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Cœur Eucharistique de Jésus

5 Juin 2023 , Rédigé par Ludovicus

 « Cette dévotion, la plus excellente, devrait spécialement être celle des prêtres » – Benoît XV

« Cette dévotion, la plus excellente, devrait spécialement être celle des prêtres » – Benoît XV

Les apparitions du Cœur Eucharistique de Jésus s’inscrivent dans la continuité et le développement :

  • des apparitions du Sacré Cœur à sainte Gertrude : Jésus y montre son Cœur plein d’amour, et plein de joie
  • des apparitions du Sacré Cœur à sainte Marguerite-Marie à Paray-le-Monial : Jésus y montre son Cœur, et se dit attristé que si peu l’aiment en retour : « Voilà ce Cœur qui a tant aimé les hommes … Et, pour reconnaissance, je ne reçois de la plupart que des ingratitudes par leurs irrévérences et leurs sacrilèges, et par les mépris et les froideurs qu’ils ont pour moi dans ce Sacrement d’Amour. Et ce qui m’est encore plus sensible, c’est que ce sont des cœurs qui me sont consacrés qui en usent ainsi… »

Ces apparitions du Sacré Cœur ont elles-mêmes été précédées, accompagnées, suivies d’un travail de préparation des âmes par les écrits de Saint Anselme de Cantorbéry, saint Bernard de Clairvaux et tant d’autres auteurs qui ont écrit au long des siècles sur le Cœur du Sauveur…

Elles marquent une nouvelle étape, un nouveau degré d’intimité offert à ceux qui entendront cet appel. C’est dans ce contexte que s’inscrit la chronologie suivante :

1854 : Apparitions du Cœur Eucharistique à Sophie Prouvier (1817 – 1891) , dans la chapelle de l’hôpital de Besançon :

  • « Ce n’est pas que je perdis la connaissance, non, j’entendais ce qui se passait autour de moi, et malgré cela j’étais plongée dans la contemplation de Notre-Seigneur que je voyais navré de douleur devant le peu d’amour que lui portent les âmes favorisées de ses dons et admises à la communion fréquente « Elles m’entourent et ne me consolent pas ! »Ce Cœur divin se répandait en plaintes, avec une expression de bonté et de profonde douleur, c’est-à -dire quelque chose d’ineffablement doux dans son infinie désolation : «  Mon Cœur demande l’amour comme un pauvre demande du pain ». « Ton cœur est-il droit avec mon Cœur comme le mien l’est avec le tien ? ».

Cependant Sophie hésite : « Une seule chose me contrariait, c’était le nom de Cœur Eucharistique. J’aurais voulu que ce soit Sacré-Cœur. Il me semblait voir une singularité et je n’osais pas en parler à cause de cela. ». Aussi le Christ lui dit-il plus nettement, le 1er septembre 1854 :« C’est mon Cœur Eucharistique, fais-le connaître, fais-le aimer ».

La dévotion se diffuse rapidement, grâce à l’appui de saint Pierre-Julien Eymard (1811 – 1868) et du père Hermann Cohen (18121, 1871), curé de Notre-Dame des Victoires.

1879 : le 13 novembre, le cardinal Guibert, archevêque de Paris, érige la première confrérie diocésaine du Cœur Eucharistique : « La dévotion au Cœur Eucharistique de Jésus contient et réunit en elle la dévotion au Saint-Sacrement et au Sacré-Cœur avec l’intention d’honorer par un culte spécial le Cœur Sacré de Jésus dans l’acte d’amour avec lequel il a donné l’Eucharistie et perpétué à travers elle son adorable présence parmi nous.»[1]

1879 : le 28 décembre, le pape Léon XIII approuve la dévotion au Cœur Eucharistique de Jésus

1891 : décret du Saint-Office : «Le culte du Cœur Eucharistique de Jésus n’est pas plus parfait que le culte envers l’Eucharistie elle-même, et ne diffère pas du culte envers le Sacré Cœur de Jésus. »[2]

1903 : Léon XIII établit l’église pontificale de Saint-Joachim à Rome (San Gioacchino ai Prati di Castello) comme centre général de l’Archiconfrérie du Cœur Eucharistique de Jésus.

1916 : Le 16 février, en la fête de saint Joachim, le pape Benoît XV s’adressant à des représentants de l’Association des prêtres du Cœur Eucharistique, déclare : Cette dévotion, la plus excellente, devrait être surtout celle des prêtres.”.

1921 : Le 9 novembre, la fête du Cœur Eucharistique de Jésus est instituée par le pape Benoît XV. Elle est fixée au jeudi suivant la fête du Sacré-Cœur.


[1] Cardinal Guibert, 13 novembre 1879, in Le Cœur du Christ pour un monde nouveau – Actes du congrès de Paray-le-Monial 13 au 15 octobre 1995, Paris, Ed. de l’Emmanuel, 1998.

[2] Décret du Saint-Office, extrait, 3 juin 1891.

 

Deuxième Elévation

Cœur Eucharistique de Jésus

I

Réflexion. – Qu’est-ce que le Cœur Eucharistique, C’est le Cœur Sacré de Notre Seigneur Jésus-Christ nous aimant et voulant se donner à nous par le Sacrement de l’Eucharistie. Qualifier le Cœur de Jésus du titre de Cœur Eucharistique, c’est reconnaitre, pour y rendre hommage, l’immensité de son amour dans l’ensemble d’actes par lesquels il a conçu l’institution de la divine Eucharistie, l’a réalisée, l’a perpétuée, s’y est fixé, l’a universalisée et s’est donné à nous par elle, voulant y faire sa résidence et rester ainsi au milieu de nous.

II

Jésus. – Mon Eucharistie a été conçue au sein des pensées éternelles de mon Père, avec qui le Fils est un[1]. C’est mon Père qui vous donne le vrai pain du Ciel[2], et moi, je vous donne mon cœur dans ce pain vivant qui est ma chair[3]. J’ai annoncé mon Eucharistie par la bouche des Prophètes, je l’ai préparée dès ma naissance à Beth­léem, la maison du pain, et durant le cours de ma vie terrestre, la voilant d’abord afin de ménager la faiblesse humaine et prédisposer le monde à recevoir ce mystère d’amour trop élevé pour les intelligences encore dans les ténèbres[4]. Je l’ai réalisée la veille de ma Passion dans l’un des derniers soupirs d’amour de mon cœur passible et mortel : « Hoc est enim corpus meum .[5]» Je l’ai perpétuée en donnant à mes Apôtres le pouvoir de renouveler ce mystère en mémoire de moi : « Hoc facite in meam commemorationem[6] » Je m’y suis fixé; le confident de mon cœur vous l’apprend: «Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à la fin : cum dilexisset suos qui erant in mundo, in finem dilexit eos[7] » – Enfin par l’eucharistie je me livre à vous tous les jours, afin que par la communion de mon corps, de mon sang, de mon âme et de ma divinité, tout mon être divin et humain soit en vous avec mon Cœur Eucharistique, et vous garde pour la vie éternelle’.

III

L’âme. – Saint Jean nous dit que le Verbe[8] de Dieu portait un nom écrit que nul ne sait que lui-même[9]. C’est comme s’il voulait dire, ajoute saint François de Sales : « Mon nom doit être adoré, mais il ne peut être com­pris que par moi, qui seul sais proférer le propre nom, par lequel vraiment et simplement j’exprime mon excel­lence[10]. » O jésus, Sagesse éternelle, Docteur des Evan­gélistes, Trésor des fidèles, Agneau sans tache, Pain des Anges, comment pourrions-nous savoir tous les noms qui vous sont dus, à vous le résumé et la source de toutes les merveilles du Créateur, à vous qui concentrez tout ce que le monde renferme de divine clarté, de céleste beau­té, de sublime mystère ; vous le modèle le plus accom­pli, le chef d’œuvre le plus parfait de la nature et de la grâce ! Et tous ces noms bénis ne sont-ils pas réunis dans celui de Cœur Eucharistique de Jésus, puisque le sacrement d’amour reproduit tous vos mystères ?

Ah ! si la plus grande preuve d’amour est de donner sa vie pour ceux qu’on aime[11], en acceptant la mort qui finit l’épreuve, la livrer de manière à mourir sans cesse, à s’immoler mystérieusement toujours, à se donner sans fin : N’est-ce pas aller jusqu’aux dernières limites du sacrifice et de l’amour ? Celui qui crée la possibilité de donner davantage quand il a tout donné, ne surpasse-t-il pas en amour celui-là même qui a donné tout ce qu’il avait ?…

« L’Eucharistie, dit un pieux auteur[12], fut le plus grand effort, l’effusion la plus exubérante de ce Cœur adorable, plutôt encore que cet amour qui le fit s’offrir à la pointe acérée du soldat, même après sa mort, pour répandre la dernière goutte de son sang mêlé d’eau. »

Cœur de jésus, dans votre état passible et mortel, Cœur de Jésus, dans votre état sacramentel ! Cœur de Jésus au ciel, couronne de tous les saints, soyez mille et mille fois béni en toutes les manifestations de votre divin amour !

Amen

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Fête de la Trinité

4 Juin 2023 , Rédigé par Ludovicus

Fête de la Trinité

Introït

Bénie soit la sainte Trinité et son indivisible unité : glorifions-la, parce qu’elle a fait éclater sur nous sa miséricorde. Seigneur notre Maître, que votre nom est admirable dans toute la terre !

Collecte

Dieu tout-puissant et éternel, vous avez donné à vos serviteurs, dans la confession de la vraie foi, de reconnaître la gloire de l’éternelle Trinité, et d’adorer une parfaite Unité en votre majesté souveraine : faites, nous vous en prions, qu’affermis par cette même foi, nous soyons constamment munis contre toutes les adversités.

Épitre Rm. 11, 33-36

Ô profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies impénétrables ! Car qui a connu la pensée du Seigneur ? ou qui a été son conseiller ? Ou qui lui a donné le premier, et recevra de lui en retour ? Car c’est de Lui, et par Lui, et en Lui que sont toutes choses ; à lui la gloire dans tous les siècles. Ainsi soit-il.

Évangile Mt. 28, 18-20

En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et leur enseignant à observer tout ce que je vous ai commandé. Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des siècles.

Secrète

Nous vous en supplions, Seigneur, notre Dieu, sanctifiez au moyen de l’invocation de votre saint nom, cette hostie que nous vous offrons : et perfectionnez-nous grâce à elle afin que nous soyons vôtres pour l’éternité.

Office

4e leçon

Du livre de saint Fulgence, Évêque : De la Foi à Pierre.

La foi que les saints Patriarches et les Prophètes ont reçue de Dieu avant l’incarnation de son Fils, la foi que les saints Apôtres ont recueillie de la bouche du Seigneur conversant dans la chair, que le Saint-Esprit leur a enseignée et qu’ils ont non seulement prêchée par la parole, mais consignée dans leurs écrits pour la salutaire instruction de la postérité, cette foi proclame, avec l’unité de Dieu, la Trinité qui est en lui, c’est-à-dire le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Mais il n’y aurait pas une véritable Trinité, si c’était une seule et même personne qui fût appelée Père, Fils et Saint-Esprit.

5e leçon

Si en effet le Père, le Fils et le Saint-Esprit étaient une seule et même personne comme ils sont une seule et même substance, il n’y aurait plus lieu à professer une trinité véritable. Pareillement il y aurait trinité, mais cette trinité ne serait plus un seul Dieu, si le Père, le Fils et le Saint-Esprit étaient séparés entre eux par la diversité de leurs natures, comme ils sont distincts par leurs propriétés personnelles. Mais comme il est véritable que cet unique vrai Dieu par sa nature non seulement est un, mais qu’il est Trinité, ce vrai Dieu est Trinité dans les personnes et un dans l’unité de la nature.

6e leçon

Par cette unité de nature, le Père est tout entier dans le Fils et le Saint-Esprit ; le Fils tout entier dans le Père et le Saint-Esprit ; le Saint-Esprit tout entier dans le Père et dans le Fils. Aucune de ces trois personnes ne subsiste séparée et comme en dehors des deux autres, car il n’en est aucune qui précède les autres en éternité, ou qui les dépasse en grandeur, ou qui les surpasse en puissance. Le Père, en ce qui touche à l’unité de la nature divine, n’est ni plus ancien, ni plus grand que le Fils et que l’Esprit-Saint ; de même, l’éternité et l’immensité du Fils ne peut non plus, par la nécessité de la nature divine, surpasser l’éternité et l’immensité du Saint-Esprit.

7e leçon

Homélie de saint Grégoire de Nazianze

Quel Catholique ignore que le Père est vraiment Père, le Fils vraiment Fils, et l’Esprit-Saint vraiment Esprit-Saint ? Ainsi que le Seigneur lui-même l’a dit à ses Apôtres : « Allez, baptisez toutes les nations au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. » C’est là cette Trinité parfaite dans l’unité d’une unique substance, à laquelle nous faisons profession de croire. Car nous n’admettons point en Dieu de division à la manière des substances corporelles ; mais à cause de la puissance de la nature divine qui est immatérielle, nous faisons profession de croire, et à la distinction réelle des personnes que nous nommons, et à l’unité de la nature divine.

8e leçon

Nous ne disons point, comme quelques-uns l’ont imaginé, que le Fils de Dieu est une extension de quelque partie de Dieu ; nous n’admettons pas non plus un Verbe sans réalité, tel qu’est le simple son de la voix ; mais nous croyons que les trois appellations et les trois personnes ont une même essence, une même majesté, une même puissance. Nous confessons donc un seul Dieu, parce que l’unité de la majesté nous défend de nommer plusieurs Dieux. Enfin nous nommons distinctement, conformément aux règles catholiques du langage, le Père et le Fils, mais nous ne pouvons ni ne devons dire deux Dieux. Ce n’est pas que le Fils de Dieu ne soit Dieu, étant vrai Dieu de Dieu, mais parce que nous savons qu’il n’a point d’autre principe que son Père, nous disons qu’il n’y a qu’un Dieu. C’est là ce que nous ont transmis les Prophètes et les Apôtres ; c’est là ce que le Seigneur lui-même nous a enseigné, quand il a dit : « Moi et mon Père, nous sommes une seule chose ». Par ces mots « une seule chose, » il exprime, comme je l’ai dit, l’unité de la divinité ; et par ceux-ci : « nous sommes, » il marque la pluralité des personnes.

9e leçon

Homélie de saint Augustin, Évêque.

Il y a deux œuvres de miséricorde qui délivrent les âmes et que le Seigneur nous propose brièvement dans l’Évangile : « Remettez et il vous sera remis, donnez et il vous sera donné. » Cette parole, « remettez et il vous sera remis » regarde le pardon des offenses ; cette autre, « donnez et il vous sera donné » regarde l’obligation de faire du bien au prochain. Pour ce qui concerne le pardon, d’une part, tu désires que ton péché te soit pardonné, et d’une autre part, tu as à pardonner à ton prochain. Et pour ce qui regarde le devoir de la bienfaisance, un mendiant te demande l’aumône, et tu es toi-même le mendiant de Dieu. Tous en effet, nous sommes, lorsque nous prions, les mendiants de Dieu ; nous nous tenons à la porte de ce père de famille grand et puissant, nous nous y prosternons, nous gémissons dans nos supplications, nous voulons recevoir un don : et ce don, c’est Dieu lui-même. Que te demande le mendiant ? Du pain. Et toi, que demandes-tu à Dieu, sinon le Christ qui a dit : « Je suis le pain vivant, qui suis descendu du ciel ». Voulez-vous qu’il vous soit pardonné ? Remettez et il vous sera remis. Voulez-vous recevoir ? Donnez et l’on vous donnera.

Nous avons vu les saints Apôtres, au jour de la Pentecôte, recevoir l’effusion de l’Esprit-Saint, et bientôt, fidèles à l’ordre du Maître , ils vont partir pour aller enseigner toutes les nations, et baptiser les hommes au nom de la sainte Trinité. Il était donc juste que la solennité qui a pour but d’honorer Dieu unique en trois personnes suivît immédiatement celle de la Pentecôte à laquelle elle s’enchaîne par un lien mystérieux. Cependant, ce n’est qu’après de longs siècles qu’elle est venue s’inscrire sur le Cycle de l’Année liturgique, qui va se complétant par le cours des âges.

Tous les hommages que la Liturgie rend à Dieu ont pour objet la divine Trinité. Les temps sont à elle comme l’éternité ; elle est le dernier terme de notre religion tout entière. Chaque jour, chaque heure lui appartiennent. Les fêtes instituées en commémoration des mystères de notre salut aboutissent toujours à elle. Celles de la très sainte Vierge et des Saints sont autant de moyens qui nous conduisent à la glorification du Seigneur unique en essence et triple en personnes. Quant à l’Office divin du Dimanche en particulier, il fournit chaque semaine l’expression spécialement formulée de l’adoration et du service envers ce mystère, fondement de tous les autres et source de toute grâce.

On comprend dès lors comment il se fait que l’Église ait tardé si longtemps d’instituer une fête spéciale en l’honneur de la sainte Trinité. La raison ordinaire de l’institution des fêtes manquait ici totalement. Une fête est le monument d’un fait qui s’est accompli dans le temps, et dont il est à propos de perpétuer le souvenir et l’influence : or, de toute éternité, avant toute création, Dieu vit et règne, Père, Fils et Saint-Esprit. Cette institution ne pouvait donc consister qu’à établir sur le Cycle un jour particulier où les chrétiens s’uniraient d’une manière en quelque sorte plus directe dans la glorification solennelle du mystère de l’unité et de la trinité dans une même nature divine.

La pensée s’en présenta d’abord à quelques-unes de ces âmes pieuses et recueillies qui reçoivent d’en haut le pressentiment des choses que l’Esprit-Saint opérera plus tard dans l’Église. Dès le VIIIe siècle, le savant moine Alcuin, rempli de l’esprit de la sainte Liturgie, comme ses écrits en font foi, crut le moment venu de rédiger une Messe votive en l’honneur du mystère de la sainte Trinité. Il paraît même y avoir été incité par un désir de l’illustre apôtre de la Germanie, saint Boniface. Cette Messe, simplement votive, n’était toutefois qu’un secours pour la piété privée, et rien n’annonçait que l’institution d’une fête en sortirait un jour.

Cependant la dévotion à cette Messe s’étendit peu à peu, et nous la voyons acceptée en Allemagne par le concile de Seligenstadt, en 1022. Mais à cette époque déjà, une fête proprement dite de la Sainte-Trinité avait été inaugurée dans l’une des églises de la pieuse Belgique, dans celle-là même qu’une autre grâce prédestinait à enrichir le Cycle chrétien d’un de ses signes les plus resplendissants. Étienne, évêque de Liège, instituait solennellement la fête de la Sainte-Trinité dans son Église en 920, et faisait composer un Office complet en l’honneur du mystère. La disposition du droit commun qui réserve aujourd’hui au Siège apostolique l’institution des nouvelles fêtes n’existait pas encore, et Riquier, successeur d’Étienne sur le siège de Liège, maintint l’œuvre de son prédécesseur.

Elle s’étendit peu à peu, et il paraît que l’Ordre monastique lui fut promptement favorable ; car nous voyons, dès les premières années du XIe siècle, Bernon, abbé de Reichnaw, s’occuper de sa propagation. A Cluny, la fête s’établit d’assez bonne-heure dans le cours du même siècle, comme on le voit par l’Ordinaire de cet illustre monastère rédigé en 1091, où elle se trouve mentionnée comme étant instituée depuis un temps déjà assez long.

Sous le pontificat d’Alexandre II, qui siégea de 1061 à 1073, l’Église Romaine, qui souvent sanctionna, en les adoptant, les usages des Églises particulières, fut mise en mesure de porter un jugement sur cette nouvelle institution. Le Pontife, dans une de ses Décrétales, tout en constatant que la fête est déjà répandue en beaucoup de lieux, déclare que l’Église Romaine ne l’a pas acceptée, par cette raison que chaque jour l’adorable Trinité est sans cesse invoquée par la répétition de ces paroles : Gloria Patri, et Filio, et Spiritui Sancto, et dans un grand nombre d’autres formules de louange.

Cependant la fête continuait à se répandre, comme l’atteste le Micrologue ; et dans la première partie du XIIe siècle, le docte abbé Rupert, que l’on peut appeler avec raison l’un des princes de la science liturgique, proclamait déjà la convenance de cette institution, s’exprimant à son sujet comme nous le ferions aujourd’hui, dans ces termes remarquables : « Aussitôt après avoir célébré la solennité de l’avènement du Saint-Esprit, nous chantons la gloire de la sainte Trinité dans l’Office du Dimanche qui suit, et cette disposition est très à propos ; car aussitôt après la descente de ce divin Esprit, commencèrent la prédication et la croyance, et, dans le baptême, la foi et la confession du nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ».

En Angleterre, l’établissement de la fête de la Sainte-Trinité eut pour auteur principal le glorieux martyr saint Thomas de Cantorbéry ; ce fut en 1162 qu’il l’institua dans son Église, en mémoire de sa consécration épiscopale qui avait eu lieu le premier Dimanche après la Pentecôte.

Pour la France, nous trouvons, en 1260, un concile d’Arles présidé par l’archevêque Florentin, qui, dans son sixième canon, inaugure solennellement la fête, en y ajoutant le privilège d’une Octave. Dès 1230, l’Ordre de Cîteaux, répandu dans l’Europe entière, l’avait instituée pour toutes ses maisons ; et Durand de Mende, dans son Rational, donne lieu de conclure que le plus grand nombre des Églises latines, dans le cours du XIIIe siècle, jouissaient déjà de la célébration de cette fête. Parmi ces Églises, il s’en trouvait quelques-unes qui la plaçaient, non au premier, mais au dernier Dimanche après la Pentecôte, et d’autres qui la célébraient deux fois : d’abord en tète de la série des Dimanches qui suivent la solennité de la Pentecôte, et une seconde fois au Dimanche qui précède immédiatement l’Avent. Tel était en particulier l’usage des Églises de Narbonne, du Mans et d’Auxerre.

On pouvait dès lors prévoir que le Siège apostolique finirait par sanctionner une institution que la chrétienté aspirait à voir établie partout. Jean XXII, qui occupa la chaire de saint Pierre jusqu’en 1334, consomma l’œuvre par un décret dans lequel l’Église Romaine acceptait la fête de la Sainte-Trinité et l’étendait à toutes les Églises.

Si l’on cherche maintenant le motif qui a porté l’Église, dirigée en tout par l’Esprit-Saint, à assigner ainsi un jour spécial dans l’année pour rendre un hommage solennel à la divine Trinité, lorsque toutes nos adorations, toutes nos actions de grâces, tous nos vœux, en tout temps, montent vers elle, on le trouvera dans la modification qui s’introduisait alors sur le calendrier liturgique. Jusque vers l’an 1000, les fêtes des Saints universellement honorés y étaient très rares. Après cette époque, elles y apparaissent plus nombreuses, et il était à prévoir qu’elles s’y multiplieraient toujours davantage. Un temps devait venir où l’Office du Dimanche, qui est spécialement consacré à la sainte Trinité, céderait fréquemment la place à celui des Saints que ramène le cours de l’année. Il devenait donc nécessaire, pour légitimer en quelque sorte ce culte des serviteurs au jour consacré à la souveraine Majesté, qu’une fois du moins dans l’année, le Dimanche offrit l’expression pleine et directe de cette religion profonde que le culte tout entier de la sainte Église professe envers le souverain Seigneur, qui a daigné se révéler aux hommes dans son Unité ineffable et dans son éternelle Trinité.

L’essence de la foi chrétienne consiste dans la connaissance et l’adoration de Dieu unique en trois personnes. C’est de ce mystère que sortent tous les autres ; et si notre foi s’en nourrit ici-bas comme de son aliment suprême, en attendant que sa vision éternelle nous ravisse dans une félicité sans fin, c’est qu’il a plu au souverain Seigneur de s’affirmer tel qu’il est à notre humble intelligence, tout en demeurant dans sa « lumière inaccessible ». La raison humaine peut arriver à connaître l’existence de Dieu comme créateur de tous les êtres, elle peut prendre une idée de ses perfections en contemplant ses œuvres ; mais la notion de l’être intime de Dieu ne pouvait arriver jusqu’à nous que parla révélation qu’il a daigné nous en faire.

Or, le Seigneur voulant nous manifester miséricordieusement son essence, afin de nous unir à lui plus étroitement et de nous préparer en quelque façon à la vue qu’il doit nous donner de lui-même lace à face dans l’éternité, nous a conduits successivement de clarté en clarté, jusqu’à ce que nous fussions suffisamment éclairés pour reconnaître et adorer l’Unité dans la Trinité et la Trinité dans l’Unité. Durant les siècles qui précèdent l’Incarnation du Verbe éternel, Dieu semble préoccupé surtout d’inculquer aux hommes l’idée de son unité ; car le polythéisme devient de plus en plus le mal du genre humain, et la notion même de la cause spirituelle et unique de toutes choses se fût éteinte sur la terre, si la bonté souveraine n’eût opéré constamment pour sa conservation.

Ce n’est pas cependant que les livres de l’ancienne alliance soient entièrement muets sur les trois divines personnes, dont les ineffables relations sont éternelles en Dieu ; mais ces textes mystérieux demeuraient inaccessibles au vulgaire, tandis que, dans l’Église chrétienne, l’enfant de sept ans répond à qui l’interroge qu’en Dieu trois personnes divines n’ont qu’une même nature et qu’une même divinité. Lorsque, dans la Genèse, Dieu dit au pluriel : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance », l’Israélite s’incline et croit, mais sans comprendre ; éclairé par la révélation complète, le chrétien adore distinctement les trois personnes dont l’action s’est exercée dans la formation de l’homme, et, la lumière de la foi développant sa pensée, il arrive sans effort à retrouver en lui-même la ressemblance divine. Puissance, intelligence, volonté : ces trois facultés sont en lui, et il n’est qu’un seul être. Salomon dans les Proverbes, le livre de la Sagesse, l’Ecclésiastique, parle avec magnificence de la Sagesse éternelle. Son unité avec l’essence divine et sa distinction personnelle éclatent en même temps dans un langage abondant et sublime ; mais qui percera le nuage ? Isaïe a entendu la voix des Séraphins retentir autour du trône de Dieu. Ils criaient alternativement dans une jubilation éternelle : « Saint, Saint, Saint est le Seigneur! » Qui expliquera aux hommes ce trois fois Saint dont la louange envoie ses échos jusqu’à notre terrestre région ? Dans les Psaumes, dans les écrits prophétiques, un éclair sillonne tout à coup le ciel ; une triple splendeur a ébloui le regard de l’homme ; mais l’obscurité devient bientôt plus profonde, et le sentiment de l’unité divine demeure seul distinct au fond de l’âme, avec celui de l’incompréhensibilité de l’être souverain.

Il fallait que la plénitude des temps fût accomplie ; alors Dieu enverrait en ce monde son Fils unique engendré de lui éternellement. Il a accompli ce dessein de sa divine munificence, « et le Verbe fait chair a habité parmi nous ». En voyant sa gloire, qui est celle du Fils unique du Père, nous avons connu qu’en Dieu il y a Père et Fils. La mission du Fils sur la terre, en nous le révélant lui-même, nous apprenait que Dieu est Père éternellement ; car tout ce qui est en Dieu est éternel. Sans cette révélation miséricordieuse qui anticipe pour nous sur la lumière que nous attendons après cette vie, notre connaissance de Dieu serait demeurée par trop imparfaite. Il convenait qu’il y eût enfin relation entre la lumière de la foi et celle de la vision qui nous est réservée, et il ne suffisait plus à l’homme de savoir que Dieu est un.

