher de nos mains, ô Verbe de vie ! ». Nous n’en disons pas moins : Gloire et amour soient à vous ! Car vous nous avez traités avec une miséricorde infinie. Vous ne nous deviez rien, nous étions indignes d’attirer vos regards, et vous êtes descendu sur cette terre souillée par le péché ; vous avez habité parmi nous, vous avez payé notre rançon de votre sang, vous avez rétabli la paix entre Dieu et les hommes. Oui, il est juste maintenant que « vous retourniez à celui qui vous a envoyé ». Nous entendons la voix de votre Église, de votre Épouse chérie qui accepte son exil, et qui ne pense qu’à votre gloire : « Fuis donc, ô mon bien-aimé, vous dit-elle ; fuis avec la rapidité du chevreuil et du faon de la biche, jusqu’à ces montagnes où les fleurs du ciel exhalent leurs parfums ». Pourrions-nous, pécheurs que nous sommes ne pas imiter la résignation de celle qui est à la fois votre Épouse et notre mère ?

 

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Saint Ubald évêque et confesseur

16 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

Saint Ubald évêque et confesseur

Collecte

Laissez-vous fléchir, Seigneur : que l’intercession du bienheureux Ubald votre Confesseur et Pontife nous obtienne votre secours ; étendez sur nous votre main miséricordieuse pour nous défendre contre toutes les perfidies du démon.

Office

Quatrième leçon. Ubald, né d’une famille noble, à Gubbio, en Ombrie fut, dès ses plus tendres années, élevé avec grand soin dans la piété et les lettres. Au cours de sa jeunesse, on le pressa plusieurs fois d’embrasser l’état du mariage, mais jamais il n’abandonna sa résolution de garder la virginité. Ordonné Prêtre, il distribua son patrimoine aux pauvres et aux Églises, et étant entré chez les Chanoines réguliers de l’Ordre de Saint-Augustin, il établit cet institut dans sa patrie, et y vécut quelque temps de la manière la plus sainte. La réputation de sa sainteté s’étant répandue, i ! fut préposé malgré lui par le Souverain Pontife Honorius II au gouvernement de l’Église de Gubbio, et reçut la consécration épiscopale.

Cinquième leçon. Ayant donc pris possession de son Église, il ne changea rien à sa manière de vivre accoutumée, mais il commença à se distinguer d’autant plus en tout genre de vertus, qu’il procurait très efficacement le salut des autres par la parole et l’exemple, s’étant fait de cœur le modèle de son troupeau. Sobre dans sa nourriture, sans recherche dans ses vêtements, n’ayant pour couche qu’un lit dur et très pauvre, il portait constamment en son corps la mortification de la croix, tandis qu’il nourrissait chaque jour son esprit par une application incessante à la prière. C’est ainsi qu’il parvint à cette admirable mansuétude, qui lui fit non seulement supporter avec égalité d’âme les plus graves injures et les mépris, mais encore prodiguer avec l’admirable tendresse de la charité une entière bienveillance à ses persécuteurs.

Sixième leçon. Deux ans avant de sortir de cette vie, Ubald, affligé de longues maladies, fut purifié comme l’or dans la fournaise, par les plus cruelles souffrances ; cependant il ne cessait de rendre grâces à Dieu. Le saint jour de la Pentecôte étant arrivé, il s’endormit dans la paix, après avoir gouverné de nombreuses années avec le plus grand mérite l’Église confiée à ses soins, et être devenu illustre par ses saintes œuvres et par ses miracles. Le Pape Célestin III a mis Ubald au nombre des Saints. Son pouvoir éclate particulièrement pour mettre en fuite les esprits immondes. Son corps, demeuré sans corruption après tant de siècles, est l’objet d’une grande vénération de la part des fidèles dans sa patrie que plus d’une fois il a délivrée de périls imminents.

Pour honorer son Pontife éternel, la sainte Église lui présente aujourd’hui les mérites d’un Pontife mortel ici-bas, mais entre, après cette vie, dans les conditions de l’immortalité bienheureuse. Ubald a représenté le Christ sur la terre ; comme son divin chef il a reçu l’onction sainte, il a été médiateur entre le ciel et la terre, il a été le Pasteur du troupeau, et maintenant il est uni à notre glorieux Ressuscité, Christ, Médiateur et Pasteur. En signe de la faveur dont il jouit auprès de lui dans le ciel, le Fils de Dieu a confié à Ubald le pouvoir spécial d’agir efficacement contre les ennemis infernaux, qui tendent quelquefois aux hommes de si cruelles embûches. Souvent l’invocation du saint évêque et de ses mérites a suffi pour dissoudre les machinations des esprits de malice ; et c’est afin d’encourager les fidèles à recourir à sa protection que l’Église l’a admis au rang des saints qu’elle recommande plus particulièrement à leur dévotion.

Soyez notre protecteur contre l’enfer, ô bienheureux Pontife ! L’envie des démons n’a pu souffrir que l’homme, cette humble et faible créature, fût devenu l’objet des complaisances du Très-Haut. L’incarnation du Fils de Dieu, sa mort sur la croix, sa résurrection glorieuse, les divins Sacrements qui nous confèrent la vie céleste, tous ces sublimes moyens à l’aide desquels la bonté de Dieu nous a rétablis dans nos premiers droits, ont excité au plus haut degré la rage de cet antique ennemi, et il cherche à se venger en insultant en nous l’image de notre créateur. Il fond quelquefois sur l’homme avec toutes ses fureurs ; par une affreuse parodie de la grâce sanctifiante qui fait de nous comme les instruments de Dieu, il envahit, il possède des hommes, nos frères, et les réduit au plus humiliant esclavage. Votre pouvoir, ô Ubald, s’est signalé souvent dans la délivrance de ces victimes infortunées de l’envie infernale ; et la sainte Église célèbre en ce jour la prérogative spéciale que le Seigneur vous a confiée. Dans votre charité toute céleste, continuez à protéger les hommes contre la rage des démons ; mais vous savez, ô saint Pontife, que les embûches de ces esprits de malice sont plus fatales encore aux âmes qu’elles ne le sont aux corps. Prenez donc pitié aussi des malheureux esclaves du péché, sur lesquels le divin soleil de Pâques s’est levé sans dissiper leurs ténèbres. Obtenez qu’ils redeviennent enfants de la lumière, et que bientôt ils aient part à cette résurrection pascale dont Jésus est venu nous apporter le gage.

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Saint Jean-Baptiste de la Salle confesseur

15 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

Saint Jean-Baptiste de la Salle confesseur

Collecte

O Dieu, qui pour l’instruction chrétienne des pauvres et pour la confirmation de la jeunesse dans la voie de la vérité, avez suscité votre confesseur Jean-Baptiste, et avez par lui rassemblé dans l’Église une nouvelle famille ; accordez-nous dans votre bonté, qu’à son exemple et par son intercession, brûlants de zèle pour procurer votre gloire au moyen du salut des âmes, nous puissions dans les cieux partager sa récompense.

Office

Quatrième leçon. Jean-Baptiste de la Salle, né à Reims d’une famille illustre, fit pressentir dès son enfance, par sa manière d’être et ses actes, qu’il serait appelé à prendre le Seigneur pour son partage et paré un jour de l’auréole de sainteté. Tandis qu’adolescent il s’instruisait des lettres et de la philosophie à l’académie de Reims, il se rendit cher à tous par les vertus de son âme, la douceur de son naturel et la vivacité de son esprit ; mais lui, néanmoins, fuyait la société de ses semblables pour s’occuper plus facilement de Dieu dans la solitude. Enrôlé déjà dans la milice cléricale, il fut inscrit parmi les chanoines de Reims, en la seizième année de son âge ; puis il se rendit à Paris pour étudier la théologie à la Sorbonne et fut reçu au séminaire des Sulpiciens. Mais la mort de ses parents l’obligea bientôt à regagner la maison paternelle où il prit soin de l’éducation de ses frères, sans interrompre l’étude des sciences sacrées qu’il poursuivit avec le plus grand succès, comme la suite le prouva.

Cinquième leçon. Jean-Baptiste fut enfin revêtu du sacerdoce, et continua toute sa vie de célébrer les sacrés mystères, qu’il offrit pour la première fois sur l’autel avec la foi la plus vive et toute l’ardeur de son âme. Enflammé de zèle pour le salut des âmes, il se dépensa tout entier pour leur plus grand bien. Ayant été chargé de la direction des Sœurs de l’Enfant-Jésus, instituées pour l’éducation des enfants, non seulement il les gouverna avec la plus grande prudence mais encore il les préserva de la ruine. De plus, il consacra dès lors ses soins à instruire de la religion et à former aux bonnes mœurs les enfants du peuple. Dieu l’avait suscité à cette fin de procurer des écoles aux enfants, et surtout aux enfants pauvres, d’une manière efficace et permanente, par rétablissement en son Église d’une nouvelle famille de religieux. Cette mission, qui lui était confiée par la divine Providence, il l’accomplit heureusement, malgré de nombreuses contradictions et de grandes épreuves, en fondant la congrégation des Frères qu’il nomma « Des Écoles Chrétiennes ».

Sixième leçon. Il prit d’abord chez lui les hommes qu’il s’était adjoints pour une œuvre si importante et si ardue, et, quand il les eut établis dans une résidence mieux appropriée à leur état, il leur inculqua son excellente discipline, au moyen de lois sagement instituées, que Benoît XIII a depuis confirmées. Par humilité et amour de la pauvreté, il renonça à son canonicat et distribua tous ses biens aux pauvres ; bien plus, Il abandonna même plus tard, volontairement, après avoir souvent en vain tenté de le faire, le gouvernement de l’institut qu’il avait fondé. Sans renoncer pourtant en rien à sa sollicitude pour les Frères, et pour les écoles ouvertes déjà par ses soins en bien des lieux, il commença à s’appliquer de toutes ses forces à la pensée de Dieu. Sévissant assidûment contre lui-même par des jeûnes, des flagellations et d’autres austérités, il passait les nuits en prière. Tel fut son genre de vie jusqu’à ce que, remarquable en toutes les vertus, spécialement par son obéissance, son zèle pour l’accomplissement de la volonté divine, son amour et son dévouement envers le siège apostolique, chargé de mérites, il s’endormit dans le Seigneur, âgé de soixante-huit ans et muni des Sacrements selon l’usage. Le Souverain Pontife Léon XIII inséra son nom au catalogue des Bienheureux, puis, quand l’éclat de nouveaux miracles l’eut illustré, il lui décerna les honneurs de la canonisation l’année jubilaire dix-neuf cent.

Au troisième nocturne.

Homélie de S. Jean Chrysostome.

Septième leçon. « Gardez-vous de mépriser un seul de ces petits enfants, parce que leurs Anges voient toujours la face de mon Père », parce que je suis venu pour eux, et que telle est la volonté de mon Père. Par là, Jésus-Christ nous rend plus attentifs à protéger et à préserver les petits enfants. Vous voyez quels grands remparts il a élevés pour abriter les faibles ; que de zèle et de sollicitude il a pour empêcher leur perte ! Il menace des châtiments les plus graves ceux qui les trompent ; il promet à ceux qui en prennent soin la suprême récompense ; et cela, il le corrobore, tant par son exemple que par celui de son Père.

Huitième leçon. A nous donc aussi d’imiter le Seigneur et de ne rien négliger pour nos frères, pas même les choses qui nous sembleraient trop basses et trop viles ; mais s’il est besoin même de notre service, quelque faible et humble que soit celui qu’il faut servir, quelque difficile et pénible que la chose paraisse, que tout cela, je vous en prie, nous semble tolérable et aisé pour le salut d’un frère : car Dieu nous a montré que cette âme est digne d’un si grand zèle et d’une si grande sollicitude, que pour elle « il n’a pas même épargné son Fils ».

Neuvième leçon. Puisque, pour assurer notre salut, il ne suffit pas de mener une vie vertueuse, et qu’il faut encore effectivement désirer le salut d’autrui, que répondrons-nous, quel espoir de salut nous restera, si nous négligeons de mener une vie sainte, et d’exciter les autres à faire de même ? Quelle plus grande chose que de discipliner les esprits, que de former les mœurs des tendres adolescents ? Pour moi, celui que s’entend à former l’âme de la jeunesse est assurément bien au-dessus des peintres, bien au-dessus des statuaires, et de tous les artistes de ce genre.

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Du pouvoir des clefs

14 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

Du pouvoir des clefs

CHAPITRE 12

Quel est celui à qui il a été dit : je te donnerai les clefs : Mt 16

 Le troisième doute porte sur la personne à qui il a été dit : je te donnerai les clefs. Pour les docteurs catholiques le sens de ces paroles est on ne peut plus limpide. Mais les adversaires en détournent le sens naturel au point de les rendre obscures. Qui, je le demande, en lisant normalement : « tu es bienheureux Simon fils de Jonas », et en découvrant tout de suite après : « je te donnerai les clefs », ne dirait pas que les clefs ont été promises par le Christ au fils de Jonas ? Néanmoins, Luther (dans son livre sur le pouvoir du pape), Jean Calvin (livre 4 Institutions, chapitre 6, verset 4 et suivants, les magdebourgeois (centurie 1, livre 1, et souvent dans le livre samlchadicus sur la primauté du pape) et tous les hérétiques de notre temps veulent que rien de particulier n’ait été promis à Pierre, fils de Jonas; mais que tout ce qui est dit là appartienne à toute l’Église, que Pierre représentait alors.

Il est à noter que c’est de deux façons que saint Pierre pouvait représenter personnellement l’Église, historiquement et paraboliquement. Quelqu’un représente la personne d’un autre historiquement quand il signifie que des actions, vraiment faites par lui, doivent être mises sur le compte d’un autre qu’il représente. C’est ainsi qu’Abraham, ayant vraiment eu deux fils, signifia Dieu qui aurait deux peuples, comme l’apôtre l’explique (Ga. 4). Et Marthe, qui s’appliquait à de nombreux travaux domestiques et Marie qui était assise aux pieds de Jésus, représentaient deux vies différentes, l’active et la contemplative.

On signifie allégoriquement une chose par une autre, quand une chose vraiment arrivée est dénuée de signification, mais présente quelque chose qui est vraisemblable pour signifier autre chose. Comme dans l’Évangile, le semeur de bon grain représente le Christ prêchant. C’est de cette façon que les légats des princes ont coutume de recevoir les clefs d’une ville : dans l’intérim : ils n’acquièrent rien en propre pour eux, mais ils ne font que représenter la personne du prince. C’est de cette dernière façon que les adversaires estiment que Pierre représentait l’Église quand il a entendu le Seigneur lui dire : je te donnerai les clefs. Ce qui veut dire en clair que les clefs ont été d’abord données à l’Église, et communiquée aux pasteurs par l’Église. Et ce serait cela le sens littéral. Comme le dit le concile smalchadique du premier pape : « C’est à l’Église que les clefs du royaume ont été immédiatement et principalement attribuées, et c’est par conséquent l’Église qui possède le pouvoir d’appeler ».

 Mais nous, nous pensons que c’est de la première façon que Pierre représente l’Église. De façon telle que c’est lui qui, (pour parler comme eux), principalement et immédiatement, a reçu les clefs, et qui, en les acceptant, signifiait en même temps qu’il recevrait, d’une certaine façon, par après, l’Église elle-même. Nous expliquerons plus tard en quoi consiste cette façon. Montrons maintenant brièvement qu’il en est bien ainsi. D’abord, le Christ a désigné la personne de Pierre de tellement de façons que (comme le dit avec raison Cajetan), les notaires qui tiennent les registres publics, ne décrivent pas avec plus détails un homme particulier. Il décrit d’abord la substance de la personne par le pronom « à toi ». Il ajoute ensuite le nom qu’il a reçu à sa naissance, quand il dit : « tu es heureux, Simon ». Il ajoute même le nom du père : « fils de Jonas ». Il n’a pas voulu non plus omettre le nom qu’il venait tout juste de lui donner : et « moi je te dis que tu es Pierre ». À quoi aurait pu bien servir une description si détaillée si rien n’avait été promis à Pierre en propre ? De plus, Pierre n’était pas, à ce moment là, un légat ou un vicaire de l’Église. Car, qui lui avait confié une province de cette sorte ? Nous ne pouvons donc pas imaginer que c’est au nom de l’Église, et non pas en son propre nom, qu’il a reçu les clefs.

De plus, c’est à lui personnellement que les clefs lui ont été promises par le Christ, quand il a dit : « tu es le Christ, le fils du Dieu vivant »! C’est ce que signifiaient ces paroles : « et moi je te dis ». Et comme saint Jérôme l’a enseigné, la vraie confession a reçu une récompense. Cette excellente confession, c’est Pierre qui l’a proférée, et c’est en personne qu’il l’a proférée. C’est donc en personne qu’il a reçu la promesse des clefs. Et si on nie que c’est à Pierre qu’ont été promises les clefs parce qu’il était une figure de l’Église, il faudra nier aussi qu’Abraham a eu deux fils parce que ces deux fils signifiaient deux peuples. Il ne sera pas vrai non plus que Marthe se souciait de plusieurs choses et que Marie était assise aux pieds de Jésus parce que ces deux femmes représentaient la vie active et la vie contemplative. Si c’est une chose grave de mettre en doute des histoires si bien attestées, ce serait aussi une chose grave de douter que quelque chose ait été promis à Pierre en propre, quand cela est raconté aussi clairement dans l’Évangile.

 Celui à qui le Seigneur a dit : je te donnerai les clefs du royaume des cieux, c’est celui-là même qui, un peu après, a entendu le Seigneur lui dire : « arrière satan, tu es un scandale pour moi ! » Or, ces paroles ont été dites à Pierre seul, et à sa seule personne, comme le récit nous l’indique clairement, et comme Luther l’enseigne dans son livre sur le pouvoir du pape. Qui donc peut mettre en doute que c’est à Pierre en personne qu’ont été promises les clefs ?Mais peut-être que ce n’est pas à la même personne qu’il a été dit : « je te donnerai les clefs », et « arrière satan » ! C’est à la même personne évidemment ! Car ces deux paroles de Jésus se trouvent dans le même chapitre, et Pierre est nommé par son nom dans les deux cas. C’est ce qu’enseignent tous les pères de l’Église. Il n’est que trop certain que pour saint Hilaire, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome c’est à la même personne que, en Matthieur16, ont été dites : « je te donnerai les clefs », et « va derrière moi ».

Car même si saint Hilaire n’a pas osé référer à Pierre le mot satan, c’est à Pierre qu’il réfère tout ce qui précède. Et lui-même (dans les livres 6 et 10 de la trinité, et dans le psaume 131, réfère même le mot satan à Pierre : « Si grande était l’obligation qu’il avait de souffrir pour le salut de l’humanité, qu’il a donné le nom de satan à Pierre, le premier confesseur du Fils de Dieu, le fondement de l’Église, le portier du royaume du ciel, et juge céleste dans les jugements terrestres. » Et saint Augustin (livre 1 contre les deux épîtres de Gaudance, chapitre 31) : « Razias est-il meilleur que l’apôtre Pierre qui, après avoir dit tu es le christ, Fils du Dieu vivant, et nommé bienheureux par le Seigneur au point de lui remettre les clefs du royaume, sans penser pour autant devoir l’imiter, fut blâmé au même moment, et entendit : va après moi, satan, tu ne comprends pas les choses de Dieu ».

Saint Ambroise dit des choses semblables au sujet d’Isaac (chapitre 3), commentant ces paroles de Jésus à Pierre : tu ne peux pas me suivre maintenant, tu me suivras plus tard, dit : « Il lui avait remis les clefs du royaume, et lui avait déclaré qu’il était incapable de le suivre. » Il est évident que, pour saint Ambroise, les clefs ont été confiées à celui qui ne pouvait pas le suivre alors, mais le pourrait plus tard. Il est clair que ces paroles ont été dites à Pierre en personne, comme il a été crucifié dans sa propre personne, et qu’il a suivi le Christ en mourant.

Mais Luther a des objections à faire dans son livre du pouvoir du pape. La première. Il est certain que c’est à Pierre que le Seigneur a dit : va après moi, tu ne comprends pas les choses de Dieu. Or, ces choses ne conviennent pas à celui à qui le Père a révélé des secrets célestes, et qui a reçu les clefs du ciel. Ce n’est donc pas dans sa personne propre, mais dans la personne de l’Église qu’il a entendu des révélations célestes, et qu’il a reçu les clefs du royaume des cieux. Je réponds que c’est à la même personne que toutes ces choses-là se rapportent, comme nous l’avons déjà démontré, mais pas de la même façon. C’est comme une grâce donnée par Dieu qu’il a reçu la révélation et les clefs, et c’est par sa propre infirmité qu’il s’est scandalisé de la passion et de la mort du Christ. Le nom de satan ne doit pas nous troubler outre mesure. Il ne signifie pas, en effet, le diable, mais l’adversaire. Il ne signifie rien d’autre, en effet, dans la langue hébraïque. Et même s’il arrive souvent que satan signifie le diable, ce n’est pas partout.

La deuxième objection. C’est au nom de tous les disciples que saint Pierre a dit : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. C’est donc au nom de tous qu’il entendit ces paroles : je te donnerai les clefs.  Que ce soit au nom de tous les apôtres que Pierre ait répondu, le déclarent saint Jean Chrysostome qui a écrit que, dans ce passage, Pierre a été la bouche de tous les apôtres, et saint Jérôme qui explique que saint Pierre a parlé au nom de tous, ainsi que saint Augustin qui (dans le sermon 13 de la parole de Dieu) déclare qu’un a parlé pour tous. On le déduit aussi du fait que le Seigneur les a tous interrogés : « Et vous, que dites-vous de moi ? » Car, ou bien il faut blâmer les apôtres pour ne par avoir répondu à la question du Sauveur, ou bien il faut admettre que saint Pierre a répondu au nom de tous.