Maintenant nous connaissons le Père, duquel, comme nous dit l’Apôtre, dérive toute paternité même sur la terre. Pour nous, le Père n’est plus seulement un pouvoir créateur produisant les choses en dehors de lui ; notre œil respectueux, conduit par la foi, pénètre jusque dans le sein de la divine essence, et là nous contemplons le Père engendrant un Fils semblable à lui-même. Mais, pour nous l’apprendre, le Fils est descendu jusqu’à nous. Lui-même le dit expressément : « Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui il a plu au Fils de le révéler ». Gloire soit donc au Fils qui a daigné nous manifester le Père, et gloire au Père que le Fils nous a révélé !

Ainsi la science intime de Dieu nous est venue par le Fils, que le Père, dans son amour, nous a donné ; et afin d’élever nos pensées jusqu’à sa nature divine, ce Fils de Dieu, qui s’est revêtu de notre nature humaine dans son Incarnation, nous a enseigné que son Père et lui sont un, qu’ils sont une même essence dans la distinction des personnes. L’un engendre, l’autre est engendré ; l’un s’affirme puissance, l’autre sagesse, intelligence. La puissance ne peut être sans l’intelligence, ni l’intelligence sans la puissance, dans l’être souverainement parfait ; mais l’un et l’autre appellent un troisième terme.

Le Fils, qui a été envoyé par le Père, est monté dans les cieux avec sa nature humaine qu’il s’est unie pour l’éternité, et voici que le Père et le Fils envoient aux hommes l’Esprit qui procède de l’un et de l’autre. Par ce nouveau don, l’homme arrive à connaître que le Seigneur Dieu est en trois personnes. L’Esprit, lien éternel des deux premières, est la volonté, l’amour, dans la divine essence. En Dieu donc est la plénitude de l’être, sans commencement, sans succession, sans progrès, car rien ne lui manque. En ces trois termes éternels de sa substance incréée, il est l’acte pur et infini.

La sainte Liturgie, qui a pour objet la glorification de Dieu et la commémoration de ses œuvres, suit chaque année les phases sublimes de ces manifestations dans lesquelles le souverain Seigneur s’est déclaré tout entier à de simples mortels. Sous les sombres couleurs de l’Avent, nous avons traversé la période d’attente durant laquelle le radieux triangle laissait à peine pénétrer quelques rayons à travers le nuage. Le monde implorait un libérateur, un Messie ; et le propre Fils de Dieu devait être ce libérateur, ce Messie. Pour que nous eussions l’intelligence complète des oracles qui nous l’annonçaient, il était nécessaire qu’il fût venu. Un petit enfant nous est né, et nous avons eu la clef des prophéties. En adorant le Fils, nous avons adoré aussi le Père, qui nous l’envoyait dans la chair, et auquel il est consubstantiel. Ce Verbe de vie, que nous avons vu, que nous avons entendu, que nos mains ont touché dans l’humanité qu’il avait daigné prendre, nous a convaincus qu’il est véritablement une personne, qu’il est distinct du Père, puisque l’un envoie et que l’autre est envoyé. Dans cette seconde personne divine, nous avons rencontré le médiateur qui a réuni la création à son auteur, le rédempteur de nos péchés, la lumière de nos âmes, l’Époux auquel elles aspirent.

La série des mystères qui lui sont propres étant consommée, nous avons célébré la venue de l’Esprit sanctificateur, annoncé comme devant venir perfectionner l’œuvre du Fils de Dieu. Nous l’avons adoré et reconnu distinct du Père et du Fils, qui nous l’envoyaient avec la mission de demeurer avec nous. Il s’est manifesté dans des opérations toutes divines qui lui sont propres ; car elles sont l’objet de sa venue. Il est l’âme de la sainte Église, il la maintient dans la vérité que le Fils lui a enseignée. Il est le principe de la sanctification dans nos âmes, où il veut faire sa demeure. En un mot, le mystère de la sainte Trinité est devenu pour nous, non seulement un dogme intimé à notre pensée par la révélation, mais une vérité pratiquement connue de nous par la munificence inouïe des trois divines personnes, adoptés que nous sommes par le Père, frères et cohéritiers du Fils, mus et habités par l’Esprit-Saint.

Nous commencerons donc cette journée par rendre gloire au Dieu unique en trois personnes, en nous unissant à la sainte Église qui, à l’Office de Prime, récite aujourd’hui, et tous les Dimanches qui ne sont pas occupés par quelque fête, le magnifique Symbole connu sous le nom de Symbole de saint Athanase, dont il reproduit avec tant de majesté et de précision la doctrine résumée des enseignements divins.

 

 

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Samedi des Quatre-Temps de Pentecôte

3 Juin 2023 , Rédigé par Ludovicus

Samedi des Quatre-Temps de Pentecôte

Collecte

Nous vous en supplions, Seigneur, répandez avec bonté, dans nos âmes, l’Esprit-Saint, dont la Sagesse nous a créés et dont la providence nous gouverne. Par N.-S... en l’unité du même.

Lecture Jo. 2, 28-32

Ainsi parle le Seigneur Dieu : Je répandrai mon Esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes, et vos jeunes gens auront des visions. Même sur mes serviteurs et sur mes servantes je répandrai en ces jours-là mon Esprit. Je ferai paraître des prodiges dans le ciel et sur la terre, du sang, du feu et des tourbillons de fumée. Le soleil se changera en ténèbres, et la lune en sang, avant que vienne le grand et terrible jour du Seigneur. Et alors quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.

Collecte

Faites, s’il vous plaît, Seigneur, que l’Esprit-Saint nous embrase de ce feu que Notre-Seigneur Jésus-Christ a apporté sur la terre et qu’il a ardemment désiré voir étendre ses flammes. Lui, qui avec vous... en l’unité.

Épitre Rm. 5, 1-5

Mes frères, étant justifiés par la foi, ayons la paix avec Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui nous devons aussi d’avoir accès par la foi à cette grâce, dans laquelle nous demeurons fermes, et de nous glorifier dans l’espérance de la gloire des enfants de Dieu. Et non seulement cela, mais nous nous glorifions même dans les afflictions, sachant que l’affliction produit la patience ; la patience l’épreuve, et l’épreuve l’espérance. Or l’espérance ne trompe point, parce que l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint, qui nous a été donné.

Evangile

En ce temps-là : Jésus, s’étant levé, sortit de la synagogue, et entra dans la maison de Simon. Or la belle-mère de Simon était retenue par une forte fièvre : et ils le prièrent pour elle. Alors, debout auprès d’elle, il commanda à la fièvre, et la fièvre la quitta. Et se levant aussitôt, elle les servait. Lorsque le soleil fut couché, tous ceux qui avaient des malades atteints de diverses maladies les lui amenaient. Et lui, imposant les mains sur chacun d’eux, les guérissait. Et les démons sortaient d’un grand nombre, criant et disant : vous êtes le Fils de Dieu. Mais il les menaçait, et il ne leur permettait pas de dire qu’ils savaient qu’il était le Christ. Lorsqu’il fut jour, il sortit et alla dans un lieu désert ; et les foules le cherchaient, et elles vinrent jusqu’à lui, et elles voulaient le retenir, de peur qu’il ne les quittât. Il leur dit. Il faut que j’annonce aussi aux autres villes la bonne nouvelle du royaume de Dieu ; car c’est pour cela que j’ai été envoyé. Et il prêchait dans les synagogues de Galilée.

Secrète

Afin que nos jeûnes vous soient agréables, ô Seigneur, accordez-nous, s’il vous plaît, de vous offrir un cœur purifié au moyen du bienfait de ce sacrement.

Postcommunion

Que vos saints mystères, Seigneur, nous inspirent une ferveur divine, et que, grâce à cette ferveur, nous goûtions leur célébration et ses fruits Par N.-S.

Office

1ère leçon

Homélie de saint Ambroise, Évêque

Considérez la clémence du Seigneur notre Sauveur : on ne le voit pas ému d’indignation, offensé du crime des Juifs, révolté de leurs outrages, abandonner la Judée , bien au contraire, oubliant l’injure et se souvenant de sa clémence, il cherche à gagner doucement les cœurs de ce peuple infidèle, tantôt en enseignant, tantôt en délivrant, tantôt en guérissant. Et c’est avec raison que saint Luc parle d’abord d’un homme délivré du mauvais esprit, et qu’il raconte ensuite la guérison d’une femme ; car le Seigneur était venu pour guérir l’un et l’autre sexe. Celui-là devait être guéri le premier qui a été créé le premier, mais il ne fallait pas oublier celle qui avait péché par légèreté d’esprit, plutôt que par perversité.

2e leçon

Si le Seigneur opéra ces deux guérisons miraculeuses le jour du sabbat, cela signifie que le nouvel homme devait commencer au jour où fut autrefois achevée l’antique création, et que le Fils de Dieu n’est point assujetti à la loi, mais qu’il est au-dessus de la loi dans son principe même, que la loi n’est pas détruite, mais accomplie. En effet, ce n’est pas par la loi que le monde a été fait, mais par la parole, comme nous le lisons : « La parole du Seigneur a affermi les cieux ». La loi donc n’est pas détruite, mais elle est accomplie, de façon que l’humanité déchue se renouvelle. C’est aussi pourquoi l’Apôtre nous dit : « Dépouillez-vous du vieil homme, et revêtez le nouveau qui est créé selon Dieu ».

3e leçon

C’est bien à propos que le Sauveur commence ses guérisons le jour du sabbat, afin de se montrer lui-même le Créateur qui devait enchaîner ses œuvres et poursuivre l’ouvrage que lui-même avait commencé. Il fait comme l’architecte qui, se proposant de rebâtir une maison, ne commence pas à démolir l’ancienne par les fondements mais par le haut de l’édifice. C’est ainsi que le Verbe met la main d’abord là où il avait cessé auparavant ; ensuite il commence par les moindres choses, pour en venir aux plus grandes. Délivrer du démon, les hommes peuvent aussi le faire, mais au nom de Dieu. Commander aux morts de ressusciter n’appartient qu’à la seule puissance divine. Peut-être aussi la belle-mère de Simon et d’André était-elle la figure de notre chair, qui languit accablée par les fièvres multiples de ses fautes, consumée par les désirs immodérés de ses passions diverses. J’ose dire que la fièvre d’une affection désordonnée n’est pas moindre que celle dont la chaleur se fait sentir au corps ; l’une brûle l’âme, l’autre brûle le corps.

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

Nous avons admiré avec une tendre reconnaissance le dévouement ineffable, la constance toute divine, avec lesquels l’Esprit-Saint accomplit sa mission dans les âmes ; il nous reste encore quelques traits à ajouter, pour compléter, bien imparfaitement sans doute, l’idée des merveilles de puissance et d’amour qu’opère cet hôte divin dans l’homme qui ne ferme pas son cœur à ses influences. Mais avant d’aller plus loin nous éprouvons le besoin de rassurer ceux qui, au récit des prodiges de bonté que fait en notre faveur le divin Esprit, et du mystère sublime de sa présence continue au milieu de nous, en viendraient à craindre que celui qui est descendu pour nous consoler de l’absence de notre Rédempteur ne prenne place dans nos affections aux dépens de celui qui « étant de la substance divine, et pouvant sans usurpation se donner pour l’égal de Dieu, s’est anéanti lui-même, prenant la forme de l’esclave et se rendant semblable aux hommes ».

La faiblesse de l’instruction chrétienne chez un grand nombre de fidèles en notre temps est cause que le dogme du Saint-Esprit n’est guère connu d’eux que d’une manière vague, et qu’ils ignorent pour ainsi dire son action spéciale dans l’Église et dans les âmes. Ces mêmes fidèles connaissent et honorent avec la plus louable dévotion les mystères de l’Incarnation et de la Rédemption du Fils de Dieu notre Seigneur ; mais on dirait qu’ils attendent l’éternité pour savoir en quoi ils sont redevables au Saint-Esprit.

Nous leur dirons donc ici que la mission de ce divin Esprit est si loin de faire oublier ce que nous devons à notre Sauveur, que sa présence au milieu de nous et en nous est le don suprême de la tendresse de celui qui a daigné nous racheter sur la croix. Le souvenir si touchant et si efficace que nous entretenons de ses mystères, par qui est-il produit et conservé dans nos cœurs, si ce n’est par l’Esprit-Saint ? Et le but de toutes ses sollicitudes dans nos âmes, quel est-il, sinon de former en nous le Christ, l’homme nouveau, afin que nous puissions lui être incorporés éternellement en qualité de ses membres ? L’amour que nous portons à Jésus est donc inséparable de celui que nous devons à l’Esprit-Saint, de même que le culte fervent de ce divin Esprit nous unit étroitement au Fils de Dieu dont il procède et qui nous l’a donné. Nous sommes remués et attendris à la pensée des douleurs de Jésus, et il en doit être ainsi ; mais il serait indigne de rester insensibles aux résistances, aux mépris et aux trahisons auxquels l’Esprit-Saint demeure exposé dans les âmes et qu’il y recueille sans cesse. Nous sommes les enfants du Père céleste : mais puissions-nous comprendre dès ce monde que nous en sommes redevables au dévouement des deux divines personnes qui nous auront servi aux dépens de leur gloire !

Après cette digression qui nous a semblé utile, nous continuons à décrire respectueusement les opérations de l’Esprit-Saint dans l’âme de l’homme. Ainsi que nous venons de le dire, le but de ses efforts est de former en nous Jésus-Christ par l’imitation de ses sentiments et de ses actes. Qui mieux que ce divin Esprit connaît les dispositions de Jésus dont il a produit l’humanité bienheureuse au sein de Marie, de Jésus qu’il a rempli et habité dans une plénitude au-dessus de tout, qu’il a assisté et dirigé en tout par une grâce proportionnée a la dignité de cette nature humaine personnellement unie à la divinité ? Son vœu est d’en reproduire la fidèle copie, autant que la faiblesse et l’exiguïté de notre humble personnalité, lésée déjà par la chute originelle, le lui pourra permettre.

Néanmoins le divin Esprit obtient dans cette œuvre digne d’un Dieu de nobles et glorieux résultats. Nous l’avons vu disputant au péché et à Satan l’héritage racheté du Fils de Dieu ; considérons-le opérant avec succès dans la « consommation des saints », selon la magnifique expression de l’Apôtre. Il les prend dans l’état de déchéance générale, il leur applique d’abord les moyens ordinaires de sanctification ; mais résolu à les pousser jusqu’à la limite possible pour eux du bien et de la vertu, il développe son œuvre avec un courage divin. La nature est devant lui : nature tombée, et infectée d’un virus qui donnerait la mort ; mais nature qui garde encore quelque ressemblance avec son créateur, dont elle a retenu divers traits dans sa ruine. L’Esprit a donc à détruire la nature souillée et malsaine, en même temps qu’à relever, en la purifiant, celle qui n’a pas été atteinte mortellement par le poison. Il faut, dans cette œuvre si délicate et si laborieuse, qu’il emploie le fer et le feu, comme un habile médecin, et, chose admirable ! Qu’il emprunte le secours du malade lui-même pour appliquer le remède qui seul peut le guérir. De même qu’il ne sauve pas le pécheur sans lui, il ne sanctifie pas le saint, sans être aidé de sa coopération. Mais il anime et soutient son courage par les mille soins de sa grâce, et insensiblement la mauvaise nature perdant toujours du terrain dans cette âme, ce qui était demeuré intact va se transformant dans le Christ, et la grâce arrive à régner dans l’homme tout entier.

Les vertus ne sont plus inertes ou faiblement développées dans ce chrétien : chaque jour leur voit prendre un nouvel essor. L’Esprit ne souffre pas qu’une seule reste en arrière ; sans cesse il montre à son disciple le type qui est Jésus, en qui les vertus sont dans leur plénitude comme dans leur perfection. Parfois il fait sentir à l’âme son impuissance, afin qu’elle s’humilie ; il la laisse exposée aux répugnances et aux tentations ; mais c’est alors qu’il l’assiste avec plus de sollicitude. Il faut qu’elle agisse, comme il faut qu’elle souffre ; mais l’Esprit l’aime avec tendresse, et ménage ses forces tout en l’exerçant. C’est un grand œuvre d’amener un être borné et déchu à reproduire ce qu’il y a de plus saint. Dans ce labeur, plus d’une fois le courage défaille, et un faux pas est toujours possible ; mais, péché ou imperfection, rien ne résiste ; l’amour que le divin Esprit entretient avec un soin particulier dans ce cœur a bientôt consumé ces scories, et la flamme monte toujours. La vie humaine s’est évanouie ; c’est le Christ qui vit en cet homme nouveau, de même que cet homme vit dans le Christ.

La prière est devenue son élément ; car c’est en elle qu’il sent le lien qui l’unit à Jésus, et que ce lien se resserre de plus en plus. L’Esprit ouvre à l’âme des voies nouvelles pour lui faire trouver son souverain bien dans la prière. Il en a disposé les degrés comme une échelle divine qui monte de la terre et dont le sommet se perd dans les cieux. Qui pourrait raconter les faveurs de la divinité envers celui qui s’étant dégagé de l’estime et de l’amour de lui-même, n’aspire plus, dans l’unité et la simplicité de sa vie, qu’à voir et à goûter Dieu, qu’à se perdre en lui éternellement ? La divine Trinité tout entière s’intéresse au chef-d’œuvre de l’Esprit-Saint. Le Père céleste fait sentira cette âme les étreintes de sa tendresse paternelle, le Fils de Dieu ne contient plus les élans de l’amour qu’il a pour elle, et l’Esprit l’inonde toujours davantage de ses lumières et de ses consolations.

La cour céleste qui demeure attentive à tout ce qui intéresse l’homme, au point qu’elle tressaille de bonheur à la vue d’un seul pécheur qui fait pénitence, a vu ce beau spectacle, elle le suit avec un indicible amour, et rend honneur à l’Esprit divin qui sait opérer de tels prodiges au sein d’une nature disgraciée. Quelquefois Marie, dans sa joie maternelle, rend sa présence sensible à ce fils nouveau qui lui est né ; les Anges se montrent aux regards de ce frère déjà digne de leur société, et les saints de la race humaine entretiennent une aimable familiarité avec celui dont ils attendent d’ici à peu de temps l’arrivée au séjour de la gloire. Quoi d’étonnant que ce nourrisson de l’Esprit divin n’ait souvent qu’à étendre la main pour suspendre les lois de la nature, et consoler ses frères d’ici-bas dans leurs souffrances ou leurs besoins ? Ne les aime-t-il pas d’un amour puisé à la source infinie de l’amour, d’un amour que n’enchaînent plus l’égoïsme et les tristes retours sur soi-même auxquels est sujet celui en qui Dieu ne règne pas ?

Mais ne perdons pas de vue le point culminant de cette vie merveilleuse, moins rare que ne le pensent les hommes profanes ou distraits. C’est ici qu’apparaît la puissance des mérites de Jésus et son amour pour sa créature, en même temps que la divine énergie de l’Esprit-Saint. Cette âme est appelée à des noces sublimes, et ces noces ne seront pas réservées pour l’éternité. C’est dans le temps, sous l’horizon étroit de ce monde passager, qu’elles doivent s’accomplir. Jésus aspire à l’Épouse qu’il a rachetée de son sang, et l’Épouse n’est plus seulement son Église bien-aimée. C’est aussi cette âme qui était encore dans le néant il y a peu d’années, cette âme que les hommes ignorent, mais dont « il a convoité la beauté ». Il est l’auteur de cette beauté qui est en même temps l’œuvre de l’Esprit ; il n’aura pas de repos qu’il ne se la soit unie. Alors s’accomplit par le divin Esprit en faveur d’une âme individuelle ce que nous l’avons vu opérer pour l’Église elle-même. Il la prépare, il l’établit dans l’unité, il la consolide dans la vérité, il la consomme dans la sainteté ; alors « l’Esprit et l’Épouse disent : « Venez ».

Il faudrait un livre entier pour décrire l’action du divin Esprit dans les saints, et nous n’avons pu en tracer qu’une insuffisante et grossière ébauche. Toutefois cet essai si incomplet, outre qu’il était nécessaire pour achever de décrire, si en abrégé que ce soit, le caractère complet de la mission du Saint-Esprit sur la terre d’après renseignement des divines Écritures et la doctrine de la théologie dogmatique et mystique, pourra servir à diriger le lecteur dans l’étude et dans l’intelligence de la vie des Saints. Dans le cours de cette Année liturgique, où les noms et les œuvres des amis de Dieu sont si souvent rappelés et célébrés par l’Église elle-même, il importait de proclamer la gloire de l’Esprit sanctificateur.

Mais nous ne saurions laisser s’achever cette journée, la dernière du Temps pascal en même temps qu’elle est la dernière de l’Octave de la Pentecôte, sans offrir à la Reine de tous les Saints l’hommage qui lui est dû, et sans rendre gloire au divin Esprit pour toutes les grandes choses qu’il a opérées en elle. Après l’humanité de notre Rédempteur ornée par lui de tous les dons qui pouvaient la rapprocher, autant qu’il était possible à une créature, de la nature divine à laquelle la divine incarnation l’avait unie, l’âme, la personne entière de Marie ont été favorisées dans l’ordre de la grâce au-dessus de toutes les autres créatures ensemble. Il n’en pouvait être autrement, et on le concevra pour peu que l’on essaye de sonder par la pensée l’abîme de grandeurs et de sainteté que représente la Mère d’un Dieu. Marie forme â elle seule un monde à part dans l’ordre de la grâce ; â elle seule, un moment, elle a été l’Église de Jésus.

Pour elle seule d’abord l’Esprit a été envoyé, et il l’a remplie de la grâce dès l’instant même de sa conception immaculée. Cette grâce s’est développée en elle par l’action continue de l’Esprit jusqu’à la rendre digne, autant qu’une créature pouvait l’être, de concevoir et d’enfanter le propre Fils de Dieu qui est devenu aussi le sien. En ces jours de la Pentecôte, nous avons vu le divin Esprit l’enrichir encore de nouveaux dons, la préparer pour une mission nouvelle ; à la vue de tant de merveilles, notre cœur filial ne peut retenir l’élan de son admiration, ni celui de sa reconnaissance envers l’auguste Paraclet qui a daigné agir avec tant de munificence à l’égard de la Mère des hommes.

Mais aussi nous ne pouvons nous empêcher de célébrer, dans un enthousiasme légitime, la complète fidélité de la bien-aimée de l’Esprit à toutes les grâces qu’il a répandues en elle. Pas une n’a été perdue, pas une n’est retournée à lui sans effet, comme il arrive quelquefois pour les âmes les plus saintes. A son début, elle a été « semblable à l’aurore qui se lève », et l’astre de sa sainteté n’a cessé de monter vers ce midi qui pour elle ne devait pas avoir de couchant. L’Archange n’était pas encore venu vers elle pour lui annoncer qu’elle allait concevoir dans son chaste sein le Fils du Tout-Puissant, et déjà, comme nous l’enseignent les Pères, elle avait conçu dans son âme ce Verbe éternel. Il la possédait comme son épouse, avant de l’appeler à l’honneur d’être sa mère. Si Jésus a pu dire en parlant d’une âme qui avait eu besoin de la régénération : « Celui qui me cherche me trouvera dans le cœur de Gertrude, » quelle a dû être l’identification des sentiments de Marie avec ceux du Fils de Dieu, et combien est étroite son union avec lui ! De cruelles épreuves l’attendaient en ce monde : elle a été plus forte que la tribulation ; et lorsque le moment est arrivé où elle devait se sacrifier dans un même holocauste avec son fils, elle s’est trouvée prête. Après l’Ascension de Jésus, le Consolateur est descendu sur elle ; il a ouvert devant elle une nouvelle carrière ; pour la parcourir il fallait que Marie acceptât un long exil de la patrie où régnait déjà le fruit de ses entrailles : elle n’a pas hésité, elle s’est montrée la servante du Seigneur, ne désirant autre chose qu’accomplir en tout sa volonté.

Le triomphe de l’Esprit-Saint en Marie a donc été complet ; si magnifiques qu’aient été ses avances, elle a répondu à toutes. La qualité sublime de Mère de Dieu à laquelle elle était destinée appelait sur elle des grâces immenses ; elle les a reçues et elles ont fructifié en elle. Dans l’œuvre de la « consommation des saints et de la construction du corps de Jésus-Christ », le divin Esprit a ménagé à Marie, en retour de sa fidélité et à cause de sa dignité incomparable, la noble place qui lui convenait. Nous savons que son divin Fils est la tête du corps immense des élus, qui se réunissent au-dessous de lui avec une harmonie parfaite. Dans cet ensemble prédestiné, notre auguste Reine, selon la théologie mariale, représente le cou qui est étroitement lié à la tête, et par lequel la tête communique à tout le reste du corps le mouvement et la vie. Elle n’est pas agent principal, mais c’est par elle que cet agent influe sur chacun des membres. Son union, comme il était juste, est immédiate avec la tête, parce que nulle créature, si ce n’est elle, n’a eu et ne pourrait avoir une telle relation avec le Verbe incarné ; mais tout ce qui descend sur nous de grâces et de faveurs, tout ce qui nous illumine et nous vivifie, nous vient par elle de son Fils.

De là résulte l’action générale de Marie sur l’Église, et son action particulière sur chaque fidèle. Elle nous unit tous à son Fils qui nous unit tous à la divinité. Le Père nous a donné son Fils, le Fils s’est choisi une Mère parmi nous, et l’Esprit-Saint, en rendant féconde cette Mère virginale, a consommé la réunion de l’homme et de toute création avec Dieu. Cette réunion est le dernier terme que Dieu s’est proposé dans la création des êtres ; et maintenant que le Fils est glorifié et que l’Esprit est venu, nous connaissons toute la pensée divine. Plus favorisés que toutes les générations qui se sont succédé avant le jour de la Pentecôte, nous avons, non plus en promesse mais en réalité, un Frère que couronne le diadème de la divinité, un Consolateur qui demeure avec nous jusqu’à la fin des temps pour éclairer notre voie et nous y soutenir, une Mère dont l’intercession est toute-puissante, une Église, Mère aussi, par laquelle nous entrons en partage de tous ces biens.

La Station, à Rome, est aujourd’hui dans la Basilique de Saint-Pierre. C’est dans cet auguste sanctuaire que les néophytes de la Pentecôte paraissaient pour la dernière fois couverts de leurs robes blanches, et qu’ils étaient présentés au Pontife comme les derniers agneaux de la Pâque qui expire en ce jour.

Présentement la journée est encore célèbre par la solennité de l’Ordination. Le jeûne et la prière que la sainte Église a imposés durant trois jours à ses enfants, ont dû rendre le ciel favorable, et nous devons espérer que l’Esprit-Saint qui va imprimer sur les nouveaux prêtres et sur les nouveaux ministres le sceau immortel du

La série successive des Mystères est complète désormais, et le Cycle mobile de la sainte Liturgie est arrivé à son terme. Nous traversâmes d’abord, au Temps de l’Avent, les quatre semaines qui représentaient les quatre millénaires employés par le genre humain à implorer du Père l’envoi de son Fils. Enfin l’Emmanuel descendit ; nous nous associâmes tour à tour aux joies de sa naissance, aux douleurs de sa Passion, à la gloire de sa Résurrection, au triomphe de son Ascension. Enfin, nous avons vu descendre sur nous l’Esprit divin, et nous savons qu’il reste avec nous jusqu’à la fin. La sainte Église nous a assistés dans tout le cours de cet immense drame qui contient notre salut. Ses divins cantiques et ses augustes cérémonies nous ont chaque jour éclairés, et ainsi nous avons pu tout suivre et tout comprendre. Bénie soit cette Mère par les soins de laquelle nous avons été initiés à tant de merveilles qui ont ouvert nos esprits et réchauffé nos cœurs ! Bénie soit la Liturgie sacrée, source de tant de consolations et d’encouragements ! Maintenant il nous reste à achever le parcours du Cycle dans sa partie immobile. De sublimes épisodes nous y attendent. Préparons-nous donc à reprendre notre marche, comptant sur l’Esprit-Saint qui dirigera nos pas, et continuera de nous ouvrir, par la sainte Liturgie dont il est l’inspirateur, les trésors de la doctrine et de l’exemple.

 

 

 

 

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Vendredi des Quatre-Temps de Pentecôte

2 Juin 2023 , Rédigé par Ludovicus

Vendredi des Quatre-Temps de Pentecôte

Collecte

Dieu de miséricorde, donnez à votre Église, nous vous en prions : que rassemblée par le Saint-Esprit, elle ne soit troublée en aucune façon par les attaques ennemies. Par N.-S... en l’unité du même.

Lecture Jo. 2, 23-24 et 26-27

Voici ce que dit le Seigneur Dieu : Soyez dans l’allégresse, et réjouissez-vous dans le Seigneur votre Dieu, parce qu’il vous a donné un docteur de justice, et qu’il fera descendre sur vous la pluie d’automne et la pluie du printemps, comme au commencement. Les aires seront pleines de blé, et les pressoirs regorgeront de vin et d’huile. Vous mangerez, et vous serez rassasiés, et vous louerez le nom du Seigneur votre Dieu, qui a fait pour vous des merveilles, et mon peuple ne tombera plus jamais dans la confusion. Vous saurez alors que je suis au milieu d’Israël, que je suis le Seigneur votre Dieu,et qu’il n’y en a pas d’autre que moi ; et mon peuple ne tombera plus jamais dans la confusion, dit le Seigneur tout-puissant.

Évangile Lc. 5, 17-26

En ce temps-là : Il arriva que Jésus était assis et enseignait. Et des pharisiens et des docteurs de la loi, qui étaient venus de tous les villages de la Galilée, et de la Judée, et de Jérusalem, étaient assis auprès de lui : et la puissance du Seigneur agissait pour opérer des guérisons, et voici que des gens, portant sur un lit un homme qui était paralytique, cherchaient à le faire entrer et à le déposer devant Jésus. Mais, ne trouvant point par où le faire entrer, à cause de la foule, ils montèrent sur le toit, et, par les tuiles, ils le descendirent avec le lit au milieu de l’assemblée, devant Jésus. Dès qu’il vit leur foi, il dit : Homme, tes péchés te sont remis. Alors, les scribes et les pharisiens se mirent à penser et à dire en eux-mêmes : Quel est celui-ci, qui profère des blasphèmes ? Qui peut remettre les péchés, si ce n’est Dieu seul ? Mais Jésus, connaissant leurs pensées, prit la parole, et leur dit : Que pensez-vous dans vos cœurs ? Lequel est le plus facile, de dire : Tes péchés te sont remis ; ou de dire : Lève-toi et marche ? Or, afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a sur la terre le pouvoir de remettre les péchés : Je te l’ordonne, dit-il au paralytique, lève-toi, prends ton lit et va dans ta maison. Et aussitôt, se levant devant eux, il prit le lit sur lequel il était couché, et s’en alla dans sa maison, glorifiant Dieu. Et la stupeur les saisit tous, et ils glorifiaient Dieu. Et ils furent remplis de crainte, et ils disaient : Nous avons vu aujourd’hui des choses prodigieuses.

Office

1ère leçon

Homélie de saint Ambroise, Évêque

La guérison de ce paralytique n’est ni inutile, ni d’une portée restreinte, puisque nous y voyons que le Seigneur commença par prier, non certes qu’il eût besoin de quelque suffrage, mais afin de nous donner l’exemple. Il a proposé un modèle à notre imitation, ce n’est pas l’ostentation dans la prière qu’il a recherchée. Alors que beaucoup de docteurs de la loi étaient rassemblés de toute la Galilée, de la Judée et de Jérusalem, parmi les guérisons d’autres malades, l’Évangile nous raconte celle de ce paralytique. Et d’abord, comme nous l’avons dit plus haut, tout malade doit employer des intercesseurs pour demander son salut, afin que, grâce à eux, le relâchement de notre vie et la marche chancelante de nos actions soient réformés par le remède de la parole céleste.

2e leçon

Qu’il y ait donc quelques personnes, qui, avertissant l’esprit de l’homme, élèvent son âme vers les choses supérieures, bien qu’elle soit engourdie par la faiblesse de son enveloppe corporelle. Que l’homme, se prêtant alors à s’élever par leur secours et à s’humilier, soit placé devant Jésus, digne d’être aperçu par le divin regard. Le Seigneur en effet regarde l’humilité, car « il a regardé l’humilité de sa servante ». Le Fils de Dieu, dès qu’il vit leur foi, dit : « Homme, tes péchés te sont remis ». Qu’il est grand le Seigneur qui pardonne ainsi aux uns leurs péchés, par égard pour les mérites des autres ; et qui, donnant son approbation à ceux-ci, absout ceux-là de leurs égarements ! Pourquoi donc, Ô homme, la prière de ton égal n’a-t-elle pas d’influence sur toi lorsqu’auprès de Dieu un esclave possède le mérite qu’il faut pour intercéder, et le droit d’obtenir ?

3e leçon

Toi qui juges, apprends à pardonner ; toi qui es malade, apprends à obtenir. Si tu te défies du pardon de tes fautes graves, fais paraître des intercesseurs, fais paraître l’Église pour qu’elle prie pour toi, et afin qu’en considération d’elle, le Seigneur te pardonne ce qu’il pourrait refuser à toi-même. Et bien que nous ne devions pas laisser de croire à la vérité de cette histoire (car nous croyons que le corps de ce paralytique a été réellement guéri), il nous faut reconnaître aussi en lui la guérison de l’homme intérieur, auquel les péchés sont remis. Lorsque les Juifs affirment que Dieu seul peut remettre les péchés, ils confessent assurément par là que Jésus est Dieu, et ils proclament eux-mêmes, par leur propre jugement, leur infidélité ; ils affirment l’œuvre divine, pour nier la divinité de la personne.

Jusqu’ici nous avons considéré l’action du Saint-Esprit dans l’Église ; il nous faut maintenant la suivre sur un théâtre moins étendu, il nous faut l’étudier dans le cœur du chrétien. Là encore nous puiserons de nouveaux sentiments d’admiration et de reconnaissance pour ce divin Esprit qui daigne se prêter à tous nos besoins, et nous conduire à la fin bienheureuse pour laquelle nous avons été crées.

De même que l’Esprit Saint envoyé « pour demeurer avec nous » s’emploie à maintenir et à diriger la sainte Église, afin qu’elle soit toujours l’Épouse fidèle de Jésus son Époux immortel ; ainsi s’attache-t-il à nous pour nous rendre les dignes membres de ce chef saint et glorieux. Sa mission est de nous unir à Jésus si étroitement que nous lui soyons incorporés. C’est à lui de nous créer dans l’ordre surnaturel, de nous donner et de nous conserver la vie de la grâce, en nous appliquant les mérites que Jésus notre médiateur et notre Sauveur nous a conquis.

Elle est sublime cette mission du Saint-Esprit qui lui a été conférée par le Père et par le Fils, et qu’il exerce sur le genre humain. Au sein de la divinité l’Esprit-Saint est produit et ne produit pas. Le Père engendre le Fils, le Père et le Fils produisent le Saint-Esprit ; cette différence est fondée dans la nature divine elle-même, qui n’est et ne peut être qu’en trois personnes. De là vient, comme l’enseignent les Pères, que le Saint-Esprit a reçu pour le dehors la fécondité qu’il n’exerce pas dans l’essence divine. Si donc il s’agit de produire l’humanité du Fils de Dieu au sein de Marie, c’est lui qui opère ; et s’il s’agit de créer le chrétien du sein de la corruption originelle, et de l’appeler à la vie de la grâce, c’est lui encore qui exercera son action : en sorte que, selon l’énergique expression de saint Augustin, « la même grâce qui a produit le Christ à son commencement, produit le chrétien lorsqu’il commence à croire ; le même Esprit duquel le Christ a été conçu est le principe de la nouvelle naissance du fidèle ».

Nous nous sommes étendu longuement sur l’action du Saint-Esprit dans la formation et le gouvernement de l’Église, parce que l’œuvre principale de ce divin Esprit est de former sur la terre l’Épouse du Fils de Dieu, et que c’est par elle que nous viennent tous les biens. Elle est dépositaire d’une partie des grâces de cet auguste Paraclet, qui a daigné se mettre à sa disposition pour nous sauver et nous sanctifier. C’est pour nous également qu’il l’a rendue catholique, visible à tous les regards, afin qu’il nous fût plus facile de la trouver ; c’est pour nous qu’il maintient dans son sein la vérité et la sainteté, afin que nous soyons abreuvés à ces deux sources ineffables. Aujourd’hui nous voici attentifs à ce qu’il opère dans les âmes, et tout d’abord nous nous trouvons en face de son pouvoir créateur. N’est-ce pas en effet une véritable création, d’amener une âme plongée dans la déchéance originelle, ou, ce qui est plus merveilleux encore, une âme défigurée par le péché volontaire et personnel, de l’amener à devenir en un moment la fille adoptive du Père céleste, le membre chéri du Fils de Dieu ? Le Père et le Fils se complaisent à voir accomplir cette œuvre par l’Esprit qui est leur amour mutuel. Ils l’ont envoyé afin qu’il agisse, afin qu’il se conduise en maître dans sa mission, et partout où il règne, ils règnent aussi.

Éternellement l’âme élue a été présente à la divine Trinité ; mais, le moment arrivé, l’Esprit descend. Il s’empare de cette âme comme de l’objet désigné à son amour. Le vol de la colombe miséricordieuse est plus rapide que celui de l’aigle qui fond sur sa proie. Que la volonté humaine n’entrave pas son action, et il arrivera de cette âme ce qui est arrivé pour l’Église elle-même, c’est-à-dire que « ce qui n’était même pas triomphera de « ce qui était . On voit alors des miracles d’un ordre étonnant, « la grâce surabondant là même où le péché avait abondé ».

Nous avons vu l’Emmanuel conférer aux eaux la vertu de purifier les âmes ; mais nous nous souvenons que lorsqu’il descendit dans les flots du Jourdain, la colombe divine vint se poser sur sa tête, et prit possession de l’élément régénérateur. La fontaine baptismale est demeurée son domaine. « C’est là, nous dit le grand saint Léon, qu’il préside à la nouvelle naissance de l’homme, rendant féconde la fontaine sacrée, comme autrefois il rendit fécond le sein de la Vierge, à cette différence que le péché fut absent dans la conception sacrée du Fils de Dieu, tandis que la mystérieuse ablution le détruit en nous ».

Avec quelle tendresse l’Esprit divin contemple cette nouvelle créature sortant des eaux ! Avec quelle impétuosité d’amour il fait irruption en elle ! Il est le Don du Dieu très haut, envoyé sur nous pour résider en nous. Il prend donc son habitation dans cette âme toute neuve, qu’elle soit celle de l’enfant d’un jour, ou celle de l’adulte déjà chargé d’années. Il se complaît dans ce séjour qu’il a éternellement ambitionné ; il l’inonde de ses feux et de sa lumière, et comme il est par nature inséparable des deux autres personnes divines, sa présence est cause que le Père et le Fils viennent établir aussi leur demeure en cette âme fortunée.

Mais l’Esprit-Saint a ici son action propre, sa mission sanctificatrice, et pour bien comprendre la nature de sa présence dans le chrétien, il faut savoir qu’elle ne se borne pas à l’âme. Le corps fait aussi partie de l’homme, et il a eu sa part dans la régénération ; c’est pourquoi l’Apôtre, en même temps qu’il nous révèle l’heureuse « habitation » du divin Esprit en nous, nous apprend encore que nos membres matériels sont eux-mêmes ses temples. Il veut les faire servir à la justice et à la sainteté ; il dépose en eux un germe d’immortalité qui les conservera dans la dissolution même du tombeau, en sorte qu’au jour de la résurrection ils reparaîtront, mais spiritualisés, gardant ainsi le signe de l’Esprit qui les aura possédés en cette vie mortelle.

Le chrétien étant donc ainsi l’habitation de l’Esprit-Saint, nous ne devons pas nous étonner que ce divin Esprit songe à orner dignement la demeure qu’il s’est choisie. Quelle plus noble parure que celle des vertus théologales : la Foi qui nous met en possession certaine et substantielle des vérités divines que notre intelligence ne peut voir encore ; l’Espérance qui rend déjà présent le secours divin qui nous est nécessaire et la félicité éternelle que nous attendons ; la Charité qui nous unit à Dieu par le plus fort et le plus doux des liens ! Or, ces trois vertus, ces trois moyens pour l’homme régénéré d’être en rapport avec sa fin, c’est à la présence du Saint-Esprit que le chrétien les doit. Il a daigné signaler son arrivée par ce triple bienfait qui dépasse tous nos mérites passés, présents et futurs.

Au-dessous des trois vertus théologales, il établit ces quatre autres qui sont comme les assises de la vie morale de l’homme : la justice, la force, la prudence et la tempérance ; qualités naturelles, qu’il transforme en les adaptant à la fin surnaturelle du chrétien. Enfin comme un dernier lustre qu’il ajoute à sa demeure, il y dépose le septénaire sacré de ses dons, destines à répandre le mouvement et la vie dans le septénaire des vertus.

Mais les vertus et les dons qui tous tendent vers Dieu, réclament l’élément supérieur qui est le moyen essentiel de l’union avec lui : élément indispensable et que rien ne peut suppléer, âme de l’âme, principe vivifiant, sans lequel elle ne saurait ni voir ni posséder Dieu ; c’est la Grâce sanctifiante. Avec quelle satisfaction l’Esprit divin l’introduit dans l’âme à laquelle elle s’incorpore, et qu’elle rend l’objet des complaisances divines ! Une étroite alliance existe entre cette grâce et la présence de l’Esprit-Saint ; car si l’âme venait à donner entrée au péché mortel, l’Esprit cesserait d’habiter cette âme infortunée, au moment même où s’éteindrait en elle la grâce sanctifiante.

Mais il veille soigneusement sur son héritage, et il n’y demeure pas oisif. Les vertus qu’il a infusées dans cette âme si chère ne doivent pas demeurer inertes ; il faut qu’elles produisent les actes vertueux, et que le mérite qu’elles obtiendront vienne accroître la puissance de l’élément fondamental, fortifier et développer cette grâce sanctifiante qui enchaîne si étroitement le chrétien à Dieu. L’Esprit-Saint ne cesse donc de mouvoir l’âme vers l’action soit à l’intérieur, soit à l’extérieur, par ces touches divines que la théologie appelle grâces actuelles. Il obtient ainsi que sa créature s’élève de plus en plus dans le bien, qu’elle s’enrichisse et se consolide toujours davantage, enfin qu’elle serve à la gloire de son auteur qui la veut féconde et agissante.

Dans cette intention, l’Esprit qui s’est donné à elle, qui l’habite avec une si vive tendresse, la pousse à la prière par laquelle elle pourra tout obtenir, lumière, force et succès. « Mais, dit l’Apôtre, savons-nous comment il faut prier ? » A cette question il répond lui-même d’après son expérience : « Ce sera l’Esprit qui demandera pour nous dans des gémissements inénarrables ». Ainsi le divin Esprit s’associe à tous nos besoins ; il est Dieu, et il gémit comme la colombe, afin de mettre ses accents à l’unisson des nôtres. « Il crie vers Dieu dans nos cœurs, » dit le même Apôtre ; nous certifiant ainsi par sa présence et ses opérations en nous que nous sommes les enfants de Dieu. Se peut-il rien de plus intime, et devons-nous nous étonner que Jésus nous ait dit qu’il n’y avait qu’à demander pour recevoir, lorsque c’est son Esprit même qui demande en nous ?

Auteur de la prière, il coopère puissamment à l’action. Son intimité avec l’âme fait qu’il ne laisse à celle-ci que la liberté nécessaire au mérite ; pour le reste, il la meut, il la soutient, il la dirige, en sorte qu’à son tour elle n’a plus qu’à coopérer à ce qu’il fait en elle et par elle. A cette action commune de l’Esprit et du chrétien, le Père céleste reconnaît ceux qui lui appartiennent, et c’est pour cela que l’Apôtre nous dit encore que « ceux-là sont les enfants de Dieu qui sont conduits par l’Esprit de Dieu ». Heureuse société qui mène le chrétien à la vie éternelle, qui fait triompher Jésus en lui, Jésus dont l’Esprit-Saint imprime les traits dans sa créature, afin qu’elle soit un membre digne d’être uni à son Chef !

Mais, hélas ! Cette société fortunée peut se dissoudre. Notre liberté, qui ne se transforme qu’au ciel, peut amener et amène trop souvent la rupture entre l’Esprit sanctificateur et l’homme sanctifié. Le désir malheureux de l’indépendance, les passions que l’homme aurait le moyen de régler s’il était docile à l’Esprit, ouvrent le cœur imprudent à la convoitise de ce qui est au-dessous de lui. Satan, jaloux du règne de l’Esprit, ose faire briller aux yeux de l’homme la trompeuse image d’un bonheur ou d’un contentement hors de Dieu. Le monde, qui est aussi un esprit maudit, ose rivaliser avec l’Esprit du Père et du Fils. Subtil, audacieux, actif, il excelle à séduire, et nul ne pourrait compter les naufrages qu’il a causés. Il est cependant dénoncé aux chrétiens par Jésus lui-même qui nous a déclaré qu’il ne prierait pas pour lui, et par l’Apôtre qui nous avertit « que ce n’est pas l’esprit du monde que nous avons reçu, mais bien l’Esprit qui est de Dieu ».

Néanmoins un cruel divorce s’opère fréquemment entre l’homme et son hôte divin. Il est précédé pour l’ordinaire par un refroidissement qui se manifeste du côté de la créature envers son bienfaiteur. Un manque d’égards, une légère désobéissance, sont les préludes de la rupture. C’est alors qu’a lieu chez le divin Esprit ce froissement qui montre si clairement l’amour qu’il porte à l’âme, et que l’Apôtre nous rend d’une manière expressive, lorsqu’il nous recommande de ne pas contraster l’Esprit-Saint qui nous marqua de son sceau au jour où la rédemption venait à nous. Parole remplie d’un sentiment profond, et qui nous révèle la responsabilité qu’entraîne après lui le péché véniel. L’habitation de l’Esprit-Saint dans l’âme devient pour lui une cause d’amertume, une séparation est à craindre ; et si, comme l’enseigne saint Augustin, « il n’abandonne pas qu’il ne soit abandonné, » si la grâce sanctifiante demeure encore, les grâces actuelles deviennent plus rares et moins pressantes.

Mais le comble du malheur est dans la rupture du pacte sacré qui unissait l’âme et l’Esprit divin dans une si étroite alliance. Le péché mortel est l’acte d’une souveraine audace et d’une cruelle ingratitude. Cet Esprit si rempli de douceur se voit expulsé de l’asile qu’il s’était choisi, et qu’il avait embelli en tant de manières. C’est le comble de l’outrage, et l’on n’a pas droit de s’étonner de l’indignation de l’Apôtre quand il s’écrie : « Quel supplice ne mérite-t-il pas celui qui a foulé aux pieds le Fils de Dieu, méprisé le sang de l’alliance, et fait une telle injure à l’Esprit de grâce ? ».

Cependant cette situation désolante du chrétien infidèle au Saint-Esprit peut encore exciter la compassion de celui qui, étant Dieu, a été envoyé vers nous pour être notre hôte plein de mansuétude. Il est si triste l’état de celui qui, en chassant l’Esprit divin, a perdu l’âme de son âme, qui a vu s’éteindre au même moment le flambeau de la grâce sanctifiante, et s’anéantir tous les mérites dont elle s’était accrue. Chose admirable et digne d’une reconnaissance éternelle ! L’Esprit-Saint expulsé du cœur de l’homme aspire à y rentrer. Telle est l’étendue de la mission qu’a reçue du Père et du Fils celui qui est amour, et qui par amour ne veut pas abandonner à sa perte le chétif et ingrat vermisseau qu’il avait voulu élever jusqu’à la participation de la nature divine.

On le verra donc, avec une abnégation sublime dont l’amour seul a le secret, faire le siège de cette âme, jusqu’à ce qu’il ait pu s’en emparer de nouveau. Il l’effrayera par les terreurs de la justice divine, il lui fera sentir la honte et le malheur où se précipite celui qui a perdu la vie de son âme. Il le détache ainsi du mal par ces premières atteintes que le saint Concile de Trente appelle « les impulsions de l’Esprit-Saint qui meut l’âme au dehors, sans l’habiter encore au dedans ». L’âme inquiète et mécontente d’elle-même finit par aspirer à la réconciliation ; elle rompt les liens de son esclavage, et bientôt le sacrement de Pénitence va répandre en elle l’amour qui ranime la vie, en consommant la justification. Qui pourrait exprimer le charme et le triomphe de la rentrée du divin Esprit dans son domaine chéri ! Le Père et le Fils reviennent vers cette demeure souillée naguère, et peut-être depuis longtemps. Tout revit dans l’âme renouvelée ; la grâce sanctifiante y renaît telle qu’elle était au moment où l’âme sortit de la fontaine baptismale. Les mérites acquis en avaient développé la puissance, mais nous les avons vus tristement sombrer dans la tempête ; ils sont restitués en leur entier, et l’Esprit de vie se réjouit de ce que son pouvoir est égal à son amour.

Un changement si merveilleux n’a pas lieu une fois dans un siècle ; chaque jour, chaque heure le voient s’accomplir. Telle est la mission de l’Esprit divin. Il est descendu pour sanctifier l’homme, il faut qu’il le sanctifie. Le Fils de Dieu est venu ; il s’est donné à nous. Nous ayant trouvés en proie à Satan, il nous a rachetés au prix de son sang ; il a tout disposé pour nous conduire à lui et à son Père ; et s’il a dû remonter aux cieux pour nous y préparer notre place, bientôt il a fait descendre sur nous son propre Esprit, afin qu’il soit notre second Consolateur jusqu’à son retour. Voici donc à l’œuvre ce divin auxiliaire. Éblouis de la magnificence de ses opérations, célébrons avec effusion l’amour avec lequel il nous traite, la puissance et la sagesse qu’il développe dans l’accomplissement de sa mission. Qu’il soit donc béni, qu’il soit glorifié, qu’il soit connu en ce monde qui lui doit tout, dans l’Église dont il est l’âme, et dans ces millions de cœurs qu’il désire habiter pour les sauver et les rendre heureux à jamais !

Ce jour est consacré au jeûne comme celui du mercredi précédent. L’Ordination des prêtres et des ministres sacrés aura lieu demain. Il importe de faire une plus vive instance auprès de Dieu pour obtenir que l’effusion de la grâce soit aussi abondante que sera durable et auguste le caractère que l’Esprit-Saint imprimera sur les membres de la tribu sainte qui lui seront présentés.

 

 

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Jeudi de la Pentecôte

1 Juin 2023 , Rédigé par Ludovicus

Jeudi de la Pentecôte

Collecte

Dieu, qui avez instruit en ce jour les cœurs des fidèles par la lumière du Saint-Esprit : donnez-nous, par le même Esprit, de goûter ce qui est bien ; et de jouir sans cesse de la consolation dont il est la source. Par Notre-Seigneur … en l’unité du même Esprit.

Lecture Ac. 8, 5-8.

En ces jours-là, Philippe, étant descendu dans la ville de Samarie, leur prêchait le Christ. Et les foules étaient attentives aux choses que Philippe disait, écoutant d’un commun accord, et voyant les miracles qu’il faisait. Car beaucoup d’esprits impurs sortaient de ceux qu’ils possédaient, en poussant de grands cris. Beaucoup de paralytiques et de boiteux furent aussi guéris. Il y eut donc une grande joie dans cette ville.

Évangile Lc. 9, 1-6

En ce temps-là : Jésus ayant assemblé les douze apôtres, leur donna puissance et autorité sur tous les démons, et le pouvoir de guérir les maladies. Puis il les envoya prêcher le royaume de Dieu et guérir les malades. Et il leur dit : Ne portez rien en route, ni bâton, ni sac, ni pain, ni argent, et n’ayez pas deux tuniques. Dans quelque maison que vous soyez entrés, demeurez-y et n’en sortez pas. Et lorsqu’on ne vous aura pas reçus, sortant de cette ville, secouez la poussière même de vos pieds, en témoignage contre eux. Étant donc partis, ils parcouraient les villages, annonçant l’Évangile et guérissant partout.

Office

1ère leçon

Homélie de saint Ambroise, Évêque.

Les préceptes évangéliques nous enseignent comment doit être celui qui annonce le royaume de Dieu : il faut qu’il soit sans bâton, ni sac, ni chaussure, ni pain, ni argent, c’est-à-dire qu’il ne recherche point les secours et les appuis de ce monde, mais que, fort de sa foi, il pense trouver d’autant mieux ces choses, qu’il les recherche moins. Ces mêmes paroles de l’Évangile, on peut, si l’on veut, les entendre aussi comme nous enseignant à spiritualiser les affections de notre cœur. Le cœur, en effet, semble se dépouiller comme d’un vêtement matériel, lorsque, non content de rejeter l’ambition et de mépriser les richesses, il renonce encore aux séductions de la chair. Aux prédicateurs de l’Évangile, il est donné avant tout le précepte général de porter la paix, de maintenir la constance, de garder les lois qu’imposé l’hospitalité ; ce précepte affirme qu’il est malséant pour un prédicateur du royaume céleste de courir de maison en maison et de méconnaître les lois de l’inviolable hospitalité.

2e leçon

Mais comme la gratitude pour le bienfait de l’hospitalité est prescrite, il est aussi commandé aux disciples, s’ils ne sont point reçus, de secouer la poussière, et de sortir de la ville. Ce qui nous apprend que la récompense de l’hospitalité ne sera pas un bien médiocre, c’est que non seulement nous apportons la paix à nos hôtes, mais que même, s’ils ont sur la conscience les taches de fautes commises par fragilité, elles leur seront enlevées par l’entrée et la réception des prédicateurs apostoliques. Ce n’est pas sans raison non plus que, dans l’Évangile de saint Matthieu, il est recommandé aux Apôtres de choisir la maison où ils doivent loger, afin qu’ils ne s’exposent point à l’occasion de violer les liens de l’hospitalité, en changeant de demeure. La même précaution n’est pas cependant requise de l’hôte, de crainte qu’en choisissant ceux qu’il reçoit, il n’exerce moins véritablement l’hospitalité.

3e leçon

Mais si ce précepte sur les devoirs de l’hospitalité, dans son sens littéral, est digne de respect ; l’enseignement céleste, dans le sens mystique, est plein de charmes. Lorsqu’on choisit une maison, on recherche un hôte digne. Voyons donc si ce n’est pas l’Église et le Christ qui sont désignés à nos préférences ? En effet, y a-t-il une maison plus digne de recevoir la prédication apostolique que la sainte Église ? Et le Christ ne nous semble-t-il pas devoir être préféré à tous, lui qui a coutume de laver les pieds de ceux qu’il reçoit, et qui ne souffre pas que ceux qu’il a reçus dans sa maison restent dans un chemin souillé ; mais qui, les trouvant couverts des taches de leur vie antérieure, daigne néanmoins les purifier pour l’avenir ? Jésus-Christ est donc le seul hôte que personne ne doit abandonner, que personne ne doit quitter pour un autre. C’est à lui qu’on dit avec raison : « Seigneur, à qui irons-nous ? Vous avez les paroles de la vie éternelle ; pour nous, nous croyons » 

Le divin Esprit qui tient unis dans un même tout les membres de la sainte Église, parce qu’il est lui-même unique, n’a pas seulement été envoyé pour assurer l’unité inviolable à l’Épouse du Christ. Cette Épouse d’un Dieu qui s’est appelé lui-même la Vérité, a besoin d’être dans la vérité, et ne peut être accessible à l'erreur. Jésus lui a confié sa doctrine, il l’a instruite en la personne des Apôtres. « Tout ce que j’ai entendu de mon Père, dit-il, je vous l’ai manifesté ». Mais comment cette Église, si elle est laissée à l’humaine faiblesse, pourra-t-elle conserver sans mélange et sans altération, durant la traversée des siècles, cette parole que Jésus n’a pas écrite, cette vérité qu’il est venu de si haut apportera la terre ? L’expérience prouve que tout s’altère ici-bas, que les textes écrits sont sujets à de fausses interprétations, et que les traditions non écrites deviennent méconnaissables par le cours des années.