Je réponds que saint Pierre a répondu au nom de tous non comme un porte-parole quelconque, mais comme le prince, le chef et la bouche des apôtres (comme le dit saint Jean Chrysostome). Car, il fut le seul à répondre non parce que les autres ignoraient la meilleure réponse. Mais, par leur silence, ils approuvèrent la réponse de saint Pierre, et c’est de cette façon que tous ont parlé par sa bouche. Donc, comme Pierre fut le seul à répondre et que les autres acquiescèrent, il fut aussi le seul à recevoir les clefs du Christ, mais pour qu’elles soient communiquées à d’autres après lui. Qu’il en soit bien ainsi, nous le prouvons par un raisonnement. Si Pierre avait répondu au nom de tous, il l’aurait fait cela parce que les autres le lui avaient demandé, ou parce qu’il savait ce qu’ils répondraient. Ce n’est pas pour la première raison car, c’est par une révélation divine, qu’il l’a appris, non par une consultation humaine, car le Christ lui a dit : ce n’est ni la chair ni le sang qui t’ont révélé cela. Ce n’est pas non plus pour la deuxième, car c’est à lui seul qu’a été faite cette révélation. De même. S’il connaissait l’opinion des autres, il aurait trouvé une façon de l’indiquer, comme il l’a fait quand il a dit (Jn 6) : « Vers qui irons-nous ?  Tu as les paroles de la vie éternelle ». Et, ensuite : « Nous croyons et nous savons que tu es le Christ, le Fils de Dieu ». Saint Jean Chrysostome note que, dans ce texte, saint Pierre parle pour tous : « et nous croyons, nous ». Et c’est pour cela que le Christ les a avertis que ce n’était pas vrai pour tous, car, Judas ne croyait pas. Il a dit : « Ne vous ai-je pas tous choisis ? Et pourtant, l’un de vous est un démon ». Puisque Pierre ne fit pas mention des autres quand il dit : tu es le christ, le fils du Dieu vivant, ce n’est que la confession de Pierre que le Seigneur approuva.

Se présentent les témoignages des pères qui enseignent sans aucune obscurité que Pierre a répondu si rapidement qu’il ne savait pas ce que les autres pensaient. Saint Hilaire : « Il a été jugé digne d’être le premier à connaître ce qu’était le Christ de Dieu. » S’il est le premier, la révélation n’a donc pas été faite au même moment aux autres. Et (dans le livre 6 de la trinité), il écrit : « C’est dans le silence des autres apôtres, qu’il comprend le Fils de Dieu par la révélation du Père ». Et au même endroit : « Il a dit ce que la voix humaine n’avait pas encore exprimé ». Saint Jean Chrysostome (homélie 55 sur saint Matthieu, écrit : « Quand il demanda ce que pensait le peuple, tous répondirent. Quand il les interrogea sur ce qu’ils pensaient de lui, Pierre les prit de vitesse, et dit, avant que chacun ait pu ouvrir la bouche : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Saint Cyrille (livre 12, saint Jean, chapitre 64) : « En tant que prince et chef des autres, il s’exclama le premier : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Saint Augustin (sermon 24, sur l’évangile du jour) : « Voici le Pierre qui, par une révélation divine de toutes les vérités, a mérité d’être le premier à confesser le Christ, en disant : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Saint Léon (sermon 11 de la passion) enseigne : « C’est avec raison qu’on loue l’apôtre Pierre pour la confession de cette unité, pendant que les apôtres cherchaient quoi répondre à la question du Christ.  En prévenant les bouches de tous, il dit en toute vitesse : tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Et, (dans le sermon 2 sur saints Pierre et Paul) : « Quand on fait appel à l’ambiguïté de l’intelligence humaine, la réponse est commune à tous ceux qui sont interrogés. Or, quand on veut savoir ce que pensent les disciples, celui qui est le premier dans la dignité apostolique est le premier à répondre. » De tous ces témoignages ont peut déduire que Pierre n’a pas répondu au nom des autres pour aucune autre raison que parce que tous étaient du même avis que lui.

La troisième objection. Les clefs sont promises à Pierre non en tant que fils de Jonas, mais en tant qu’auditeur du Père céleste. C’est donc proprement à l’auditeur du Père céleste, non à la chair et au sang, que les clefs sont promises. On ne peut dire d’aucun homme qu’il est certain qu’il soit un véritable auditeur de Dieu. Mais nous savons avec certitude que l’Église tend toujours l’oreille à la parole de Dieu. Les clefs ne sont donc pas promises à un homme, mais à l’Église. Je réponds que ces paroles de Luther sont en conflit avec les paroles elles-mêmes de l’Évangile, car le Christ a dit : bienheureux es-tu, fils de Jonas. Et, un peu après : je te donnerai les clefs. Or, Luther dit que les promesses des clefs n’ont pas été faites à Simon fils de Jonas. Le Christ redit : « que mon Père t’a révélé ». Et Luther : d’aucune personne nous sommes certains qu’elle écoute vraiment Dieu; donc, Pierre, non plus. Est donc faux ou incertain ce que le Christ a dit : mon Père te l’a révélé. Qu’est-ce que le Père a révélé à Pierre s’il n’a rien entendu ? Si Saint Pierre a vraiment entendu quelque chose, et comme le témoignage de Jésus est certain, il doit être aussi certain que les clefs ont été données à celui qui a entendu parler le Père.

De plus, être un auditeur des paroles du Père n’est pas la raison formelle pour laquelle les clefs ont été données. Autrement, le pouvoir des clefs dépendrait de la probité des ministres, ce qui est l’hérésie des donatistes, que même dans la confession augustinienne nous voyons rejetée (chapitre de l’Église). Mais cette confession célèbre fut une occasion, ou une cause méritoire expliquant pourquoi les clefs avaient été données à lui plutôt qu’à d’autres, comme le montrent les commentaires de saint Hilaire, de saint Jérôme, de saint Jean Chrysostome et de Théophylacte.

La quatrième objection. Saint Paul (épître aux romains, chapitre 4 ) dit : « Comme la foi d’Abraham fut réputée à justice », la foi de tous ceux qui croient doit être aussi réputée à justice. De la même façon, donc, si c’est parce qu’il a confessé le Christ, Fils du dieu vivant qu’il a reçu les clefs, il est certain que tous ceux qui confessent le Christ Fils de Dieu ont les clefs du royaume des cieux. Cet argument, dit Luther, est d’une forme semblable à l’argument de saint Paul, et ne peut pas être réfuté, à moins de réfuter l’argument de saint Paul. Je réponds que cet argument est semblable par la forme mais dissemblable par la matière, et qu’il ne conclut donc rien. Car, de par sa nature, la foi conduit à la justice, et fait un juste d’un injuste, et un plus juste d’un juste, si ne font pas défaut les autres choses qui, avec la foi, sont requises pour la justification. Mais la confession de la foi ne conduit pas, par sa nature, à la réception des clefs. Dieu pouvait de centaines de manières différentes récompenser la foi de Pierre, mais c’est pas l’obtention des clefs qu’il l’a fait. On peut voir quelque chose de semblable dans l’exemple d’Abraham. En effet, par la foi, Abraham n’a pas obtenu seulement d’être justifié, mais il a mérité d’être le père de plusieurs nations, comme le dit l’apôtre. Mais tous les croyants ne sont pas pour autant pères de plusieurs peuples. De plus, la foi n’est pas par elle-même et naturellement unie au don des clefs ou de fécondité, comme elle est par elle-même et naturellement unie avec la justice.

La cinquième objection, À la mort de Pierre, les clefs sont-elles demeurées dans l’Église, ou ont-elles été perdues ? Si elles sont demeurées, c’est à l’Église qu’elles furent données, Si elles ont péri, les hommes ne peuvent plus aujourd’hui être absous ou déliés. De même. Quand le pontife est élu, il apporte avec lui les clefs, oui ou non ? S’il les apporte, il est donc pontife avant de le devenir; s’il ne les apporte pas, d’où les tient-il ? Lui sont-elles apportées du ciel par un ange, ou ne la reçoit-il pas plutôt de l’Église, à laquelle elles ont été confiées ? Je réponds qu’à la mort d’un pape, les clefs ne périssent pas. Elles ne demeurent pas non plus formellement dans l’Église, sauf en tant qu’elles ont été communiquées aux ministres inférieurs. C’est dans les mains du Christ qu’elles demeurent. C’est tout à fait comme si en donnant un pro-roi à une province, un roi statuerait que ce serait son bon plaisir que les gens de cette province élisent un pro-roi, et qu’il lui concéderait le même pouvoir qu’au premier.

Sixième objection de Luther et de Calvin. Ils disent qu’en Mt 16, les clefs ne sont pas données, mais promises seulement. Elles sont données en Mt 18 et Jn 20, et c’est à tous les apôtres qu’elles sont données, non à Pierre seul. Car il est dit en Mt 18 : « Tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans les cieux ». Et, en Jn 20 : « Recevez l’Esprit Saint. Les péchés seront remis à qui vous les remettrez, et retenus à qui vous les retiendrez. » Donc, quand elles avaient été données, ce n’était pas à un seul apôtre mais à tous les apôtres qu’elles l’avaient été. Je réponds que le dernier texte ne représente aucune difficulté, car il est certain que, par ses paroles, ce n’est pas tout le pouvoir des clefs qui est donné, mais seulement le pouvoir que donne le sacrement de l’ordre de remettre les péchés. En effet, dans ce passage est donné un pouvoir sur les péchés, tandis qu’en Mt 16, il est question de lier et de délier. Or, les hommes ne sont pas liés seulement par les péchés, mais par les lois. De plus, c’est plus simple de retenir un péché que de lier un pécheur, car retenir signifie laisser un pécheur dans son état, ne pas l’absoudre; tandis que lier c’est lui imposer un nouveau lien, qui se fait par l’excommunication, un interdit, une loi etc. C’est pourquoi les pères enseignent que c’est par les sacrements de baptême et de pénitence que s’exerce ce pouvoir de remettre les péchés.  Voir saint Jean Chrysostome et saint Cyrille sur ce passage, et saint Jérôme (épître à Hedibiam, question 9).

Le premier texte offre une difficulté plus grande. Origène, par exemple, affirme, en commentant ce passage, que ce n’est pas le pouvoir ecclésiastique qui est donné là, mais que c’est la correction fraternelle qui est recommandée. Il dit que ce passage traite de l’absolution de quelqu’un qui, à cause de l’admonition d’un frère, renonce à son péché, et en est libéré par la pénitence qui est due. Est lié celui qui, après avoir été dénoncé par quelqu’un, est considéré comme un païen et un publicain. Il précise même que ce texte ne parle pas de la même chose que Mt 16. Même si l’explication d’Origène est improbable, elle ne favorise certainement pas les Luthériens. Theophylacte explique le texte autrement. Il dit que les paroles du Seigneur se rapportent à ceux qui souffrent, et que quelqu’un les lie tant qu’il retient l’injustice. Ils libèrent en remettant quand cesse l’injustice. Car celui qui reçoit l’injustice, la remet à quelqu’un qui se repent ou qui ne se repent pas. S’il la remet à celui qui se repent, il sera absous dans le ciel, mais non parce qu’il la remet, car même s’il ne voulait pas la remettre il serait absous dans le ciel. S’il la remet à celui qui ne se repent pas, alors n’est pas absous dans le ciel celui auquel il a pardonné sur terre. On peut dire la même chose du pouvoir de lier. Car, même si était vraie leur affirmation, elle n’infirmerait en rien notre cause. Car, il est certain qu’il a été donné à Pierre autre chose que de remettre les injures qui lui ont été faites. C’est donc la position commune des pères (saint Hilaire, saint Jérôme, saint Augustin, saint Anselme) que le Seigneur, en saint Jean parle du pouvoir des clefs par lequel les apôtres et leurs successeurs lient et absolvent les pécheurs.

Et bien qu’on semble traiter ici principalement du pouvoir de juridiction, par lequel les pécheurs sont excommuniés, les pères nommés parlent, cependant ici, et du pouvoir d’ordre et du pouvoir de juridiction. Et il semble certain qu’on puisse déduire cela du texte lui-même, car il est dit, d’une façon générale : « tout ce que vous lierez », Comme en Mt 15 : « tout ce que tu lieras ». Mais, s’il en est vraiment ainsi, que répondrons-nous à nos adversaires ? Ce qui a été promis au seul Pierre n’est-il pas donné à tous les apôtres ? Cajetan (dans le traité des institutions et des actes des pontifes romains, chapitre 5), enseigne que le pouvoir des clefs du royaume des cieux et le pouvoir de délier et de lier, ne sont pas deux choses semblables. Car, les clefs du royaume des cieux incluent le pouvoir d’ordre et de juridiction, lesquels sont signifiés par l’action de lier et de délier. C’est, selon lui, quelque chose de plus ample et de plus large que le simple pouvoir d’ouvrir et de fermer, de délier et de lier. Mais cette doctrine nous semble plus subtile que vraie. Car, on n’a jamais entendu dire qu’il y ait, dans l’Église, d’autres clefs que celles de l’ordre et de la juridiction. Et le sens plénier de ces paroles est : je te donne les clefs du royaume, et tout ce que tu délieras sur la terre etc. Est d’abord désigné celui à qui a été promise en premier lieu l’autorité ou le pouvoir désigné par les clefs, puis, on explique les actions ou la tâche par ces mots lier et délier, de sorte que délier et ouvrir signifient la même chose, ainsi que fermer et lier. Pour dire le vrai, le Seigneur a décrit les actions des clefs par les mots lier et délier, non par fermer et ouvrir, pour que nous comprenions qu’il s’agit là d’expressions métaphoriques, et que le ciel est ouvert aux hommes quand ils sont déliés des péchés qui en empêchent l’entrée.

Laissant cela de côté pour l’instant, nous affirmons d’abord que, par les paroles du Seigneur (Mt 16), n’est pas donné, mais seulement promis ou expliqué ou annoncé d’avance quel pouvoir auraient, en leur temps, les apôtres et leurs successeurs. Car, il est clair que les apôtres n’ont été faits prêtres qu’à la dernière scène; qu’ils n’ont été évêques et pasteurs qu’après la résurrection. En conséquence, au moment où le Seigneur leur parlait ainsi, ils n’étaient que des hommes privés, et n’avaient aucun pouvoir ecclésiastique. Donc, si par ces mots : « tout ce que vous lierez sera lié », est donné réellement le pouvoir de lier, sera réellement donné et non seulement promis le pouvoir de lier par ces mots : « tout ce que tu lieras ». Car les mots sont absolument semblables. Or, les adversaires soutiennent que par les mots : tout ce que tu lieras, rien n’a été donné, mais seulement promis. Ils doivent donc concéder que par les mots : « tout ce que vous lierez », rien n’est donné, car ce n’est là aussi qu’une promesse. La cause de cette promesse est la parole de Jésus selon laquelle il faut considérer comme un païen et un publicain celui qui n’écoute pas l’Église. Et, pour qu’il ne pense pas qu’on puisse mépriser l’autorité de l’Église, il ajoute que le pouvoir des prélats de l’Église sera tel que ce qu’ils lieront sur la terre sera lié dans les cieux.

Tu diras : si le pouvoir des clefs n’a pas été donné aux apôtres à ce moment, mais seulement promis, quand leur a-t-il été donné ? Je réponds qu’il leur a été donné en Saint Jean 20 et 21, quand le Seigneur a dit à ses apôtres : « Paix à vous. Comme le Père m’a envoyé, je vous envoie ». C’est alors qu’il leur a attribué le pouvoir ou la clef de juridiction. Il fit d’eux, par ces mots, comme des légats, et des gouverneurs de l’Église en son nom. Par les paroles suivantes : « recevez le Saint-Esprit, les péchés seront remis à qui vous les remettrez », il leur a donné le pouvoir d’ordre, comme nous avons dit plus haut. Et pour que nous comprenions que ce pouvoir suprême a été conféré aux apôtres en tant que légats, non comme pasteurs ordinaires, mais avec une certaine subordination à Pierre, il dit à Pierre seul (Saint Jean 21) : « pais mes brebis ».  Et c’est alors que lui a été confié le soin de ses frères les apôtres.

Et c’est pour cela aussi, que, en Mt 16, la promesse des clefs a été faite à Simon fils de Jonas, ou Simon fils de Jean, comme on l’a en grec. Et comme, en Mt 16, les clefs n’ont pas été promises avant que Simon ne donne un témoignage de sa foi singulière, le Christ ne lui a pas dit (en saint Jean) de paître ses brebis, avant qu’il ait répondu, à celui qui le lui demandait, qu’il l’aimait plus que les autres. Et il est clair qu’il n’y aurait pas eu de raison pour laquelle Jésus dise à Pierre seul : je te donne les clefs, pais mes brebis, s’il n’allait recevoir rien de plus que les autres. C’est donc à bon droit que saint Léon (épitre 89) a écrit aux évêques de la province de Vienne qu’à Pierre a été donné, avant les autres, le pouvoir de lier et de délier.

La dernière objection de Luther et de Calvin  est tirée du témoignage des pères. Car, saint Cyprien (dans le livre de la simplicité des prélats, ou de l’unité de l’Église ) enseigne que les clefs qui ont été plus tard données à tous n’ont pas été données à Pierre séparément pour d’autre raison que pour signifier l’unité de l’Église : « Tous les apôtres ont été comme Pierre également chargés d’honneurs et de responsabilités, mais c’est de Pierre que l’unité prend son point de départ, et c’est pour que l’Église soit une que la primauté a été donnée à Pierre ». Saint Hilaire (livre 6 de la trinité) pale ainsi : « Vous autres, hommes saints et bienheureux, c’est pas le mérite de votre foi que vous avez hérité des clefs du royaume des cieux, et du droit de lier et de délier sur la terre et au ciel ». Saint Jérôme (livre 1, contre Jovinien) dit que c’est sur Pierre qu’est fondée l’Église, même si la même chose arrive ailleurs à tous les apôtres, et que tous reçoivent… » Saint Augustin (traité 50, en Jean) : « Si saint Pierre n’était pas le sacrement de l’église, le Seigneur ne lui aurait pas dit : je te donnerai les clefs du royaume des cieux. Mais si cela n’est dit qu’à Pierre, l’Église ne le fait donc pas. Mais si l’Église le fait, quand Pierre a reçu les clefs, il représentait donc l’Église. »  On trouve des choses semblables dans le dernier traité sur saint Jean, dans le psaume 108, dans la doctrine du Christ, chapitre 18, et dans le livre sur l’agonie de Jésus, chapitre 3. De plus, saint Léon (sur l’anniversaire de son intronisation), en expliquant ces paroles : je te donnerai les clefs, dit qu’a passé dans les autres apôtres la force de ce pouvoir, et que s’est communiquée à tous la portée de ce décret. »

Je réponds. Quand saint Cyprien a dit que les apôtres étaient égaux en honneur et en pouvoir, il n’a rien dit contre nous. Nous reconnaissons, nous aussi, que les apôtres sont égaux par le pouvoir apostolique, et qu’ils ont eu sur les chrétiens la même autorité, mais qu’ils ne furent pas égaux entre eux. C’est ce que saint Léon (épître 84 à Anastase, évêque de Thessalonique, expliquant ces paroles de saint Cyprien dit : « Entre les saints apôtres, il y eut une différence sur le plan de l’honneur et du pouvoir, et bien que tous aient été semblables par l’élection divine, c’est à un seul qu’il a été donné de présider aux autres ». C’est ce que saint Cyprien enseigne là et ailleurs. Car, quand il dit que c’est de lui qu’origine l’unité, pour que l’Église se montre une. Il ne veut pas dire qu’à Pierre plus qu’aux autres a été donné, dans l’ordre du temps, ce pouvoir pour que par lui soit représentée l’unité de l’Église, mais que l’Église a commencé dans le seul Pierre, comme dans son fondement et sa tête, de sorte que c’est de lui que l’Église possède un fondement et une tête, et qu’elle se montre une. Comme une maison est dite une par son fondement, et un corps par sa tête.

Que ce soit là le sens des paroles de saint Cyprien, on le prouve d’abord en constatant qu’il est faux que le pouvoir apostolique ait été donné à Pierre avant tous les autres. Car, à tous il a été donné en Jn 20. Et c’est après cela qu’il a été dit à Pierre : pais mes brebis (Jn 21). On ne doit donc pas entendre « un commencement parfait par un seul » parce qu’à un seul a été donné d’abord les clefs, mais parce qu’à un seul elles ont été données comme à un pasteur ordinaire, premier et tête des autres. De plus, on peut prouver la même chose avec les paroles de saint Cyprien, car, dans le livre sur la simplicité des prélats, expliquant l’unité de l’Église, et pour quelle raison elle tire son origine du seul Pierre, il écrit que l’Église est une de la même façon que tous les rayons du soleil sont dits une seule lumière, parce qu’ils émanent tous d’un seul soleil. Et comme plusieurs ruisseaux sont une seul eau parce qu’ils viennent tous de la même source; et plusieurs branches un seul arbre, parce qu’elles proviennent toutes de la même racine. Or, cette racine et cette fontaine d’où l’Église tire son unité, saint Cyprien enseigne en plusieurs endroits que c’est le siège de Pierre. Il dit (dans le livre 1de l’épître 3 à Corneille) : « Ils osent naviguer vers la cathédrale de Pierre et à l’Église principale d’où est née l’unité sacerdotale ».

Qu’y a-t-il de plus clair ? Et, (dans le livre 4 de l’épître 8 à Corneille), il dit en parlant de la chaire de Pierre : « Nous savons très bien qu’on nous a exhortés à la reconnaitre et à la tenir comme la matrice et la racine de l’Église catholique ». Et dans son épître à Bubajan : « Nous la tenons, nous autres, comme la racine et la tête d’une seule Église » Et, un peu plus bas, expliquant ce qu’est cette racine, il dit : « C’est d’abord à Pierre, en premier, que le Seigneur a donné cette puissance. C’est sur lui qu’il a édifié l’Église, et c’est lui qu’il a institué et montré comme origine de l’universalité. » Et un peu plus bas : « L’Église qui est une est fondée par la parole du Seigneur sur celui qui est seul à avoir reçu les clefs ». Tu vois clairement là que l’Église est dite une parce qu’elle est fondée sur le seul Pierre.

Pour en venir au témoignage de saint Hilaire, nous admettons que tous les apôtres ont reçu les clefs, mais pas de la même manière que Pierre. C’est pourquoi le même saint Hilaire écrit que, parce qu’il est le seul à avoir répondu quand tous les autres gardaient le silence, saint Pierre, par la profession de sa foi, a mérité un lieu suréminent. Saint Pierre a donc eu, parmi les apôtres, un lieu suréminent, si nous en croyons saint Hilaire. Et (dans le chapitre 16 de saint Matthieu, il dit de Pierre seul : « O bienheureux portier du ciel, à la décision duquel les clefs de l’entrée éternelle sont confiées. » Et je dis au sujet de saint Jérôme que la réponse se trouve dans un autre passage. Car le même saint Jérôme dit que les apôtres avaient eux aussi les clefs du royaume, mais comme étant soumis à Pierre. Et au sujet de saint Léon, je dis qu’est passée dans un grand nombre l’autorité de lier et de délier, mais qu’elle a été donnée principalement à Pierre. Car, le même saint Léon dit ailleurs : « Si le Christ a voulu que les autres princes aient quelque chose en commun avec lui, c’est toujours par Pierre qu’il a donné ce qu’il n’a pas dénié aux autres. » Et, dans l’épître (89 aux évêques de la province de Vienne), il dit : « À Pierre, avant les autres, a été donné le pouvoir de lier et de délier ».