C’est ici encore que nous devons reconnaître la divine prévoyance de notre Emmanuel montant au ciel. De même que pour accomplir le désir qu’il a « que nous soyons un, comme il est un avec son Père », il a député vers nous son unique Esprit ; ainsi, pour nous maintenir dans la vérité, il nous a envoyé ce même Esprit qu’il appelle l’Esprit de vérité. « Quand il sera venu, dit-il, cet Esprit de vérité, il vous enseignera toute vérité ». Et quelle est la vérité qu’enseignera cet Esprit ? « Il enseignera toutes choses, et il vous suggérera tout ce que je vous aurai dit ».

Rien donc ne se perdra de ce que le Verbe divin a dit aux hommes. La beauté de son Épouse aura pour fondement la vérité ; car la beauté est la splendeur du vrai. Sa fidélité à l’Époux sera parfaite ; car s’il est la Vérité, la Vérité est assurée en elle pour jamais. Jésus le déclare ainsi : « Le nouveau Consolateur que le Père vous enverra demeurera avec vous pour toujours, et il sera en vous ». C’est donc par l’Esprit-Saint que l’Église possédera en propre la vérité, et cette possession ne lui sera jamais enlevée ; car cet Esprit envoyé par le Père et par le Fils s’attachera à l’Église et ne la quittera plus.

C’est ici le moment de se rappeler la magnifique théorie de saint Augustin. Selon sa doctrine qui n’est que l’explication des passages du saint Évangile que nous venons de lire, l’Esprit-Saint est le principe de la vie dans l’Église ; étant donc l’Esprit de vérité, il conserve la vérité en elle, il la dirige dans la vérité, en sorte qu’elle ne peut exprimer que la vérité dans son enseignement et dans sa conduite. Il assume la responsabilité de ses paroles, comme notre esprit répond de ce que profère notre langue ; et c’est pour cela que la sainte Église est tellement identifiée avec la vérité par son union avec l’Esprit divin, que l’Apôtre ne fait pas difficulté de nous dire qu’elle en est « la colonne et l’appui ». Que l’on ne s’étonne donc pas si le chrétien se repose sur l’Église dans sa croyance. Ne sait-il pas que cette Église n’est jamais seule, qu’elle est toujours avec l’Esprit divin qui vit en elle, que sa parole n’est pas sa parole à elle, mais la parole de l’Esprit qui n’est autre que la parole de Jésus ? Or cette parole de Jésus, l’Esprit la conserve pour l’Église dans un double dépôt. Il veille sur elle dans les saints Évangiles qu’il a inspirés à leurs auteurs. Par ses soins, ces livres sacrés sont défendus contre toute altération, et ils traversent les siècles sans que la main de l’homme leur ait fait subir de changement. Il en est de même des autres livres du Nouveau Testament composés sous le souffle du même Esprit. Ceux dont se compose l’Ancien Testament sont également le produit de l’inspiration du divin Esprit. S’ils ne rapportent pas les discours de Jésus durant sa vie mortelle, ils parlent de lui, ils l’annoncent, en même temps qu’ils contiennent la première initiation aux choses divines. Cet ensemble des livres sacrés est rempli des mystères dont l’Esprit a la clef pour la communiquer à l’Église.

L’autre source de la parole de Jésus est la Tradition. Tout ne devait pas être écrit, et l’Église existait déjà que les Évangiles n’étaient pas encore rédigés. Cette Tradition, élément divin comme l’Écriture elle-même, comment aurait-elle survécu sans altération, si l’Esprit de Vérité ne veillait à sa garde ? Il la maintient donc dans la mémoire de l’Église, il la préserve de tout changement : c’est sa mission, et par la fidélité qu’il met à remplir cette mission, l’Épouse demeure en possession de tous les secrets de l’Époux.

Mais il ne suffit pas que l’Église possède la vérité écrite et traditionnelle, comme un dépôt scellé. Il faut encore qu’elle en ait le discernement, afin de pouvoir l’interpréter à ceux auxquels elle doit rendre les enseignements de Jésus. La vérité n’est pas descendue du ciel pour n’être pas communiquée aux hommes ; car elle est leur lumière, et sans elle ils languiraient dans les ténèbres, sans savoir d’où ils viennent et où ils vont. L’Esprit de Vérité ne se bornera donc pas à conserver la parole de Jésus dans l’Église comme un trésor caché, il en dirigera l’épanchement sur les hommes, afin qu’ils y puisent la vie de leurs âmes. L’Église sera donc infaillible dans son enseignement ; car elle ne pourrait se tromper ni tromper les hommes, puisque l’Esprit de Vérité la conduit en tout et parle par son organe. Il est son âme, et nous avons reconnu, avec saint Augustin, que lorsque la langue s’exprime, c’est l’âme que l’on entend.

La voilà, cette infaillibilité de notre mère la sainte Église, résultat direct et immédiat de l’incorporation de l’Esprit de Vérité en elle ! C’est la promesse du Fils de Dieu, c’est l’effet nécessaire de la présence du Saint-Esprit. Quiconque ne reconnaît pas l’Église pour infaillible doit, s’il est conséquent avec lui-même, admettre que le Fils de Dieu a été impuissant à remplir sa promesse, et que l’Esprit de Vérité n’est qu’un Esprit d’erreur. Mais celui qui raisonne ainsi a perdu le sentier de la vie ; il a cru nier seulement l’Église, et sans s’en apercevoir, c’est Dieu même qu’il a renié. Tel est le crime et le malheur de l’hérésie. Le défaut de réflexion sérieuse peut voiler cette terrible conséquence : elle n’en est pas moins rigoureusement déduite. L’hérétique a rompu avec le Saint-Esprit, en rompant de pensée avec l’Église : il pourrait revivre en retournant humblement vers l’Épouse du Christ, mais présentement il est dans la mort ; car l’âme ne l’anime plus. Écoutons encore le grand Docteur : « Il arrive parfois, dit-il, qu’un membre du corps humain soit coupé, une main, un doigt, un pied : l’âme suit-elle le membre ainsi séparé du corps ? Non ; ce membre, quand il était uni au corps, jouissait de la vie ; isolé maintenant, c’est la vie même qu’il a perdue. De même le chrétien demeure catholique tant qu’il est adhérent au corps de l’Église ; en est-il séparé, le voilà hérétique ; l’Esprit ne suit pas le membre qui s’est détaché ».

Honneur soit donc à l’Esprit divin pour la splendeur de vérité qu’il communique à l’Épouse ! Mais pourrions-nous, sans le plus affreux péril, imposer des bornes à notre docilité, aux enseignements qui nous viennent à la fois de l’Esprit et de l’Épouse que nous savons unis d’une manière si indissoluble ? Soit donc que l’Église nous intime ce que nous devons croire en nous montrant sa pratique, ou par la simple énonciation de ses sentiments, soit qu’elle déclare solennellement la définition attendue, nous devons regarder et écouter avec soumission de cœur : car la pratique de l’Église est maintenue dans la vérité par l’Esprit qui la vivifie ; renonciation de ses sentiments à toute heure est l’aspiration continue de cet Esprit qui vit en elle ; et quant aux sentences qu’elle rend, ce n’est pas elle seule qui prononce, c’est l’Esprit qui prononce en elle et par elle. Si c’est son Chef visible qui déclare la doctrine, nous savons que Jésus a daigné prier pour que la foi de Pierre ne défaille pas, qu’il l’a obtenu de son Père, et qu’il a confié à l’Esprit la charge de maintenir Pierre en possession d’un don si précieux pour nous. Si le Pontife suprême, à la tète du collège épiscopal réuni conciliairement, déclare la foi dans l’accord parfait du Chef et des membres, c’est l’Esprit qui dans ce jugement collectif prononce avec une majesté souveraine pour la gloire de la vérité et la confusion de l’erreur. C’est l’Esprit qui a abattu toutes les hérésies sous les pieds de l’Épouse victorieuse ; c’est l’Esprit qui a suscité dans son sein, à tous les siècles, les docteurs qui ont terrassé l’erreur aussitôt qu’elle s’est montrée.

Elle a donc en partage le don de l’infaillibilité, notre Église bien-aimée ; elle est donc vraie en tout et toujours, l’Épouse de Jésus ; et elle doit cet heureux sort à celui qui procède éternellement du Père et du Fils. Mais il est encore une gloire dont elle lui est redevable.

L’Épouse du Dieu saint doit être sainte. Elle l’est ; et c’est de l’Esprit de sainteté qu’elle reçoit la sainteté. La vérité et la sainteté sont unies en Dieu d’une manière indissoluble ; et c’est pour cela que Jésus voulant « que nous soyons parfaits comme notre Père céleste est parfait », et que tout en restant de simples créatures nous cherchions notre type dans le souverain bien, demande « que nous soyons sanctifiés dans la Vérité ».

Jésus a donc remis son Épouse à la direction de l’Esprit, afin qu’il la rendît sainte. Or, la sainteté est tellement inhérente à cet Esprit divin qu’elle sert à le désigner comme sa qualité fondamentale. Jésus lui-même l’appelle le Saint-Esprit, en sorte que c’est sur le témoignage du Fils de Dieu que nous lui donnons ce beau nom. Le Père est la Puissance, le Fils est la Vérité, l’Esprit est la Sainteté ; et c’est pour cela que l’Esprit remplit ici-bas le ministère de sanctificateur, bien que le Père et le Fils soient saints, de même que la vérité est dans le Père et dans l’Esprit, et que l’Esprit ainsi que le Fils aient aussi la puissance. Les trois divines personnes ont leurs propriétés spéciales, mais elles sont unies dans une seule et même essence. Or, la propriété spéciale du Saint-Esprit est d’être l’amour, et l’amour produit la sainteté ; car il unit et identifie le souverain bien avec celui qui en a l’amour, et cette union ou identification est la sainteté qui est la splendeur du Bien, comme la beauté est la splendeur du Vrai.

Pour être digne de l’Emmanuel son Époux, l’Église devait donc être sainte. Il lui avait donne la vérité que l’Esprit a maintenue en elle ; l’Esprit à son tour lui donnera la sainteté, et le Père céleste la voyant vraie et sainte, l’adoptera pour sa fille : telle est sa destinée glorieuse. Voyons maintenant les traits de cette sainteté. Le premier est la fidélité à l’Époux. Or, l’histoire de l’Église tout entière dépose de cette fidélité. Tous les pièges lui ont été tendus, toutes les violences ont été dirigées contre elle, pour la séduire et pour la détacher de l’Époux. Elle a tout déjoué, tout bravé ; elle a sacrifié son sang, son repos, et jusqu’au territoire où elle régnait, plutôt que de laisser altérer entre ses mains le dépôt que l’Époux lui avait confié. Comptez, si vous pouvez, les martyrs depuis les Apôtres jusqu’aujourd’hui. Rappelez-vous les offres des princes, si elle voulait se taire sur la vérité divine, les menaces et les traitements cruels qu’elle a encourus plutôt que de laisser mutiler son symbole. Pourrait-on oublier les luttes formidables qu’elle a soutenues contre les empereurs d’Allemagne pour sauvegarder sa liberté dont son Époux est si jaloux ; le noble détachement qu’elle a montré, aimant mieux voir l’Angleterre rompre avec elle que de sanctionner par une dispense illicite l’adultère d’un roi ; la générosité qu’elle a fait paraître dans la personne de Pie IX, en bravant les dédains de la politique mondaine et les lâches étonnements des faux catholiques, plutôt que de laisser un enfant juif à qui le baptême avait été conféré en danger de mort, exposé à renier l’ineffable caractère de chrétien, et à blasphémer le Christ dont il était devenu l’heureux membre ?

L’Église agit et agira ainsi jusqu’à la fin, parce qu’elle est sainte dans sa fidélité ; et l’Esprit nourrit toujours en elle un amour qui ne calcule jamais en présence du devoir. Elle peut ouvrir le code de ses lois en présence de ses ennemis comme de ses enfants fidèles, et leur demander s’ils pourraient en signaler une seule qui n’ait pas pour objet de procurer la gloire de son Époux et le bien des hommes par la pratique de la vertu.

Aussi, voyons-nous sortir de son sein des millions d’êtres vertueux qui s’en vont à Dieu après cette vie. Ce sont les saints que l’Église sainte produit par l’influence de l’Esprit-Saint. Dans toutes ces myriades d’élus, il n’en est pas un que l’Église ne revendique comme le fruit de son sein maternel. Ceux-là mêmes qu’une permission divine a laissé naître dans les sociétés séparées, s’ils ont vécu dans la disposition d’embrasser la vraie Église quand elle leur serait manifestée, et s’ils ont pratiqué toutes les vertus dans une entière fidélité à la grâce qui est le fruit de l’universelle rédemption : cette Église sainte les réclame pour ses fils.

Chez elle fleurissent tous les dévouements, tous les héroïsmes. Des vertus inconnues au monde avant qu’elle fût fondée, sont journalières dans son sein. En elle il est des saintetés éclatantes qu’elle couronne des honneurs de la canonisation : il est des vertus humbles et cachées qui ne rayonneront qu’au jour de l’éternité. Les préceptes de Jésus sont observés par ses disciples, et il règne en eux comme un maître chéri. Mais ce maître a donné aussi des conseils qui ne sont pas à la portée de tous, et c’est la source d’un nouvel épanouissement de la sainteté intarissable de l’Épouse. Non seulement il est des âmes généreuses qui s’attachent avec amour à ces divins conseils ; mais le sein de l’Église fécondé par le divin Esprit ne cesse de produire et d’alimenter d’immenses familles religieuses, dont l’élément est la perfection, dont la loi suprême est la pratique des conseils unie par le vœu à celle des préceptes.

Nous ne nous étonnerons plus après cela que l’Épouse resplendisse de ce don des miracles qui atteste visiblement la sainteté. Jésus lui a promis que son front serait toujours entouré de cette surnaturelle auréole : or, l’Apôtre nous enseigne que les prodiges opères dans l’Église sont l’œuvre directe du Saint-Esprit.

Que si quelqu’un fait la remarque que tous les membres de l’Église ne sont pas saints, nous lui répondrons qu’il suffit que cette Épouse du Christ offre à tous le moyen de le devenir ; mais que la liberté étant donnée pour être l’instrument du mérite, il serait contradictoire que ceux qui possèdent la liberté fussent en même temps nécessités au bien. Nous ajouterons qu’un nombre immense de ceux qui sont dans le péché, restant membres de l’Église par la foi et la soumission respectueuse aux pasteurs légitimes et principalement au Pontife romain, rentreront tôt ou tard en grâce avec Dieu et termineront leur vie dans la sainteté. La miséricorde de l’Esprit-Saint opère cette merveille par le moyen de l’Église qui, à l’exemple de son Époux, « n’éteint pas la mèche qui fume encore, et n’achève pas de rompre le roseau déjà éclaté ».

Celle qui a reçu, pour le communiquer à ses membres, le divin septénaire des Sacrements dont nous avons exposé la richesse dans le cours d’une des semaines précédentes, comment ne serait-elle pas sainte ? Est-il rien de plus saint que cet auguste ensemble de rites qui donnent les uns la vie aux pécheurs, les autres l’accroissement de la grâce aux justes ? Ces Sacrements établis par Jésus lui-même et qui sont l’héritage de la sainte Église, ont tous leur relation avec l’Esprit-Saint. Dans le Baptême, la Confirmation et l’Ordre, c’est lui-même qui agit directement ; dans le Sacrifice eucharistique, c’est par son action que l’Homme-Dieu vit et est immolé sur notre autel ; il fait renaître la grâce baptismale dans la Pénitence ; il est l’Esprit de Force qui conforte le mourant dans l’Onction suprême, le lien sacré qui unit indissolublement les époux dans le Mariage. En montant aux cieux, notre Emmanuel nous laissait comme gage de son amour ce septénaire sacramentel ; mais le trésor demeura scellé jusqu’à ce que l’Esprit divin fût descendu. Il devait lui-même mettre l’Épouse en possession d’un dépôt si précieux, l’ayant préparée, en la sanctifiant, à le recevoir dans ses royales mains et à l’administrer fidèlement à ses heureux membres.

L’Église enfin est sainte au moyen de la prière qui en elle est incessante. Celui qui est « l’Esprit de grâce et de prières » produit continuellement dans les fidèles de l’Église, les actes divers qui forment le sublime concert de la prière : adoration, action de grâces, demande, élans du repentir, effusions de l’amour. Il y joint chez plusieurs les dons de la contemplation, par lesquels la créature est tantôt ravie jusqu’en Dieu, tantôt voit descendre Dieu jusqu’à elle avec des faveurs qui tiennent de la vie à venir plus que de celle-ci. Qui pourrait compter les respirations de la sainte Église, je veux dire ses épanchements vers l’Époux, dans les millions de prières qui montent à chaque minute de la terre au ciel, et semblent les unir l’un à l’autre dans le plus étroit embrassement ? Comment ne serait-elle pas sainte, celle qui a ainsi, selon la forte expression de l’Apôtre : « sa conversation dans le ciel ? ».

Mais si la prière des membres est si merveilleuse dans sa multiplication et son ardeur, combien plus encore est imposante et plus belle la prière générale de l’Église elle-même dans la sainte Liturgie, où l’Esprit-Saint agit avec plénitude, inspirant l’Épouse, et lui suggérant ces touchants et nobles accents que nous avons cherché à traduire dans la succession de cet ouvrage ! Que ceux qui nous ont suivi jusqu’ici disent si la prière liturgique n’est pas la première de toutes, si elle n’est pas désormais la lumière et la vie de leur prière personnelle. Qu’ils applaudissent donc à la sainteté de l’Épouse qui leur donne de sa plénitude, et qu’ils glorifient « l’Esprit de grâce et de prière » de ce qu’il daigne faire pour elle et pour eux.

Ô Église, vous êtes « sanctifiée dans la vérité » ; et par vous nous sommes initiés à toute la doctrine de Jésus votre Époux ; par vous nous sommes établis dans la voie de cette sainteté qui est votre élément. Que pouvons-nous désirer, ayant ainsi le Vrai et le Bien ? Hors de vous c’est en vain que nous les chercherions, et notre bonheur consiste en ce que nous n’avons rien à chercher ; car votre cœur de mère ne désire que de répandre sur nous tout ce qu’il a reçu de dons et de lumières. Soyez bénie en cette solennité de la Pentecôte où vous avez tant reçu pour nous ! Nous sommes éblouis de l’éclat des prérogatives que la munificence de votre Époux vous a préparées, et dont l’Esprit-Saint vous comble de sa part ; et maintenant que nous vous connaissons mieux encore, nous promettons de vous être plus fidèles que jamais.

 

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Mercredi des Quatre-Temps de Pentecôte

31 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

Mercredi des Quatre-Temps de Pentecôte

Collecte

Nous vous en supplions, Seigneur, que le Consolateur qui procède de vous, éclaire nos âmes : et qu’il nous fasse pénétrer toute vérité comme l’a promis votre Fils : Qui avec vous... en l’unité du même.

Office

1ère leçon

Homélie de saint Augustin, Évêque.

Ne t’imagine pas que tu sois attiré malgré toi ; l’âme est attirée par l’amour aussi. Et nous ne devons pas craindre d’être repris peut-être, au sujet de cette parole évangélique des saintes Écritures, par des hommes qui pèsent à l’excès les paroles et qui sont loin de comprendre les choses, surtout celles de Dieu ; nous ne devons pas craindre que l’on nous dise : Comment puis-je croire par ma libre volonté si je suis attiré ? Moi je réponds : C’est peu dire : par la volonté, vous êtes même attiré par le plaisir. Qu’est-ce qu’être attiré par le plaisir ? « Mets tes délices dans le Seigneur, et il t’accordera ce que ton cœur demande » Il existe une certaine volupté pour le cœur auquel est doux ce pain céleste. Or si un poète a pu dire : « Chacun est attiré par son plaisir » ; remarquez, non par la nécessité, mais par le plaisir ; non par le devoir, mais par la jouissance : à combien plus forte raison, devons-nous dire que celui-là est attiré vers le Christ, qui fait ses délices de la vérité, de la béatitude, de la justice, de la vie éternelle ; car le Christ est tout cela. Quoi ! Les sens du corps auraient leurs voluptés, et l’âme n’aurait point les siennes ? Si l’âme n’a point ses jouissances, comment expliquer ces paroles : « Les enfants des hommes espéreront à l’abri de vos ailes, ils seront enivrés de l’abondance de votre maison, et vous les abreuverez du torrent de vos délices ; parce qu’en vous est une source de vie, et que dans votre lumière nous verrons la lumière ? » 

2e leçon

Donne-moi un cœur qui aime, il sent ce que je dis ; donne-moi un cœur qui désire, donne-moi un cœur qui ait faim, donne-moi un cœur qui se regarde comme exilé et voyageur dans ce désert, un cœur qui ait soif du ciel et qui soupire après la source de l’éternelle patrie ; donne-moi un tel cœur, il sait ce que je dis. Mais si je parle à un cœur froid, il ne comprend pas mon langage. Tels étaient les juifs qui murmuraient entre eux. « Celui, dit le Sauveur, que mon Père attire, vient à moi. » Mais que signifient ces paroles : « Celui que mon Père attire, » puisque le Christ lui-même attire ? Dans quelle intention le Sauveur s’est-il exprimé ainsi : « Celui que mon Père attire ? » Si nous devons être entraînés, soyons-le par celui à qui une âme aimante disait : « Après toi nous courrons à l’odeur de tes parfums ». Considérons attentivement, mes frères, ce que le Sauveur veut nous faire entendre, et comprenons le dans la mesure de nos forces. Le Père attire au Fils ceux qui croient au Fils, par ce qu’ils sont persuadés qu’il a Dieu pour Père. Dieu le Père, en effet, a engendré un Fils égal à lui ; et l’homme qui reconnaît dans sa pensée que celui en qui il croit est égal au Père, qui possède dans sa foi le sentiment de cette vérité et qui la médite, le Père l’attire vers son Fils.

3e leçon

Arius a cru que le Fils était une créature ; le Père ne l’a point attiré, car on ne considère pas le Père, lorsqu’on ne croit point que le Fils lui est égal. Que dis-tu, ô Arius ? Que dis-tu, hérétique ? Quel langage tiens-tu ? Qu’est-ce que le Christ ? Il n’est point le Dieu véritable, dis-tu, mais il a été fait par le Dieu véritable. Le Père ne t’a point attiré : car tu n’as pas compris le Père dont tu nies le Fils. Ce que tu penses du Christ est tout différent de ce qu’il est, ce n’est pas lui ; tu n’es point attiré par le Père, et tu n’es point attiré vers le Fils, car autre chose est le Fils, autre chose ce que tu dis qu’il est. Photin dit : Jésus-Christ n’est qu’un homme : il n’est pas Dieu aussi. Celui qui pense ainsi, le Père ne l’a pas attiré. Quel est celui que le Père a attiré ? Celui qui dit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant ». On montre à une brebis un rameau vert et on l’attire ; on montre des noix à un enfant et il est attiré ; et puisqu’il court, il est attiré par ce qu’il aime, il est attiré sans aucune violence extérieure, il est attiré par le lien du cœur. Si les charmes que les délices et les voluptés terrestres révèlent aux cœurs aimants exercent sur eux une véritable puissance d’attraction, car elle est vraie cette maxime : « Chacun est attiré par son plaisir, » refuserons-nous cette puissance à Jésus-Christ, qui nous est révélé par le Père ? Qu’est-ce que l’âme, en effet, désire plus vivement que la vérité ?

Nous avons vu avec quelle fidélité le divin Esprit a su accomplir, dans le cours des siècles, la mission que l’Emmanuel lui a donnée de former, de protéger et de maintenir l’Église son Épouse. Cette recommandation d’un Dieu a été remplie avec toute la puissance d’un Dieu ; et c’est le plus beau et le plus étonnant spectacle que présentent les annales de l’humanité depuis dix-huit siècles. Cette conservation d’une société morale, toujours la même en tous les temps et en tous les lieux, promulguant un symbole précis et obligatoire pour tous ses membres, et maintenant par ses arrêts la plus compacte unité de croyance entre tous ses fidèles, est, avec la merveilleuse propagation du christianisme, l’événement capital de l’histoire Aussi ces deux faits sont-ils, non l’effet d’une providence ordinaire, comme le prétendent certains philosophes de notre temps, mais des miracles de premier ordre opérés directement par le Saint-Esprit, et destinés à servir de base à notre foi dans la vérité du christianisme. L’Esprit-Saint qui ne devait pas, dans l’exercice de sa mission, revêtir une forme sensible, y a rendu sa présence visible à notre intelligence, et par ce moyen, il a fait assez pour démontrer son action personnelle dans l’œuvre du salut des hommes.

Suivons maintenant cette action divine, non plus en tant qu’elle a pour but de seconder le dessein miséricordieux du Fils de Dieu qui a daigné prendre une Épouse ici-bas, mais dans les rapports de cette Épouse avec la race humaine. Notre Emmanuel a voulu qu’elle fût la Mère des hommes, et que tous ceux qu’il convie à l’honneur de devenir ses propres membres, reconnussent que c’est elle qui les enfante à cette glorieuse destinée. L’Esprit-Saint devait donc produire l’Épouse de Jésus avec assez d’éclat pour qu’elle fût distinguée et connue sur la terre, tout en laissant à la liberté humaine le pouvoir de la méconnaître et de la repousser.

Il fallait que cette Église dans sa durée embrassât tous les siècles, qu’elle eût parcouru la terre d’une manière assez patente pour que son nom et sa mission pussent être connus chez tous les peuples ; en un mot elle devait être Catholique, c’est-à-dire universelle, possédant la catholicité des temps et la catholicité des lieux. Telle est, en effet, l’existence que le divin Esprit lui a créée sur la terre. Il l’a d’abord promulguée à Jérusalem, au jour de la Pentecôte, sous les yeux des Juifs venus de tant de régions diverses, et qui partirent bientôt pour aller en porter la nouvelle dans les contrées qu’ils habitaient. Il a lancé ensuite les Apôtres et les disciples sur le monde, et nous savons par les auteurs contemporains qu’un siècle était a peine écoulé que déjà la terre entière possédait des chrétiens. Dès lors chaque année a profité à la visibilité de cette sainte Église. Si le divin Esprit, dans les desseins de sa justice, a jugé à propos de la laisser s’affaiblir au sein d’une nation qui n’était plus digne d’elle, il l’a transférée dans une autre où elle devait rencontrer des fils plus soumis. Si des régions entières ont quelquefois semblé lui être fermées, c’est qu’à une époque antérieure elle se présenta et fut repoussée, ou encore que le moment n’était pas venu où elle devait paraître et s’établir. L’histoire de la propagation de l’Église nous donne à constater cet ensemble merveilleux de vie perpétuelle et de migrations. Les temps et les lieux lui appartiennent ; là où elle ne règne pas, elle est présente par ses membres, et cette prérogative delà catholicité qui lui a valu son nom est un des chefs-d’œuvre de l’Esprit-Saint.