Restent les témoignages de saint Augustin. Pour les expliquer diligemment, il y a trois choses qu’il faut noter. La première : Quand il dit que saint Pierre représentait l’Église au moment où il a reçu les clefs, il ne prétend pas qu’il les ait reçues ainsi historiquement, mais symboliquement, car il n’a jamais pensé devoir nier que Pierre les aient reçues en sa personne. C’est ce qu’on peut déduire de son traité sur le psaume 108, que Luther nous objecte. Car saint Augustin dit là que saint Pierre a été la figure de l’Église quand il a reçu les clefs, comme Juda a été la figure des Juifs ingrats quand il a trahi Jésus. Or, il est certain que c’est historiquement que Judas a livré le Christ en personne. De même, dans son dernier traité sur saint Jean, saint Augustin enseigne que saint Pierre a été la figure de l’Église militante et de la vie active quand il entendit : « suis-moi », et : « un autre te ceindra et t’amènera où tu ne veux pas »; et quand il reçut les clefs du royaume. Comme saint Jean a été la figure de l’église triomphante et de la vie contemplative, quand il se pencha sur la poitrine de Jésus, et quand il fut dit de lui : si je veux qu’il demeure. Or, il est certain que saint Jean s’est historiquement et vraiment penché sur la poitrine du Seigneur, et que c’est littéralement que se sont réalisées les paroles du seigneur, qu’il soit mort, ou qu’il ne soit pas mort d’une mort violente, ou même s’il faut donner un autre sens à cette phrase. Il n’est pas moins certain que saint Pierre a entendu en personne, de ses propres oreilles, ces paroles : « un autre te ceindra ». On doit donc conclure que c’est réellement et historiquement que saint Pierre a reçu les clefs.

Ensuite, (au livre 15 de la trinité, chapitre 26), saint Augustin dit que le Christ a été la figure de l’Église quand il a été baptisé. Or, sans doute possible, il a été véritablement et réellement baptisé. Donc, chez saint Augustin, le fait que l’un soit la figure d’un autre n’exclut pas l’historicité d’un récit. Mais, tu diras que, dans le psaume 108, saint Augustin semble laisser entendre qu’on ne peut pas attribuer à Juda tout ce qui est dit dans le psaume. Et voilà pourquoi il faudrait exposer au grand jour plusieurs choses pour que Judas soit la figure des impies. Et dans son dernier traité sur saint Jean, il explique figurativement les choses qui sont dites de saint Pierre et de saint Jean, parce qu’elles ne semblent pas convenir à leurs personnes. Car il est écrit de Pierre qu’il a aimé le Christ plus que saint Jean, et c’est le contraire qui est écrit au sujet de Jean, car on dit qu’il fut plus aimé par le Christ que Pierre.  Comme ces choses ne peuvent pas être vraies littéralement, et comme le Christ qui est juste,  aime toujours plus ceux qui l’aiment le plus, saint Augustin interprète ces paroles au sens où saint Pierre aurait tenu la place de l’Église. Il dit cela parce qu’il estime que les paroles du Christ ne lui conviennent pas vraiment.

Je réponds que saint Augustin n’a jamais dit que n’était pas littéralement vrai ce qui était dit de Judas dans le psaume, et de saint Pierre et de saint Jean dans l’Écriture. Car, il n’était pas assez ignorant ou impie pour nier que saint Jean se soit vraiment penché sur la poitrine de Jésus, ou qu’il faille entendre au sens littéral ce qui est dit de lui : celui-ci est le disciple que Jésus aimait. Il ne niait pas non plus qu’il fallait entendre au sens littéral la demande de Jésus : Simon fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci, ou cette autre : suis-moi. Saint Augustin ne nie donc pas qu’on puisse et qu’on doive entendre au sens littéral ce qui est dit de Jean et de Pierre. Il dit simplement que le sens littéral est souvent obscur, et qu’il n’est pas toujours facile de le trouver. Il pense que le sens mystique est plus éclairant et plus riche, et c’est pour cela que, laissant de côté le sens littéral, il a décidé d’expliquer ces passages de façon allégorique. En second lieu, il faut observer que quand saint Augustin dit que saint Pierre a reçu les clefs dans la personne de l’Église, il ne veut pas dire que ces clefs aient été réellement et historiquement reçues comme un vicaire ou un légat de l’Église, comme le légat d’un roi a coutume d’accepter les clefs d’une cité au nom de son prince; mais plutôt comme prince et modérateur de toute l’Église. De la même manière qu’on dit qu’est donné au royaume ce qui est donné au roi, surtout si cela se rapporte à l’utilité publique.

Que ce soit là la pensée de saint Augustin, on peut le déduire du fait que presque partout où il est dit que saint Pierre est la figure de l’Église, il explique qu’il dit cela à cause de la primauté (traité ultime sur saint Jean) : « C’est à cause du primat de son apostolat, que saint Pierre était la figure de l’Église » Dans le psaume 108 : « On reconnaît qu’il représente la personne de l’Église à cause de la suprématie qu’il a sur les autres apôtres. » Et (sermon 13 sur la parole du Seigneur), il dit : « Pierre le bienheureux connu par la pierre, portant la figure de l’Église, tenant la primauté de l’apostolat ». Il faut observer, à la fin, que, chez saint Augustin, saint Pierre a été, de deux façons, figure de l’Église. D’abord, recevant les clefs en tant que chef suprême de l’Église, saint Pierre a représenté tous les chefs qui auront les mêmes clefs, mais communiquées par Pierre, et non sans mesure. Car Pierre ne les a pas reçues pour les utiliser à lui seul, mais pour les communiquer aux autres évêques et prêtres, à l’exception des apôtres qui, par une grâce exceptionnelle et extraordinaire, les ont reçues immédiatement du Christ, comme nous l’avons dit ailleurs.

Il fut donc, au début, la figure de toute l’assemblée des ministres ecclésiastiques, et c’est ce que voulait dire saint Augustin (traité 50 sur saint Jean) quand il écrivit ; « Si cela n’est dit qu’à Pierre, l’Église ne le fait donc pas. Si cela se fait dans l’Église, c’est donc que saint Pierre représentait la sainte Église quand il reçut les clefs ». De ce passage, Calvin a enlevé le mot « ne…que », pour nous persuader que tout ce qui a été donné à Pierre lui a été donné en tant que représentant de l’Église. Or, saint Augustin n’a pas dit : si cela n’a pas été donné à Pierre, l’Église ne le fait pas, mais si cela n’est dit que de Pierre. Et le sens de ces paroles est : s’il a été dit au seul Pierre je te donne les clefs, de façon à ce qu’il soit le seul à pouvoir lier et délier, il s’ensuit que l’Église et les autres ministres ne font rien de tel. Mais si tous le font, comme nous le voyons, il est certain qu’en recevant les clefs, saint Pierre représentait l’Église.

En recevant les clefs d’une autre manière, le même Pierre fut la figure de toutes la sainte Église, c’est-à-dire de tous les justes, de tous les membres vivants du corps du Christ. Car, à cause des donatistes, saint Augustin a conçu une nouvelle manière de parler des clefs et de la rémission des péchés. En effet, en plus de cette façon de parler qui nous fait dire que les péchés sont remis par les prêtres dans l’administration des sacrements de baptême et de pénitence, façon de parler souvent employée par les pères, on a aussi souvent coutume de dire que les péchés sont remis par la charité de l’Église, par le gémissement de la colombe, et par les prières des saints. Et c’est de cette façon que les clefs du royaume n’appartiennent qu’aux justes, et c’est aussi ce qu’a signifié saint Pierre en recevant les clefs. Au traité 121 sur saint Jean, il dit : « La charité de l’Église qui est diffusée dans nos cœurs par le Saint-Esprit, remet les péchés de ceux qui y participent. Mais elle retient les péchés de ceux qui n’y participent pas. » Même chose (dans le livre 3 sur le baptême, chapitre 18) : « La rémission des péchés est donnée, celle qui est donnée par le gémissement de la colombe, quel que soit celui qui baptise, si la paix de l’Église s’étend sur le baptisé. Car le Seigneur n’aurait pas dit aux voleurs et aux meurtriers : les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez et retenus à ceux à qui vous les retiendrez. À l’extérieur rien, ne peut être lié, rien ne peut être délié, là où il n’y a personne qui puisse lier ou délier. Mais est délié celui qui a fait la paix avec la colombe, et est lié celui qui n’a pas fait la paix avec la colombe ». Et, au chapitre 17 : « Car, le fait que, dans le type d’unité, le Seigneur a donné à Pierre le pouvoir de délier sur terre ce qu’il délierait, il est évident que cette unité porte aussi le nom de colombe parfaite. » Et, un peu plus bas : « Par les prières des saints qui sont dans l’Église, comme le gémissement suppliant de la colombe, est accompli un grand sacrement, et est accordée une occulte dispensation de la miséricorde de Dieu, pour que soient absous les péchés de ceux qui ne sont pas baptisés par la colombe mais par un oiseau rapace s’ils accèdent à ce sacrement avec la paix de l’unité catholique. »  Voir des choses semblables dans livre 5 du baptême, chapitre 21, livre 3, et livre 7, chap 51.

Par ces paroles, saint Augustin ne veut pas dire que l’Église des justes remet les péchés de sa propre autorité, mais qu’à personne ne sont remis les péchés, tout baptisé et réconcilié qu’il soit, à moins que ne s’étende sur lui la charité de l’Église, et qu’il devienne un membre vivant de la colombe, et donc participant des prières des autres justes. Par les prières des saints, comme par le gémissement de la colombe, est demandée la pénitence intérieure et la charité par laquelle sont justifiée formellement ceux qui sont justifiés. Saint Augustin a développé cette façon de parler à cause des donatistes. Il leur semblait étrange que des hérétiques puissent justifier les hommes par le baptême, et introduire dans l’Église, alors qu’ils étaient couverts de péchés et à l’extérieur de l’Église. Pour répondre à cette difficulté, saint Augustin enseigna que ce n’était pas tant celui qui baptisait qui remettait les péchés que le gémissement de la colombe. Car celui qui est baptisé n’est pas justifié parce qu’il est baptisé par un tel ou un tel, mais parce que, par le baptême donné par n’importe qui, la charité de l’Église s’étend sur lui.

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Vème Dimanche après Pâques

14 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

Vème Dimanche après Pâques

Introït

Avec des cris de joie, publiez-le, faites-le savoir, alléluia ; proclamez-le jusqu’aux extrémités de la terre : le Seigneur a délivré son peuple, alléluia, alléluia. Poussez vers Dieu des cris de joie, ô terre entière ; chantez un hymne à son nom ; rendez glorieuse sa louange.

Collecte

Dieu, de qui procèdent tous les biens, accordez à vos serviteurs suppliants : que, par votre inspiration, nos pensées se portent à ce qui est bien ; et que notre volonté, guidée par vous, l’accomplisse.

Épitre Jc. 1, 22-27

Mes bien-aimés, mettez cette parole en pratique, et ne vous contentez pas de l’écouter, vous trompant vous-mêmes. Car si quelqu’un écoute la parole et ne la met pas en pratique, il est semblable à un homme qui regarde dans un miroir son visage naturel, et qui, après s’être regardé s’en va, et oublie aussitôt quel il était. Mais celui qui aura considéré attentivement la loi parfaite de la liberté, et qui l’aura fait avec persévérance, arrivant ainsi, non à écouter pour oublier, mais à pratiquer l’œuvre prescrite celui-là trouvera le bonheur dans son activité. Si quelqu’un croit être religieux, et ne met pas un frein à sa langue, mais trompe son propre cœur, la religion de cet homme est vaine. La religion pure et sans tache devant Dieu notre Père consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leur tribulation, et à se conserver pur du siècle présent.

Évangile Jn. 16, 23-30

En ce temps-là, Jésus dit à ses disciples : En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous demandez quelque chose à mon Père en mon nom, il vous le donnera. Jusqu’à présent vous n’avez rien demandé en mon nom. Demandez, et vous recevrez, afin que votre joie soit parfaite. Je vous ai dit ces choses en paraboles. L’heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais où je vous parlerai ouvertement du Père. En ce jour-là, vous demanderez en mon nom ; et je ne vous dis pas que je prierai le Père pour vous ; car le Père vous aime lui-même, parce que vous m’avez aimé, et que vous avez cru que je suis sorti de Dieu. Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde ; je quitte de nouveau le monde, et je vais auprès du Père. Ses disciples lui dirent : Voici que, maintenant, vous parlez ouvertement, et vous ne dites plus de parabole. Maintenant nous savons que vous savez toutes choses, et que vous n’avez pas besoin que personne ne vous interroge ; voilà pourquoi nous croyons que vous êtes sorti de Dieu.

Offertoire

Nations, bénissez notre Dieu et faites entendre les accents de sa louange ; c’est lui qui a conservé la vie à mon âme, et qui n’a point permis que mes pieds soient ébranlés. Béni soit Dieu qui n’a pas rejeté ma prière ni éloigné de moi sa miséricorde, alléluia.

Office

4e leçon

Du livre de saint Ambroise, Évêque ‘De la Foi en la Résurrection’.

Comme la sagesse de Dieu ne pouvait pas mourir, et comme on ne peut ressusciter que si l’on meurt, le Verbe a pris une chair mortelle, afin de mourir en cette chair sujette au trépas, et d’y ressusciter une fois mort. La résurrection ne pouvait avoir lieu, en effet, qu’au moyen d’un homme, puisqu’il est dit : « Par un homme, la mort ; par un homme aussi, la résurrection des morts ». Jésus-Christ donc est ressuscité en tant qu’homme, parce qu’il est mort en tant qu’homme : il est tout ensemble, et homme ressuscité et Dieu ressuscitant ; il s’est alors montré homme en ce qui regarde la chair, il se montre maintenant Dieu en toutes choses, car nous ne le connaissons plus tel qu’il était selon la chair ; mais sa chair est cause que nous le connaissons comme prémices de ceux qui ont fermé les yeux, comme premier-né d’entre les morts.

5e leçon

Les prémices sont de la même espèce et de la même nature que le reste des fruits, dont on offre à Dieu la première récolte, en reconnaissance d’une production abondante : présent sacré pour tous ses dons, offrande pour ainsi dire de la nature renouvelée. Les prémices donc de ceux qui sont dans le repos, c’est le Christ. Mais l’est-il seulement de ceux qui reposent en lui, qui, débarrassés de la mort, sont sous l’empire d’un doux sommeil, ou l’est-il de tous les morts ? « Tous meurent en Adam, tous aussi recevront la vie dans le Christ ». C’est pourquoi de même que les prémices de la mort se trouvaient en Adam, de même, les prémices de la résurrection sont dans le Christ : tous ressusciteront. Que personne donc ne désespère, et que le juste ne s’afflige pas de cette résurrection commune, alors qu’il a à attendre une récompense toute spéciale de sa vertu. « Tous ressusciteront, dit l’Apôtre, mais chacun en son rang. » Le fruit de la clémence divine est commun à tous, mais on distinguera l’ordre des mérites.

6e leçon

Remarquons combien est grave le sacrilège de ne pas croire à la résurrection. Car si nous ne ressuscitons pas, c’est donc en vain que le Christ est mort, le Christ n’est donc pas ressuscité. En effet, si ce n’est pas pour nous que le Christ est ressuscité, il n’est ressuscité en aucune manière, lui qui n’avait aucune raison de ressusciter pour lui-même. Le monde est ressuscité en lui, le ciel est ressuscité en lui, la terre est ressuscitée en lui ; il y aura un ciel nouveau, et une terre nouvelle. A celui que les liens de la mort ne retenaient pas, la résurrection n’était point nécessaire ; car bien qu’il soit mort comme homme, il demeurait néanmoins libre jusque dans les enfers. Voulez-vous savoir combien il y était libre ? « Je suis devenu, nous dit-il, comme un homme sans secours, libre entre les morts ». Et certes, il était libre, lui qui avait le pouvoir de se ressusciter, selon ce qui est écrit : « Détruisez ce temple, et je le relèverai en trois jours ». Et certes, il était libre, celui qui était descendu pour racheter les autres.

7e leçon

Homélie de saint Augustin, Évêque.

Il nous faut maintenant expliquer ces paroles du Seigneur : « En vérité, en vérité, je vous le dis : si vous demandez quelque chose à mon Père en mon nom, il vous le donnera. » Déjà, en traitant des premières parties de ce discours du Seigneur, nous avons dit, pour l’instruction de ceux qui adressent à Dieu le Père, au nom de Jésus-Christ, des prières qui ne sont pas exaucées, que toute prière contraire aux intérêts du salut, n’est point faite au nom du Sauveur. Car par ces paroles : « En mon nom ; » il faut entendre non pas un bruit de lettres et de syllabes, mais ce que ce son signifie et ce que l’on doit comprendre avec justesse et vérité par ce son.

8e leçon

Aussi celui qui pense de Jésus-Christ ce qui ne doit pas être pensé du Fils unique de Dieu ne demande pas en son nom, bien qu’il prononce les lettres et les syllabes qui forment le nom de Jésus-Christ ; car il prie au nom de celui qui est présent à sa pensée au moment de sa prière. Celui, au contraire, qui pense de Jésus-Christ ce qu’il en doit penser, celui-là prie en son nom, et reçoit ce qu’il demande, si toutefois il ne demande rien de contraire à son salut éternel : il reçoit lorsqu’il est bon pour lui qu’il reçoive. Il est des grâces qui ne nous sont point refusées, mais qui sont différées, pour nous être accordées au temps opportun. On doit donc entendre que, par ces paroles : « Il vous donnera, » notre Seigneur a voulu désigner les bienfaits particuliers à ceux qui les demandent. Tous les saints, en effet, sont toujours exaucés pour eux-mêmes, mais ils ne le sont pas toujours pour tous, pour leurs amis, pour leurs ennemis ou pour d’autres ; car notre Seigneur ne dit pas absolument : « Il donnera, » mais : « Il vous donnera. »

9e leçon

« Jusqu’à présent, dit notre Seigneur, vous n’avez rien demandé en mon nom. Demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit complète. » Cette joie qu’il appelle une joie pleine, n’est pas une joie des sens, mais une joie spirituelle, et quand elle sera si grande qu’on ne pourra plus rien y ajouter, alors, sans le moindre doute, elle sera pleine. Nous devons donc demander au nom du Christ ce qui tend à nous procurer cette joie si nous comprenons bien la nature de la grâce divine, si l’objet de nos prières est la vie véritablement heureuse. Demander toute autre chose, c’est ne rien demander : non pas qu’il n’existe absolument autre chose, mais parce qu’en comparaison d’un si grand bien, tout ce que l’on désire en dehors de lui n’est rien.

Encore quatre jours, et le divin Ressuscité, dont la société nous était si chère et si précieuse, aura disparu de la terre. C’est par cette annonce que ce cinquième dimanche après la joyeuse Pâque semble nous préparer à la séparation. Le dimanche suivant ouvrira la longue série de ceux qui doivent se succéder d’ici qu’il revienne pour juger le monde. A cette pensée, le cœur du chrétien se serre ; car il sait qu’il ne verra son Sauveur qu’après cette vie ; et il s’unit à la tristesse que ressentirent les Apôtres à la dernière Cène, lorsqu’il leur dit cette parole : « Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus ».

Mais après la résurrection de leur Maître, quelle dut être l’angoisse de ces hommes privilégiés qui comprenaient enfin ce qu’il était, lorsqu’ils s’aperçurent comme nous que l’heureuse quarantaine, si rapidement écoulée, touchait bientôt à sa fin ! Avoir vécu, pour ainsi dire, avec Jésus glorifié, avoir ressenti les effets de sa divine condescendance, de son ineffable familiarité, avoir reçu de sa bouche tous les enseignements qui devaient les mettre en état d’accomplir ses volontés, en fondant sur la terre cette Église qu’il était venu choisir pour son Épouse ; et se trouver tout d’un coup livrés à eux-mêmes, privés de sa présence visible, ne plus voir ses traits, ne plus entendre sa voix, et mener jusqu’au bout leur carrière avec de tels souvenirs : c’est le sort qui attendait les Apôtres et qu’ils avaient à accepter.

Nous éprouverons quelque chose de ce qu’ils durent ressentir, si nous nous sommes tenus unis à notre mère la sainte Église. Depuis le jour où elle ouvrit en notre faveur la série des émotions qui la transportent chaque année, lorsqu’elle repasse successivement tant de sublimes anniversaires, à partir de celui de la Naissance de son Emmanuel, jusqu’à celui de sa triomphante Ascension au ciel, n’est-il pas vrai que nous aussi nous avons vécu en société avec son divin Époux, qui est en même temps notre Rédempteur, et qu’au moment de le voir disparaître aux regards de notre foi attentive jusqu’à cette heure à le suivre dans tous ses états, l’émotion que ressentirent les Apôtres vient nous gagner nous-mêmes ?

Mais il est sur la terre, à la veille du jour où Jésus doit la quitter pour le ciel, une créature dont nous ne pourrons jamais sonder ni décrire les sentiments ; c’est Marie qui avait retrouvé son fils, et qui voit approcher le moment où il va s’éloigner encore. Jamais cœur ne fut plus soumis aux volontés de son Maître souverain ; mais jamais aussi semblable sacrifice ne fut demandé à une créature. Jésus veut que l’amour de Marie croisse encore, et c’est pour cela qu’il la soumet à l’épreuve de l’absence. Il veut en outre qu’elle coopère à la formation de l’Église, qu’elle ait la main dans ce grand œuvre qui ne devait s’élever qu’avec son concours. C’est en cela que se montre encore l’amour de Jésus pour sa mère ; il désire pour elle le mérite le plus grand, afin de déposer sur sa tète le diadème le plus glorieux, au jour où elle montera au ciel à son tour pour y occuper le trône qui a été préparé pour elle au-dessus de toute la création glorifiée.