Mais là ne se borne pas son action pour l’accomplissement de la mission que lui a confiée l’Emmanuel à l’égard de son Épouse, et ici nous devons pénétrer la profondeur du mystère du Saint-Esprit dans l’Église. Après avoir constaté son influence extérieure pour la conserver et l’étendre, il nous faut apprécier la direction intérieure qu’elle reçoit de lui, et qui produit en elle l’unité, l’infaillibilité et la sainteté, qualités qui, avec la catholicité, forment le signalement de l’Épouse du Christ.

L’union de l’Esprit-Saint avec l’humanité de Jésus est une des bases du mystère de l’Incarnation. Notre divin médiateur est appelé le Christ, parce qu’il a reçu l’onction, et cette onction est l’effet de l’union de son humanité avec le Saint-Esprit. Cette union est indissoluble : éternellement le Verbe demeurera uni à son humanité, éternellement aussi le divin Esprit-Saint imprimera sur cette humanité le sceau de l’onction qui fait le Christ. Il suit de là que l’Église, étant le corps de Jésus-Christ, doit avoir part à l’union qui existe entre son divin Chef et l’Esprit-Saint. Le chrétien, dans le baptême, reçoit l’onction divine par le Saint-Esprit qui habite désormais en lui comme le gage de l’héritage éternel ; mais il y a cette différence qu’il peut perdre par le péché cette union qui est en lui le principe de la vie surnaturelle, tandis qu’elle ne peut jamais faire défaut au corps même de l’Église. L’Esprit-Saint est incorporé à l’Église pour toujours ; il est le principe qui l’anime, qui la fait agir et mouvoir, et lui fait surmonter toutes les crises auxquelles, par la permission divine, elle demeure exposée durant le trajet de cette vie militante.

Saint Augustin exprime admirablement cette doctrine dans un de ses Sermons pour la fête de la Pentecôte : « Le souffle par lequel vit l’homme, nous dit-il, s’appelle l’âme ; et vous êtes à même d’observer le rôle de cette âme relativement au corps. C’est elle qui donne la vie aux membres : elle qui voit par l’œil, entend par l’oreille, sent par l’odorat, parle par la langue, opère par la main, marche par les pieds. Présente à chaque membre, elle donne la vie à tous et la fonction à chacun. Ce n’est pas l’œil qui entend, ce n’est pas l’oreille qui voit ni la langue, de même que ce n’est ni l’oreille ni l’œil qui parlent ; cependant l’oreille est vivante, la langue est vivante ; les fonctions des sens sont donc variées, mais une même vie est commune à tous. Ainsi en est-il dans l’Église de Dieu. Dans tel saint elle opère des miracles, dans tel autre elle enseigne la vérité, dans celui-ci elle pratique la virginité, dans celui-là elle garde la chasteté conjugale ; en un mot les divers membres de l’Église ont leurs fonctions variées, mais tous puisent la vie à une même source. Or ce qu’est l’âme au corps humain, le Saint-Esprit l’est au corps du Christ qui est l’Église. Le Saint-Esprit opère dans toute l’Église ce que l’âme opère dans tous les membres d’un même corps ».

La voilà donc dégagée, cette notion à l’aide de laquelle nous nous rendrons compte de l’existence de l’Église et de ses opérations. L’Église est le corps du Christ, et en elle le Saint-Esprit est le principe de la vie. C’est lui qui l’anime, la conserve, agit en elle et par elle. Il est son âme, non plus seulement dans le sens restreint selon lequel nous avons parlé plus haut de l’âme de l’Église, c’est-à-dire son être intérieur qui est du reste en elle le produit de l’action du Saint-Esprit ; mais il est son âme en ce que toute sa vie intérieure et extérieure, et toute son opération, procèdent de lui. L’Église est impérissable, parce que l’amour qui a porté l’Esprit-Saint à habiter en elle durera toujours ; telle est la raison de cette perpétuité qui est le phénomène le plus étonnant en ce monde.

Mais il nous faut considérer maintenant cette autre merveille qui consiste dans la conservation de l’unité au sein de cette société. L’Époux, dans le divin Cantique, appelle l’Église « son unique ». Il n’a pas désiré plusieurs épouses ; l’Esprit-Saint aura donc dû veiller avec sollicitude sur l’accomplissement du dessein de l’Emmanuel. Suivons les traces de sa sollicitude pour obtenir un tel résultat. Est-il possible humainement qu’une société traverse dix-huit siècles sans avoir changé, sans avoir remanié son existence en mille façons, en supposant même que, sous un nom ou sous un autre, elle ait pu remplir une telle durée ? Songez que cette société, durant un si long espace de temps, n’a pu manquer de voir s’agiter dans son sein, sous mille formes, les passions humaines qui souvent entraînent tout après elles ; qu’elle a toujours été composée de races diverses de langage, de génie, de mœurs, tantôt éloignées les unes des autres au point de se connaître à peine, tantôt voisines mais divisées par des intérêts et même par des antipathies nationales ; que des révolutions politiques sans nombre ont modifié sans cesse, renversé même l’existence des peuples ; et cependant, partout où il a existé, partout où il existera des catholiques, l’unité demeure le caractère de ce corps immense et des membres qui le composent. Une même foi, un même symbole, une même soumission à un même chef visible, un même culte quant aux points essentiels, une même manière de trancher toute question par la tradition et l’autorité. Des sectes se sont élevées en chaque siècle ; toutes ont dit : « Je suis la vraie Église » ; et pas une seule n’a pu survivre aux circonstances qui l’avaient produite. Où sont maintenant les ariens avec leur puissance politique, les nestoriens, les eutychiens, les monothélites, avec leurs inépuisables subtilités ? Quoi de plus impuissant et de plus stérile que le schisme grec asservi soit au sultan, soit au moscovite ? Que reste-t-il du jansénisme épuisé par ses vains efforts pour se maintenir dans l’Église malgré l’Église ? et quant au protestantisme parti du principe de négation, ne l’a-t-on pas vu dès le lendemain brisé en morceaux, sans jamais pouvoir former une même société religieuse ? Et ne le voyons-nous pas aujourd’hui aux abois, incapable de retenir les dogmes qu’il avait regardés d’abord comme fondamentaux : l’inspiration des Écritures et la divinité de Jésus-Christ ?

En face de tant de ruines amoncelées, qu’elle est belle et radieuse dans son unité, notre mère la sainte Église catholique, l’Épouse unique de l’Emmanuel ! Les millions d’hommes qui l’ont composée, et qui la composent encore aujourd’hui, seraient-ils d’une autre nature que ceux qui se sont partagés entre les diverses sectes qu’elle a vues naître et mourir ? Orthodoxes ou hétérodoxes, ne sommes-nous pas tous membres de la même famille humaine, sujets aux mêmes passions et aux mêmes erreurs ? D’où vient aux fils de l’Église catholique cette consistance qui triomphe du temps, sur laquelle n’influe pas la dissemblance des races, qui survit à ces crises et à ces changements que n’ont pu prévenir ni la forte constitution des États, ni la résistance séculaire des nationalités ? Il faut en convenir, un élément divin est là qui résiste et qui maintient. L’âme de l’Église, l’Esprit-Saint, influe dans tous ses membres, et comme il est unique, il produit l’unité dans tout l’ensemble qu’il anime. Ne pouvant être contraire à lui-même, rien ne subsiste par lui qu’au moyen d’une entière conformité avec ce qu’il est. Nous avons ainsi la clef du grand problème.

Demain nous parlerons de ce que fait l’Esprit-Saint pour le maintien de la foi une et invariable dans tout le corps de l’Église ; arrêtons-nous aujourd’hui à le considérer comme principe d’union extérieure par la subordination volontaire à un même centre d’unité. Jésus avait dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église » ; mais Pierre devait mourir. La promesse n’avait donc pas pour objet sa personne seulement, mais toute la suite de ses successeurs jusqu’à la fin des siècles. Quelle étonnante et énergique action du divin Esprit produit ainsi, anneau par anneau, cette dynastie de princes spirituels arrivée à son deux cent soixante-troisième Pontife, et devant se poursuivre jusqu’au dernier jour du monde ! Aucune violence ne sera faite à la liberté humaine ; le divin Esprit lui laissera tout tenter ; mais il faut cependant qu’il poursuive sa mission. Qu’un Décius produise par ses violences une vacance de quatre ans sur le siège de Rome, qu’il s’élève des antipapes soutenus les uns par la faveur populaire, les autres par la politique des princes, qu’un long schisme rende douteuse la légitimité de plusieurs Pontifes, l’Esprit-Saint laissera s’écouler l’épreuve, il fortifiera, pendant qu’elle dure, la foi de ses fidèles ; enfin, au moment marqué, il produira son élu, et toute l’Église le recevra avec acclamation.

Pour comprendre tout ce que cette action surnaturelle renferme de merveilleux, il ne suffit pas d’apprécier les résultats extérieurs qu’elle produit dans l’histoire ; il faut la suivre dans ce qu’elle a d’intime et de mystérieux. L’unité de l’Église n’est pas du genre de cette unité que les conquérants établissent dans les pays qu’ils ont soumis, où l’on paie le tribut parce qu’il faut bien se soumettre à la force. Les membres de l’Église gardent l’unité dans la foi et dans la soumission, parce qu’ils se courbent avec amour sous un joug imposé à leur liberté et à leur raison. Mais qui donc captive ainsi l’orgueil humain sous une telle obéissance ? Qui donc fait trouver la joie et le contentement dans l’abaissement de toute prétention personnelle ? Qui donc dispose l’homme à mettre sa sécurité et son bonheur à disparaître comme individu dans cette unité absolue, et cela en des questions où le caprice humain s’est donné plus large carrière dans tous les temps ? N’est-ce pas le divin Esprit qui opère ce miracle multiple et permanent, qui anime et harmonise ce vaste ensemble, et qui, sans violence, fond dans l’unité d’un même concert les millions de cœurs et d’esprits qui forment l’Épouse « unique » du Fils de Dieu ?

Dans les jours de sa vie mortelle, Jésus demandait pour nous l’unité au Père céleste. « Qu’ils soient un, comme nous sommes un », disait-il. Il la prépare, en nous appelant à devenir ses membres ; mais pour opérer cette union, il envoie aux hommes son Esprit, cet Esprit divin qui est le lien éternel entre le Père et le Fils, et qui daigne, dans le temps, descendre jusqu’à nous, pour y réaliser cette unité ineffable qui a son type en Dieu même. Grâces vous soient donc rendues, divin Esprit, qui habitant ainsi dans l’Église de Jésus, nous inclinez miséricordieusement vers l’unité, qui nous la faites aimer, et nous disposez à tout souffrir plutôt que de la rompre. Fortifiez-la en nous, et ne permettez jamais qu’un défaut de soumission l’altère même légèrement. Vous êtes l’âme de la sainte Église ; gouvernez-nous comme des membres toujours dociles à votre impulsion ; car nous savons que nous ne saurions être à Jésus qui vous a envoyé, si nous n’étions à l’Église son Épouse et notre Mère, à cette Église qu’il a rachetée de son sang, et qu’il vous a donnée à former et à conduire.

Samedi prochain, l’Ordination des prêtres et des ministres sacrés aura lieu dans toute l’Église ; l’Esprit-Saint, dont le sacrement de l’Ordre est une des principales opérations, descendra dans les âmes qui lui seront présentées, et imprimera sur elles, par les mains du Pontife, le sceau du Sacerdoce ou du Diaconat. En présence d’un si grave intérêt, la sainte Église prescrit dès aujourd’hui à ses fidèles le jeûne et l’abstinence, pour obtenir de la miséricorde divine que l’effusion d’une telle grâce soit favorable à ceux qui la recevront et avantageuse à la société chrétienne.

A Rome, la Station est aujourd’hui dans la Basilique de Sainte-Marie-Majeure. Il était juste qu’un des jours de cette grande Octave vît les fidèles réunis sous les auspices de la Mère de Dieu, dont la participation au mystère de la Pentecôte a été si glorieuse et si favorable à l’Église naissante.

 

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Mardi de la Pentecôte

30 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

Mardi de la Pentecôte

Collecte

Nous vous en supplions, Seigneur, que la vertu du Saint-Esprit nous assiste : qu’elle purifie nos cœurs avec clémence, et qu’elle les protège contre toute adversité. Par N.-S... en l’unité du même

Lecture Ac. 8, 14-17

En ces jours-là, quand les apôtres, qui étaient à Jérusalem, eurent appris que les habitants de Samarie avaient reçu la parole de Dieu, ils leur envoyèrent Pierre et Jean, qui, étant venus, prièrent pour eux, afin qu’ils reçussent l’Esprit-Saint : car il n’était encore descendu sur aucun d’eux, mais ils avaient été seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors ils leur imposaient les mains, et ils recevaient l’Esprit-Saint.

Évangile Jn. 10, 1-10

En ce temps-là : Jésus dit aux Pharisiens : En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n’entre pas par la porte dans la bergerie des brebis, mais qui y monte par ailleurs, est un voleur et un larron. Mais celui qui entre par la porte est le pasteur des brebis. A celui-ci le portier ouvre, et les brebis entendent sa voix ; il appelle ses propres brebis par leur nom, et il les fait sortir. Et lorsqu’il a fait sortir ses propres brebis, il va devant elles ; et les brebis le suivent, parce qu’elles connaissent sa voix. Elles ne suivent point un étranger, mais elles le fuient ; car elles ne connaissent pas la voix des étrangers. Jésus leur dit cette parabole, mais ils ne comprirent pas de quoi il leur parlait. Jésus leur dit donc encore : En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus sont des voleurs et des larrons, et les brebis ne les ont point écoutés. Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé ; il entrera, et il sortira, et il trouvera des pâturages. Le voleur ne vient que pour voler, égorger et détruire. Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, et qu’elles l’aient plus abondamment.

Secrète

Nous vous en supplions, Seigneur, que l’offrande du présent sacrifice nous purifie et nous rende dignes d’y participer saintement.

Office

1ère leçon

Homélie de saint Augustin, Évêque.

Le Seigneur nous a proposé, dans la lecture d’aujourd’hui, une parabole relative à son troupeau et à la porte par laquelle on entre dans la bergerie. Que les païens disent donc : Nous nous conduisons bien. S’ils n’entrent point par la porte, à quoi leur sert ce dont ils se font gloire ? Bien vivre doit servir à chacun à obtenir le don d’une vie qui ne finit point ; car à celui à qui il n’est pas donné de vivre toujours, à quoi sert-il de bien vivre ? Il ne faut pas dire qu’ils vivent bien ceux qui, par aveuglement, ne connaissent pas la fin d’une vie bonne, ou la méprisent par orgueil. Personne ne peut avoir l’espérance véritable et certaine de vivre toujours, s’il ne connaît préalablement la vie, c’est-à-dire le Christ, et s’il n’entre dans la bergerie par la porte.

2e leçon

Les hommes dont nous parlons cherchent donc le plus souvent à persuader aussi à leurs semblables de mener une vie honnête, sans être pour cela chrétiens. Ils veulent pénétrer par un autre endroit, enlever les brebis et les tuer, n’agissant pas comme le bon |pasteur, qui veut les conserver et les sauver. Il s’est trouvé des philosophes dissertant longuement avec subtilité sur les vertus et les vices ; distinguant, définissant, tirant des conclusions de raisonnements très ingénieux, remplissant des livres, vantant leur sagesse avec grand bruit ; ces philosophes sont allés jusqu’à oser dire aux hommes : Suivez-nous, attachez-vous à notre secte, si vous voulez vivre heureux. Mais ils n’entraient pas par la porte : ils voulaient perdre, immoler et mettre à mort.

3e leçon

Que dirai-je des Juifs ? Les Pharisiens eux-mêmes lisaient les Écritures, et en ce qu’ils lisaient, ils célébraient le Christ, ils espéraient sa venue, et ils ne le reconnaissaient pas, lui qui était présent. Ils se vantaient aussi d’être du nombre des Voyants, c’est-à-dire du nombre des sages, et ils niaient le Christ et n’entraient point par la porte. Eux aussi, par conséquent, s’ils parvenaient à en séduire quelques-uns, les attiraient non pour les délivrer, mais pour les immoler et les tuer. Laissons-les donc également : voyons si ceux-ci au moins qui se glorifient du nom du Christ entrent par la porte. Ils sont innombrables ceux qui non seulement se vantent d’être des voyants, mais veulent être considérés comme illuminés par le Christ : ce sont les hérétiques.

Nous avons admiré l’œuvre du Saint-Esprit accomplissant dans le monde, par les Apôtres et par ceux qui vinrent après eux, la conquête du genre humain au nom de Jésus à qui « toute puissance a été donnée au ciel et sur la terre ». La langue de feu a vaincu, et le Prince du monde, en dépit de ses fureurs, a vu crouler ses autels et tomber son pouvoir. Voyons la suite des œuvres de ce divin Esprit pour la glorification du Fils de Dieu qui l’a envoyé aux hommes.

L’Emmanuel était descendu ici-bas cherchant dans son amour l’Épouse qu’il avait désirée de toute éternité. Il l’épousa d’abord en prenant la nature humaine et l’unissant indissolublement à sa personne divine ; mais cette union individuelle ne suffisait pas à son amour. Il daignait aspirer à posséder la race humaine tout entière ; il lui fallait son Église, « son unique », comme il l’appelle au divin Cantique son Église formée de l’élite de tous les peuples, « pleine de gloire, n’ayant ni tache ni ride, mais sainte et immaculée ». Il trouvait la race humaine souillée par le péché, indigne de célébrer avec lui les noces augustes auxquelles il la conviait. Son amour cependant n’hésita pas. Il déclara qu’il était l’Époux annoncé dans l’Épithalame sacré ; il lava dans son propre sang les souillures de sa fiancée, et lui attribua en dot les mérites infinis qu’il avait conquis.

L’ayant ainsi préparée pour lui-même, il voulut que son union avec lui fût la plus intime qui pût être. Jésus et son Église sont un seul corps ; il est la tête, elle est l’ensemble des membres réunis dans l’unité sous cet unique chef. C’est la doctrine de l’Apôtre : « Le Christ est la tête de l’Église ; nous sommes les membres de son corps, nous sommes de sa chair et de ses os ». Ce corps se formera par l’accession successive des fils de la race humaine qui, prévenus du secours surnaturel de la grâce, voudront en faire partie ; et ce monde que nous habitons sera conservé jusqu’à ce que le dernier élu qui manquait encore à l’intégralité du corps mystérieux du Fils de Dieu soit venu s’y réunir pour l’éternité. Alors tout sera consommé, et la dernière des conséquences de la divine incarnation sera remplie.

Or, de même que dans le Verbe incarné l’humanité est composée d’une âme invisible et d’un corps visible, ainsi l’Église sera à la fois une âme et un corps : une âme dont l’œil seul de Dieu pourra contempler ici-bas toute la beauté ; un corps qui attirera les regards des hommes, et sera le témoignage éclatant de la puissance de Dieu et de l’amour qu’il porte à la race humaine. Jusqu’aux jours où nous sommes, les justes appelés à être réunis sous le divin Chef avaient seulement appartenu à l’âme de l’Église ; car le corps n’existait pas encore. Le Père céleste les avait adoptés pour ses enfants, le Fils de Dieu les avait acceptés pour ses membres, et l’Esprit-Saint, dont nous allons voir désormais l’action extérieure, avait opéré intimement leur élection et leur consommation. Le point de départ du nouvel ordre de choses est en Marie. En elle d’abord, ainsi que nous l’avons enseigné dans une des semaines précédentes, résida l’Église complète, âme et corps. Celle qui devait être aussi réellement la Mère du Fils de Dieu selon l’humanité, que le Père céleste en est le Père selon la divinité, devait être dans Tordre des temps, comme dans la mesure des grâces, supérieure à tout ce qui avait précédé et à tout ce qui devait suivre.

L’Emmanuel voulut aussi poser lui-même, en dehors de sa mère bien-aimée, les assises de son Église. Il en plaça de ses mains divines la Pierre fondamentale, il en éleva les colonnes, et nous avons vu comment il employa les quarante jours qui précédèrent son Ascension à l’organisation de cette Église encore si restreinte, mais qui devait un jour couvrir le monde entier. Il annonça qu’il serait avec les siens « jusqu’à la consommation des siècles » ; c’était promettre que, lors même qu’il serait monté au ciel, la race de ses disciples se perpétuerait jusqu’à la fin des temps.

Pour l’accomplissement de son œuvre qu’il n’avait qu’ébauchée, il comptait sur le divin Esprit. Il était même nécessaire que cet Esprit-Saint descendît pour perfectionner et confirmer les élus de l’Emmanuel. Il devait être leur Paraclet, leur Consolateur, après le départ de leur Maître ; il était la Vertu d’en haut qui devait les protéger comme une armure dans leurs combats ; il devait leur remettre en mémoire les enseignements de leur Maître ; il devait féconder de son action les Sacrements que Jésus avait institués, et dont le pouvoir était en eux par le caractère qu’il avait imprimé à leurs âmes. Voilà pourquoi il leur dit : « Il vous est avantageux que je m’en aille ; car si je ne m’en allais pas, le Paraclet ne viendrait pas vers vous. » Au jour de la Pentecôte, nous avons vu le divin Esprit opérer sur la personne des Apôtres et des disciples ; maintenant il nous faut le voir à l’œuvre dans la création, dans le maintien et le perfectionnement de cette Église que Jésus a promis d’assister de sa présence mystérieuse « jusqu’à la consommation des siècles ».

La première opération de l’Esprit-Saint dans l’Église est l’élection des membres qui doivent la composer. Ce droit de l’élection lui est tellement personnel que, selon la parole du livre sacré, les disciples mêmes que Jésus s’était choisis pour être les bases de son Église, il les avait élus « avec le concours de l’Esprit-Saint ». Dès le jour même de la Pentecôte, nous avons vu ce divin Esprit débuter par l’élection de trois mille personnes. Peu de jours après, cinq mille autres sont attirées, ayant entendu la prédication de Pierre et de Jean sous les portiques du temple. Après les Juifs, la gentilité a son tour ; et l’Esprit-Saint, ayant conduit Pierre auprès du centurion Corneille, fond tout à coup sur ce Romain et sur ses gens, les déclarant ainsi élus pour l’Église et appelés au baptême. La sainte Liturgie nous faisait lire ce récit hier encore dans la solennité de la Messe.

A la suite de ces débuts, qui pourrait suivre la marche impétueuse de cet Esprit que rien n’arrête ? « Le bruit de ses envoyés parcourt la terre entière, et leur parole retentit jusqu’aux extrémités du monde ». L’Esprit les précède et les accompagne, et c’est lui qui fait la conquête pendant qu’ils parlent. On n’est encore qu’au commencement du IIIe siècle, et un écrivain chrétien peut dire aux magistrats de l’empire romain : « Nous sommes d’hier, et nous remplissons toute vos villes, vos municipes, vos camps, le palais, le sénat, le forum ». Rien ne résiste à l’Esprit ; trois siècles sont loin encore d’être écoulés depuis la manifestation du jour de la Pentecôte, et ce sont les Césars eux-mêmes que l’Esprit choisit pour en faire des membres de l’Église.

Ainsi se forme d’heure en heure l’Épouse que Jésus attend, et dont il contemple avec amour, du haut du ciel, la croissance et les développements. Dans les premières années du IVe siècle, cette Église, œuvre du Saint-Esprit, dépasse les limites de l’empire romain ; et si dans cet empire lui-même, il est ça et là des groupes païens qui tiennent encore, tous du moins ont entendu parler d’elle, et la haine qu’ils lui portent témoigne assez des progrès qu’elle fait sous leurs yeux.

Mais n’allons pas croire que le rôle de l’Esprit-Saint se borne à assurer l’établissement de l’Église sur les ruines de l’empire païen. Jésus veut une Épouse immortelle, toujours plus connue par sa présence en tous lieux et en tous temps, toujours supérieure à toute autre division de la race humaine par l’étendue de son empire et le nombre de ses sujets.

Le divin Esprit ne saurait donc s’arrêter dans l’accomplissement de sa mission. Si Dieu a résolu de submerger l’empire coupable sous l’inondation des barbares, c’est un nouveau triomphe préparé pour l’Esprit. Laissez-le pénétrer et agiter doucement cette masse formidable. Il a là ses élus, et par millions. Il avait renouvelé la face de la terre païenne ; il renouvelle la face du monde devenu barbare. Les coopérateurs qu’il se prépare lui-même ne lui feront pas défaut. Il crée sans fin de nouveaux apôtres, et puissant comme il est, il en emploie de tout genre à son œuvre. Les Clotilde, les Berthe, les Théodelinde, les Hedwige et tant d’autres, sont à ses ordres : parée de leurs royales mains, l’Épouse de Jésus croît toujours plus jeune et plus belle.

Si de vastes continents en Europe n’ont pas encore été associés au mouvement, c’est qu’il fallait d’abord consolider l’œuvre dans les régions où les chrétientés de la première époque avaient été comme submergées sous le torrent de l’invasion. Mais voici qu’à partir de la fin du VIe siècle, le divin Esprit lance tour à tour sur l’île des Bretons, sur la Germanie, sur les races Scandinaves, sur les pays slaves, les Augustin, les Boniface, les Anschaire, les Adalbert, les Cyrille, les Méthodius, les Othon. Servie par ces nobles instruments de l’Esprit-Saint, l’Épouse répare les pertes qu’elle a subies dans l’Orient, où le schisme et l’hérésie ont successivement rétréci son héritage primitif. Celui qui, étant Dieu comme le Père et le Fils, a reçu pour mission de la maintenir dans ses honneurs, veille fidèlement à sa garde.

Et en effet, lorsqu’une défection plus désastreuse encore est à la veille d’éclater en Europe par la prétendue réforme, l’Esprit-Saint a déjà pris les devants. Les Indes orientales sont devenues tout à coup la conquête de la nation très fidèle ; un nouveau monde occidental est sorti des eaux, et forme un nouvel apanage au royaume catholique. C’est alors que le divin Esprit, toujours jaloux de maintenir dans sa dignité et dans sa plénitude le dépôt que lui a confié le Verbe incarné, suscite de nouveaux envoyés pour aller porter sur ces plages immenses le nom de celui qui est l’Époux, et qui sourit du haut du ciel aux accroissements qu’obtient l’Épouse. François Xavier est donné aux Indes orientales ; ses frères, joints aux fils de Dominique et de François, défrichent avec une indomptable persévérance l’héritage que les Indes occidentales offrent à l’Église.

Mais si plus tard la vieille Europe, trop crédule à des docteurs de mensonge, semble repousser cette noble reine qui est aimée du Fils éternel de Dieu ; si, trahie et dépouillée, calomniée et privée de ses droits, cette sainte Église doit être en butte à ceux qui longtemps furent ses fils, tenez pour certain que le divin Esprit ne la laissera pas manquer à ses destinées. Voyez plutôt ses œuvres en nos jours. D’où viennent, si ce n’est de son souffle, ces vocations à l’apostolat plus nombreuses d’année en année ? Tandis que d’un côté les retours des hérétiques à l’antique foi sont plus fréquents qu’ils ne l’ont jamais été, toutes les régions infidèles sont visitées par le flambeau de l’Évangile. Notre siècle a revu les martyrs, il a entendu les interrogatoires des proconsuls chinois et annamites, il a recueilli dans son admiration les réponses des confesseurs dictées par l’Esprit-Saint, selon la promesse du Maître. L’extrême Orient donne ses élus, les nègres de l’Afrique sont évangélisés ; et si une cinquième partie de la terre s’est révélée, elle possède déjà de nombreux fidèles sous une hiérarchie de pasteurs légitimes.