Ce n’est plus, il est vrai, un glaive de douleur qui transpercera le cœur de Marie ; c’est le feu d’un amour que nul langage ne saurait décrire qui consumera ce cœur dans une angoisse à la fois poignante et délicieuse, sous l’effort de laquelle elle tombera un jour, comme le fruit mûr que la branche de l’arbre ne soutient plus, parce qu’elle n’a plus rien à lui donner. Mais à ces instants suprêmes où nous sommes, dans les dernières étreintes de ce fils divin qui va la laisser en exil, quel serrement au cœur d’une telle mère qui n’a joui que durant quarante jours du bonheur de le voir glorieux et triomphant, et de recevoir ses divines et filiales caresses !

C’est la dernière épreuve de Marie ; mais en face de cette épreuve elle n’a encore que sa même réponse : « Voici la servante du Seigneur. ; qu’il me soit fait selon votre parole. » Sa vie tout entière est dans le bon plaisir de Dieu, et c’est ainsi qu’elle devient toujours plus grande, plus rapprochée de Dieu. Une sainte âme du XVIIe siècle, favorisée des plus sublimes révélations, nous a appris que le choix fut donné à Marie d’entrer dans le repos de la gloire avec son fils, ou de demeurer encore sur la terre dans les labeurs de l’enfantement de la sainte Église ; mais qu’elle préféra retarder les joies maternelles que lui réservait l’éternité, et servir, aussi longtemps qu’il plairait à la divine Majesté, au grand œuvre qui importait tant à l’honneur de son fils et au bien de la race humaine, dont elle était devenue aussi la mère.

Si un tel dévouement éleva la coopératrice de notre salut au plus haut degré de la sainteté, en lui faisant atteindre le point culminant de sa mission, on est en droit de conclure que l’amour de Jésus pour sa mère s’accrut encore, lorsqu’il reçut d’elle une marque si sensible de l’union qu’elle avait aux plus intimes désirs de son cœur sacré. De nouveaux témoignages de sa tendresse furent pour Marie la récompense de cet oubli d’elle-même, et de cette conformité aux desseins qui l’appelaient à être véritablement dès ici-bas la Reine des Apôtres, comme l’appelle l’Église, et la coadjutrice de leurs travaux.

Le Seigneur, durant ces dernières heures, allait multipliant les témoignages de sa bonté envers tous ceux qu’il avait daigné admettre dans sa familiarité. Pour plusieurs d’entre eux la séparation devait être longue. Jean le bien-aimé aurait à attendre plus de cinquante années sa réunion à son Maître divin. Ce ne serait qu’après trente ans que Pierre monterait à son tour sur l’arbre de la croix, pour se réunir à celui qui lui avait confié les clefs du royaume des cieux. Le même intervalle de temps devait être rempli par les soupirs enflammés de Madeleine ; mais aucun d’eux ne murmurait ; car tous sentaient qu’il était juste que le divin Rédempteur du monde, ayant suffisamment établi la foi de sa résurrection, « entrât enfin dans sa gloire ».

Jésus avait fait donner ordre à ses disciples par les Anges, le jour même de sa résurrection, de se rendre en Galilée pour y jouir de sa présence. Nous avons vu comment ils obéirent à cet ordre, et en quelle manière le Sauveur se manifesta à sept d’entre eux sur les bords du lac de Génésareth ; ce fut la huitième des manifestations que les Évangiles ont enregistrées. La neuvième eut lieu pareillement dans la Galilée. Jésus aimait cette contrée, au sein de laquelle il avait pris la plupart de ses disciples, où Marie et Joseph avaient habité, et où lui-même avait passé tant d’années dans le travail et l’obscurité. La population, plus simple et plus morale que celle de la Judée, l’attirait davantage. Saint Matthieu nous révèle que la plus solennelle des manifestations de Jésus ressuscité, celle que nous compterons pour la dixième de fait, et pour la neuvième de celles que rapportent les Évangélistes, eut lieu sur une montagne de cette contrée.

Selon le sentiment de saint Bonaventure et celui du pieux et savant Denys le Chartreux, cette montagne fut le Thabor, dont le sommet avait déjà été honoré par le mystère de la Transfiguration. Là se trouvèrent réunis, comme nous l’apprenons de saint Paul, plus de cinq cents disciples de Jésus], assemblée formée en grande partie des habitants de la Galilée qui avaient cru en Jésus dans le cours de sa prédication, et qui avaient mérité d’être témoins de ce nouveau triomphe du Nazaréen. Jésus se montra à leurs regards, et leur donna une telle certitude de sa résurrection que l’Apôtre des Gentils, écrivant aux chrétiens de Corinthe, invoque leur témoignage à l’appui de ce mystère fondamental de notre foi.

Désormais nous demeurons sans renseignements positifs sur ce qui se passa encore dans la Galilée, quant à ce qui est des manifestations du Sauveur ressuscité ; mais nous savons qu’il intima à ses disciples l’ordre de se rendre à Jérusalem, où il devait bientôt reparaître à leurs yeux une dernière fois, avant de monter aux cieux. Suivons en ces jours la marche des disciples vers la ville coupable. Combien de fois, dans cette même ville, Jésus avait voulu réunir ses fils comme la poule ramasse ses poussins sous ses ailes, et elle ne l’a pas voulu ! Il va revenir dans ses murs ; mais elle ne le saura pas. Il ne se montrera pas à elle, il ne se révélera qu’à ses amis, et il partira en silence, pour ne plus revenir qu’au jour où il viendra juger ceux qui n’ont pas connu le temps de sa visite.

 

 

 

 

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Saint Robert Bellarmin évêque confesseur et docteur

13 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

Saint Robert Bellarmin évêque confesseur et docteur

Collecte

O Dieu, pour repousser les pièges de l’erreur et défendre les droits du Siège apostolique, vous avez doté le bienheureux Robert, votre Pontife et Docteur, d’une science et d’une force admirable : faites, par ses mérites et son intercession ; que nous grandissions dans l’amour de la vérité et que les cœurs des égarés reviennent à l’unité de votre Église.

Office

Au deuxième nocturne.

Quatrième leçon. Robert, né à Montepulciano et de la noble famille des Bellarmin, avait pour mère la très pieuse Cynthia Cervin, sœur du pape Marcel II. Dès son plus jeune âge, il a brillé par sa piété exemplaire et ses chastes mœurs, désirant ardemment une seule chose, plaire à Dieu seul et gagner des âmes au Christ. Il a fréquenté le collège de la Compagnie de Jésus dans sa ville natale où il a été vivement félicité pour son intelligence et sa modestie. À l’âge de dix-huit ans il entra dans la même Société à Rome, et il a été un modèle de toutes les vertus religieuses. Après avoir traversé le cours de philosophie au Collège romain, il est envoyé d’abord à Florence, puis à Monreale, plus tard, à Padoue pour y enseigner la théologie sacrée, et ensuite à Louvain, où, alors qu’il n’était pas encore prêtre, il s’est habilement acquitté de la charge de prédicateur. Après son ordination, à Louvain, il a enseigné la théologie avec un tel succès qu’il a ramené beaucoup d’hérétiques à l’unité de l’Église, et il était considéré en Europe comme le plus brillant théologien ; Saint-Charles, évêque de Milan, et d’autres encore lui demandaient expressément ses avis.

Cinquième leçon. Rappelé à Rome à la volonté du Pape Grégoire XIII, il a enseigné la science de la théologie de controverse au Collège romain, et là, comme directeur spirituel, il a guidé le jeune angélique Louis de Gonzague sur les chemins de la sainteté. Il a gouverné le Collège romain, puis la province napolitaine de la Compagnie de Jésus en conformité avec l’esprit de saint Ignace. Encore une fois convoqué à Rome, il fut employé par Clément VIII dans les affaires les plus importantes de l’Église, avec le plus grand avantage pour l’État chrétien, puis contre sa volonté et en dépit de son opposition, il fut admis au nombre des cardinaux, parce que le Pontife déclara publiquement qu’il n’avait pas son égal parmi les théologiens dans l’Église de Dieu à l’époque. Il fut consacré évêque par le même Pape, et administra l’archidiocèse de Capoue d’une manière très sainte pendant trois ans : après avoir démissionné de cette charge, il a vécu à Rome jusqu’à sa mort, en tant que conseiller le plus impartial et fidèle au Pontife Suprême. Il écrivit beaucoup, et d’une manière admirable. Son principal mérite réside dans sa victoire complète dans la lutte contre les nouvelles erreurs, au cours de laquelle il se distingua comme un vengeur acharné de la tradition catholique et les droits du Siège romain. Il a obtenu cette victoire en suivant saint Thomas comme son guide et son maître, par une considération prudente des besoins de son temps, par son enseignement irréfragable, et par une richesse très abondante de témoignages bien choisis à partir des écrits sacrés puisés à la source riche des Pères de l’Église. Il est éminemment reconnu pour de très nombreuses œuvres courtes pour favoriser la piété, et en particulier pour ce Catéchisme d’or, qu’il ne manquait jamais d’expliquer à la jeunesse et aux ignorants à la fois à Capoue et à Rome, bien que préoccupé par d’autres affaires très importantes. Un cardinal contemporain a déclaré que Robert a été envoyé par Dieu pour l’instruction des catholiques, pour la gouverne du bien, et pour la confusion des hérétiques, saint François de Sales le considéraient comme une source d’apprentissage, le Souverain Pontife Benoît XIV l’appelait le marteau des hérétiques, et Benoît XV proclama en lui le modèle des promoteurs et des défenseurs de la religion catholique.

Sixième leçon. Il était le plus zélé dans la vie religieuse et il a continué dans son mode de vie après avoir été admis parmi les cardinaux. Il ne voulait pas la richesse au-delà de ce qui était nécessaire, il était satisfait d’un ménage moyen, même dans ses dépenses et ses vêtements. Il ne chercha pas à enrichir sa propre famille, et il ne pouvait guère être amené à soulager leur pauvreté, même occasionnellement. Il avait peu de sentiment de lui-même, et était d’une simplicité merveilleuse d’âme. Il avait un amour extraordinaire pour la Mère de Dieu, il a passé de nombreuses heures par jour dans la prière. Il mangeait en très petite quantité et jeûnait trois fois par semaine. Austère avec lui-même, il a brûlé avec la charité envers le prochain, et il était souvent appelé le père des pauvres. Il espérait sincèrement qu’il n’avait pas taché son innocence baptismale à la moindre faute. A près de quatre-vingts ans, il tomba dans sa dernière maladie à Saint-André sur la colline du Quirinal, et en elle il montra son habituelle vertu rayonnante. Le Pape Grégoire XV et de nombreux cardinaux lui ont rendu visite sur son lit de mort, déplorant la perte d’un grand pilier de l’Église. Il s’endormit dans le Seigneur en l’an 1621, le jour des sacrés stigmates de saint François, dont il avait contribué à ce que la mémoire en soit célébrée partout. La ville entière pleura sa mort, et à l’unanimité le déclara un Saint. Le Souverain Pontife Pie XI a inscrit son nom, d’abord, dans livre des Bienheureux, puis dans celui des Saints, et peu après, par un décret de la Sacrée Congrégation des Rites, il le déclara Docteur de l’Église universelle. Son corps est honoré avec une vénération pieuse à Rome en l’église Saint-Ignace, près du tombeau de saint Louis de Gonzague, comme il l’avait souhaité.

Au troisième nocturne.

Homélie de Saint Robert Bellarmin, Évêque.

Septième leçon. Tout comme en Dieu, que nous vénérons comme un dans la Trinité et trine dans l’Unité, il ya trois choses en particulier qui sont particulièrement claires : le pouvoir, la sagesse et la bonté ; de même Dieu, auditeurs bien-aimé, aurait pu rendre ses amis particuliers et ses fils, nos pères et nos docteurs, très semblables à lui-même et ainsi être estimés et admirés par toutes les nations, il leur a souhaité d’être au plus haut degré puissants, sages, excellents, et saints. D’abord, il leur fournit cette puissance, par laquelle ils pourraient évidemment faire beaucoup de choses merveilleuses et extraordinaires, hors du cadre habituel et de l’ordre de la nature, en ce qui concerne les éléments, les arbres, les bêtes, et même l’humanité. Puis, il leur donna une telle sagesse, qu’ils ont vu non seulement le passé et le présent, mais encore ils prévoyaient l’avenir, bien avant, et le prédisaient. Enfin, il a élargi leur cœur de sa très grande et ardente charité, leur permettant non seulement d’entrer de tout cœur dans leurs travaux, mais aussi d’influencer ceux qu’ils étaient sur le point de se convertir, ainsi que par leur exemple et la vie sainte, que par leur la prédication et les miracles.

Huitième leçon. Et oui, tout le monde savait combien pieux, combien justes, combien religieux étaient les prédicateurs de notre loi, aussi bien ceux qui les premiers nous ont apporté la foi et l’Évangile, et ceux que Dieu par la suite, a suscité dans tous les temps afin de confirmer ou de propager cette même foi. Et d’abord, considérons les Apôtres. Que pourrait-il y avoir de meilleur et de plus sublime que la manière de vivre des Apôtres ? Ensuite, songez à ces hommes saints que nous appelons des Pères et des Docteurs, ces lumières les plus éclatantes que Dieu a voulu faire briller dans le firmament de l’Église, afin que toutes les ténèbres de l’hérésie soient dispersées, comme Irénée, Cyprien, Hilaire, Athanase, Basile, les deux Grégoire, Ambroise, Jérôme, Augustin, Chrysostome, et Cyril. Leur vie et leur comportement ne brillent-ils pas dans toutes les œuvres qu’ils nous ont laissées, comme dans une espèce particulière de miroir ? Car c’est de l’abondance du cœur que la bouche parle.

Neuvième leçon. Considérez, je vous le demande, l’humilité, ainsi que l’érudition la plus grande, qui paraît dans les livres des saints Pères. Quelle modération ! Rien d’offensant là, rien d’inconvenant, aucune ruse, rien à supposer, rien de pompeux. Comment le travail multiforme de l’Esprit Saint, qui habitait dans leurs cœurs, se fait entendre dans leurs pages ! Qui peut lire attentivement sans Cyprien sans brûler immédiatement du désir du martyre ? Qui peut assidûment tourner les pages d’Augustin, sans apprendre l’humilité la plus profonde ? Qui peut ouvrir Jérôme fréquemment sans commencer à aimer la virginité et le jeûne ? Les écrits des saints exhalent la religion, la chasteté, l’intégrité et la charité. Tels sont nos évêques et pasteurs (pour reprendre les termes du céleste Augustin), nos savants, éminents, saints, intelligents défenseurs de la vérité, qui ont pris dans la foi catholique, comme le lait, et l’ont consommé dans l’alimentation : et ce lait et la nourriture qu’ils ont administrés aux grands et petits. Depuis les Apôtres, la sainte Église a prospéré par ces planteurs, des abreuvoirs, des constructeurs, des bergers, et les infirmières.

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Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps

13 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps

Saint Robert Bellarmin

Les Controverses de la Foi Chrétienne contre les Hérétiques de ce Temps

Disputationes de controversiis christiniæ fidei adversus hujus temporis hæreticos.

TROISIÈME CONTROVERSE GÉNÉRALE
LE SOUVERAIN PONTIFE

 

CHAPITRE 10

On propose une troisième question, et on prouve la monarchie de Pierre par l’évangile de Mt 16

 On a expliqué, jusqu'à présent, et suffisamment bien, si je ne m’abuse, que la monarchie est le meilleur régime, et que c’est cette forme de gouvernement qui doit exister dans l’Église. Il reste maintenant la troisième question.L’apôtre Pierre a-t-il été constitué par le Christ chef et prince de toute l’Église, en lieu et place du Christ ? Tous les hérétiques que nous avons cités nient cela explicitement. Or, ce n’est pas uniquement une simple erreur, mais une hérésie pernicieuse de nier que la primauté de Pierre a été instituée par le Christ. Nous nous efforcerons donc de confirmer cela de trois façons et par trois raisonnements. La première, à partir de deux passages de l’Évangile : un dans lequel elle est promise, et un autre dans lequel elle est manifestée. La deuxième : les nombreuses prérogatives et les privilèges de Pierre. La troisième : des citations des pères de l’Église, grecs et latins.

Commençant par la première, le premier texte est de Mt 16 : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Et, je te donnerai les clefs du royaume, et tout ce que lieras sur terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur terre sera délié dans les cieux. » Le sens clair et obvie de ces paroles, comme nous les comprenons, est que, par deux métaphores, la principauté de toute l’Église est promise à Pierre. La première métaphore porte sur un fondement et un édifice : sur ce qui dans un édifice est le fondement, c’est-à-dire la tête dans le corps, le maire dans une cité, le roi dans un royaume, le père de famille dans une maison. La deuxième métaphore est celle des clefs. Car, celui à qui on remet les clefs d’une cité est institué roi, ou gouverneur de la cité; il est celui qui admet dans la cité ceux qu’il veut faire entrer, et qui refuse l’admission à ceux qu’il veut exclure.

À la vérité, les hérétiques déforment ce texte par des tours de passe-passe. D’abord, ils ne veulent pas voir Pierre dans la pierre. Ils n’admettent pas non plus qu’à Pierre aient été concédées des clefs. Ils ne parviennent pas non plus à se persuader que ces métaphores se rapportent au pouvoir ecclésiastique suprême. Il nous faudra donc poser quatre questions. La première : Pierre est-il la pierre sur laquelle est fondée l’Église ? La seconde : être le fondement signifie-t-il être le gouverneur de toute l’Église ? La troisième : Pierre est-il celui à qui les clefs ont été données ? La quatrième : entendons-nous par clefs le plein pouvoir de gouverner l’Église ?

À la première question on donne quatre réponses différentes. La première, celle des catholiques : cette pierre est Pierre, i.e. celui qui s’appelait Pierre. Ce n’est pas à une personne qu’il a été donné, mais au pasteur et à la tête de l’église. La deuxième est celle d’Érasme (et d’Origène): tout homme fidèle est une pierre. La troisième est de Calvin (livre 4, institutions chap 6, verset 6) : cette pierre est le Christ. La quatrième, celle de Luther (livre du pouvoir du pape) et des centuriates (livre 1, centurie 1, chap 4, col 175, et le livre 1 smalchaldici,  du primat du pape) : la pierre dont parle le Seigneur est la foi, ou la confession de la foi.

La première réponse, qui est la seule vraie, s’explique par le texte lui-même. Quand le Seigneur dit cette pierre là, il indique une pierre dont il avait parlé un peu auparavant. Il venait de donner à Simon le nom de Pierre, Cephas, en syrien. Saint Jérôme (chapitre 2 aux Galates) enseigne qu’en langue syriaque, Cephas veut dire pierre. Et à chaque fois qu’en hébreu on a pierre, on a Cephas en syriaque. Le Seigneur a donc dit : « tu es une pierre, et sur cette pierre-là je bâtirai mon église ». Il est évident que ce « cette » ne peut se rapporter qu’à Pierre, qui venait d’être appelé ainsi. Et pourquoi le traducteur latin n’a-t-il pas écrit : tu es une pierre et sur cette pierre là ? C’est parce qu’il a suivi le texte grec. Il ne l’a pas traduit du syriaque, mais du grec, où nous lisons : « tu es Pierre, et sur cette pierre j’édifierai mon Église ». Pourquoi le traducteur grec n’a-t-il pas dit : tu es une pierre, et sur cette pierre-là ? La raison en est que, comme petros et petra signifient tous deux pierre, il a semblé plus convenable de donner à un homme un nom masculin. Ensuite, pour expliquer la métaphore, il n’a pas voulu dire « sur ton Pierre », --ce qui pouvait être ambigu--mais sur ta pierre, mot qui ne signifie rien d’autre que pierre.

Venons-en au consensus ecclésial des pères grecs et latins. Tout le concile de Calcédoine formé de 630 pères (actes 3) a appelé Pierre la tête et le fondement de toute l’Église. De même, on chante, dans l’Église, à tous les jours par la bouche d’un grand nombre, et on les chante depuis 1200 ans ces vers de saint Ambroise dans l’hymne des laudes du dimanche : « Quand le coq chanta, la pierre de l’Église confessa sa faute ». Saint Augustin le témoigne aussi (livre 1 retract, chap 21). Déjà à son époque ont avait commencé à chanter dans l’Église les vers de saint Ambroise professant que saint Pierre était la pierre sur laquelle il a édifié son Église.

 Les Pères grecs maintenant. Origène (homélie 5 sur l’exode) : « Vois pourquoi le Seigneur a dit : hommes de peu de foi, pourquoi doutez-vous ? C’est parce qu’il est grand le fondement de l’Église, et solide la pierre sur laquelle il a fondé son Église. » Saint Athanase, dans son épître à Félix, écrite par lui en son nom et au nom du synode d’Alexandrie : « Tu es une pierre, dit-il, et c’est sur ton fondement que les colonnes de l’Église, les évêques, sont confirmées.» Saint Athanase fait donc du pape le fondement sur lequel s’appuient les évêques pour être des colonnes de tout l’édifice. Saint Basile (livre 2, contre Eunome), dit : « Pierre, à cause de l’excellence de sa foi, a reçu en lui-même l’édification de l’ÉgliseSaint Grégoire de Naziance (dans la modération à conserver dans les débats oratoires) : « Pierre est appelé pierre, et c’est à lui qu’ont été confiés les fondements de l’Église.» Épiphane (dans ancor), dit : « Le Seigneur a constitué Pierre le premier des apôtres, une pierre solide, sur laquelle il a édifié son Église ».

Saint Jean Chrysostome (homélie 5 sur Mt) : « Le Seigneur a dit : tu es une pierre, et c’est sur toi que j’édifierai mon Église.» Et dans l’homélie 4 (sur le chapitre 6 d’Isaïe) : « Pourquoi saint Pierre est-il le fondement de l’Église ? Il aimait intensément le Christ; il ne connaissait pas l’art oratoire, mais triomphait des rhéteurs; il était un ignorant qui fermait la bouche aux philosophes; et il a dissout la sagesse des grecs avec rien d’autre qu’une toile d’araignées, lui qui a jeté son filet dans la mer, et qui a attrapé l’univers.» Saint Cyrille (livre 2, chapitre 12, sur saint Jean) : « Il lui a prédit que son nom ne serait pas Simon mais Pierre. Signifiant par ce mot imagé que c’est sur lui, comme sur une pierre très ferme, qu’il édifierait son Église ». Psellus (chapitre 4 du cantique des cantiques) : « Ses jambes sont comme des colonnes de marbre. Entends par jambes Pierre, le prince des apôtres, sur lequel, dans l’évangile, le Seigneur avait promis d’édifier son Église». Nous avons les notes de Psellus sur les commentaires de Théodoret sur les cantiques des cantiques, de Théophylacte (Lc, chap 22) : « Après moi, tu es la pierre de l’Église, et son fondement». Euthymius (cap 16, Mt) : « Je te placerai comme le fondement des croyants, j’édifierai sur toi mon Église ».

Parmi les latins, Tertullien (livre de la prescription, chap 22) écrit : « A-t-il manqué quelque chose à Pierre pour qu’on l’appelle la pierre sur laquelle serait édifiée l’Église ?» Saint Cyprien dans son épître à Quintus : « Pierre est celui que le Seigneur a élu pour être le premier, et c’est sur lui qu’il a édifié son Église». Il répète souvent des choses semblables. Saint Hilaire (Mt16) : « Ô heureux fondement de l’Église, par la réception d’un nouveau nom ! Ô pierre digne d’édifier l’Église, pierre  qui abolira les lois de l’enfer ! Ô bienheureux portier du ciel ! » Mais Érasme annota, là, en marge : « le fondement est la foi de l’Église ».  Comme si c’était le nom de la foi qu’on avait changé, et non celui de Simon ! Et comme si c’était la foi qui était le portier du ciel ! Et que de dire de ce que saint Hilaire n’ait même pas prononcé une seule fois le mot foi ? Saint Ambroise (sermon 47) : « Pour la solidité de la dévotion des églises il est appelé pierre, comme le Seigneur a dit : Tu es Pierre. Car, par pierre, on exprime ce qui a été placé comme fondement au tout début de la foi; et c’est cette pierre immobile qui contient toute la masse de toute l’œuvre chrétienne ». Saint Jérôme (Mt 16) : « Selon la métaphore de la pierre, c’est à bon droit qu’on lui a dit : j’édifierai sur toi mon Église.» Et dans sa lettre au pape Damase sur le mot hypostase, parlant du siège de Pierre : « Je sais que c’est sur cette pierre qu’a été édifiée l’ÉgliseSaint Augustin (dans les psaumes, contre le parti de Donat) : « Énumérez les prêtres à partir de ce siège de Pierre : c’est elle la pierre que ne vainquent pas les portes orgueilleuses de l’enfer. » Notez que ce que ces saints appellent pierre ce n’est pas tellement la personne de saint Pierre que son siège. C’est sur ce siège qu’est fondée l’Église, et c’est contre lui que ne prévaudront pas les portes de l’enfer, car Pierre est la pierre non en tant qu’homme particulier, mais en tant que pontife.

Le même saint Augustin (sermon 15 sur les saints) dit : « Le Seigneur a donc nommé Pierre le fondement de l’Église, sur lequel s’édifie l’édifice ecclésiastique.» Maxime (sermon 1 sur les saints Pierre et Paul) écrit : « Par le Christ Pierre a été fait une pierre, quand il lui a dit : Tu es la pierre etc.» Saint Paulin (épître 4 à Sévère) : « C’est le Christ qui est la pierre, mais il n’a pas refusé à son disciple la prérogative de ce nom quand il lui a dit : et sur cette pierre etc.» Saint Léon le grand (sermon 2, de l’anniversaire de son sacre) : « Demeure donc la disposition de la Vérité, et persévérant dans la fermeté de la pierre qu’il a reçue, saint Pierre n’a pas abandonné le gouvernement de l’Église qu’il avait assumé. Il est placé avant tous les autres, car, en le disant pierre on déclare qu’il est le fondement, et qu’il est le portier du royaume des cieux. C’est par le mystère de ces noms (pierre, clef) que nous apprenons ce qu’est l’association toute particulière de Pierre avec Jésus ». Saint Grégoire le grand (livre 6, épitre 37 à Euloge) enseigne :  « Qui ne sait que la sainte Église est fermement fondée sur la solidité du prince des apôtres ? »

Tous ces extraits nous font voir l’impudence des hérétiques. Car Calvin dit, à l’endroit cité, qu’il ne veut pas présenter de témoignages des pères, non parce qu’il ne le pourrait pas, mais parce qu’il ne veut pas ennuyer ses lecteurs en cherchant à démontrer quelque chose de si évident. Au sujet de ce passage de saint Matthieu, Érasme s’étonne qu’il y ait eu des gens qui aient détourné ce texte pour le rapporter à l’église romaine. Il devra pardonner à saint Cyprien et saint Jérôme, comme s’il s’agissait d’un paradoxe inouï, pour avoir dit que l’Église était fondée sur Pierre.  Surtout parce que c’est ce que tous les pères enseignent, et le plus grand nombre des théologiens et des canonistes récents, sans compter les anciens pontifes : Clément, Anaclet, Marcel, Pie, Jules, et d’autres que j’ai omis, pour faire bref, et aussi parce que nos adversaires ne les acceptent pas.

Venons-en donc à la deuxième opinion qui est celle d’Érasme. Il prouve que, par le mot pierre, on doit entendre tous les fidèles en citant Origène (traité 1, Matt) : « Est pierre tout imitateur du Christ, et c’est sur une pierre de cette sorte que l’Église est fondée. C’est dans chacun des parfaits qui témoignent par les paroles et les œuvres et la compréhension du sens des Écritures, qu’est édifiée  l’Église, sur laquelle  les portes de l’enfer ne prévaudront point. » Mais Origène donne de ce texte une interprétation non littérale, mais allégorique. Dans le lieu cité, il en a pourtant donné une interprétation littérale. Car, pour qui a le sens commun, ce passage ne peut pas signifier littéralement tous les fidèles, puisque le Seigneur ne parle qu’à Pierre, Et cela, il le montre de plusieurs façons. Il l’appelle Simon, qui était le prénom que ses parents lui avaient donné, et ajoute même le nom de son père, l’appelant fils de Jonas, pour le distinguer de Simon le zélote, et de Simon frère de Jacques et de Jude. Et ce n’est qu’après, qu’il ajoute le nom de Pierre qu’il lui donnait. Il s’est servi ensuite de pronoms qui désignent certaines personnes : moi et toi. S’il est donc permis de dire que ce texte ne se rapporte en rien à Pierre, il sera possible de détourner de leurs sens tous les textes de la Bible.

De plus, si tous les fidèles sont le fondement sur lequel est construite l’Église, tous seront donc un fondement.  Si tous sont le fondement, où sont les murs, et le toit de cet édifice? Comme le dit saint Paul (1 Cor 12) : si tout le corps est un œil, où est l’oreille, où sont les autres membres? Ajoutons qu’au même endroit, le même Érasme juge absurde que l’édifice ecclésial soit fondé sur l’homme Pierre. Comment pourrait-il alors être édifié sur les autres hommes ? Ne sont-ils pas tous des hommes eux aussi ?

La troisième explication de ce texte de Matthieu 16 est de Jean Calvin, qui même s’il ne le dit pas en mots clairs, semble bien, par pierre, entendre le Christ. Car, sur quelle pierre est édifiée l’Église c’est, selon lui, une chose évidente puisque l’apôtre dit (I Cor 3, 11) : « Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui a été posé : le Christ Jésus ».  Il cite aussi saint Augustin (traité ultime sur saint Jean) qui dit : « Sur cette pierre que tu as confessée j’édifierai mon Église ». Le sermon 13 sur la parole de Dieu dit la même chose, et (dans le livre de ses rétractations, chapitre 21), il rétracte ce qu’il avait dit avant sur Pierre comme fondement de l’Église, et enseigne que c’est plutôt sur le Christ qu’elle a été fondée, et que c’est ainsi qu’il faut comprendre ce texte de Matthieu.

Personne ne doute que le Christ soit la pierre, et le premier fondement de l’Église. Et ce passage-là le démontre également, car si Pierre est fondement de l’Église en remplacement du Christ, le Christ l’est beaucoup plus. Mais, néanmoins, le sens propre, obvie, immédiat et littéral est que l’Église est édifiée sur Pierre. Ce que nous prouverons sans répéter ce qui a déjà été dit. D’abord le mot « cette » ne peut pas se rapporter à la pierre Christ, mais à la pierre qu’est Pierre. Car ce démonstratif doit indiquer une chose rapprochée, non une chose éloignée. Or le mot qui venait d’être prononcé n’était pas Christ, mais Pierre. Ensuite, bien que l’on puisse appeler le Christ pierre, ce n’est pas le nom que lui donne saint Pierre en le confessant, mais Christ Fils du Dieu vivant. Ce « cette » doit donc être référé à celui qui est appelé pierre, et non à celui qui ne reçoit pas ce nom. De plus, si le Christ était la pierre, comment aurait-il pu dire : « Je te dis que tu es pierre ».  Il aurait parlé pour ne rien dire, à moins que les paroles qu’il prononçait ne s’adressassent pas vraiment à Pierre. Ensuite, si ces paroles s’appliquaient au Christ, il n’aurait pas dit j’édifierai, mais j’édifie mon Église, car il avait déjà édifié en lui les apôtres et beaucoup d’autres. Il dit j’édifierai, car Pierre n’avait pas encore été institué fondement de l’Église. C’est après la résurrection qu’il le deviendrait.

À l’argument de Calvin je réponds que saint Paul ne parle pas de n’importe lequel fondement, mais du fondement premier. Autrement il se contredirait lui-même puisqu’il a dit (Ép 2) : « surédifié sur le fondement des apôtres et des prophètes.» Il contredirait aussi saint Jean qui, dans l’Apocalypse, décrit les douze fondements de l’Église du Christ, et explique que ces fondements sont les apôtres. Pour saint Augustin, je dis qu’il ne réprouve pas notre sentence, mais qu’il donne la priorité à une autre. Car, voici ce qu’il dit dans les rétractations (1, chap 21) : « J’ai dit, en un certain endroit, au sujet de l’apôtre Pierre, que c’était sur lui comme sur une pierre qu’était fondée l’Église, ce qui est chanté par les bouches d’un grand nombre dans les vers de saint Ambroise, où, il dit en parlant d’un coq : « pendant qu’il chantait, la pierre de l’Église a effacé sa faute ». Mais je sais que très souvent après,  j’ai expliqué que par « sur celui-ci » il fallait entendre celui que confessait Pierre. Car, il ne lui a pas été dit : tu es la pierre, mais tu es Pierre, car la pierre était le Christ. Je laisse au lecteur le soin de choisir quelle est la plus probable des deux explications. » Voilà donc quelle est son opinion, Il ne pense donc pas, comme Calvin, que ce soit un blasphème de déclarer que l’Église ait été édifiée sur Pierre.

J’ajoute que saint Augustin a été trompé par sa seule ignorance de la langue hébraïque. Car, son argument tient tout entier là-dessus : il n’a pas été appelé pierre mais Pierre. Il a pensé que la pierre sur laquelle était construite l’Église n’était pas Pierre, parce qu’il croyait que cephas ne signifiait pas pierre, mais un dérivé de la pierre, comme le mot chrétien ne signifie pas le Christ, mais quelqu’un qui est en lien avec le Christ. Donc, parce que l’Église doit être fondée sur une pierre et non sur un dérivé de la pierre, saint Augustin a pensé que cette pierre ne signifiait pas pierre mais le Christ. Mais, s’il s’était rendu compte que le mot cephas ne signifie rien d’autre que pierre, et que ce que le Seigneur a dit c’est : « tu es une pierre et sur cette pierre », il n’aurait eu aucun doute sur la vérité de notre opinion.

Il reste la quatrième, qui est celle de presque tous les luthériens, et qui semble pouvoir être confirmée par des témoignages d’anciens pères. Hilaire (livre 6, de la trinité) : « C’est sur la pierre de cette confession que s’édifie l’Église ».  De même : « Cette foi de l’Église est le fondement. C’est par cette foi que sont rendues faibles les portes de l’enfer. C’est cette foi qui a les clefs du royaume céleste». Saint Ambroise (livre 6, chap 9 sur Luc) : « Le fondement de l’Église est la foi». De la même façon (livre 4, de la Trinité), saint Cyrille : «Je pense que, par pierre, il n’a pas nommé autre chose que la foi inébranlable et très ferme du disciple ».  Ilirycus ajoute : « Si l’Église était fondée sur Pierre et non pas plutôt sur la profession de foi, elle se corromprait bientôt, car Pierre a cherché à détourner le Christ de sa passion. En effet, en Matthieu, on lit : « Va derrière moi, Satan, car tu ne comprends pas les choses de Dieu ! » Ensuite, il a renié trois fois le Christ, et non sans serment (Mt 26).

Je réponds qu’on peut considérer la foi ou la confession de deux façons. La première façon : absolument, telle qu’elle est en elle-même, sans relation à la personne de Pierre. La seconde : en relation à la personne de Pierre. C’est de la première façon que les adversaires voudraient que la foi soit le fondement de l’Église. Mais ils se trompent sûrement, car s’il en était ainsi, le Seigneur n’aurait pas dit : sur cette pierre j’édifierai, mais j’édifie ou j’ai édifié mon Église. Car, plusieurs avaient déjà cru qu’il était le Fils du Dieu vivant, comme les bergers, la sainte Vierge, saint Siméon, Zacharie, saint Jean Baptiste, les apôtres et les autres disciples. De plus, la foi au sens strict est correctement appelée le fondement de la justification et de toutes les vertus, comme le dit saint Augustin (sermon de la parole apostolique) :  « La maison de Dieu est fondée en croyant, elle est érigée en espérant, et elle se parfait en aimant».  Mais la foi n’est pas le fondement premier de l’Église, car les fondements doivent être de même nature qu’elle. Or l’Église est une assemblée d’hommes qui sont comme des pierres vivantes, comme le dit 1 P. 2. La pierre qui est le fondement doit donc être un homme, non une vertu.

Ensuite ce « cette » montre clairement qu’on ne peut, par pierre, entendre la foi, car ce mot se réfère au mot pierre qui vient juste d’être prononcé. C’est à Simon qu’il a été dit « tu es la pierre », non à la foi. Il faut donc entendre la foi de la deuxième façon, et dire qu’il ne s’agit pas ici de la foi en général ou de n’importe qui, mais de la foi de celui qui est le fondement, la foi de Pierre, non en tant qu’homme privé, mais en tant que pasteur. Cela se rapporte donc à ce que nous avons expliqué jusqu’ici, au sujet du fondement de l’Église.  Car, on dit que c’est la foi de Pierre qui est le fondement de l’Église, pour deux raisons.  D’abord parce que c’est en récompense de sa foi qu’il est advenu à Pierre d’être le fondement de l’Église, comme l’expliquent saint Jérôme, saint Hilaire, saint Jean Chrysostome, et d’autres commentateurs de ce passage. Ensuite, il est le fondement très solide de l’Église du fait que sa foi ne peut errer, et qu’il doit confirmer et soutenir la foi des autres. Car, c’est ce que le Seigneur lui a dit en Lc 22 : « J’ai prié pour toi, pour que ne défaille pas ta foi. Et quand, tu seras revenu à toi, confirme tes frères ».

Donc, dire que, à cause de sa foi indéfectible, Pierre est la pierre très solide qui soutient toute l’Église, c’est dire que c’est sur cette pierre et sur cette foi que l’Église a été fondée. Et c’est ainsi que l’ont compris les pères cités. Car, saint Hilaire, après avoir dit, à l’endroit déjà cité, que la foi de Pierre est le fondement de l’Église, et qu’il avait reçu les clefs du ciel, ajoute, au sujet de ce même Pierre : « C’est un lieu suréminent qu’il a mérité par la bienheureuse profession de sa foi ». Et un peu après : « C’est à cause d’elle qu’il a les clefs du royaume du ciel, que ses jugements terrestres sont célestes ». Donc, comme il avait dit que c’est la foi qui est le fondement et qui a les clefs, il dit maintenant que c’est à cause de sa foi que Pierre a mérité un lieu suréminent, c’est-à-dire être la tête ou le fondement, et avoir les clefs. Et lui-même, dans Mt 16, dit clairement de saint Pierre : « Sois heureux d’être devenu le fondement de l’Église par la réception d’un nouveau nom ! »

Pour une raison semblable, saint Ambroise (saint Luc, livre 6, chapitre 9) enseigne que c’est la foi de Pierre qui est le fondement de l’Église. Il dit au même endroit : « Il n’a pas nié à son disciple la grâce de ce mot, à savoir, qu’il soit lui-même un Pierre, quelqu’un qui, de la pierre, a la solidité de la constance et la fermeté de la foi ». Saint Jean Chrysostome, dans les deux textes cités, expliquant ce que c’est qu’édifier l’Église sur la confession de Pierre, nous présente un Seigneur qui parle ainsi : « Moi, c’est sur toi que j’édifierai mon Église ».  Enfin, saint Cyrille, même dans le lieu cité, ne dit pas que c’est la foi de n’importe qui, qui est le fondement de l’Église, mais celle de Pierre. Et (au livre 2, chapitre 12 de saint Jean), il écrit Pierre est la pierre sur laquelle l’Église a été fondée.

Et à l’objection d’Illyricus, je réponds d’abord avec saint Jérôme, dans son commentaire de ce chapitre. Quand il entendit Jésus lui dire : « arrière Satan », et quand il le renia trois fois, Pierre n’était pas encore le fondement. Car, dans ce passage, Jésus lui promit que c’est après sa résurrection qu’il lui donnerait de l’être. J’ajoute que saint Pierre n’a pas erré dans la foi, mais qu’il n’a fait qu’ignorer quelque chose quand il entendit : « arrière Satan » ! Et quand il l’a renié, il a péché contre la charité, non contre la foi. Nous traiterons ce sujet explicitement dans le traité de l’Église.


CHAPITRE 11

Que veut dire : édifier l’Église sur la pierre :  Mt 16

Nous avons une autre difficulté à tirer au clair : que veut dire édifier l’Église sur la pierre ? Les adversaires réfléchissent peu là-dessus. Car, comme ils ont déjà nié que Pierre est le fondement de l’Église, ils estiment qu’il est peu important de se demander ce que signifie cette construction. Le rôle propre de la pierre fondamentale est de soutenir tout l’édifice. Et c’est ce de cette façon que le présentent les pères. Saint Jean Chrysostome (homélie 55 sur saint Matthieu) écrit, en commentant ce texte : « Il l’a constitué le pasteur de l’Église ».  Et, plus bas : « Il a établi Jérémie le père d’un peuple. Mais, Pierre c’est de tout l’univers qu’il l’a fait père.» Saint Ambroise (sermon 17) : « Pierre est appelé une pierre du fait que, comme une pierre immobile, il soutient la construction de toute l’ÉgliseSaint Grégoire (livre 4, épître 32) : « Il est évident à tous ceux qui connaissent l’Évangile que, par la parole du Seigneur, a été confié à saint Pierre, le prince des apôtres, le soin de toute l’Église. Car, c’est à lui qu’il a été dit : tu es une pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église

Je réponds que c’est pour cela que nous disons que l’Église n’est pas fondée sur la foi en général. Mais, même si nous le disions, l’argument ne prouverait rien, car on doit comprendre toutes les choses en tenant compte de leurs natures. Si donc on dit que l’Église est édifiée sur la foi, le sens devrait être que l’Église dépend de la foi en tant que principe de la justification, et en tant qu’un don sans lequel l’épouse du Christ n’existe pas. Si on dit qu’elle est édifiée sur Pierre, le sens sera qu’elle dépend de Pierre comme de son chef, car ce type de dépendance est celui de la dépendance d’un homme envers un homme.

L’autre argument est plus difficile. Pierre, en ce lieu, est appelé fondement de l’Église de la même façon que les autres apôtres sont ailleurs appelés fondements de l’Église. Le psaume 86 : « Ses fondements sont sur la montagne sainte », c’est-à-dire comme l’explique saint Augustin, sur les apôtres et les prophètes. Et Apocalypse 21 : « Et le mur de la cité ayant douze fondements, et sur eux, les douze noms des apôtres de l’Agneau. »  Et Éphésiens 2 : « Surédifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes. » Faisant allusion à ces textes, saint Jérôme (dans son livre sur Jovinien 1) : « Mais tu dis que c’est sur Pierre que l’Église est fondée, bien qu’on dise ailleurs que c’est sur tous les apôtres qu’elle soit fondée, et que c’est sur eux tous, à part égale, que se solidifie et se fortifie l’Église. » Pierre n’a donc rien reçu de spécial qui lui appartînt en propre.

Je réponds que tous les apôtres ont été fondements de l’Église de trois façons, sans porter préjudice au privilège de saint Pierre. Une première manière. Ils ont été les premiers à fonder des églises. Saint Pierre n’a pas converti, à lui seul, tout l’univers, mais certains pays ont été amenés à la foi dans le Christ par certains autres, d’autre par d’autres. C’est ce que reconnaît saint Paul : « J’ai prêché là où on ne prononçait pas le nom du Christ, pour ne pas édifier sur le fondement d’un autre ». Cor 3 : «Comme un sage architecte j’ai posé un fondement, et un autre a édifié l’Église dessus.» De cette manière, tous les apôtres sont également des fondements. Nous croyons que c’est ce que veut nous faire comprendre l’Apocalypse.

L’autre manière. On appelle fondements de l’Église les apôtres et les prophètes à cause de la doctrine révélée par Dieu. En effet, la foi de l’Église s’appuie sur la révélation de Dieu qu’eurent les apôtres et les prophètes. Car ne sont pas toujours révélés à l’Église de nouveaux articles de foi, mais l’Église donne son assentiment à la doctrine que les apôtres et les prophètes ont apprise du Seigneur, et qu’ils ont communiquée à la postérité par leur prédication ou leurs écrits. De cette façon nous sommes surédifiés, comme le dit saint Paul (Ep 2) sur les fondements des apôtres et des prophètes. Selon ces deux manières de comprendre le mot fondement, saint Pierre n’est pas plus grand que les autres, mais, comme dit saint Jérôme, c’est en tous, à part égale, qu’est solidifiée et fortifiée l’Église.