Soyez donc béni, divin Esprit, qui veillez avec tant de sollicitude sur l’Épouse chérie de Jésus ! Elle n’a pas défailli un seul jour, grâce à votre action constante et jamais lassée. Vous n’avez pas laissé passer un siècle sans susciter des apôtres pour l’enrichir de leurs conquêtes ; sans cesse vous avez sollicité par votre grâce les esprits et les cœurs de se donner à elle ; en toute race, en tous les siècles, vous avez élu vous-même les innombrables fidèles dont elle se compose. Comme elle est notre mère et que nous sommes ses fils, comme elle est l’Épouse de notre divin Chef auquel nous espérons nous réunir en elle, en opérant pour la gloire du Fils de Dieu qui vous a envoyé sur la terre, ô divin Esprit, vous avez daigné travailler pour nous, humbles et pécheresses créatures. Nous vous offrons nos faibles actions de grâces pour tant de bienfaits.

Notre Emmanuel nous a révélé que vous devez demeurer ainsi avec nous jusqu’à la fin des temps, et nous comprenons maintenant la nécessité de votre présence, ô divin Esprit ! Vous dirigez la formation de l’Épouse, vous la maintenez, vous la rendez victorieuse de toutes les attaques, vous la transportez d’une région dans l’autre, lorsque le sol qu’elle foule n’est plus digne de la porter ; vous êtes son vengeur contre ceux qui l’outragent, et vous le serez jusqu’au dernier jour.

Mais cette noble Épouse d’un Dieu ne doit pas toujours demeurer ainsi exilée loin de son Époux. De même que Marie resta plusieurs années sur la terre, afin d’y travailler à la gloire de son fils, et fut enfin enlevée aux cieux pour y régner avec lui ; ainsi l’Église demeurera militante ici-bas durant les siècles qui sont nécessaires pour arriver au complément du nombre des élus. Mais nous savons qu’un temps doit venir dont il est écrit : « Les noces de l’Agneau sont venues, et son Épouse s’est préparée. On lui a donné un vêtement de fin lin d’une blancheur éblouissante, et le tissu en est composé des vertus des saints qu’elle a formés ». En ces derniers jours, l’Épouse, toujours belle et digne de l’Époux, ne croîtra plus ; elle diminuera même ici-bas, en proportion de ce qu’elle grandira triomphante au ciel. Autour d’elle, sur la terre, la défection prédite par saint Paul se fera sentir ; les hommes la laisseront seule, ils courront vers le Prince du monde qui sera délié « pour un peu de temps », et vers la bête à laquelle « il sera donné de faire la guerre aux saints et même de les vaincre ». Les dernières heures de l’Épouse ici-bas seront dignes d’elle ; vous soutiendrez notre mère, ô divin Esprit, jusqu’à l’arrivée de l’Époux. Mais après l’enfantement du dernier élu, l’Esprit et l’Épouse s’uniront dans un même cri : « Venez ! diront-ils ». Alors l’Emmanuel paraîtra sur les nuées du ciel, la mission de l’Esprit sera terminée, et l’Épouse, « appuyée sur son bien-aimé », s’élèvera de cette terre ingrate et stérile vers le ciel où l’attendent les noces de l’éternité.

ÉVANGILE.

En proposant ce passage de l’Évangile aux néophytes de la Pentecôte, l’Église voulait les prémunir contre un danger qui pouvait se présenter à eux dans le cours de leur vie. Au moment où nous sommes, ils sont les heureuses brebis de Jésus le bon Pasteur, et ce divin Pasteur est représenté auprès d’eux par des hommes qu’il a investis lui-même de la charge de paître ses agneaux. Ces hommes ont reçu de Pierre leur mission, et celui qui est avec Pierre est avec Jésus. Mais il est arrivé souvent que de faux pasteurs se sont introduits dans la bergerie, et le Sauveur les qualifie de voleurs et de larrons, parce qu’au lieu d’entrer par la porte, ils ont escaladé les clôtures de la bergerie. Il nous dit qu’il est lui-même la Porte par laquelle doivent passer ceux qui ont le droit de paître ses brebis. Tout pasteur, pour n’être pas un larron, doit avoir reçu la mission de Jésus, et cette mission ne peut venir que par celui qu’il a établi pour tenir sa place, jusqu’à ce qu’il vienne lui-même.

L’Esprit-Saint a répandu ses dons divins dans les âmes de ces nouveaux chrétiens ; mais les vertus qui sont en eux ne peuvent s’exercer de manière à mériter la vie éternelle qu’au sein de l’Église véritable. Si, au lieu de suivre le pasteur légitime, ils avaient le malheur de se livrer à de faux pasteurs, toutes ces vertus deviendraient stériles. Ils doivent donc fuir comme un étranger celui qui n’a pas reçu sa mission du Maître qui seul peut les conduire aux pâturages de la vie. Souvent, dans le cours des siècles, il s’est rencontré des pasteurs schismatiques ; le devoir des fidèles est de les fuir, et tous les enfants de l’Église doivent être attentifs à l’avertissement que notre Seigneur leur donne ici. L’Église qu’il a fondée et qu’il conduit par son divin Esprit a pour caractère d’être Apostolique. La légitimité de la mission des pasteurs se manifeste par la succession ; et parce que Pierre vit dans ses successeurs, le successeur de Pierre est la source du pouvoir pastoral. Qui est avec Pierre est avec Jésus-Christ.

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Lundi de la Pentecôte

29 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

Lundi de la Pentecôte

Collecte

Dieu, vous avez donné le Saint-Esprit à vos Apôtres : concédez à votre peuple l’effet de sa pieuse demande ; pour donner aussi la paix à ceux auxquels vous avez donné la foi. Par N.-S... en l’unité du même.

Lecture

Lecture des Actes des Apôtres. — En ces jours-là, Pierre prenant la parole, dit : mes frères, le Seigneur nous a ordonné de prêcher et d’attester au peuple que c’est lui qui a été établi par Dieu juge des vivants et des morts. Tous les prophètes lui rendent témoignage que tous ceux qui croient en lui reçoivent par son nom la rémission des péchés. Tandis que Pierre prononçait encore ces mots, l’Esprit-Saint descendit sur tous ceux qui écoutaient la parole. Et les fidèles de la circoncision qui étaient venus avec Pierre furent frappés d’étonnement de ce que la grâce de l’Esprit-Saint se répandait aussi sur les Gentils. Car ils les entendaient parler diverses langues et glorifier Dieu. Alors Pierre dit : Est-ce qu’on peut refuser l’eau, et empêcher de baptiser ceux qui ont reçu l’Esprit-Saint comme nous ? Et il ordonna de les baptiser au nom du Seigneur Jésus-Christ.

Évangile Jn. 3, 16-21

En ce temps-là : Jésus dit à Nicodème : Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais afin que le monde soit sauvé par lui. Celui qui croit en lui n’est pas jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il ne croit pas au nom du Fils unique de Dieu. Or voici quel est le jugement : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal hait la lumière, et ne vient point à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient condamnées. Mais celui qui agit selon la vérité vient à la lumière, afin que ses œuvres soient manifestées, parce que c’est en Dieu qu’elles sont faites.

Office

1ère leçon

Homélie de saint Augustin, Évêque.

Le médecin vient guérir le malade, autant qu’il est en lui. Celui qui refuse d’observer les prescriptions du médecin se donne à lui-même la mort. Le Sauveur est venu dans le monde. Pourquoi a-t-il été appelé Sauveur du monde, sinon parce qu’il est venu pour sauver le monde et non pour le juger ? Tu ne veux pas être sauvé par lui, tu seras jugé par l’effet de ta volonté même. Que dis-je, tu seras jugé ? Écoute ce qu’il dit : « Celui qui croit en lui n’est point jugé, mais qui ne croit point » ; que penses-tu qu’il va dire ? n’est-ce pas qu’il sera jugé ? Voici ce qu’il ajoute : « Il est déjà condamné. » Le jugement n’a pas encore été publié, et déjà la sentence est prononcée.

2e leçon

Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui, il connaît ceux qui doivent demeurer pour la couronne, ceux qui doivent demeurer pour les flammes. Il connaît dans son aire le froment, il connaît aussi la paille ; il connaît le bon grain, il distingue aussi l’ivraie. « Celui qui ne croit pas est déjà jugé ». Pourquoi ? « Parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu. Or, voici la cause de ce jugement, c’est que la lumière est venue dans le monde et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière : leurs œuvres en effet étaient mauvaises » Mes frères, quels sont ceux dont les œuvres ont été trouvées bonnes par le Seigneur ? Il n’y en a pas. Il a trouvé leurs œuvres à tous, mauvaises. Comment donc quelques-uns ont-ils agi selon la vérité et sont-ils venus à la lumière, comme l’indiquent les paroles suivantes : « Celui qui accomplit la vérité vient à la lumière »

3e leçon

« Les hommes, dit le Seigneur, ont mieux aimé les ténèbres que la lumière. » Là se trouve la force du raisonnement. Il en est beaucoup, en effet, qui ont aimé leurs péchés, il en est beaucoup qui les ont confessés ; celui qui confesse ses péchés et s’en accuse, agit conjointement avec Dieu. Dieu accuse tes péchés ; si toi aussi tu les accuses, tu te joins à Dieu. L’homme et le pécheur sont comme deux choses distinctes. Tu m’entends nommer l’homme, il est l’ouvrage de Dieu ; tu m’entends nommer le pécheur, il est l’ouvrage de l’homme. Détruis ce que tu as fait, afin que Dieu sauve ce qu’il a fait lui-même. Il faut que tu haïsses en toi ton œuvre, et que tu aimes en toi l’œuvre de Dieu. Lorsque ce que tu as fait aura commencé à te déplaire, l’accusation du mal que tu as commis sera le commencement de tes bonnes œuvres. Le commencement des bonnes œuvres, c’est l’aveu des œuvres mauvaises.

Hier L’Esprit-Saint a pris possession du monde, et ses débuts dans la mission qu’il a reçue du Père et du Fils ont annoncé sa puissance sur les cœurs, et ont préludé avec éclat à ses conquêtes futures. Nous allons suivre respectueusement sa marche et ses opérations sur cette terre qui lui a été confiée ; la succession des jours d’une si solennelle Octave nous permettra de signaler tour à tour ses œuvres dans l’Église et dans les âmes.

Jésus, notre Emmanuel, est le Roi du monde ; il a reçu de son Père les nations en héritage. Il nous a déclaré lui-même que « toute puissance lui a été donnée au ciel et sur la terre . Mais il est monté au ciel avant que son empire fût établi ici-bas. Le peuple d’Israël lui-même auquel il a fait entendre sa parole, sous les yeux duquel il a opéré les prodiges qui attestaient sa mission, ce peuple l’a renié et a cessé d’être son peuple. Quelques-uns de ses membres seulement l’ont accepté et l’accepteront encore ; mais la masse d’Israël confirme le cri sacrilège de ses pontifes : « Nous ne voulons pas que celui-là règne sur nous ».

La gentilité est tout aussi éloignée d’accepter le fils de Marie pour son maître. Elle ignore profondément sa personne, sa doctrine, sa mission. Les traditions antiques de la religion primitive se sont graduellement effacées. Le culte de la matière a envahi le monde civilisé comme le monde barbare, et l’adoration est prodiguée à toute créature. La morale est altérée jusque dans ses sources les plus sacrées et les plus inviolables. La raison s’est obscurcie chez cette minorité imperceptible qui se fait gloire du nom de philosophes ; « ils se sont évanouis dans leurs pensées, et leur cœur insensé s’est aveuglé ». Les races humaines déracinées ont été mêlées successivement par la conquête. Tant de bouleversements n’ont laissé chez les peuples que l’idée de la force, et le colossal empire romain dominé par César pèse de tout son poids sur la terre. C’est le moment que le Père céleste a choisi pour envoyer son Fils en ce monde. Il n’y a pas place pour un roi des intelligences et des cœurs ; et cependant il faut que Jésus règne sur les hommes et que son règne soit accepté.

En attendant, un autre maître s’est présenté, et les peuples l’ont accueilli avec acclamation. C’est Satan, et son empire est si fortement établi que Jésus lui-même l’appelle le Prince de ce monde. Il faut qu’il soit « jeté dehors » ; il s’agit de le chasser de ses temples, de l’expulser des mœurs, de la pensée, de la littérature, des arts, de la politique ; car il possède tout. Ce n’est pas seulement l’humanité dépravée qui résiste ; c’est le fort armé qui la regarde comme son domaine, et qui ne cédera pas devant une force créée.

Tout est donc contre le règne du Christ, et rien pour lui. Que sert à l’impiété moderne de dire, contre l’évidence des faits, que le monde était prêt pour une si complète révolution ? Comme si tous les vices et toutes les erreurs étaient une préparation à toutes les vertus et à toutes les vérités ! comme s’il suffisait à l’homme vicieux de sentir le malheur, pour comprendre que son malheur vient de ce qu’il est dans le mal, pour se résoudre à devenir tout d’un coup, et au prix de tous les sacrifices, un héros de vertu !

Non, pour que Jésus régnât sur ce monde pervers, il fallait un miracle et le plus grand de tous les miracles, un prodige qui, comme le dit Bossuet, n’a de terme de comparaison qu’avec l’acte créateur qui a fait sortir les êtres du néant. Or, ce prodige, qui l’a fait, sinon le divin Esprit ? C’est lui-même qui a voulu que nous qui n’avons pas vu le Seigneur Jésus, nous fussions rendus aussi certains de sa nature divine et de sa mission de Sauveur, que si nous eussions été témoins de ses miracles et auditeurs de ses enseignements. C’est dans ce but qu’a été opéré ce prodige des prodiges, cette conversion du monde, dans laquelle « Dieu a choisi ce qu’il y avait de plus faible dans le monde pour renverser ce qui était fort, ce qui n’était pas pour détruire ce qui était ». C’est dans ce fait immense et plus lumineux que le soleil, que l’Esprit-Saint a rendu sa présence visible, qu’il s’est affirmé lui-même. Voyons par quels moyens il s’y est pris pour assurer le règne de Jésus sur le monde. Retournons d’abord au Cénacle. Considérez ces hommes revêtus maintenant de la Vertu d’en haut. Qu’étaient-ils tout à l’heure ? Des gens sans influence, de condition vile, sans lettres, d’une faiblesse connue. N’est-il pas vrai que l’Esprit-Saint en a fait tout à coup des hommes éloquents et du plus haut courage, des hommes que le monde connaîtra bientôt, et qui remporteront sur lui une victoire devant laquelle pâliront les triomphes des plus glorieux conquérants ? Il faut bien que l’incrédulité l’avoue, le fait est par trop évident : le monde a été transformé, et cette transformation est l’œuvre de ces pauvres juifs du Cénacle. Ils ont reçu le Saint-Esprit en ce jour de la Pentecôte, et cet Esprit a accompli par eux tout ce qu’il avait à accomplir. Il leur a donné trois choses en ce jour : la parole figurée par les langues, l’ardeur de l’amour représentée par le feu, et le don des miracles qu’ils exercent tout aussitôt. La parole est le glaive dont ils sont armés, l’amour est l’aliment du courage qui leur fera tout braver, et par le miracle ils forceront l’attention des hommes. Tels sont les moyens devant lesquels le Prince du monde sera réduit à capituler, par lesquels le règne de l’Emmanuel s’établira dans son domaine, et ces moyens procèdent tous de l’Esprit-Saint.

Mais il ne borne pas là son action. Il ne suffit pas que les hommes entendent retentir la parole, qu’ils admirent le courage, qu’ils voient des prodiges. Il ne suffit pas qu’ils entrevoient la splendeur de la vérité, qu’ils sentent la beauté de la vertu, qu’ils reconnaissent la honte et le crime de leur situation. Pour arriver à la conversion du cœur, pour reconnaître un Dieu dans ce Jésus qu’on va leur prêcher, pour l’aimer et se vouer à lui dans le baptême et jusqu’au martyre, s’il le faut, il est nécessaire que le Saint-Esprit intervienne. Lui seul, comme parle le Prophète, peut enlever de leur poitrine le cœur de pierre et y substituer un cœur de chair capable d’éprouver le sentiment surnaturel de la foi et de l’amour. L’Esprit divin accompagnera donc partout ses envoyés ; à eux l’action visible, à lui l’action invisible ; et le salut pour l’homme résultera de ce concours. Il faudra que l’une et l’autre action s’exercent sur chaque individu, que la liberté de chaque individu acquiesce et se rende à la prédication extérieure de l’apôtre et à la touche intérieure de l’Esprit. Certes, c’est un grand œuvre d’entraîner la race humaine à confesser Jésus son seigneur et roi ; la volonté perverse résistera longtemps ; mais qu’il s’écoule seulement trois siècles, et le monde civilisé se rangera autour de la croix du Rédempteur.

Il était juste que l’Esprit-Saint et ses envoyés s’adressassent d’abord au peuple de Dieu. Ce peuple « avait reçu en dépôt les divins oracles » ; il avait fourni le sang de la rédemption. Jésus avait déclaré qu’il était envoyé « pour les brebis perdues de la maison d’Israël ». Pierre, son vicaire, devait hériter de cette gloire d’être l’Apôtre du peuple circoncis ; bien que la gentilité, en la personne de Corneille le Centurion, dût être par lui introduite dans l’Église, et l’émancipation des gentils baptisés proclamée par lui dans l’assemblée de Jérusalem. Mais l’honneur était dû d’abord à la famille d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ; voilà pourquoi notre première Pentecôte est juive, pourquoi nos premiers ancêtres en ce jour sont juifs. C’est sur la race d’Israël que l’Esprit-Saint répand d’abord ses dons ineffables.

Voyez-les maintenant partir de Jérusalem ces juifs qui ont reçu la parole, et dont le saint baptême a fait de véritables enfants d’Abraham. La solennité passée, ils retournent dans les provinces de la gentilité qu’ils habitent, portant dans leurs cœurs Jésus qu’ils ont reconnu pour le Messie roi et sauveur. Saluons ces prémices de la sainte Église, ces trophées de l’Esprit divin, ces porteurs de la bonne nouvelle. Ils ne tarderont pas à voir arriver les hommes du Cénacle qui se tourneront vers les gentils, après l’inutile sommation faite à l’orgueilleuse et ingrate Jérusalem.

Une faible minorité dans la nation juive a donc consenti à reconnaître le fils de David pour l’héritier du Père de famille ; la masse est demeurée rebelle et court obstinément à sa perte. Comment qualifier son crime ? Etienne, le Protomartyr, nous l’apprend. S’adressant à ces indignes fils d’Abraham : « Hommes à la tête dure, leur dit-il, cœurs et oreilles incirconcis, vous résistez continuellement au Saint-Esprit ». Un si coupable refus d’obéir chez la nation privilégiée donne le signal de la migration des Apôtres vers la gentilité. L’Esprit Saint ne les quitte plus, et c’est désormais sur les peuples assis dans les ombres de la mort qu’il va épancher les torrents de la grâce que Jésus a mérités aux hommes par son Sacrifice sur la croix.

Ils s’avancent, ces porteurs de la parole de vie, vers les régions païennes. Tout s’arme contre eux, mais ils triomphent de tout. L’Esprit qui les anime féconde en eux ses dons. Il agit en même temps sur les âmes de leurs auditeurs, la foi en Jésus se répand avec rapidité ; et bientôt Antioche, puis Rome, puis Alexandrie, voient s’élever en leur sein une population chrétienne. La langue de feu parcourt le monde ; elle ne s’arrête même pas aux limites de l’empire romain, prédestiné, selon les divins Prophètes, à servir de base à l’empire du Christ. Les Indes, la Chine, l’Éthiopie et cent peuples lointains entendent la voix des Évangélistes de la paix. Mais il ne leur faut pas seulement rendre témoignage par la parole à la royauté de leur Maître ; ils lui doivent aussi le témoignage du sang. Ils ne seront pas en retard. Le feu qui les embrasa au Cénacle les consume dans l’holocauste du martyre.

Admirons ici la puissance et la fécondité du divin Esprit. A ces premiers envoyés il fait succéder une génération nouvelle. Les noms sont changés, mais l’action continue et continuera jusqu’à la fin des temps, parce qu’il faut que Jésus soit reconnu sauveur et maître de l’humanité, et que l’Esprit Saint a été envoyé pour opérer cette reconnaissance sur la terre. Le Prince de ce monde, « l’ancien serpent », s’agite avec violence pour arrêter les conquêtes des envoyés de l’Esprit. Il a crucifié Pierre, tranché la tête à Paul, immolé leurs compagnons ; mais lorsque ces nobles chefs ont disparu, son orgueil est soumis à une épreuve plus dure encore. C’est un peuple entier qu’a produit le mystère de la Pentecôte ; la semence apostolique a germé dans des proportions immenses. La persécution de Néron a pu abattre les chefs juifs du nouveau peuple ; mais voici maintenant la gentilité elle-même établie dans l’Église. Ainsi que nous le chantions hier en triomphe, « l’Esprit du Seigneur a rempli la terre entière ». Nous voyons, dès la fin du premier siècle, le glaive de Domitien sévir jusque sur les membres de la famille impériale. Bientôt les Trajan, les Adrien, les Antonin, les Marc-Aurèle, épouvantés du compétiteur Jésus de Nazareth, s’élancent sur son troupeau ; mais c’est en vain. Le Prince du monde les avait armés de la politique et de la philosophie ; l’Esprit-Saint dissout tous ces faux prestiges, et la vérité s’étend toujours plus sur la surface du monde. A ces sages succèdent des tyrans forcenés, un Sévère, un Décius, un Gallus, un Valérien, un Aurélien, un Maximien ; le carnage s’étend à tout l’empire, parce que les chrétiens y sont partout. Enfin l’effort suprême du Prince du monde est dans l’effroyable persécution décrétée par Dioclétien et les farouches Césars qui partagent le pouvoir avec lui. Ils avaient résolu l’extermination du christianisme, et ce sont eux-mêmes qui, après avoir répandu des torrents de sang, s’affaissent dans le désespoir et l’ignominie. Qu’ils sont magnifiques vos triomphes, ô divin Esprit ! Qu’il est surhumain l’empire du Fils de Dieu, lorsque vous l’établissez ainsi à l’encontre de toutes les résistances de la faiblesse et de la perversité humaines, à la face de Satan dont le règne semblait pour jamais consolidé sur la terre ! Mais vous aimez le futur troupeau du Rédempteur, et vous répandez dans des millions d’âmes l’attrait pour une vérité qui exige de si redoutables sacrifices. Vous renversez les prétextes d’une vaine raison par des prodiges innombrables, et échauffant ensuite par l’amour ces cœurs arrachés à la concupiscence et à l’orgueil, vous les envoyez pleins d’un enthousiasme tranquille au-devant de la mort et des tortures.

Alors s’accomplit la promesse que Jésus avait faite pour le moment où ses fidèles comparaîtraient devant les ministres du Prince du monde. Il avait dit : « Ne prenez pas la peine de réfléchir sur la manière dont vous parlerez et sur ce que vous direz. A l’heure même, vous sera donné ce que vous aurez à dire ; car ce ne sera pas vous-mêmes qui parlerez, mais ce sera l’Esprit de votre Père qui parlera en vous ». Nous en pouvons juger encore en lisant les immortels Actes de nos martyrs, en suivant ces interrogatoires et ces réponses simples et sublimes qui s’échappent du milieu même des tourments. C’est la voix de l’Esprit, la parole de l’Esprit qui lutte et qui triomphe. Les assistants s’écriaient : « Il est grand, le Dieu des chrétiens ! » et plus d’une fois on vit les bourreaux, séduits par une si divine éloquence, se déclarer eux-mêmes les disciples d’un Dieu si puissant, et se ranger soudain parmi les nobles victimes qu’ils déchiraient tout à l’heure. Nous savons par les monuments contemporains que l’arène du martyre fut la tribune de la foi, et que le sang des martyrs, joint à la beauté de leur parole, fut la semence des chrétiens.

Après trois siècles de ces merveilles du divin Esprit, la victoire fut complète. Jésus était reconnu Roi et Sauveur du monde, docteur et rédempteur des hommes ; Satan était expulsé du domaine qu’il avait usurpé, le polythéisme dont il fut l’auteur était remplacé par la foi en un seul Dieu, et le culte ignoble de la matière n’était plus qu’un objet de honte et de mépris. Or, une telle victoire qui eut d’abord pour théâtre l’empire romain tout entier, et qui n’a cessé de s’étendre, de siècle en siècle, à tant d’autres nations infidèles, est l’œuvre du Saint-Esprit. La manière miraculeuse dont elle s’est accomplie contre toutes les prévisions humaines est l’un des principaux arguments sur lesquels repose notre foi. Nous n’avons pas vu de nos yeux, nous n’avons pas entendu de nos oreilles le Seigneur Jésus ; mais nous le confessons pour notre Dieu, à cause du témoignage que lui a rendu si visiblement l’Esprit-Saint qu’il nous a envoyé. Soient donc à jamais à ce divin Esprit gloire, reconnaissance et amour de la part de toute créature ! Car il nous a mis en possession du salut que notre Emmanuel nous avait apporté.

 

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PANÉGYRIQUE DE SAINT JEAN, APÔTRE

29 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

PANÉGYRIQUE DE SAINT JEAN, APÔTRE

Ego dilecto meo, et ad me conversio ejus.

Je suis à mon bien-aimé, et la pente de son cœur est tournée vers moi. Ct. VII, 10.

Il est superflu, chrétiens, de faire aujourd'hui le panégyrique du disciple bien-aimé de notre Sauveur. C'est assez de dire en un mot qu'il était le favori de Jésus, et le plus chéri de tous les apôtres. Saint Augustin dit très doctement que « l'ouvrage est parfait, lorsqu'il plaît à son ouvrier : Hoc est perfectum quod artifici suo placet; et il me semble que nous le connaissons par expérience. Quand nous voyons un excellent peintre qui travaille à faire un tableau, tant qu'il tient son pinceau en main, que tantôt il efface un trait, et tantôt il en tire un autre, son ouvrage ne lui plaît pas, il n'a pas rempli toute son idée et le portrait n'est pas achevé : mais sitôt qu'ayant fini tous ses traits et relevé toutes ses couleurs, il commence à exposer sa peinture en vue, c'est alors que son esprit est content et que tout est ajusté aux règles de l'art ; l'ouvrage est parfait, parce qu'il plaît à son ouvrier et qu'il a fait ce qu'il voulait faire : Hoc est perfection quod artifici suo placet. Ne doutez donc pas, chrétiens, de la grande perfection de saint Jean, puisqu'il plaît si fort à son ouvrier; et croyez que Jésus-Christ Créateur des cœurs, qui les crée, comme dit saint Paul, dans les bonnes œuvres, l'a fait tel qu'il fallait qu'il fût pour être l'objet de ses complaisances. Ainsi je pourrais conclure ce panégyrique après cette seule parole, si votre instruction, chrétiens, ne désirait de moi un plus long discours.

Sainte et bienheureuse Marie, impétrez-nous les lumières de l'Esprit de Dieu, pour parler de Jean votre second fils. Que votre pudeur n'en rougisse pas ; votre virginité n'y est point blessée. C'est Jésus-Christ qui vous l'a donné, et qui a voulu vous annoncer lui-même que vous seriez la Mère de son bien-aimé. Qui doute que vous n'ayez cru à la parole de votre Dieu, vous qui avez été si humblement soumise à celle qui vous fut portée par son ange, qui vous salua de sa part, en disant : Ave.

Je remarque dans les saintes Lettres trois états divers dans lesquels a passé le Sauveur Jésus pendant les jours de sa chair et le cours de son pèlerinage. Le premier a été sa vie; le second a été sa mort, le troisième a été mêlé de mort et de vie, où Jésus n'a été ni mort ni vivant, ou plutôt il y a été tout ensemble et mort et vivant; et c'est l'état où il se trouvait dans la célébration de sa sainte Cène, lorsque mangeant avec ses disciples, il leur montrait qu'il était en vie; et voulant être mangé par ses disciples, ainsi qu'une victime immolée, il leur paraissait comme mort.