 La troisième façon. Tous les apôtres sont appelés fondements sous l’aspect du gouvernement. Car tous furent têtes, dirigeants et pasteurs de l’Église universelle, mais pas de la même manière que Pierre. Car les autres apôtres eurent le pouvoir suprême et étendu en tant qu’apôtres ou légats; Pierre, lui, en tant que pasteur ordinaire. En somme, ils eurent la plénitude du pouvoir en ayant Pierre comme leur chef, et en dépendant de lui, non lui d’eux. Et c’est ce qui a été promis à Pierre, quand le Seigneur lui a dit, à lui seul, devant tous les autres : « Sur cette pierre j’édifierai mon Église.» C’est ce que, en plus des passages cités, enseigne saint Jérôme dans son livre contre Jovinien, expliquant ce que veut dire édifier l’Église sur Pierre : « Bien que la force de l’Église soit solidifiée à part égale par tous les apôtres, un est choisi parmi les douze comme chef, pour enlever toute occasion à un schisme. »

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Saints Nérée Achille et Domitille vierge, et Pancrace martyrs

12 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

Saints Nérée Achille et Domitille vierge, et Pancrace martyrs

Collecte

Que toujours, nous vous en supplions, Seigneur, l’heureuse fête de vos Martyrs Nérée, Achillée, Domitille et Pancrace nous soutienne, et nous rende dignes de votre service.

Office

Quatrième leçon. Nérée et Achillée, son frère, étaient officiers de la maison de Flavie Domitille ; saint Pierre les baptisa en même temps qu’elle et que Plautille, sa mère. Comme ils avaient inspiré à Domitille le dessein de consacrer à Dieu sa virginité, Aurélien à qui elle était fiancée, les accusa d’être chrétiens. Ils confessèrent glorieusement leur foi, et furent pour ce motif relégués dans l’île Ponza ; là on les soumit de nouveau à la torture et on les battit de verges. Conduits ensuite à Terracine, Minutius Rufus les fit tourmenter sur le chevalet, et brûler avec des torches enflammées. Comme ils déclaraient constamment qu’on ne pourrait les contraindre par aucun tourment à sacrifier aux idoles, ils eurent la tête tranchée. Leurs corps furent apportés à Rome par Auspice, leur disciple, qui avait instruit Domitille, et ils furent ensevelis sur la voie Ardéatine.

Cinquième leçon. Flavie Domitille, vierge romaine nièce des empereurs Titus et Domitien, avait reçu des mains du bienheureux Pape Clément le voile sacré de la virginité. Dénoncée comme chrétienne par Aurélien, son fiancé, fils du consul Titus Aurélus, elle fut reléguée par l’empereur Domitien dans l’île Ponza, où elle souffrit en prison un long martyre. On la conduisit enfin à Terracine ; elle y confessa de nouveau le Christ, et comme elle paraissait toujours plus ferme dans sa résolution, le juge ordonna de mettre le feu à la maison où elle était enfermée, et elle acheva ainsi, avec les vierges Théodora et Euphrosyne, ses sœurs de lait, le cours de son glorieux martyre, aux nones de mai, sous l’empereur Trajan. Leurs corps furent trouvés entiers, et ensevelis par le Diacre Césaire. Or ce jour est celui où les corps des deux frères et de Domitille furent transportés ensemble de la diaconie de Saint-Adrien, et rendus à la basilique des saints Martyrs, du titre de Fasciola.

Sixième leçon. Pancrace, né en Phrygie, était de noble race ; il vint à Rome à l’âge de quatorze ans, sous les empereurs Dioclétien et Maximien. Baptisé et instruit dans la foi chrétienne par le Pontife romain, il fut peu après arrêté pour cette même foi. Ayant refusé constamment de sacrifier aux dieux, et présenté sa tête au bourreau avec un courage viril, il parvint à la glorieuse couronne du martyre. Une saint femme, nommée Octavie, en leva son corps pendant 1a nuit, l’embauma, et l’ensevelit sur la voie Aurélienne.

Au troisième nocturne.

Lecture du saint Évangile selon saint Jean. Cap. 4, 46-53.
En ce temps-là : il y avait un officier du roi, dont le fils était malade à Capharnaüm. Et le reste.

Homélie de saint Grégoire, Pape.

Septième leçon. Comment entendre ceci : le Seigneur prié par un officier de venir auprès de son Fils, refuse de s’y rendre corporellement, et sans y être invité, il promet d’aller auprès lu serviteur du centurion. Il ne daigne point accorder l’honneur de sa présence corporelle au fils d’un seigneur, et il ne dédaigne pas d’accourir auprès de l’esclave d’un centurion. Que veut-il en ceci, sinon abattre notre orgueil, à nous qui honorons dans les hommes, non leur nature en laquelle ils ont été faits à l’image de Dieu, mais leur rang et leurs richesses ? Notre Rédempteur nous enseigne à mépriser ce que les hommes estiment grandeur, et à ne point mépriser ce que les hommes méprisent. Il n’a point voulu se rendre auprès du fils du seigneur ; il est prêt à se rendre auprès de l’esclave du centurion.

Huitième leçon. Il condamne donc notre orgueil qui ne sait point estimer les hommes en tant qu’ils sont des hommes. Comme nous l’avons dit, cet orgueil n’estime que ce qui est extérieur aux hommes, et sans égard à la nature elle-même, il ne sait pas reconnaître en eux l’œuvre de Dieu et son honneur Voilà donc que le Fils de Dieu ne veut point aller auprès du fils d’un Seigneur et se montre prêt à venir trouver un esclave et à le guérir. Si quelque esclave nous priait de venir à lui, certes aussitôt notre orgueil répondrait intérieurement à son appel : N’y va pas ; ce serait t’abaisser, faire mépriser ta noblesse, avilir ton rang. Voilà qu’il descend du ciel, celui qui sur la terre ne dédaigne pas de visiter un esclave, et pourtant nous qui sommes de la terre, nous dédaignons de nous humilier sur la terre.

Neuvième leçon. Dans votre pensée, ne considérez donc point ce .que vous possédez, mais ce que vous êtes. Voilà qu’il s’enfuit, ce monde que l’on aime. Ces Saints au tombeau desquels nous sommes assemblés, ont foulé aux pieds avec mépris ce monde alors dans sa fleur. De leur temps, il leur offrait une vie longue, une santé sans déclin, de riches possessions, une postérité nombreuse, la sécurité d’une longue paix, et pourtant ce monde qui en lui-même semblait dans sa fleur, était déjà comme flétri pour leur cœur. Voilà qu’aujourd’hui le monde est flétri en lui-même, et pour nos cœurs il est comme en fleur. Partout la mort, partout le deuil, partout la désolation. Nous sommes frappés de tous les côtés ; de toute part nous viennent les amertumes, et pourtant, aveuglés par les convoitises de la chair, nous aimons ces amertumes, nous poursuivons ce monde qui nous échappe, nous nous attachons à ce monde qui s’écroule.

 

Le chœur des Vierges martyres n’avait pas encore offert à Jésus triomphant ses couronnes de rosés mêlées de lis. Il le fait aujourd’hui en députant vers l’Époux divin la noble et gracieuse Flavia Domitilla, la plus belle fleur que le glaive du martyre moissonna dans le champ fertile de l’Église de Rome au premier siècle de notre foi. C’est sous la persécution de Domitien, dans les jours où Jean l’Évangéliste était plongé dans l’huile bouillante devant la Porte Latine, que Flavia Domitilla eut la gloire de souffrir l’exil suivi plus tard de la mort pour la cause du Rédempteur des hommes qu’elle avait choisi pour époux. Issue du sang impérial, nièce de Flavius Clémens, qui unit aux faisceaux consulaires la couronne du martyre, elle fait partie de ce groupe de chrétiens que l’on aperçoit à la cour de Domitien, et qui nous révèle avec quelle rapidité la religion des humbles et des pauvres s’était élancée jusqu’aux plus hauts sommets de la société romaine-Peu d’années auparavant, saint Paul avait adressé aux chrétiens de la ville de Philippes les salutations des chrétiens du palais de Néron. De nos jours, non loin des murs de Rome, sur la Voie Ardéatine, on visite encore le magnifique cimetière souterrain que Flavia Domitilla fit creuser dans son Praedium, et dans lequel furent ensevelis les deux martyrs Nérée et Achillée, que l’Église réunit aujourd’hui dans un même culte à la noble vierge qui leur fut redevable de sa couronne.

Nérée et Achillée, officiers de la maison de Domitilla, lui révélèrent un jour le prix de la virginité ; et tout aussitôt la jeune fille, disant pour jamais adieu aux joies de ce monde, n’aspira plus qu’à l’honneur de devenir l’épouse de Jésus-Christ. Elle reçut le voile des vierges consacrées par les mains du’ pape saint Clément ; Nérée et Achillée avaient reçu le baptême des mains de saint Pierre lui-même. Quels souvenirs en ce jour dédié à de telles mémoires !

La vierge et les autres martyrs reposèrent durant plusieurs siècles dans la basilique appelée Fasciola, sur la Voie Appienne ; mais nous avons encore une Homélie que saint Grégoire le Grand prononça dans l’église souterraine qui s’éleva d’abord sur leur tombe même au siècle du triomphe. Le saint Pontife insista dans ce discours sur la fragilité des biens de ce monde, et fit appel au souvenir des héros qui reposaient sous l’autel autour duquel les fidèles de Rome se trouvaient rassemblés. « Ces saints, dit-il, au tombeau desquels nous sommes réunis en ce moment, ont dédaigné ce monde dans sa fleur, ils l’ont foulé aux pieds. Ils avaient devant eux une vie longue, une santé assurée, une fortune opulente, l’espérance d’une famille en laquelle ils auraient perpétué leur nom ; ces jouissances, ils étaient à même de les goûter longtemps dans la tranquillité et la paix ; mais le monde eut beau fleurir à leurs yeux, il était déjà fané dans leur cœur. »

Plus tard, la basilique Fasciola étant presque tombée en ruine par suite des désastres de Rome, les corps des trois saints furent transférés, au XIIIe siècle, dans l’Église Saint-Adrien, au Forum. Ils y restèrent jusqu’aux dernières années du XVIe siècle, où le grand Baronius ayant été élevé aux honneurs de la pourpre romaine, et pourvu du Titre des saints Nérée et Achillée, songea à restaurer la basilique confiée désormais à sa garde. Par sa munificence, les nefs se relevèrent, l’histoire des trois martyrs y fut peinte sur les murailles ; la chaire de marbre sur laquelle on raconte que saint Grégoire avait prononcé son Homélie fut rétablie dans cette église, et l’Homélie elle-même gravée tout entière sur le dossier ; enfin la Confession, décorée de mosaïques et de marbres précieux, attendit le moment où elle allait recevoir les dépouilles sacrées dont elle était veuve depuis trois siècles.

Baronius avait compris qu’il était temps de terminer le trop long exil des saints martyrs, à l’honneur desquels il se sentait obligé de veiller désormais ; et il prépara tout un triomphe pour leur retour à leur antique demeure. Rome chrétienne excelle à unir dans ses pompes les souvenirs de l’antiquité classique avec les sentiments qu’inspiré la religion du Christ. Une solennelle procession conduisit d’abord au Capitole le char sur lequel reposaient à l’ombre d’un dais somptueux les corps sacrés des trois martyrs. Deux inscriptions parallèles frappèrent les regards, au moment où le cortège arrivait au sommet du clivus Capitolinus. Sur l’une on lisait : « A sainte Flavia Domitilla, vierge romaine et martyre, le Capitole, purifié du culte funeste des démons, et restauré plus dignement qu’il ne le fut par Flavius Vespasien et par Donatien Augustes, parents de la vierge chrétienne. » L’autre portait ces paroles : « Le Sénat et le peuple romain à sainte Flavia Domitilla, vierge romaine et martyre, qui, en se laissant consumer dans un incendie pour la foi du Christ, a plus apporté de gloire à Rome que ses parents Flavius Vespasien et Domitien Augustes, lorsqu’ils restaurèrent à leurs frais le Capitule deux fois incendié. »

On reposa un moment les châsses des martyrs sur un autel élevé près de la statue équestre de Marc-Aurèle, et après qu’ils eurent reçu l’hommage, ils furent replacés sur le char, et on descendit l’autre revers du Capitole. La procession ne tarda pas à rencontrer l’arc de triomphe de Septime-Sévère, II portait ces deux inscriptions : « Aux saints martyrs Flavia Domitilla, Nérée et Achillée, excellents citoyens, le Sénat et le peuple de Rome, pour avoir illustré le nom romain par leur glorieuse mort, et acquis par leur sang la paix à la république romaine. » « A Flavia Domitilla, à Nérée et Achillée, invincibles martyrs de Jésus-Christ, le Sénat elle peuple romain, pour avoir glorifié la Ville par le noble témoignage qu’ils ont rendu à la foi chrétienne. »

En suivant la Voie Sacrée, le cortège se trouva bientôt en face de l’arc de triomphe de Titus, monument de la victoire de Dieu sur la nation déicide. On y lisait, d’un côté, cette inscription : « Cet arc triomphal, décerné et érigé autrefois à Titus Flavius Vespasien Auguste, pour avoir ramené la Judée révoltée sous le joug du peuple romain, le Sénat et le peuple romain le décernent et le consacrent d’une manière plus heureuse à la nièce du même Titus, Flavia Domitilla, pour avoir, par son trépas, accru et propage la religion chrétienne. »

De l’autre côté de l’arc de triomphe étaient ces paroles : « A Flavia Domitilla, vierge romaine et martyre, nièce de Titus Flavius Vespasien Auguste, le Sénat et le peuple romain, parce qu’elle a, par l’effusion de son sang et le sacrifice de sa vie pour la foi, rendu hommage à la mort du Christ avec plus de gloire que n’en a acquis le même Titus, lorsque, pour venger cette mort, il a renversé Jérusalem par « l’inspiration divine. »

On laissa sur la gauche le Colysée, dont l’arène avait été le théâtre des combats de tant de martyrs, et l’on passa sous l'arc de triomphe de Constantin, monument qui parle si haut de la victoire du christianisme dans Rome et dans l’empire, et qui répète encore le nom de la famille Flavia, à laquelle appartenait le premier empereur chrétien. Voici les deux inscriptions dont était décoré l’arc triomphal : « A Flavia Domitilla, à Nérée et Achillée, le Sénat et le peuple romain. Sur cette Voie Sacrée où plusieurs empereurs romains, augustes, ont obtenu les honneurs du triomphe pour avoir soumis à l’empire du peuple romain diverses provinces, ces martyrs triomphent aujourd’hui avec d’autant plus de gloire, qu’ils ont vaincu par la supériorité de leur courage les triomphateurs eux-mêmes. » « A Flavia Domitilla, le Sénat et le peuple romain. Si douze empereurs ses parents augustes ont illustré par leurs hauts faits la famille Flavia et Rome elle-même, la vierge, en sacrifiant pour le Christ les honneurs et la vie, a répandu sur l’une et sur l’autre un lustre plus éclatant encore. »

On prit ensuite la Voie Appienne, et on arriva enfin à la basilique. Sur le seuil, Baronius, accompagné d’un grand nombre de cardinaux, accueillit avec un profond respect les trois martyrs, et les conduisit vers l’autel, où la Confession les reçut, pendant que le chœur chantait cette Antienne du Pontifical : « Entrez, saints de Dieu ; votre demeure a été préparée ici par le Seigneur ; le peuple fidèle a suivi joyeusement votre marche ; il vous demande de prier pour lui la majesté du Seigneur. Alléluia ! »

Quel sublime triomphe, ô saints martyrs, Rome vous avait prépare, après tant de siècles écoulés depuis votre glorieux trépas ! Qu’il est vrai de dire que rien ici-bas n’est comparable à la gloire des saints ! Où sont maintenant les Flaviens, ces douze empereurs de votre sang, ô Domitilla ? Qui s’inquiète de leurs cendres ? Qui conserve même leur souvenir ? L’un d’eux fut appelé « les délices du genre humain » ; et le peuple ignore jusqu’à son nom ! Un autre, le dernier de tous, eut la gloire d’être choisi pour proclamer la victoire de la croix sur le monde romain ; Rome chrétienne garde sa mémoire avec honneur et reconnaissance ; mais le culte religieux n’est pas pour lui ; c’est à vous, ô Domitilla, que Rome le réserve, à vous et aux deux martyrs dont le nom est en ce jour associé au vôtre.

Qui ne sentirait la puissance du mystère de la résurrection de notre divin Chef dans l’amour et l’enthousiasme qu’inspirent à tout ce peuple la vue et la possession de vos saintes reliques, ô martyrs du Dieu vivant ? Quinze siècles avaient passe sur vos membres refroidis, et les fidèles les saluent avec transport, comme s’ils les sentaient encore pleins de vie. C’est que le peuple chrétien sait que Jésus, « le premier-né d’entre les morts », est déjà ressuscité, et que vous devez un jour ressusciter glorieux comme lui. Il salue par avance cette immortalité qui doit être le partage de vos corps immolés à la gloire du Rédempteur ; il contemple déjà par la foi l’éclat dont vous brillerez un jour ; il proclame la dignité de l’homme racheté, pour qui la mort n’est plus que le passage à la vie véritable, et le tombeau un sillon qui reçoit le grain pour le rendre plus riche et plus beau.

« Heureux, dit la prophétie, ceux qui auront lavé leurs robes dans le sang de l’Agneau ! » Mais plus heureux encore, nous dit la sainte Église, ceux qui, après avoir été purifiés, ont mêlé leur propre sang à celui de la victime divine ! car « ils ont accompli dans leur chair ce qui manquait aux souffrances du Christ ». C’est pour cela qu’ils sont puissants par leur intercession, et nous devons nous adresser à eux avec amour et confiance. Nérée, Achillée, Domitilla, soyez-nous propices. Faites-nous aspirer à Jésus ressuscité ; conservez en nous la vie qu’il nous a communiquée ; détachez-nous des charmes du présent ; disposez-nous à les fouler aux pieds, s’il est à craindre qu’ils ne nous séduisent. Rendez-nous forts contre tous nos ennemis, prompts à la défense de la foi, ardents à la conquête de ce royaume que nous devons a ravir par la violence ». Soyez aussi les défenseurs de cette Église Romaine qui, chaque année, renouvelle en ce jour votre culte avec tant de ferveur. Nérée et Achillée, vous fûtes la fille de Clément, son successeur ; protégez le Pontife en qui Pierre réside, le Pontife qui succède à Clément et à tant d’autres. Dissipez les orages qui menacent la croix sur le Capitole, et conservez la foi dans le cœur des Romains.

Un quatrième martyr vient s’adjoindre à ceux que nous avons déjà fêtés. C’est de Rome aussi qu’il monte pour aller partager la gloire du vainqueur de la mort. Les précédents furent moissonnés dans les premiers temps de notre foi ; celui-ci a combattu dans la grande persécution de Dioclétien, au moment où le paganisme livrait à l’Église le dernier assaut dans lequel il devait succomber lui-même. Notre jeune héros ne comptait pas au delà de quatorze ans ; mais il n’en a pas moins cueilli la palme, et il orne à son tour la couronne de notre divin Ressuscité. Une basilique décorée d’un Titre cardinalice s’est élevée dès les premiers siècles sur le cimetière où fut déposé son corps.

La grâce divine qui vous appelait à la couronne du martyre alla vous chercher jusqu’au fond de la Phrygie, ô Pancrace, pour vous conduire dans la capitale de l’empire, au centre de tous les vices et de toutes les erreurs du paganisme. Votre nom, confondu avec tant d’autres plus éclatants ou plus obscurs, ne semblait pas devoir laisser de trace dans la mémoire des hommes ; à quatorze ans, votre carrière était déjà terminée. Aujourd’hui cependant, votre nom est prononcé par toute la terre avec l’accent de la vénération ; il retentit à l’autel dans les prières qui accompagnent le Sacrifice de l’Agneau. D’où vous vient, ô jeune martyr, cette célébrité qui durera autant que le monde ? C’est qu’il était juste qu’ayant été associé à la mort sanglante de notre Christ, la gloire de son immortalité rejaillît jusque sur vous. Gloire soit donc à lui qui honore ainsi ses compagnons d’armes ! et gloire à vous, ô martyr, qui avez mérité une telle couronne ! En retour de nos hommages, daignez, ô Pancrace, jeter un regard de protection sur nous. Parlez de nous à Jésus votre chef et le nôtre. Dans cette vallée d’exil, nous chantons l’Alléluia pour sa résurrection qui nous a remplis d’espérances ; obtenez qu’un jour nous répétions avec vous au ciel ce même Alléluia, devenu éternel, et qui alors signifiera non plus l’espérance, mais la possession.

 

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MIRARI VOS

12 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

MIRARI VOS

MIRARI VOS

Lettre encyclique de S.S. le pape GREGOIRE XVI du 15 AOUT 1832

 

 

 

SUR LE LIBÉRALISME ET LES MAUX DE L'ÉGLISE

 

À tous les patriarches, primats, archevêques et évêques,

Grégoire XVI, pape

Vénérables Frères, Salut et bénédiction apostolique.

 

Vous êtes sans doute étonnés que, depuis le jour où le fardeau du gouvernement de toute l’Église a été imposé à notre faiblesse, Nous ne vous ayons pas encore adressé nos lettres comme l’auraient demandé, soit la coutume introduite même dès les premiers temps, soit notre affection pour vous. C’était bien, il est vrai, le plus ardent de nos vœux de vous ouvrir tout d’abord notre cœur, et de vous faire entendre, dans la communion de l’esprit, cette voix avec laquelle, selon l’ordre reçu par nous dans la personne du bienheureux Pierre, Nous devons confirmer nos frères (Lc. 22, 32). Mais vous savez assez quels maux, quelles calamités, quels orages Nous ont assailli dès les premiers instants de notre pontificat, comment Nous avons été lancé tout à coup au milieu des tempêtes. Ah ! si la droite du Seigneur n’avait manifesté Sa puissance, vous auriez eu la douleur de Nous y voir englouti, victime de l’affreuse conspiration des impies. Notre cœur se refuse à renouveler, par le triste tableau de tant de périls, la douleur qu’ils Nous ont causée, et Nous bénissons plutôt le Père de toute consolation d’avoir dispersé les traîtres, de Nous avoir arraché au danger imminent, et de Nous avoir accordé en apaisant la plus terrible tempête de respirer après une si grande crainte. Nous Nous proposâmes aussitôt de vous communiquer nos desseins pour la guérison des plaies d’Israël, mais le poids énorme de soucis dont Nous fûmes accablé pour le rétablissement de l’ordre public, retarda encore l’exécution. À ce motif de silence, s’en joignit un nouveau : l’insolence des factieux qui s’efforcèrent de lever une seconde fois l’étendard de la rébellion. À la vue de tant d’opiniâtreté de leur part, en considérant que leur fureur sauvage, loin de s’adoucir, semblait plutôt s’aigrir et s’accroître par une trop longue impunité et par les témoignages de notre paternelle indulgence, Nous avons dû enfin, quoique l’âme navrée de douleur, faire usage de l’autorité qui Nous a été confiée par Dieu, les arrêter la verge à la main (I Cor. 4, 21), et depuis, comme vous pouvez bien conjecturer, notre sollicitude et nos fatigues n’ont fait qu’augmenter de jour en jour. Mais puisque, après des retards nécessités par les mêmes causes, Nous avons pris possession du pontificat dans la basilique de Latran, selon l’usage et les institutions de nos prédécesseurs, Nous courons à vous sans aucun délai, vénérables frères, et comme un témoignage de nos sentiments pour vous, Nous vous adressons cette lettre écrite en ce jour d’allégresse, où nous célébrons, par une fête solennelle, le triomphe de la très sainte Vierge, et son entrée dans les cieux. Nous avons ressenti sa protection et sa puissance au milieu des plus redoutables calamités : Ah ! qu’elle daigne Nous assister aussi dans le devoir que nous remplissons envers vous, et inspirer d’en haut à notre âme les pensées et les mesures qui seront les plus salutaires au troupeau de Jésus-Christ !

C’est, il est vrai, avec une profonde douleur et l’âme accablée de tristesse, que Nous venons à vous ; car Nous connaissons votre zèle pour la religion et les cruelles inquiétudes que vous inspire le malheur des temps où elle est jetée. Nous pouvons dire en toute vérité, c’est maintenant l’heure accordée à la puissance des ténèbres pour cribler, comme le froment, les enfants d’élection (Lc. 22, 53). "La terre est vraiment dans le deuil ; elle se dissout, infectée par ses habitants ; ils ont en effet transgressé les lois, changé la justice et rompu le pacte éternel" (Is. 24, 5). Nous vous parlons, vénérables frères, de maux que vous voyez de vos yeux, et sur lesquels par conséquent nous versons des larmes communes.

La perversité, la science sans pudeur, la licence sans frein s’agitent pleines d’ardeur et d’insolence ; la sainteté des mystères n’excite plus que le mépris, et la majesté du culte divin, si nécessaire à la foi et si salutaire aux hommes, est devenue, pour les esprits pervers, un objet de blâme, de profanation, de dérision sacrilège. De là, la sainte doctrine altérée et les erreurs de toute espèce semées partout avec scandale. Les rites sacrés, les droits, les institutions de l’Église, ce que sa discipline a de plus saint, rien n’est plus à l’abri de l’audace des langues d’iniquité.

On persécute cruellement notre Chaire de Rome, ce Siège du bienheureux Pierre sur lequel le Christ a posé le fondement de Son Église ; et les liens de l’unité sont chaque jour affaiblis de plus en plus, ou rompus avec violence. La divine autorité de l’Église est attaquée ; on lui arrache ses droits ; on la juge d’après des considérations toutes terrestres, et à force d’injustice, on la dévoue au mépris des peuples, on la réduit à une servitude honteuse. L’obéissance due aux évêques est détruite et leurs droits sont foulés aux pieds. On entend retentir les académies et les universités d’opinions nouvelles et monstrueuses ; ce n’est plus en secret ni sourdement qu’elles attaquent la foi catholique ; c’est une guerre horrible et impie qu’elles lui déclarent publiquement et à découvert. Or dès que les leçons et les examens des maîtres pervertissent ainsi la jeunesse, les désastres de la religion prennent un accroissement immense, et la plus effrayante immoralité gagne et s’étend. Aussi, une fois rejetés les liens sacrés de la religion, qui seuls conservent les royaumes et maintiennent la force et la vigueur de l’autorité, on voit l’ordre public disparaître, l’autorité malade, et toute puissance légitime menacée d’une révolution toujours plus prochaine. Abîme de malheurs sans fonds, qu’ont surtout creusé ces sociétés conspiratrices dans lesquelles les hérésies et les sectes ont, pour ainsi dire, vomi comme dans une espèce de sentine, tout ce qu’il y a dans leur sein de licence, de sacrilège et de blasphème.

Telles sont, vénérables frères, avec beaucoup d’autres encore et peut-être plus graves, qu’il serait aujourd’hui trop long de détailler et que vous connaissez tous, les causes qui Nous condamnent à une douleur cruelle et sans relâche, puisqu’établi sur la Chaire du prince des apôtres, Nous devons plus que personne être dévoré du zèle de la maison de Dieu tout entière. Mais la place même que Nous occupons Nous avertit qu’il ne suffit pas de déplorer ces innombrables malheurs, si Nous ne faisons aussi tous nos efforts pour en tarir les sources. Nous réclamons donc l’aide de votre foi, et pour le salut du troupeau sacré Nous faisons un appel à votre zèle, vénérables frères, vous dont la vertu et la religion si connues, vous dont l’admirable prudence et la vigilance infatigable augmentent notre courage et répandent le baume de la consolation dans notre âme affligée par tant de désastres.

Car c’est à nous d’élever la voix, d’empêcher par nos efforts réunis que le sanglier de la forêt ne bouleverse la vigne et que les loups ne ravagent le troupeau du Seigneur. C’est à nous de ne conduire les brebis que dans des pâturages qui leur soient salutaires et où l’on n’ait pas à craindre pour elles une seule herbe malfaisante. Loin de nous donc, nos très chers frères, au milieu de fléaux, de dangers si multipliés et si menaçants, loin de nous l’insouciance et les craintes de pasteurs qui abandonneraient leurs brebis ou qui se livreraient à un sommeil funeste sans aucun souci de leur troupeau ! Agissons en unité d’esprit pour notre cause commune, ou plutôt pour la cause de Dieu ; et contre de communs ennemis unissons notre vigilance, pour le salut de tout le peuple, unissons nos efforts. C’est ce que vous ferez parfaitement si, comme votre charge vous en fait un devoir, vous veillez sur vous et sur la doctrine, vous redisant sans cesse à vous-mêmes que "toute nouveauté bat en brèche l’Église universelle" (S. Célestin, pape Epist. 21 ad Episc. Gall), et d’après l’avertissement du saint pape Agathon, "rien de ce qui a été régulièrement défini ne supporte ni diminution, ni changement, ni addition, repousse toute altération du sens et même des paroles" (Epist. ad Imper). C’est ainsi que demeurera ferme, inébranlable, cette unité qui repose sur le Siège de saint Pierre comme sur sa base ; et le centre d’où dérivent, pour toutes les Églises, les droits sacrés de la communion catholique, "sera aussi pour toutes un mur qui les protégera, un asile qui les couvrira, un port qui les préservera du naufrage et un trésor qui les enrichira de biens incalculables" (S. Jean Chrys., Epist. 11 ad Innocent). Ainsi donc pour réprimer l’audace de ceux qui s’efforcent, ou d’anéantir les droits du Saint-Siège, ou d’en détacher les Eglises dont il est le soutien et la vie, inculquez sans cesse aux fidèles de profonds sentiments de confiance et de respect envers lui, faites retentir à leurs oreilles ces paroles de saint Cyprien : "C’est une erreur de croire être dans l’Église lorsqu’on abandonne le Siège de Pierre, qui est le fondement de l’Église" (De Unitate Eccles ).

Le but de vos efforts et l’objet de votre vigilance continuelle, doit donc être de GARDER LE DEPOT DE LA FOI au milieu de cette vaste conspiration d’hommes impies que nous voyons, avec la plus vive douleur, formée pour le dissiper et le perdre. Que tous s’en souviennent : le jugement sur la saine doctrine dont on doit nourrir le peuple, le gouvernement et l’administration de l’Église entière appartiennent au Pontife romain, "à qui a été confié, par Notre-Seigneur Jésus-Christ comme l’ont si clairement déclaré les Pères du concile de Florence, le plein pouvoir de paître, de régir et de gouverner l’Église universelle" (Sess. 25, in definit). Quant aux évêques en particulier, leur devoir est de rester inviolablement attachés à la Chaire de Pierre, de garder le saint dépôt avec une fidélité scrupuleuse, et de paître le troupeau de Dieu qui leur est soumis. Pour les prêtres, il faut qu’ils soient soumis aux évêques et "qu’ils les honorent comme les pères de leurs âmes" (S. Jérôme Epist. 3 ad Nepot, I, 24), selon l’avis de saint Jérôme ; qu’ils n’oublient jamais qu’il leur est défendu, même par les anciens canons, de rien faire dans le ministère qui leur a été confié, et de prendre sur eux la charge d’enseigner et de prêcher, "sans l’approbation de l’évêque, à qui le soin des fidèles a été remis et qui rendra compte de leurs âmes" (Ex can. Ap. 38). Qu’on tienne enfin pour une vérité certaine et incontestable, que tous ceux qui cherchent à troubler en quoi que ce soit cet ordre ainsi établi, ébranlent autant qu’il est en eux la constitution de l’Église.

Ce serait donc un attentat, une dérogation formelle au respect que méritent les lois ecclésiastiques, de blâmer, par une liberté insensée d’opinion, la discipline que l’Église a consacrée, qui règle l’administration des choses saintes et la conduite des fidèles, qui détermine les droits de l’Église et les obligations de ses ministres, de la dire ennemie des principes certains du droit naturel, incapable d’agir par son imperfection même, ou soumise à l’autorité civile. Mais puisqu’il est certain, pour Nous servir des paroles des Pères de Trente, que "l’Église a été instruite par Jésus-Christ et par Ses Apôtres, et que l’Esprit Saint, par une assistance de tous les jours, ne manque jamais de lui enseigner toute vérité" (Sess. 13, decr. de Eucharist., in proem), c’est le comble de l’absurdité et de l’outrage envers elle de prétendre qu’une restauration et qu’une régénération lui sont devenues nécessaires pour assurer son existence et ses progrès, comme si l’on pouvait croire qu’elle aussi fût sujette, soit à la défaillance, soit à l’obscurcissement, soit à toute autre altération de ce genre.

Et que veulent ces novateurs téméraires, sinon donner de nouveaux fondements à une institution qui ne serait plus, par là même, que l’ouvrage de l’homme "et réaliser ce que saint Cyprien ne peut assez détester, en rendant l’Église toute humaine de divine qu’elle est ?" (Epist. 52). Mais que les auteurs de semblables manœuvres sachent et retiennent qu’au seul Pontife romain, d’après le témoignage de saint Léon "a été confié la dispensation des canons, que lui seul, et non pas un simple particulier, a le pouvoir de prononcer sur les règles sanctionnées par les Pères, et qu’ainsi, comme le dit saint Gélase, c’est à lui de balancer entre eux les divers décrets des canons, et de limiter les ordonnances de ses prédécesseurs, de manière à relâcher quelque chose de leur rigueur et à les modifier après mûr examen, selon que le demande la nécessité des temps, pour les nouveaux besoins des Eglises" (Epist. ad Episcop. Lucaniæ).

Nous réclamons ici la constance de votre zèle en faveur de la religion contre les ennemis du célibat ecclésiastique, contre cette ligue impure qui s’agite et s’étend chaque jour, qui se grossit même par le mélange honteux de plusieurs transfuges de l’ordre clérical et des plus impudents philosophes de notre siècle. Oublieux d’eux-mêmes et de leur devoir, jouets de passions séductrices, ces transfuges ont poussé la licence au point d’oser, en plusieurs endroits, présenter aux princes des requêtes, même publiques et réitérées, pour obtenir l’abolition de ce point sacré de discipline. Mais Nous rougissons d’arrêter longtemps vos regards sur de si honteuses tentatives, et plein de confiance en votre religion, Nous Nous reposons sur vous du soin de défendre de toutes vos forces, d’après les règles des saints canons, une loi de si haute importance, de la conserver dans toute son intégrité, et de repousser les traits dirigés contre elle de tous côtés par des hommes que tourmentent les plus infâmes passions.

Un autre objet appelle notre commune sollicitude, c’est le mariage des chrétiens, cette alliance honorable que saint Paul a appelée "un grand sacrement en Jésus-Christ et en Son Église" (Ep. 5, 32). Étouffons les opinions hardies et les innovations téméraires qui pourraient compromettre la sainteté de ses liens et leur indissolubilité. Déjà cette recommandation vous avait été faite d’une manière toute particulière par les lettres de notre prédécesseur Pie VIII, d’heureuse mémoire. Cependant les attaques de l’ennemi vont toujours croissant ; il faut donc avoir soin d’enseigner au peuple que le mariage, une fois légitimement contracté, ne peut plus être dissous ; que Dieu a imposé aux époux qu’Il a unis l’obligation de vivre en perpétuelle société, et que le nœud qui les lie ne peut être rompu que par la mort. N’oubliant jamais que le mariage est renfermé dans le cercle des choses saintes et placé par conséquent sous la juridiction de l’Église, les fidèles auront sous les yeux les lois qu’elle-même a faites à cet égard ; ils y obéiront avec un respect et une exactitude religieuse, persuadés que, de leur exécution, dépendent absolument les droits, la stabilité et la légitimité de l’union conjugale. Qu’ils se gardent d’admettre en aucune façon rien de ce qui déroge aux règles canoniques et aux décrets des conciles ; sachant bien qu’une alliance sera toujours malheureuse, lorsqu’elle aura été formée, soit en violant la discipline ecclésiastique, soit avant d’avoir obtenu la bénédiction divine, soit en ne suivant que la fougue d’une passion qui ne leur permet de penser ni au sacrement, ni aux mystères augustes qu’il signifie.

Nous venons maintenant à une cause, hélas ! trop féconde des maux déplorables qui affligent à présent l’Église. Nous voulons dire l’indifférentisme, ou cette opinion funeste répandue partout par la fourbe des méchants, qu’on peut, par une profession de foi quelconque, obtenir le salut éternel de l’âme, pourvu qu’on ait des mœurs conformes à la justice et à la probité. Mais dans une question si claire et si évidente, il vous sera sans doute facile d’arracher du milieu des peuples confiés à vos soins une erreur si pernicieuse. L’Apôtre nous en avertit : "Il n’y a qu’un Dieu, qu’une foi, qu’un baptême" (Ep. 4 , 5) ; qu’ils tremblent donc ceux "qui s’imaginent que toute religion conduit par une voie facile au port de la félicité ; qu’ils réfléchissent sérieusement sur le témoignage du Sauveur lui-même : qu’ils sont contre le Christ dès lors qu’ils ne sont pas avec le Christ" (Lc. 11, 23) ; qu’ils dissipent misérablement par là même qu’ils n’amassent point avec Lui, et que par conséquent, "ils périront éternellement, sans aucun doute, s’ils ne gardent pas la foi catholique et s’ils ne la conservent entière et sans altération" (Symb. S. Athanas). Qu’ils écoutent saint Jérôme racontant lui-même, qu’à l’époque où l’Église était partagée en trois partis, il répétait sans cesse et avec une résolution inébranlable, à qui faisait effort pour l’attirer à lui : "Quiconque est uni à la chaire de Pierre est avec moi" (Epist. 58). En vain essayerait-on de se faire illusion en disant que soi-même aussi on a été régénéré dans l’eau, car saint Augustin répondrait précisément : "Il conserve aussi sa forme, le sarment séparé du cep ; mais que lui sert cette forme, s’il ne vit point de la racine ?" (Psalm. contra part. Donat).

De cette source empoisonnée de l’indifférentisme, découle cette maxime fausse et absurde ou plutôt ce délire : qu’on doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience ; erreur des plus contagieuses, à laquelle aplanit la voie cette liberté absolue et sans frein des opinions qui, pour la ruine de l’Église et de l’État, va se répandant de toutes parts, et que certains hommes, par un excès d’impudence, ne craignent pas de représenter comme avantageuse à la religion. Eh ! "quelle mort plus funeste pour les âmes, que la liberté de l’erreur !" disait saint Augustin (Epist. 166). En voyant ôter ainsi aux hommes tout frein capable de les retenir dans les sentiers de la vérité, entraînés qu’ils sont déjà à leur perte par un naturel enclin au mal, c’est en vérité que Nous disons qu’il est ouvert ce "puits de l’abîme" (Ap. 9, 3), d’où saint Jean vit monter une fumée qui obscurcissait le soleil, et des sauterelles sortir pour la dévastation de la terre. De là, en effet, le peu de stabilité des esprits ; de là, la corruption toujours croissante des jeunes gens ; de là, dans le peuple, le mépris des droits sacrés, des choses et des lois les plus saintes ; de là, en un mot, le fléau le plus funeste qui puisse ravager les États ; car l’expérience nous l’atteste et l’antiquité la plus reculée nous l’apprend : pour amener la destruction des États les plus riches, les plus puissants, les plus glorieux, les plus florissants, il n’a fallu que cette liberté sans frein des opinions, cette licence des discours publics, cette ardeur pour les innovations.

À cela se rattache la liberté de la presse, liberté la plus funeste, liberté exécrable, pour laquelle on n’aura jamais assez d’horreur et que certains hommes osent avec tant de bruit et tant d’insistance, demander et étendre partout. Nous frémissons, vénérables frères, en considérant de quels monstres de doctrines, ou plutôt de quels prodiges d’erreurs nous sommes accablés ; erreurs disséminées au loin et de tous côtés par une multitude immense de livres, de brochures, et d’autres écrits, petits il est vrai en volume, mais énormes en perversité, d’où sort la malédiction qui couvre la face de la terre et fait couler nos larmes. Il est cependant, ô douleur ! des hommes emportés par un tel excès d’impudence, qu’ils ne craignent pas de soutenir opiniâtrement que le déluge d’erreurs qui découle de là est assez abondamment compensé par la publication de quelque livre imprimé pour défendre, au milieu de cet amas d’iniquités, la vérité et la religion. Mais c’est un crime assurément, et un crime réprouvé par toute espèce de droit, de commettre de dessein prémédité un mal certain et très grand, dans l’espérance que peut-être il en résultera quelque bien ; et quel homme sensé osera jamais dire qu’il est permis de répandre des poisons, de les vendre publiquement, de les colporter, bien plus, de les prendre avec avidité, sous prétexte qu’il existe quelque remède qui a parfois arraché à la mort ceux qui s’en sont servis ?

Mais bien différente a été la discipline de l’Église pour l’extinction des mauvais livres, dès l’âge même des apôtres. Nous lisons, en effet, qu’ils ont brûlé publiquement une grande quantité de livres (Act. Apost. 19). Qu’il suffise, pour s’en convaincre, de lire attentivement les lois données sur cette matière dans le Vè Concile de Latran et la constitution publiée peu après par Léon X, notre prédécesseur d’heureuse mémoire, pour empêcher "que ce qui a été heureusement inventé pour l’accroissement de la foi et la propagation des arts utiles, ne soit perverti en un usage tout contraire et ne devienne un obstacle au salut des fidèles" (Act. conc. Lateran. V. sess. X). Ce fut aussi l’objet des soins les plus vigilants des Pères de Trente ; et pour apporter remède à un si grand mal, ils ordonnèrent, dans le décret le plus salutaire, la confection d’un Index des livres qui contiendraient de mauvaises doctrines (Conc. Trid. sess. XVIII et XXV). "Il faut combattre avec courage", disait Clément XIII, notre prédécesseur d’heureuse mémoire, dans sa lettre encyclique sur la proscription des livres dangereux, "il faut combattre avec courage, autant que la chose elle-même le demande, et exterminer de toutes ses forces le fléau de tant de livres funestes ; jamais on ne fera disparaître la matière de l’erreur, si les criminels éléments de la corruption ne périssent consumés par les flammes" (Litt., Christianæ, 25 nov. 1766).

Par cette constante sollicitude avec laquelle, dans tous les âges, le Saint Siège apostolique s’est efforcé de condamner les livres suspects et dangereux et de les arracher des mains des hommes, il apparaît clairement combien est fausse, téméraire, injurieuse au Siège Apostolique, et féconde en grands malheurs pour le peuple chrétien, la doctrine de ceux qui, non contents de rejeter la censure comme trop pesante et trop onéreuse, ont poussé la perversité jusqu’à proclamer qu’elle répugne aux principes de la justice, et jusqu’à refuser audacieusement à l’Église le droit de la décréter et de l’exercer.

Nous avons appris que, dans des écrits répandus dans le public, on enseigne des doctrines qui ébranlent la fidélité, la soumission due aux princes et qui allument partout les torches de la sédition ; il faudra donc bien prendre garde que trompés par ces doctrines, les peuples ne s’écartent des sentiers du devoir. Que tous considèrent attentivement que selon l’avertissement de l’Apôtre, "il n’est point de puissance qui ne vienne de Dieu ; et celles qui existent ont été établies par Dieu ; ainsi résister au pouvoir c’est résister à l’ordre de Dieu, et ceux qui résistent attirent sur eux-mêmes la condamnation" (Rm. 13, 2). Les droits divins et humains s’élèvent donc contre les hommes, qui, par les manœuvres les plus noires de la révolte et de la sédition, s’efforcent de détruire la fidélité due aux princes et de les renverser de leurs trônes. C’est sûrement pour cette raison et pour ne pas se couvrir d’une pareille honte, que malgré les plus violentes persécutions, les anciens chrétiens ont cependant toujours bien mérité des empereurs et de l’empire ; ils l’ont clairement démontré, non seulement par leur fidélité à obéir exactement et promptement dans tout ce qui n’était pas contraire à la religion, mais encore par leur constance et par l’effusion même de leur sang dans les combats. "Les soldats chrétiens, dit saint Augustin, ont servi l’empereur infidèle; mais s’agissait-il de la cause du Christ ? Ils ne reconnaissaient plus que celui qui habite dans les cieux. Ils distinguaient le Maître éternel du maître temporel, et cependant à cause du Maître éternel, ils étaient soumis au maître même temporel" (In Psalm. 124, n. 7). Ainsi pensait Maurice, l’invincible martyr, le chef de la légion thébaine, lorsqu’au rapport de saint Eucher, il fit cette réponse à l’empereur : "Prince, nous sommes vos soldats ; mais néanmoins nous le confessons librement, les serviteurs de Dieu... Et maintenant ce péril extrême ne fait point de nous des rebelles ; voyez, nous avons les armes à la main, et nous ne résistons point, car nous aimons mieux mourir que de tuer" (Act. SS. MM. de SS. Maurit. et soc. n. 4). Cette fidélité des anciens chrétiens envers les princes apparaît plus illustre encore, si l’on considère, avec Tertullien, que la force du nombre et des "troupes ne leur manquait pas alors, s’ils eussent voulu agir en ennemis déclarés. Nous ne sommes que d’hier, dit-il lui-même, et nous remplissons tout, vos villes, vos îles, vos forteresses, vos municipes, vos assemblées, les camps eux-mêmes, les tribus, les décuries, le palais, le sénat, le forum... À quelle guerre n’eussions-nous pas été propres et disposés même à forces inégales, nous qui nous laissons égorger avec tant de facilité, si, par la foi que nous professons, il n’était pas plutôt permis de recevoir la mort que de la donner ? Nombreux comme nous le sommes, si, nous étant retirés dans quelque coin du monde, nous eussions rompu avec vous, la perte de tant de citoyens, quel qu’eût été leur caractère, aurait certainement fait rougir de honte votre tyrannie. Que dis-je ? Cette seule séparation eût été votre châtiment. Sans aucun doute, vous eussiez été saisis d’effroi à la vue de votre solitude... Vous eussiez cherché à qui commander ; il vous fût resté plus d’ennemis que de citoyens ; mais maintenant vos ennemis sont en plus petit nombre, grâce à la

multitude des chrétiens" (Apolog. Cap.37).