Consacrant lui-même son corps et son sang, il faisait voir qu'il était vivant ; et divisant mystiquement son corps de son sang, il se couvrait des signes de mort, et se dévouait à la croix par une destination particulière. Dans ces trois états, chrétiens, il m'est aisé de vous faire voir que Jean a toujours été le fidèle et le bien-aimé du Sauveur. Tant qu'il vécut avec les hommes, nul n'eut plus de part en sa confiance; quand il rendit son âme à son Père, aucun des siens ne reçut de lui des marques d'un amour plus tendre; quand il donna son corps à ses disciples, ils virent tous la place honorable qu'il lui fit prendre près de sa personne dans cette sainte cérémonie.

Mais ce qui me fait connaître plus sensiblement la forte pente du cœur de Jésus sur le disciple dont nous parlons, ce sont trois présents qu'il lui fait dans ces trois états admirables où nous le voyons dans son Évangile. Je trouve en effet, chrétiens, qu'en sa vie il lui donne sa croix; à sa mort, il lui donne sa Mère; à sa Cène, il lui donne son cœur. Que désire un ami vivant, sinon de s'unir avec ceux qu'il aime dans la société des mêmes emplois, et l'amitié a-t-elle rien de plus doux que cette aimable association? L'emploi de Jésus était-il souffrir : c'est ce que son Père lui a prescrit, et la commission qu'il lui a donnée. C'est pourquoi il unit saint Jean à sa vie laborieuse et crucifiée, en lui prédisant de bonne heure les souffrances qu'il lui destine : « Vous boirez, dit-il, mon calice, et vous serez baptisé de mon baptême. » Voilà le présent qu'il lui fait pendant le cours de sa vie. Quelle marque nous peut donner un ami mourant que notre amitié lui est précieuse, sinon lorsqu'il témoigne un ardent désir de se conserver notre cœur même après sa mort, et de vivre dans notre mémoire? C'est ce qu'a fait Jésus-Christ en faveur de Jean d'une manière si avantageuse, qu'il n'est pas possible d'y rien ajouter, puisqu'il lui donne sa divine Mère, c'est-à-dire ce qu'il a de plus cher au monde : « Fils, dit-il, voilà votre Mère. » Mais ce qui montre le plus son amour, c'est le beau présent qu'il lui fait au sacré banquet de l'Eucharistie, où son amitié n'étant pas contente de lui donner comme aux autres sa chair et son sang pour en faire un même corps avec lui, il le prend entre ses bras, il l'approche de sa poitrine; et comme s'il ne suffisait pas de l'avoir gratifié de tant de dons, il le met en possession de la source même de toutes ses libéralités, c'est-à-dire de son propre cœur, sur lequel il lui ordonne de se reposer comme sur une place qui lui est acquise. O disciple vraiment heureux, à qui Jésus-Christ a donné sa croix, pour l'associer à sa vie souffrante; à qui Jésus-Christ a donné sa Mère, pour vivre éternellement dans son souvenir ; à qui Jésus-Christ a donné son cœur, pour n'être plus avec lui qu'une même chose! Que reste-t-il, ô cher favori, sinon que vous acceptiez ces présents avec le respect qui est dû à l'amour de votre bon Maître ?

Voyez, chrétiens, comme il les accepte. Il accepte la croix du Sauveur, lorsque Jésus-Christ la lui proposant : Pourrez-vous bien, dit-il, boire ce calice? Je le puis, lui répond saint Jean, et il l'embrasse de toute son âme : Vos sumus. Il accepte la sainte Vierge avec une joie merveilleuse. Il nous rapporté lui-même qu'aussitôt que Jésus-Christ la lui eut donnée, il la considéra comme son bien propre : Accepit eam discipulus in sua. Il accepte surtout le cœur de Jésus avec une tendresse incroyable, lorsqu'il se repose dessus doucement et tranquillement, pour marquer une jouissance paisible et une possession assurée. O mystère de charité! O présents divins et sacrés! qui me donnera des paroles assez tendres et affectueuses, pour vous expliquer à ce peuple? C'est néanmoins ce qu'il nous faut faire avec le secours de la grâce.


PREMIER POINT.

Ne vous persuadez pas, chrétiens, que l'amitié de notre Sauveur soit de ces amitiés délicates qui n'ont que des douceurs et des complaisances, et qui n'ont pas assez de résolution pour voir un courage fortifié par les maux et exercé par les souffrances. Celle que le Fils de Dieu a pour nous est d'une nature bien différente : elle veut nous durcir aux travaux, et nous accoutumer à la guerre ; elle est tendre, mais elle n'est pas molle; elle est ardente, mais elle n'est pas faible; elle est douce, mais elle n'est pas flatteuse. Oui certainement, chrétiens, quand Jésus entre quelque part, il y entre avec sa croix, il y porte avec lui toutes ses épines, et il en fait part à tous ceux qu'il aime. Comme notre apôtre est son bien-aimé, il lui fait présent de sa croix ; et de cette même main dont il a tant de fois serré la tête de Jean sur sa bienheureuse poitrine avec une tendresse incroyable, il lui présente ce calice amer, plein de souffrances et d'afflictions, qu'il lui ordonne de boire tout plein et d'en avaler jusqu'à la lie : Calicem quidem meum bibetis.

Avouez la vérité, chrétiens : vous n'ambitionnez guère un tel présent, vous n'en comprenez pas le prix. Mais s'il reste encore en vos âmes quelque teinture de votre baptême que les délices du monde n'aient pas effacée, vous serez bientôt convaincus de la nécessité de ce don, en écoutant prêcher Jésus-Christ, dont je vous rapporterai les paroles sans aucun raisonnement recherché, mais dans la même simplicité dans laquelle elles sont sorties de sa sainte et divine bouche.

Notre-Seigneur Jésus avait deux choses à donner aux hommes, sa croix et son trône, sa servitude et son règne, son obéissance jusqu'à la mort et son exaltation jusqu'à la gloire. Quand il est venu sur la terre, il a proposé l'un et l'autre; c'était l'abrégé de sa commission, c'était tout le sujet de son ambassade : Complacuit dare vobis regnum : « Il a plu au Père de vous donner son royaume : » Non veni pacem mittere, sed gladium : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive : » Sicut oves in medio luporum : « Allez comme des brebis au milieu des loups. » Ses disciples, encore grossiers et charnels, ne voulaient point comprendre sa croix, et ils ne l'importunaient que de son royaume ; et lui, désirant les accoutumer aux mystères de son Évangile, il ne leur dit ordinairement qu'un mot du royaume, et il revient toujours à la croix. C'est ce qui doit nous montrer qu'il faut partager nos affections entre sa croix et son trône; ou plutôt, puisque ces deux choses sont si bien liées, qu'il faut réunir nos affections dans la poursuite de l'un et de l'autre.

O Jean, bien-aimé de Jésus, venez apprendre de lui cette vérité. Il l'a déjà plusieurs fois prêchée à tous les apôtres vos compagnons; mais vous qui êtes le favori, approchez-vous avec votre frère, et il vous l'enseignera en particulier. Votre mère lui dit : « Commandez que mes deux fils soient assis à votre droite dans votre royaume : » Dic ut sedeant hi duo filii mei. — « Pouvez-vous, leur répondez-vous, boire le calice que je dois boire? » Potestis bibere calicem quem ego bibiturus sum? Mon Sauveur, permettez-moi de le dire, vous ne répondez pas à propos. On parle de gloire, vous d'ignominie. Il répond à propos; mais ils ne demandent pas à propos : Nescitis quid petatis : « Vous ne savez ce que vous demandez. » Prenez la croix, et vous aurez le royaume : il est caché sous cette amertume. Attends à la croix, tu y verras les titres de ma royauté, « Ce n'est pas à moi à vous donner ce que vous demandez : » Non est meum dare vobis : c'est à vous à le prendre, selon la part que vous voudrez avoir aux souffrances. Cela demeure gravé dans le cœur de Jean. Il ne songe plus au royaume qu'il ne songe à la croix avant toutes choses; et c'est ce qu'il nous représente admirablement dans son Apocalypse : « Moi Jean, nous dit-il, qui suis votre frère et qui ai part à la tribulation, au royaume et à la patience de Jésus-Christ, j'ai été dans l'île nommée Patmos pour la parole du Seigneur et pour le témoignage que j'ai rendu à Jésus-Christ; et je fus ravi en esprit : » Ego Joannes frater vester, et socius in tribulatione, et regno, et patientiâ, fui in insulâ quœ appellatur Patmos, propter verbum Dei, et testimonium Jesu: fui in spiritu. Pourquoi fait-il cette observation? J'ai vu en esprit le Fils de l'homme en son trône, j'ai ouï le cantique de ses louanges, pourquoi? Parce que j'ai été banni dans une île : Fui in insula. Je croyais autrefois qu'on ne pouvoit voir Jésus-Christ régnant à moins que d'être assis à sa droite et revêtu de sa gloire; mais il m'a fait connaître qu'on ne le voit jamais mieux que dans les souffrances. L'affliction m'a dessillé les yeux, le vent de la persécution a dissipé les nuages de mon esprit et a ouvert le passage à la lumière. Mais voyez encore plus précisément : Ego Joannes, socius in tribulatione et regno. Il parle du royaume ; mais il parle auparavant de la croix : il mettait autrefois le royaume devant la croix ; maintenant il met la croix la première ; et après avoir nommé le royaume, il revient incontinent aux souffrances : Et patientia. Il craint de s'arrêter trop à la gloire, comme il avait fait autrefois.

Mais voyons quelle a été sa croix. Il semble que c'est celui de tous les disciples qui a eu la plus légère. Pour nous détromper, expliquons quelle a été sa croix , et nous verrons qu'en effet elle a été la plus grande de toutes dans l'intérieur. Apprenez le mystère, et considérez les deux croix de notre Sauveur. L'une se voit au Calvaire, et elle paraît la plus douloureuse; l'autre est celle qu'il a portée durant tout le cours de sa vie, c'est la plus pénible. Dès le commencement, il se destine pour être la victime du genre humain. Il devait offrir deux sacrifices. Le dernier sacrifice s'est opéré à l'autel de la croix : mais il fallait qu'il accomplît le sacrifice qui était appelé juge sacrificium, dont son cœur était l'autel et le temple. O cœur toujours mourant, toujours percé de coups, brûlant d'impatience de souffrir, qui ne respirait que l'immolation! Ne croyez donc pas que sa passion soit son sacrifice le plus douloureux. Sa passion le console : il a une soif ardente qui le brûle et qui le consume, sa passion le rafraîchira; et c'est peut-être une des raisons pour laquelle il l'appelle une coupe qu'il a à boire, parce qu'elle doit rafraîchir l'ardeur de sa soif. En effet quand il parle de cette dernière croix : « C'est à présent, s'écrie-t-il, que le Fils de l'homme est glorifié : » Nunc clarificatus est. C'est ainsi qu'il s'exprime après la dernière pâque, sitôt que Judas fut sorti du cénacle. Mais s'agit-il de l'autre croix, c'est alors qu'il se sent vivement pressé dans l'attente de l'accomplissement de ce baptême : Baptismo habeo baptizari, et quomodò coarctor? L'un le dilate : Nunc clarificatus est; l'autre le presse : Coarctor. Lequel est-ce qui fait sa vraie croix? Celui qui le presse et qui lui fait violence, ou celui qui relâche la force du mal?

C'est cette première croix, si pressante et si douloureuse, que Jésus-Christ veut donner à Jean. Pierre lui demandait : « Seigneur, que destinez-vous à celui-ci? » Domine, hic autem quid ? Vous m'avez dit quelle sera ma croix, quelle part y donnerez-vous à celui-ci? — Ne vous en mettez point en peine. La croix que je veux qu'il porte ne frappera pas les sens : je me réserve de la lui imprimer moi-même : elle sera principalement au fond de son âme; ce sera moi qui y mettrai la main, et je saurai bien la rendre pesante. Et pour le rendre capable de la soutenir avec un courage vraiment héroïque, il lui inspira l'amour des souffrances. Tout homme que Jésus-Christ aime, il attire tellement son cœur après lui, qu'il ne souhaite rien avec plus d'ardeur que de voir abattre son corps comme une vieille masure qui le sépare de Jésus-Christ. Mais quel autre avait plus d'ardeur pour la croix que Jean, qui avait humé ce désir aux plaies mêmes de Jésus-Christ, qui avait vu sortir de son côté l'eau vive de la félicité, mais mêlée avec le sang des souffrances? Il est donc embrasé du désir du martyre : et cependant, ô Sauveur, quels supplices lui donnerez-vous ! Un exil. — O cruauté lente et timide de Domitien ! Faut-il que tu ne sois trop humain que pour moi, et que tu n'aies pas soif de mon sang? — Mais peut-être qu'il sera bientôt répandu. On lui prépare de l'huile bouillante, pour le faire mourir dans ce bain brûlant. — Vous voilà enfin, ô croix de Jésus, que je souhaite si vivement! — Il s'élance dans cet étang d'huile fumante et bouillante avec la même promptitude que, dans les ardeurs de l'été, on se jette dans le bain pour se rafraîchir. Mais, ô surprise fâcheuse et cruelle ! tout d'un coup elle se change en rosée. — Bien-aimé de mon cœur, est-ce là l'amour que vous me portez? Si vous ne voulez pas me donner la mort, pourquoi forcez-vous la nature de se refuser à mes empressements? O bourreaux, apportez du feu, réchauffez votre huile inopinément refroidie. — Mais ces cris sont inutiles. Jésus-Christ veut prolonger sa vie, parce qu'il veut encore aggraver sa croix. Il faut vivre jusqu'à une vieillesse décrépite : il faut qu'il voie passer devant lui tous ses frères les saints apôtres, et qu'il survive presque à tous les enfants qu'il a engendrés à Notre-Seigneur.

De quoi le consolerez-vous, ô Sauveur des âmes? Ne voyez-vous pas qu'il meurt tous les jours, parce qu'il ne peut mourir une fois. Hélas! il semble qu'il n'a plus qu'un souffle. Ce vieillard n'est plus que cendres, et sous cette cendre vous voulez cacher un grand feu. Écoutez comme il crie : « Mes bien-aimés, nous sommes dès à présent enfants de Dieu; mais ce que nous serons un jour ne paraît pas encore:» Dilectissimi, nunc filii Dei sumus, et nondùm appariât quid erimus. De quoi le consolerez-vous? Sera-ce par les visions dont vous le gratifierez? Mais c'est ce qui augmente l'ardeur de ses désirs. Il voit couler ce fleuve qui réjouit la cité de Dieu, la Jérusalem céleste. Que sert de lui montrer la fontaine, pour ne lui donner qu'une goutte à boire? Ce rayon lui fait désirer le grand jour, et cette goutte que vous laissez tomber sur lui, lui fait avoir soif de la source. Écoutez comme il crie dans l’Apocalypse : Et Spiritus et Sponsa dicunt, Veni : «L'Esprit et l’Épouse disent, Venez. » Que lui répond le divin Époux? « Oui, je viens bientôt : » Etiam venio cito. « O instant trop long! » O modicum longum ! Il redouble ses gémissements et ses cris : « Venez , Seigneur Jésus : » Veni, Domine Jesu. O divin Sauveur, quel supplice ! Votre amour est trop sévère pour lui. Je sais que dans la croix que vous lui donnez, « il y a une douleur qui console : » Ipse consolatur dolor ; et que le calice de votre passion que vous lui faites boire à longs traits, tout amer qu'il est à nos sens, a ses douceurs pour l'esprit, quand une foi vive l'a persuadé des maximes de l’Évangile. Mais j'ose dire, ô divin Sauveur, que cette manière douce et affectueuse avec laquelle vous avez traité saint Jean votre bien-aimé disciple, et ces caresses mystérieuses dont il vous a plu l'honorer, exigeaient en quelque sorte de vous quelque marque plus sensible de la tendresse de votre cœur, et que vous lui deviez des consolations qui fussent plus approchantes de cette familiarité bienheureuse que vous avez voulu lui permettre. C'est aussi ce que nous verrons au Calvaire dans le beau présent qu'il lui fait, et dans le dernier adieu qu'il lui dit. 

SECOND POINT.

Certainement, chrétiens, l'amitié ne peut jamais être véritable, qu'elle ne se montre bientôt toute entière ; et elle n'a jamais plus de peine que lorsqu'elle se voit cachée. Toutefois il faut avouer que dans le temps qu'il faut dire adieu, la douleur que la séparation lui fait ressentir, lui donne je ne sais quoi de si vif et de si pressant pour se faire voir dans son naturel, que jamais elle ne se découvre avec plus de force. C'est pourquoi les derniers adieux que l'on dit aux personnes que l'on a aimées saisissent de pitié les cœurs les plus durs : chacun tâche dans ces rencontres de laisser des marques de son souvenir. Nous voyons en effet tous les testaments remplis de clauses de cette nature : comme si l'amour qui ne se nourrit ordinairement que par la présence, voyant approcher le moment fatal de la dernière séparation, et craignant par là sa perte totale en même temps qu'il se voit privé de la conversation et de la vue, ramassait tout ce qui lui reste de force pour vivre et durer du moins dans le souvenir.

Ne croyez pas que notre Sauveur ait oublié son amour en cette occasion. « Ayant aimé les siens, il les a aimés jusqu'à la fin; » et puisqu'il ne meurt que par son amour, il n'est jamais plus puissant qu'à sa mort. C'est aussi sans doute pour cette raison qu'il amène au pied de sa croix les deux personnes qu'il chérit le plus, c'est-à-dire Marie sa divine Mère, et Jean son fidèle et son bon ami, qui remis de ses premières terreurs, vient recueillir les derniers soupirs de son Maître mourant pour notre salut.

Car je vous demande, mes Frères, pourquoi appeler la très-sainte Vierge à ce spectacle d'inhumanité? Est-ce pour lui percer le cœur et lui déchirer les entrailles? Faut-il que ses yeux maternels soient frappés de ce triste objet, et qu'elle voie couler devant elle par tant de cruelles blessures un sang qui lui est si cher? Pourquoi le plus chéri de tous ses disciples est-il le seul témoin de ses souffrances? Avec quels yeux verra-t-il cette poitrine sacrée sur laquelle il se reposait il y a deux jours, pousser les derniers sanglots parmi des douleurs infinies? Quel plaisir au Sauveur, de contempler ce favori bien-aimé saisi par la vue de tant de tourments, et par la mémoire encore toute fraîche de tant de caresses récentes mourir de langueur au pied de sa croix? S'il l'aime si chèrement, que ne lui épargne-t-il cette affliction? Et n'y a-t-il pas de la dureté de lui refuser cette grâce? Chrétiens, ne le croyez pas, et comprenez le dessein du Sauveur des âmes. Il faut que Marie et saint Jean assistent à la mort de Jésus, pour y recevoir ensemble avec la tendresse du dernier adieu les présents qu'il a à leur faire, afin de signaler en expirant l'excès de son affection.

Mais que leur donnera-t-il, nu, dépouillé comme il est? Les soldats avares et impitoyables ont partagé jusqu'à ses habits et joué sa tunique mystérieuse : il n'a pas de quoi se faire enterrer. Son corps même n'est plus à lui : il est la victime de tous les pécheurs; il n'y a goutte de son sang qui ne soit due à la justice de Dieu son Père. Pauvre esclave, qui n'a plus rien en son pouvoir dont il puisse disposer par son testament! Il a perdu jusqu'à son Père, auquel il s'est glorifié tant de fois d'être si étroitement uni. C'est son Dieu, ce n'est plus son Père. Au lieu de dire comme auparavant : « Tout ce qui est à vous est à moi, » il ne lui demande plus qu'un regard, Respice in me; et il ne peut l'obtenir, et il s'en voit abandonné : Quare me dereliquisti ? Ainsi, de quelque côté qu'il tourne les yeux, il ne voit plus rien qui lui appartienne. Je nie trompe, il voit Marie et saint Jean : tout le reste des siens l'ont abandonné, et ils sont là pour lui dire : Nous sommes à vous. Voilà tout le bien qui lui reste et dont il peut disposer par son testament. Mais c'est à eux qu'il faut donner, et non pas les donner eux-mêmes. O amour ingénieux de mon Maître ! Il faut leur donner, il faut les donner. Il faut donner Marie au disciple, et le disciple à la divine Marie. Ego dilecto meo, dit-il : mon Maître, je suis à vous, usez de moi comme il vous plaira. Voyez la suite : Et ad me conversio ejus : « Fils, dit-il, voilà votre Mère. » O Jean, je vous donne Marie, et je vous donne en même temps à Marie. Marie est à saint Jean, saint Jean à Marie. Vous devez vous rendre heureux l'un et l'autre par une mutuelle possession. Ce ne vous est pas un moindre avantage d'être donnés que de recevoir, et je ne vous enrichis pas plus parle don que je vous fais que par celui que je fais de vous.

Mais, mes Frères, entrons plus profondément dans cet admirable mystère ; recherchons par les Écritures quelle est cette seconde naissance qui fait saint Jean le fils de Marie, quelle est cette nouvelle fécondité qui rend Marie Mère de saint Jean ; et développons les secrets d'une belle théologie, qui mettra cette vérité dans son jour. Saint Paul parlant de notre Sauveur après l'infamie de sa mort et la gloire de sa résurrection, en a dit ces belles paroles : « Nous ne connaissons plus maintenant personne selon la chair; et si nous avons connu autrefois Jésus-Christ selon la chair, maintenant qu'il est mort et ressuscité, nous ne le connaissons plus de la sorte. » Que veut dire cette parole, et quel est le sens de l'Apôtre? Veut-il dire que le Fils de Dieu s'est dépouillé en mourant de sa chair humaine, et qu'il ne l'a point reprise en sa glorieuse résurrection ? Non, mes Frères, à Dieu ne plaise ! Il faut trouver un autre sens à cette belle parole du divin Apôtre, qui nous ouvre l'intelligence de ses sentiments. Ne le cherchez pas, le voici : il veut dire que le Fils de Dieu dans la gloire de sa résurrection a bien la vérité de la chair, mais qu'il n'en a plus les infirmités; et pour toucher encore plus le fond de cette excellente doctrine, entendons que l'Homme-Dieu, Jésus-Christ, a eu deux naissances et deux vies, qui sont infiniment différentes.

La première de ces naissances l'a tiré du sein de Marie, la seconde l'a fait sortir du sein du tombeau. En la première il est né de l'Esprit de Dieu, mais par une Mère mortelle, et de là il en a tiré la mortalité. Mais en sa seconde naissance, nul n'y a part que son Père céleste; c'est pourquoi il n'y a plus rien que de glorieux. Il était de sa providence d'accommoder ses sentiments à ces deux manières de vie si contraires : de là vient que dans la première il n'a pas jugé indignes de lui les sentiments de faiblesse humaine ; mais dans sa bienheureuse résurrection il n'y a plus rien que de grand, et tous ses sentiments sont d'un Dieu qui répand sur l'humanité qu'il a prise tout ce que la divinité a de plus auguste. Jésus, en conversant parmi les mortels, a eu faim, a eu soif : il a été quelquefois saisi par la crainte, touché par la douleur : la pitié a serré son cœur, elle a ému et altéré son sang, elle lui a fait répandre des larmes. Je ne m'en étonne pas, chrétiens : c'étaient les jours de son humiliation, qu'il devait passer dans l'infirmité. Mais durant les jours de sa gloire et de son immortalité , après sa seconde naissance par laquelle son Père l'a ressuscité pour le faire asseoir à sa droite, les infirmités sont bannies ; et la toute-puissance divine déployant sur lui sa vertu, a dissipé toutes ses faiblesses. Il commence à agir tout à fait en Dieu : la manière en est incompréhensible ; et tout ce qu'il est permis aux mortels de dire d'un mystère si haut, c'est qu'il n'y faut plus rien concevoir de ce que le sens humain peut imaginer ; si bien qu'il ne nous reste plus que de nous écrier hardiment avec l'incomparable Docteur des Gentils, que si nous avons connu Jésus-Christ selon sa naissance mortelle dans les sentiments de la chair, nunc jam non novimus : maintenant qu'il est glorieux et ressuscité, nous ne le connaissons plus de la sorte, et tout ce que nous y concevons est divin.

Selon cette doctrine du divin Apôtre, je ne craindrai pas d'assurer que Jésus-Christ ressuscité regarde Marie d'une autre manière, que ne faisait pas Jésus-Christ mortel. Car, mes Frères, sa mortalité l'a fait naître dans la dépendance de celle qui lui a donné la vie: «Il lui était soumis et obéissant, » dit l’Évangéliste. Tout Dieu qu'était Jésus, l'amour qu'il avait pour sa sainte Mère était mêlé sans doute de cette crainte filiale et respectueuse que les enfants bien nés ne perdent jamais. Il était accompagné de toutes ces douces émotions, de toutes ces inquiétudes aimables, qu'une affection sincère imprime toujours dans les cœurs des hommes mortels : tout cela était bienséant durant les jours de faiblesse. Mais enfin voilà Jésus en la croix : le temps de mortalité va passer. Il va commencer désormais à aimer Marie d'une autre manière : son amour ne sera pas moins ardent ; et tant que Jésus-Christ sera homme, il n'oubliera jamais cette Vierge Mère. Mais après sa bienheureuse résurrection, il faut bien qu'il prenne un amour convenable à l'état de sa gloire.

Que deviendront donc, chrétiens, ces respects, cette déférence, cette complaisance obligeante, ces soins particuliers, ces douces inquiétudes qui accompagnaient son amour? Mourront-ils avec Jésus-Christ? et Marie en sera-t-elle à jamais privée? Chrétiens, sa bonté ne le permet pas. Puisqu'il va entrer par sa mort en un état glorieux, où il ne les peut plus retenir, il les fait passer en saint Jean, et il entreprend de les faire revivre dans le cœur de ce bien-aimé. Et n'est-ce pas ce que veut dire le grand saint Paulin par ces éloquentes paroles : Jam scilicet ab humanâ fragilitate, quà erat natusex fœmina, per crucis mortem demigrans in œternitatem Dei, ut esset in glorià Dei Patris, delegat homini jura pietatis humanœ : «Étant prêt de passer par la mort de la croix de l'infirmité humaine à la gloire et à l'éternité de son Père, il laisse à un homme mortel les sentiments de la piété humaine. » Tout ce que son amour avait de tendre et de respectueux pour sa sainte Mère vivra maintenant dans le cœur de Jean : c'est lui qui sera le fils de Marie ; et pour établir entre eux éternellement cette alliance mystérieuse, il leur parle du haut de sa croix, non point avec une action tremblante comme un patient prêt à rendre l’âme, « mais avec toute la force d'un homme vivant et toute la fermeté d'un Dieu qui doit ressusciter : » Plenà virtute viventis et constantià resurrecturi. Lui qui tourne les cœurs ainsi qu'il lui plaît et dont la parole est toute-puissante, opère en eux tout ce qu'il leur dit, et fait Marie Mère de Jean, et Jean fils de Marie.

Car qui pourrait assez exprimer quelle fut la force de cette parole sur l'esprit de l'un et de l'autre? Ils gémissaient au pied de la croix, toutes les plaies de Jésus-Christ déchiraient leurs âmes, et la vivacité de la douleur les avait presque rendus insensibles. Mais lorsqu'ils entendirent cette voix mourante du dernier adieu de Jésus, leurs sentiments furent réveillés par cette nouvelle blessure ; toutes les entrailles de Marie furent renversées, et il n'y eut goutte de sang dans le cœur de Jean qui ne fût aussitôt émue. Cette parole entra donc au fond de leurs âmes, ainsi qu'un glaive tranchant ; elles en furent percées et ensanglantées avec une douleur incroyable : mais aussi leur fallait-il faire cette violence; il fallait de cette sorte entr'ouvrir leur cœur, afin si je puis parler de la sorte, d'enter en l'un le respect d'un fils, et dans l'autre la tendresse d'une bonne mère.