Ces éclatants exemples d’une constante soumission envers les princes, tiraient nécessairement leur source des préceptes sacrés de la religion chrétienne ; ils condamnent l’orgueil démesuré, détestable de ces hommes déloyaux qui, brûlant d’une passion sans règle et sans frein pour une liberté qui ose tout, s’emploient tout entiers à renverser et à détruire tous les droits de l’autorité souveraine, apportant aux peuples la servitude sous les apparences de la liberté. C’était vers le même but, aussi, que tendaient de concert les extravagances coupables et les désirs criminels des Vaudois, des Béguards, des Wicléfistes et d’autres semblables enfants de Bélial, la honte et l’opprobre du genre humain, et pour ce motif ils furent, tant de fois et avec raison, frappés d’anathème par le Siège Apostolique. Si ces fourbes achevés réunissent toutes leurs forces, c’est sûrement et uniquement afin de pouvoir dans leur triomphe se féliciter, avec Luther, d’être libres de tout ; et c’est pour l’atteindre plus facilement et plus promptement qu’ils commettent avec la plus grande audace les plus noirs attentats.

Nous ne pourrions augurer des résultats plus heureux pour la religion et pour le pouvoir civil, des désirs de ceux qui appellent avec tant d’ardeur la séparation de l’Église et de l’État, et la rupture de la concorde entre le sacerdoce et l’empire. Car c’est un fait avéré, que tous les amateurs de la liberté la plus effrénée redoutent par-dessus tout cette concorde, qui toujours a été aussi salutaire et aussi heureuse pour l’Église que pour l’État.

Aux autres causes de notre déchirante sollicitude et de la douleur accablante qui nous est en quelque sorte particulière au milieu du danger commun, viennent se joindre encore certaines associations et réunions, ayant des règles déterminées. Elles se forment comme en corps d’armée, avec les sectateurs de toute espèce de fausse religion et de culte, sous les apparences, il est vrai, du dévouement à la religion, mais en réalité dans le désir de répandre partout les nouveautés et les séditions, proclamant toute espèce de liberté, excitant des troubles contre le pouvoir sacré et contre le pouvoir civil, et reniant toute autorité, même la plus sainte.

C’est avec un cœur déchiré, mais plein de confiance en Celui qui commande aux vents et rétablit le calme, que Nous vous écrivons ainsi, vénérables Frères, pour vous engager à vous revêtir du bouclier de la foi, et à déployer vos forces en combattant vaillamment les combats du Seigneur. À vous surtout, il appartient de vous opposer comme un rempart à toute hauteur qui s’élève contre la science de Dieu. Tirez le glaive de l’esprit, qui est la parole de Dieu, et donnez la nourriture à ceux qui ont faim de la justice. Choisis pour cultiver avec soin la vigne du Seigneur, n’agissez que dans ce but et travaillez tous ensemble à arracher toute racine amère du champ qui vous a été confié, à y étouffer toute semence de vices et à y faire croître une heureuse moisson de vertus. Embrassez avec une affection toute paternelle ceux surtout qui appliquent spécialement leur esprit aux sciences sacrées et aux questions philosophiques : exhortez-les et amenez-les à ne pas s’écarter des sentiers de la vérité pour courir dans la voie des impies, en s’appuyant imprudemment sur les seules forces de leur raison. Qu’ils se souviennent que "c’est Dieu qui conduit dans les routes de la vérité et qui perfectionne les sages" (Sg. 7, 15), et qu’on ne peut, sans Dieu, apprendre à connaître Dieu, le Dieu qui, par Son Verbe, enseigne aux hommes à Le connaître (S. Irénée, lib. 4, cap. 10). C’est à l’homme superbe, ou plutôt à l’insensé de peser dans des balances humaines les mystères de la foi, qui sont au-dessus de tout sens humain, et de mettre sa confiance dans une raison qui, par la condition même de la nature de l’homme, est faible et débile. Au reste que les Princes nos très chers fils en Jésus-Christ favorisent de leur puissance et de leur autorité les vœux que nous formons avec eux pour la prospérité de la religion et des États ; qu’ils songent que le pouvoir leur a été donné, non seulement pour le gouvernement du monde, mais surtout pour l’appui et la défense de l’Église ; qu’ils considèrent sérieusement que tous les travaux entrepris pour le salut de l’Église, contribuent à leur repos et au soutien de leur autorité. Bien plus, qu’ils se persuadent que la cause de la foi doit leur être plus chère que celle même de leur empire, et que leur plus grand intérêt, Nous le disons avec le pape saint Léon, "est de voir ajouter, de la main du Seigneur, la couronne de la foi à leur diadème". Établis comme les pères et les tuteurs des peuples, ils leur procureront un bonheur véritable et constant, l’abondance et la tranquillité, s’ils mettent leur principal soin à faire fleurir la religion et la piété envers le Dieu qui porte écrit sur son vêtement : "Roi des rois, Seigneur des seigneurs".

 

Mais pour que toutes ces choses s’accomplissent heureusement, levons les yeux et les mains vers la très sainte Vierge Marie. Seule elle a détruit toutes les hérésies ; en elle nous mettons une immense confiance, elle est même tout l’appui qui soutient notre espoir (S. Bernard, Serm. de Nat.B.M.V., § 7). Ah ! que dans la nécessité pressante où se trouve le troupeau du Seigneur, elle implore pour notre zèle, nos desseins et nos entreprises les plus heureux succès. Demandons aussi, par d’humbles prières, à Pierre, prince des apôtres, et à Paul l’associé de son apostolat, que vous soyez tous comme un mur inébranlable, et qu’on ne pose pas d’autre fondement que celui qui a été posé. Appuyé sur ce doux espoir, nous avons confiance que l’auteur et le consommateur de notre foi, Jésus-Christ, nous consolera tous enfin, au milieu des tribulations extrêmes qui nous accablent, et comme présage du secours céleste, Nous vous donnons avec amour, vénérables Frères, à vous et aux brebis confiées à vos soins, la bénédiction apostolique.

 

Donné à Rome, à Sainte-Marie-Majeure, le 18 des calendes de septembre, le jour solennel de l’Assomption de cette bienheureuse Vierge Marie, l’an 1832 de l’incarnation de Notre-Seigneur, de notre pontificat le deuxième.

GRÉGOIRE XVI, PAPE

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Saints Philippe et Jacques apôtres

11 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

Saints Philippe et Jacques apôtres

Collecte

Dieu qui nous réjouissez en la solennité annuelle de vos de vos Apôtres Philippe et Jacques ; faites, nous vous en prions, que nous soyons instruits aux exemples de ceux dont les mérites nous remplissent d’allégresse.

Lecture Sg. 5, 1-5

Les justes se lèveront avec une grande assurance contre ceux qui les auront mis dans l’angoisse, et qui auront ravi le fruit de leurs travaux. A cette vue les méchants seront troublés par une horrible frayeur, et ils seront stupéfaits en voyant tout à coup ceux dont ils n’attendaient pas le salut ; ils diront en eux-mêmes, saisis de remords, et gémissant dans l’angoisse de leur cœur : Voici ceux dont nous avons fait autrefois un objet de risée, et un thème d’outrages. Insensés que nous étions, nous regardions leur vie comme une folie, et leur mort comme une honte ; et voilà qu’ils sont comptés parmi les fils de Dieu, et que leur partage est avec les saints.

Évangile Jn. 14. 1-13

En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : Que votre cœur ne se trouble point. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures. Si cela n’était pas, Je vous l’aurais dit ; car je vais vous préparer une place. Et lorsque je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai, et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous y soyez aussi. Vous savez où je vais, et vous en savez le chemin. Thomas Lui dit : Seigneur, nous ne savons pas où vous allez ; comment pourrions-nous en savoir le chemin ?

Jésus lui dit : Je suis la voie, la vérité et la vie. Personne ne vient au Père, si ce n’est par moi. Si vous m’aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père ; et bientôt vous Le connaîtrez, et vous l’avez déjà vu.

Philippe Lui dit : Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suffit.

Jésus lui dit : Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas ? Philippe, celui que me voit, voit aussi le Père. Comment peux-tu dire : Montrez-nous le Père ? Ne croyez-vous pas que je suis dans le Père, et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les dis pas de moi-même ; mais le Père, qui demeure en moi, fait lui-même mes œuvres. Ne croyez-vous pas que je suis dans le Père, et que le Père est en moi ? Croyez-le du moins à cause de ces œuvres. En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui-même les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes, parce que je m’en vais auprès du Père. Et tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai.

Office

Quatrième leçon. Philippe, né à Bethsaïde, est l’un des douze Apôtres appelés d’abord par le Christ notre Seigneur. Il apprit à Nathanaël que le Messie promis dans la loi était venu, et le conduisit au Seigneur. Les faits montrent clairement avec quelle familiarité le Christ accueillait Philippe ; des Gentils désirant voir le Sauveur s’adressèrent à cet Apôtre, et le Seigneur, voulant nourrir dans le désert une multitude de personnes, lui parla ainsi : « Où achèterons-nous des pains, pour que ceux-ci mangent » ? Philippe, après avoir reçu le Saint-Esprit, se rendit dans la Scythie, qui lui était échue en partage, pour y prêcher l’Évangile, et il convertit cette nation presque tout entière à la foi chrétienne. Enfin, étant venu à Hiérapolis en Phrygie, il fut attaché à la croix pour le nom du Christ, et accablé à coups de pierres, le jour des calendes de mai. Les Chrétiens ensevelirent son corps dans le même lieu, mais il a été ensuite transporté à Rome et déposé, avec celui du bienheureux Apôtre Jacques, dans la basilique des douze Apôtres.

Cinquième leçon. Jacques, frère du Seigneur, surnommé le Juste, s’abstint dès son jeune âge, de vin, de cervoise, et de chair ; il ne coupa jamais ses cheveux et n’usa ni de parfums, ni de bains. Il n’était permis qu’à lui seul d’entrer dans le Saint des saints ; il portait des vêtements de lin, et était si assidu à la prière que ses genoux étaient devenus aussi durs que la peau d’un chameau. Après l’ascension du Christ, les Apôtres le créèrent Évêque de Jérusalem ; et c’est à lui que Pierre envoya un messager annoncer qu’un Ange l’avait délivré de prison. Une controverse s’étant élevée au concile de Jérusalem, au sujet de la loi et de la circoncision, Jacques fut de l’avis de Pierre, et fit aux frères un discours dans lequel il prouva la vocation des Gentils, et dit qu’il fallait écrire aux frères absents de ne pas imposer aux Gentils le joug de la loi mosaïque. C’est de lui que parle l’Apôtre, quand il écrit aux Galates : « Je ne vis aucun Apôtre, si ce n’est Jacques, le frère du Seigneur ».

Sixième leçon. Telle était la sainteté de sa vie, que les hommes souhaitaient à l’envi de toucher le bord de ses vêtements. Étant parvenu à l’âge de quatre-vingt-seize ans, ayant gouverné très saintement l’Église de Jérusalem pendant trente années, comme il annonçait avec courage et fermeté le Christ, Fils de Dieu, il fut d’abord assailli à coups de pierres, et ensuite mené à l’endroit le plus élevé du temple, d’où on le précipita. Gisant à demi mort, les jambes brisées, il levait les mains au ciel, et priait Dieu pour le salut de ses bourreaux, en disant : « Pardonnez-leur, Seigneur, car ils ne savent ce qu’ils font ». Pendant qu’il faisait cette prière, on lui brisa la tête d’un coup de fouloir, et il rendit son âme à Dieu en la septième année de Néron. Il fut enseveli près du temple, au lieu même où il avait été précipité. Il a écrit une lettre qui est une des sept Épîtres catholiques.

Au troisième nocturne.

Homélie de S. Augustin, Évêque.

Septième leçon. Il faut, mes frères, élever avec plus d’énergie nos pensées vers Dieu, afin que notre esprit puisse comprendre, autant qu’il est possible, les paroles du saint Évangile que vous venez d’entendre. Notre Seigneur Jésus-Christ dit à ses disciples : « Que votre cœur ne se trouble point. Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi ». Il veut prévenir la crainte tout humaine que sa mort pourrait produire dans l’âme de ses disciples et le trouble qui devrait s’ensuivre, et il les console en leur déclarant qu’il est Dieu lui-même : « Vous croyez en Dieu, leur dit-il, croyez aussi en moi ». Car si vous croyez en Dieu, par une conséquence nécessaire, vous devez croire en moi : conséquence qui ne serait point légitime, si Jésus-Christ n’était pas Dieu.

Huitième leçon. Croyez donc en Dieu, et croyez en celui.qui est par nature, et non par usurpation, l’égal de Dieu. Il s’est anéanti lui-même sans perdre la nature divine, mais en prenant la nature de serviteur. Vous craignez la mort pour cette forme de serviteur, « que votre cœur ne se trouble point », la nature divine la ressuscitera. Mais pourquoi les paroles suivantes : « IL y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père », sinon parce que les disciples craignaient pour eux-mêmes ? C’est pour cela qu’ils eurent besoin d’entendre le Sauveur leur dire : « Que votre cœur ne se trouble point ». En effet, quel est celui des Apôtres qui ne devait être saisi de crainte en entendant Jésus dire à Pierre, celui d’entre eux qui avait le plus de confiance et d’ardeur : « Le coq ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois » ?

Neuvième leçon. Ils craignaient eux-mêmes de périr éloignés de lui, et leur trouble était bien légitime ; mais ces paroles : « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père ; autrement je vous l’aurais dit, car je vais vous préparer une place », ces paroles calment le trouble et l’agitation de leur âme, en leur donnant l’espérance certaine qu’après les périls et les épreuves de cette vie, ils seront pour toujours réunis à Dieu avec Jésus-Christ. Si l’un est supérieur à l’autre en force, en sagesse, en justice, en sainteté, « il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père » ; aucun ne sera exclu de cette maison, où chacun sera placé selon son mérite.

Deux des heureux témoins de la résurrection de notre bien-aimé Sauveur se présentent à nous aujourd’hui. Philippe et Jacques viennent nous attester que leur Maître est véritablement ressuscité d’entre les morts, qu’ils l’ont vu, qu’ils l’ont touché, qu’ils se sont entretenus avec lui durant ces quarante jours ; et afin que nous ne doutions pas de la sincérité de leur témoignage, ils tiennent en main les instruments du martyre qu’ils ont subi pour attester que Jésus, après avoir souffert la mort, est sorti vivant du tombeau. Philippe s’appuie sur la croix où il a été attaché comme son Maître ; Jacques nous montre la massue sous les coups de laquelle il expira.

La prédication de Philippe s’exerça dans les deux Phrygies, et son martyre eut lieu à Hiérapolis. Il était dans les liens du mariage lorsqu’il fut appelé par le Christ, et nous apprenons des auteurs du second siècle qu’il avait eu trois filles qui s’élevèrent à une haute sainteté, et dont l’une jeta un grand éclat sur l’Église d’Éphèse à cette époque primitive.

Plus connu que Philippe, Jacques a été appelé le Frère du Seigneur, parce qu’un lien étroit de parenté unissait sa mère à celle de Jésus ; mais dans ces jours de la Pâque il se recommande d’une manière spéciale à notre admiration. Nous savons, par l’Apôtre saint Paul, que le Sauveur ressuscité daigna favoriser saint Jacques d’une apparition particulière. Une telle distinction répondait, sans aucun doute, à un dévouement particulier de ce disciple envers son Maître. Nous apprenons de saint Jérôme et de saint Épiphane que le Sauveur, en montant aux cieux, recommanda à Jacques l’Église de Jérusalem, et que ce fut pour répondre à la pensée du Maître que cet Apôtre fut établi premier Évêque de cette ville. Au IVe siècle, les chrétiens de Jérusalem conservaient encore avec respect la chaire sur laquelle Jacques siégeait, quand il présidait l’assemblée des fidèles. Nous savons également par saint Épiphane qu’il portait au front une lame d’or, symbole de sa dignité ; son vêtement était une tunique de lin.

La renommée de sa vertu fut si grande que, dans Jérusalem, tout le monde l’appelait le Juste ; et les Juifs assez aveugles pour ne pas comprendre que l’affreux désastre de leur ville était le châtiment du déicide, en cherchèrent la cause dans le meurtre de Jacques qui avait succombé sous leurs coups en priant pour eux. Nous sommes à même de pénétrer l’âme si sereine et si pure du saint Apôtre, en lisant l’admirable Épître où il nous parle encore. C’est là que, dans un langage tout céleste, il nous enseigne que les œuvres doivent accompagner la foi, si nous voulons être justes de cette justice qui nous rendra semblables à notre Chef ressuscité.

Le corps de saint Jacques et celui de saint Philippe reposent à Rome dans la Basilique appelée des Saints-Apôtres. Ils forment un des trésors les plus sacrés de la ville sainte, et l’on a lieu de croire que ce jour est l’anniversaire même de leur Translation. Sauf les fêtes de saint Jean l’Évangéliste et de saint André, frère de saint Pierre, l’Église de Rome fut longtemps sans célébrer les fêtes particulières des autres Apôtres ; elle les réunissait dans la solennité de saint Pierre et de saint Paul, et nous retrouverons encore un reste de cet antique usage dans l’Office du 29 juin. La réception des corps de saint Philippe et de saint Jacques, apportés d’Orient vers le VIe siècle, donna lieu à l’institution de la fête d’aujourd’hui en leur honneur ; et cette dérogation amena insensiblement sur le Cycle l’insertion des autres Apôtres et des Évangélistes.

Saints Apôtres, vous avez vu notre divin Ressuscite dans toute sa gloire ; il vous a dit au soir de la Pâque : « La paix soit avec vous ! » et durant ces quarante jours il vous a apparu, afin de vous rendre certains de sa résurrection. Votre joie fut grande de revoir ce Maître chéri qui avait daigné vous choisir pour ses confidents les plus intimes, et votre amour pour lui devint plus ardent que jamais. Nous nous adressons à vous comme aux initiateurs des fidèles au divin mystère de la Pâque ; vous êtes aussi nos intercesseurs spéciaux en ce saint temps. Faites-nous connaître et aimer Jésus ressuscité. Dilatez nos cœurs dans l’allégresse pascale, et ne permettez pas que nous perdions jamais la vie que nous avons recouvrée avec Jésus.

Votre dévouement pour lui, ô Philippe, se montra dès les premiers jours de votre vocation. A peine aviez-vous connu ce divin Messie, que vous couriez tout aussitôt l’annoncer à Nathanaël votre ami. Jésus vous laissait approcher de sa personne avec une douce familiarité. Au moment d’opérer le grand miracle de la multiplication des pains, c’est à vous qu’il s’adressait, et qu’il disait avec une adorable bonté : « Où achèterons-nous des pains pour nourrir tout ce monde ? » Peu de jours avant la Passion de votre Maître, des hommes de la gentilité ayant désiré voir de leurs veux ce grand prophète dont on racontait tant de merveilles, ce fut à vous qu’ils s’adressèrent pour les conduire vers lui. Avec quelle ardeur, à la dernière Cène, vous demandiez à Jésus qu’il vous fît connaître le Père céleste ! Votre âme aspirait à la lumière divine ; et quand les feux de l’Esprit-Saint retirent embrasée, rien ne fut au-dessus de votre courage. Pour récompense de vos labeurs, Jésus vous fit partager les honneurs de sa croix. Demandez, ô saint Apôtre, que nous imitions voire recherche empressée auprès de notre commun Maître, et que sa croix nous soit douce quand il lui plaît de la partager avec nous.

Et vous qui êtes appelé Frère du Seigneur, vous dont le noble visage retraçait ses traits, Pasteur de l’Église de Jérusalem, nous honorons aussi votre amour pour le divin Rédempteur. Si vous avez faibli un moment avec les autres, au moment de la Passion, votre repentir l’attira près de vous : après Pierre, vous fûtes le premier des Apôtres auquel il daigna se manifester en particulier. Recevez aujourd’hui nos félicitations, ô Jacques, pour cette faveur si digne d’envie, et en retour faites-nous goûter combien le Seigneur ressuscité est doux. Votre cœur, ô saint Apôtre, n’aspira plus qu’à montrer à Jésus la reconnaissance tient il était rempli ; et le dernier témoignage que vous rendîtes à sa divinité dans la cité infidèle, lorsque les Juifs vous eurent élevé sur le sommet du temple, vous ouvrit par le martyre la voie qui devait vous réunir à lui pour toujours. Obtenez, généreux Apôtre, que nous le confessions aussi avec la fermeté qui convient à ses disciples ; que nous n’hésitions jamais lorsqu’il s’agit de proclamer ses droits sur toute créature.

Nous vous réunissons dans une prière commune, ô saints Apôtres, et nous vous demandons d’avoir pitié des Églises de l’Orient que vous avez évangélisées. Priez pour Jérusalem que profanent le schisme et l’hérésie, que l’infidèle retient encore sous son joug. Obtenez que nos yeux la voient bientôt purifiée et affranchie, que ses Lieux saints cessent d’être souillés chaque jour par le sacrilège. Suscitez chez les chrétiens de l’Asie-Mineure le désir de rentrer dans l’unité du bercail que gouverne le souverain Pasteur. Enfin, ô saints Apôtres, priez pour Rome, votre seconde patrie. C’est dans son sein que vous attendez la résurrection glorieuse ; pour prix de la religieuse hospitalité qu’elle vous donne depuis tant de siècles, couvrez-la de votre protection, et ne permettez pas que la cité de Pierre, votre auguste Chef, voie plus longtemps dans ses murs l’abaissement de la Chaire apostolique.

 

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