Voilà donc Marie Mère de saint Jean. Quoique son amour maternel accoutumé d'embrasser un Dieu, ait peine à se terminer sur un homme, et qu'une telle inégalité semble plutôt lui reprocher son malheur que la récompenser de sa perte, toutefois la parole de son Fils la presse ; l'amour que le Sauveur a eu pour saint Jean l’a rendu un autre lui-même, et fait qu'elle ne croit pas se tromper quand elle cherche Jésus-Christ en lui. Grand et incomparable avantage de ce disciple chéri ! Car de quels dons l'aura orné le Sauveur, pour le rendre digne de remplir sa place? Si l'amour qu'il a pour la sainte Vierge l'oblige à lui laisser son portrait en se retirant de sa vue, ne doit-il pas lui avoir donné une image vive et naturelle? Quel doit donc être le grand saint Jean, destiné à demeurer sur la terre pour y être la représentation du Fils de Dieu après sa mort, et une représentation si parfaite, qu'elle puisse charmer la douleur et tromper, s'il se peut, l'amour de sa sainte Mère parla naïveté de la ressemblance?

D'ailleurs quelle abondance de grâces attirait sur lui tous les jours l'amour maternel de Marie, et le désir qu'elle avait conçu de former en lui Jésus-Christ? Combien s'échauffaient tous les jours les ardeurs de sa charité, par la chaste communication de celles qui brûlaient le cœur de Marie? Et à quelle perfection s'avançait sa chasteté virginale, qui était sans cesse épurée par les regards modestes de la sainte Vierge et par sa conversation angélique?

Apprenons de là, chrétiens, quelle est la force de la pureté. C'est elle qui mérite à saint Jean la familiarité du Sauveur; c'est elle qui le rend digne d'hériter de son amour pour Marie, de succéder en sa place, d'être honoré de sa ressemblance. C'est elle qui lui fait tomber Marie en partage et lui donne une Mère vierge : elle fait quelque chose de plus, elle lui ouvre le cœur de Jésus et lui en assure la possession.

TROISIÈME POINT.

Je l'ai déjà dit, chrétiens, il ne suffit pas au Sauveur de répandre ses dons sur saint Jean; il veut lui donner jusqu'à la source. Tous les dons viennent de l'amour : il lui a donné son amour. C'est au cœur que l'amour prend son origine; il lui donne encore le cœur, et le met en possession du fonds dont il lui a déjà donné tous les fruits. Viens, dit-il, ô mon cher disciple, je t'ai choisi devant tous les temps pour être le docteur de la charité; viens la boire jusque dans sa source, viens y prendre ces paroles pleines d'onction par lesquelles tu attendriras mes fidèles : approche de ce cœur qui ne respire que l'amour des hommes; et pour mieux parler de mon amour, viens sentir de près les ardeurs qui me consument.

Je ne m'étendrai pas à vous raconter les avantages de saint Jean. Mais, Jean, puisque vous en êtes le maître, ouvrez-nous ce cœur de Jésus, faites-nous-en remarquer tous les mouvements, que la seule charité excite. C'est ce qu'il a fait dans tous ses écrits : tous les écrits de saint Jean ne tendent qu'à expliquer le cœur de Jésus. En ce cœur est l'abrégé de tous les mystères du christianisme : mystères de charité dont l'origine est au cœur; un cœur, s'il se peut dire, tout pétri d'amour; toutes les palpitations, tous les battements de ce cœur, c'est la charité qui les produit. Voulez-vous voir saint Jean vous montrer tous les secrets de ce cœur? Il remonte «jusqu'au principe, In principio. C'est pour venir à ce terme : Et habitavit : « Il a habité parmi nous. » Qui l'a fait ainsi habiter avec nous ? L'amour. « C'est ainsi que Dieu a aimé le monde : » Sic Deus dilexit mundum. C'est donc l'amour qui l'a fait descendre, pour se revêtir de la nature humaine. Mais quel cœur aura-t-il donné à cette nature humaine, sinon un cœur tout pétri d'amour?

C’est Dieu qui fait tous les cœurs, ainsi qu'il lui plaît. « Le cœur du roi est dans sa main » comme celui de tous les autres : Cor regis in manu Dei est. Regis, du Roi Sauveur. Quel autre cœur a été plus dans la main de Dieu? C'était le cœur d'un Dieu, qu'il réglait de près, dont il conduisait tous les mouvements. Qu'aura donc fait le Verbe divin en se faisant homme, sinon de se former un cœur sur lequel il imprimât cette charité infinie qui l'obligeait à venir au monde? Donnez-moi tout ce qu'il y a de tendre, tout ce qu'il y a de doux et d'humain : il faut faire un Sauveur qui ne puisse souffrir les misères, sans être saisi de douleur; qui voyant les brebis perdues, ne puisse supporter leur égarement. Il lui faut un amour qui le fasse courir au péril de sa vie, qui lui fasse baisser les épaules pour charger dessus sa brebis perdue, qui lui fasse crier : « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi : » Si quis sitit, veniat ad me. « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués : Venite ad me, omnes qui laboratis. Venez, pécheurs, c'est vous que je cherche. Enfin il lui faut un cœur qui lui fasse dire : Je donne ma vie parce que je le veux : Ego pono eam a meipso. C'est moi qui ai un cœur amoureux, qui dévoue mon corps et mon âme à toutes sortes de tourments.

Voilà, mes Frères, quel est le cœur de Jésus, voilà quel est le mystère du christianisme. C'est pourquoi l'abrégé de la foi est renfermé dans ces paroles : « Pour nous, nous avons cru à l'amour que Dieu a pour nous : » Nos credidimus charitati quam habet Deus in nobis. Voilà la profession de saint Jean. Pourquoi le Juif ne croit-il pas à notre Évangile? Il reconnaît la puissance, mais il ne veut pas croire à l'amour : il ne peut se persuader que Dieu nous ait assez aimés, pour nous donner son Fils. Pour moi, je crois à sa charité ; et c'est tout dire. Il s'est fait homme, je le crois; il est mort pour nous, je le crois; il aime, et qui aime fait tout : Credidimus charitati ejus.

Mais si nous y croyons, il faut l'imiter. Ce cœur de Jésus embrasse tous les fidèles : c'est là où nous sommes tous réunis, « pour être consommés dans l'unité : » Ut sint consummati in unum. C'est le cœur qui parlait, lorsqu'il disait : « Mon Père, je veux que là où je suis, mes disciples y soient aussi avec moi : Volo ut ubi sum ego, et illi sint mecum. Il ne distrait personne, il appelle tous ses enfants, et nous devons nous aimer « dans les entrailles de la charité de ce divin Sauveur, in visceribus Jesu Christi. Ayons donc un cœur de Jésus-Christ, un cœur étendu, qui n'exclue personne de son amour. C'est de cet amour réciproque qu'il se formera une chaîne de charité, qui s'étendra du cœur de Jésus dans tous les autres pour les lier et les unir inviolablement : ne la rompons pas; ne refusons à aucun de nos frères d'entrer dans cette sainte union de la charité de Jésus-Christ. Il y a place pour tout le monde. Usons sans envie des biens qu'elle nous procure : nous ne les perdons pas en les communiquant aux autres ; mais nous les possédons d'autant plus sûrement : ils se multiplient pour nous avec d'autant plus d'abondance, que nous désirons plus généreusement les partager avec nos frères. Et pourquoi veux-tu arracher ton frère de ce cœur de Jésus-Christ? Il ne souffre point de séparation : il te vomira toi-même. Il supporte toutes les infirmités, pourvu que la charité dont nous sommes animés les couvre. Aimons-nous donc dans le cœur de Jésus. Dieu est charité; et qui persévère dans la charité demeure en Dieu, et Dieu en lui. Ah ! qui me donnera des amis que j'aime véritablement par la charité? Lorsque je répands en eux mon cœur, je le répands en Dieu qui est charité. « Ce n'est pas à un homme que je me confie, mais à celui en qui il demeure pour être tel; et dans ma juste confiance, je ne crains point ces résolutions si changeantes de l'inconstance humaine : » Non homini committo, sed illi in quo manet ut talis sit. Nec in meâ securitate crastinum illud humanœ cogitationis incerlum omninô formido. C'est ainsi que s'aiment les bienheureux esprits.

L'amour qui les unit intimement entre eux, s'échauffe de plus en plus dans ces mutuels embrassements de leurs cœurs. Ils s'aiment en Dieu, qui est le centre de leur union ; ils s'aiment pour Dieu, qui est tout leur bien. Ils aiment Dieu dans chacun de leurs concitoyens qu'ils savent n'être grands que par lui, et vivement sensibles au bonheur de leurs frères; ils se trouvent heureux de jouir en eux et par eux des avantages qu'ils n'auraient pas eux-mêmes : ou plutôt ils ont tout; la charité leur approprie l'universalité des dons de tout le corps, parce qu'elle les consomme dans cette unité sainte qui les absorbant en Dieu, les met en possession des biens de toute la cité céleste.

Voulons-nous donc, mes Frères, participer ici-bas à la béatitude céleste, aimons-nous; que la charité fraternelle remplisse nos cœurs; elle nous fera goûter dans la douceur de son action, ces délices inexprimables qui font le bonheur des Saints; elle enrichira notre pauvreté, en nous rendant tous les biens communs ; et ne formant de nous tous qu'un cœur et qu'une âme, elle commencera en nous cette unité divine qui doit faire notre éternel bonheur et qui sera parfaite en nous, lorsque l'amour ayant entièrement transformé toutes nos puissances, Dieu sera tout en tous.

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Dimanche de la Pentecôte

28 Mai 2023 , Rédigé par Ludovicus

Dimanche de la Pentecôte

Introït

L’esprit du Seigneur remplit l’univers, alléluia, et comme il contient tout, il connaît tout ce qui se dit, alléluia, alléluia, alléluia. Que Dieu se lève, et que ses ennemis soient dissipés, et que ceux qui le haïssent fuient devant sa face.

Collecte

Dieu, qui avez instruit en ce jour les cœurs des fidèles par la lumière du Saint-Esprit : donnez-nous, par le même Esprit, de goûter ce qui est bien ; et de jouir sans cesse de la consolation dont il est la source. Par Notre-Seigneur … en l’unité du même Esprit.

Lecture

Lorsque le jour de la Pentecôte fut arrivé, ils étaient tous ensemble dans un même lieu. Tout à coup il se produisit, venant du ciel, un bruit comme celui d’un vent impétueux, et il remplit toute la maison où ils étaient assis. Et ils virent paraître des langues séparées les unes des autres, qui étaient comme de feu, et qui se posèrent sur chacun d’eux. Et ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et ils commencèrent à parler diverses langues, selon que l’Esprit Saint leur donnait de s’exprimer. Or il y avait à Jérusalem des Juifs pieux qui y séjournaient, de toutes les nations qui sont sous le ciel. Après que ce bruit se fut fait entendre, ils accoururent en foule, et ils furent stupéfaits, parce que chacun les entendait parler dans sa propre langue. Ils étaient tous hors d’eux-mêmes ; et dans leur étonnement ils disaient : Tous ces hommes qui parlent ne sont-ils pas Galiléens ? Comment donc chacun de nous les entend-il parler la langue de son pays ? Parthes, Mèdes, Elamites, ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée et la Cappadoce, le Pont et l’Asie, la Phrygie et la Pamphylie, l’Égypte et le territoire de la Libye qui est près de Cyrène, des étrangers résidant à Rome, Juifs ou prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons parler en nos langues des merveilles de Dieu.

Sequentia. Séquence.
Veni, Sancte Spíritus,
et emítte cǽlitus
lucis tuæ rádium.
Venez, ô Saint-Esprit,
Et envoyez du ciel
Un rayon de votre lumière.
Veni, pater páuperum ;
veni, dator múnerum ;
veni, lumen córdium.
Venez, père des pauvres,
Venez, distributeur de tous dons,
Venez, lumière des cœurs.
Consolátor óptime,
dulcis hospes ánimæ,
dulce refrigérium.
Consolateur suprême,
Doux hôte de l’âme,
Douceur rafraîchissante.
In labóre réquies,
in æstu tempéries,
in fletu solácium.
Repos dans le labeur,
Calme, dans l’ardeur,
Soulagement, dans les larmes.
O lux beatíssima,
reple cordis íntima
tuórum fidélium.
0 lumière bienheureuse,
Inondez jusqu’au plus intime,
Le cœur de vos fidèles.
Sine tuo númine
nihil est in hómine,
nihil est innóxium.
Sans votre secours,
Il n’est en l’homme, rien,
Rien qui soit innocent.
Lava quod est sórdidum,
riga quod est áridum,
sana quod est sáucium.
Lavez ce qui est souillé,
Arrosez ce qui est aride,
Guérissez ce qui est blessé.
Flecte quod est rígidum,
fove quod est frígidum,
rege quod est dévium.
Pliez ce qui est raide,
Échauffez ce qui est froid.
Redressez ce qui dévie.
Da tuis fidélibus,
in te confidéntibus,
sacrum septenárium.
Donnez à vos fidèles,
qui en vous se confient
Les sept dons sacrés.
Da virtútis méritum,
da salútis éxitum,
da perénne gáudium. Amen. Allelúia.
Donnez-leur le mérite de la vertu,
Donnez une fin heureuse,
Donnez l’éternelle joie. Ainsi soit-il. Alléluia.

 

Évangile Jn. 14, 23-31

En ce temps-là : Jésus dit à ses disciples : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure. Celui qui ne m’aime point ne garde pas mes paroles ; et la parole que vous avez entendue n’est pas de moi, mais de celui qui m’a envoyé, du Père. Je vous ai dit ces choses pendant que je demeurais avec vous. Mais le Paraclet, l’Esprit-Saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas comme le monde la donne que je vous la donne. Que votre cœur ne se trouble pas, et qu’il ne s’effraye pas. Vous avez entendu que je vous ai dit : Je m’en vais, et je reviens à vous. Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais auprès du Père, parce que le Père est plus grand que moi. Et je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent, afin que, lorsqu’elles seront arrivées, vous croyiez. Je ne vous parlerai plus guère désormais ; car le prince de ce monde vient, et il n’a aucun droit sur moi ; mais il vient afin que le monde connaisse que j’aime le Père, et que je fais ce que le Père m’a ordonné.

Secrète

Rendez saints, nous vous en supplions, Seigneur, les dons qui vous sont offerts, et purifiez nos cœurs au moyen de la lumière du Saint-Esprit. Par N.-S. … en l’unité du même.

Postcommunion

Seigneur, que l’infusion de l’Esprit-Saint purifie nos cœurs et qu’elle les féconde en les pénétrant de sa rosée. Par N.-S ... en l’unité du même.

Office

1ère leçon

Homélie de saint Grégoire, Pape.

Je préfère, mes très chers frères, passer brièvement sur les paroles de cette lecture de l’Évangile, afin que nous puissions nous arrêter plus longtemps à considérer les mystères d’une si grande solennité. Car c’est en ce jour que l’Esprit-Saint est descendu avec un bruit soudain sur les disciples, et que, transformant les esprits de ces hommes charnels, il les a conduits à son amour. Tandis que des langues de feu apparaissaient à l’extérieur, au dedans les cœurs des disciples s’enflammèrent, et comme ils voyaient Dieu sous l’aspect du feu, ils devinrent avec une suavité ineffable tout brûlants d’amour. Car le Saint-Esprit est amour, et c’est pourquoi saint Jean dit : « Dieu est charité ». Celui donc qui désire Dieu de tout son esprit, possède certes déjà celui qu’il aime. Car personne ne pourrait aimer Dieu, s’il ne possédait celui qu’il aime.

2e leçon

Si l’on questionne chacun de vous et qu’on lui demande : Aimez-vous Dieu ? Il répond d’un esprit assuré et avec pleine confiance : Je l’aime. Vous avez entendu au commencement de la lecture de l’Évangile, ce que dit la Vérité même : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ». La preuve de l’amour, c’est l’action. Aussi saint Jean dit-il encore dans son Épître : « Celui qui dit : J’aime Dieu, et ne garde pas ses commandements est un menteur ». Mais nous aimons vraiment Dieu et nous gardons ses commandements, si nous nous efforçons de réprimer en nous l’attrait des plaisirs. Car celui qui continue à s’abandonner à des désirs illicites n’aime assurément pas Dieu, puisqu’il s’oppose à lui dans sa volonté.

3e leçon

« Et mon Père l’aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure en lui ». Considérez, mes très chers frères, quel grand honneur c’est de posséder pour hôte, dans notre cœur, Dieu venant à nous. Certes, si quelque ami riche ou très puissant devait entrer dans notre maison, la maison tout entière serait rendue nette avec la plus grande hâte, de crainte qu’il n’y eût quelque chose qui blessât les yeux de cet ami qui arrive. Qu’il ait donc soin de se purifier des souillures du péché, celui qui prépare pour Dieu la demeure de son âme. Mais voyez ce que dit la Vérité même : « Nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure en lui ». Il vient en effet dans les cœurs de quelques-uns, cependant il n’y fait pas sa demeure, car ils ont attiré le regard divin par la componction, mais au moment de la tentation, ils oublient aussitôt ce qui les a amenés à la pénitence, et ainsi ils retournent au péché, comme s’ils ne l’avaient jamais pleuré.

Dom Guéranger, l’Année Liturgique

La grande journée qui consomme l’œuvre divine sur la race humaine a lieu enfin sur le monde. « Les jours de la Pentecôte, comme parle saint Luc, sont accomplis ». Depuis la Pâque, nous avons vu se dérouler sept semaines ; voici le jour qui fait suite et amène le nombre mystérieux de cinquante. Ce jour est le Dimanche, consacré par les augustes souvenirs de la création de la lumière et de la résurrection du Christ ; son dernier caractère lui va être imposé, et par lui nous allons recevoir « la plénitude de Dieu ».

Sous le règne des figures, le Seigneur marqua déjà la gloire future du cinquantième jour. Israël avait opéré, sous les auspices de l’agneau de la Pâque, son passage à travers les eaux de la mer Rouge. Sept semaines s’écoulèrent dans ce désert qui devait conduire à la terre promise, et le jour qui suivit les sept semaines fut celui où l’alliance fut scellée entre Dieu et son peuple. La Pentecôte (le cinquantième jour) fut marquée par la promulgation des dix préceptes de la loi divine, et ce grand souvenir resta dans Israël avec la commémoration annuelle d’un tel événement. Mais ainsi que la Pâque, la Pentecôte était prophétique : il devait y avoir une seconde Pentecôte pour tous les peuples, de même qu’une seconde Pâque pour le rachat du genre humain. Au Fils de Dieu, vainqueur de la mort, la Pâque avec tous ses triomphes ; à l’Esprit-Saint, la Pentecôte, qui le voit entrer comme législateur dans le monde placé désormais sous sa loi.

Mais quelle dissemblance entre les deux Pentecôtes ! La première sur les rochers sauvages de l’Arabie, au milieu des éclairs et des tonnerres, intimant une loi gravée sur des tables de pierre ; la seconde en Jérusalem, sur laquelle la malédiction n’a pas éclaté encore, parce qu’elle contient dans son sein jusqu’à cette heure les prémices du peuple nouveau sur lequel doit s’exercer l’empire de l’Esprit d’amour. En cette seconde Pentecôte, le ciel ne s’assombrit pas, on n’entend pas le roulement de la foudre ; les cœurs des hommes ne sont pas glacés d’effroi comme autour du Sinaï ; ils battent sous l’impression du repentir et de la reconnaissance. Un feu divin s’est emparé d’eux, et ce feu embrasera la terre entière. Jésus avait dit : « Je suis venu apporter le feu sur la terre, « et quel est mon vœu, sinon de le voir s’éprendre ? » L’heure est venue, et celui qui en Dieu est l’Amour, la flamme éternelle et incréée, descend du ciel pour remplir l’intention miséricordieuse de l’Emmanuel.

En ce moment où le recueillement plane sur le Cénacle tout entier, Jérusalem est remplie de pèlerins accourus de toutes les régions de la gentilité, et quelque chose d’inconnu se remue au fond du cœur de ces hommes. Ce sont des Juifs venus pour les fêtes de la Pâque et de la Pentecôte de tous les lieux où Israël est allé établir ses synagogues. L’Asie, l’Afrique, Rome elle-même, ont fourni leur contingent. Mêlés à ces Juifs de pure race, on aperçoit des gentils qu’un mouvement de piété a portés à embrasser la loi de Moïse et ses pratiques : on les appelle Prosélytes. Cette population mobile qui doit se disperser sous peu de jours, et que le seul désir d’accomplir la loi a rassemblée dans Jérusalem, représente, par la diversité des langages, la confusion de Babel ; mais ceux qui la composent sont moins influencés que les habitants de la Judée par l’orgueil et les préjugés. Arrivés d’hier, ils n’ont pas, comme ces derniers, connu et repoussé le Messie, ni blasphémé ses œuvres qui rendaient témoignage de lui. S’ils ont crié devant Pilate avec les autres Juifs pour demander que le Juste fût crucifié, c’est qu’ils étaient entraînés par l’ascendant des prêtres et des magistrats de cette Jérusalem vers laquelle leur piété et leur docilité à la loi les avaient amenés.

Mais l’heure est venue, l’heure de Tierce, l’heure prédestinée de toute éternité, et le dessein des trois divines personnes conçu et arrêté avant tous les temps se déclare et s’accomplit. De même que le Père, sur l’heure de minuit, envoya en ce monde pour y prendre chair au sein de Marie, son propre Fils qu’il engendre éternellement : ainsi, le Père et le Fils envoient à cette heure de Tierce sur la terre l’Esprit-Saint qui procède de tous deux, pour y remplir jusqu’à la fin des temps la mission de former l’Église épouse et empire du Christ, de l’assister, de la maintenir, de sauver et de sanctifier les âmes.

Soudain un vent violent qui venait du ciel se fait entendre ; il mugit au dehors et remplit le Cénacle de son souffle puissant. Au dehors il convoque autour de l’auguste édifice que porte la montagne de Sion une foule d’habitants de Jérusalem et d’étrangers ; au dedans il ébranle tout, il soulève les cent vingt disciples du Sauveur, et montre que rien ne lui résiste. Jésus avait dit de lui : « C’est un vent qui souffle où il veut, et vous entendez retentir sa voix » ; puissance invisible qui creuse jusqu’aux abîmes dans les profondeurs de la mer, et lance les vagues jusqu’aux nues. Désormais ce vent parcourra la terre en tous sens, et rien ne pourra l’arrêter dans son domaine.

Cependant l’assemblée sainte qui était assise tout entière dans l’extase de l’attente, a conservé la même attitude. Passive sous l’effort du divin envoyé, elle s’abandonne à lui. Mais le souffle n’a été qu’une préparation pour le dedans du Cénacle, en même temps qu’il est un appel pour le dehors. Tout à coup une pluie silencieuse se répand dans l’intérieur de l’édifice ; pluie de feu, dit la sainte Église, « qui éclaire sans brûler, qui luit sans consumer » ; des flocons enflammés avant la forme de langues, viennent se poser sur la tête de chacun des cent vingt disciples. C’est l’Esprit divin qui prend possession de l’assemblée dans chacun de ses membres. L’Église n’est plus seulement en Marie ; elle est aussi dans les cent vingt disciples. Tous sont maintenant à l’Esprit qui est descendu sur eux ; son règne est ouvert, il est déclaré, et de nouvelles conquêtes se préparent.

Mais admirons le symbole sous lequel une si divine révolution s’opère. Celui qui naguère se montra au Jourdain sous la forme gracieuse d’une colombe, apparaît aujourd’hui sous celle du feu. Dans l’essence divine il est amour ; or, l’amour n’est pas tout entier dans la douceur et la tendresse ; il est ardent comme le feu. Maintenant donc que le monde est livré à l’Esprit-Saint, il faut qu’il brûle, et l’incendie ne s’arrêtera plus. Et pourquoi cette forme de langues ? Sinon parce que la parole sera le moyen par lequel se propagera le divin incendie. Ces cent vingt disciples n’auront qu’à parler du Fils de Dieu fait homme et rédempteur de tous, de l’Esprit-Saint qui renouvelle les âmes, du Père céleste qui les aime et les adopte : leur parole sera accueillie d’un grand nombre. Tous ceux qui l’auront reçue seront unis dans une même foi, et l’ensemble qu’ils formeront s’appellera l’Église catholique, universelle, répandue en tous les temps et en tous les lieux. Le Seigneur Jésus avait dit : « Allez, enseignez toutes les nations ; » l’Esprit divin apporte du ciel sur la terre et la langue qui fera retentir cette parole, et l’amour de Dieu et des hommes qui l’inspirera. Cette langue et cet amour se sont arrêtés sur ces hommes, et par le secours de l’Esprit divin, ces hommes les transmettront à d’autres jusqu’à la fin des siècles.

Un obstacle cependant semble se dresser à l’encontre d’une telle mission. Depuis Babel, le langage humain est divisé, et la parole ne circule pas d’un peuple à l’autre. Comment donc la parole pourra-t elle être l’instrument de la conquête de tant de nations, et réunir en une seule famille tant de races qui s’ignorent ? Ne craignez pas : le tout-puissant Esprit y a pourvu. Dans l’ivresse sacrée qu’il inspire aux cent vingt disciples, il leur a conféré le don d’entendre toutes langues et de se faire entendre eux-mêmes en toute langue. A l’instant même, dans un transport sublime, ils s’essayent à parler tous les idiomes de la terre, et leur langue, comme leur oreille, se prête non seulement sans effort, mais avec délices, à cette plénitude de la parole qui va rétablir la communion des hommes entre eux. L’Esprit d’amour a fait cesser en un moment la séparation de Babel, et la fraternité première reparaît dans l’unité du langage. Que vous êtes belle, ô Église de Dieu, rendue sensible dans cet auguste prodige de l’Esprit divin qui agit désormais sans limites ! Vous nous retracez le magnifique spectacle qu’offrait la terre, lorsque la race humaine ne parlait qu’un seul langage. Et cette merveille ne sera pas seulement pour la journée de la Pentecôte, et elle ne durera pas seulement la vie de ceux en qui elle éclate en ce moment. Après la prédication des Apôtres, la forme première du prodige s’effacera peu à peu, parce qu’elle cessera d’être nécessaire ; mais jusqu’à la fin des siècles, ô Église, vous continuerez de parler toutes les langues ; car vous ne serez pas confinée dans un seul pays, mais vous habiterez tous les pays du monde. Partout on entendra exprimer une même foi dans la langue de chaque peuple, et ainsi le miracle de la Pentecôte, renouvelé et transformé, vous accompagnera toujours, ô Église ! et demeurera l’un de vos principaux caractères. C’est ce qui fait dire au grand docteur saint Augustin parlant aux fidèles, ces paroles admirables : « L’Église répandue parmi les nations parle toutes les langues. Qu’est cette Église, sinon le corps du Christ ? Dans ce corps vous êtes un membre. Étant donc membre d’un corps qui parle toutes les langues, vous avez droit de vous considérer vous-même comme participant au même don ». Durant les siècles de foi, la sainte Église, source unique de tout véritable progrès dans l’humanité, avait fait plus encore ; elle était parvenue à réunir dans une même forme de langage les peuples qu’elle avait conquis. La langue latine fut longtemps le lien du monde civilisé. En dépit des distances, les relations de peuple à peuple, les communications de la science, les affaires même des particuliers lui étaient confiées ; l’homme qui parlait cette langue n’était étranger nulle part dans tout l’Occident et au delà. La grande hérésie du XVIe siècle émancipa les nations de ce bienfait comme de tant d’autres, et l’Europe, scindée pour longtemps, cherche, sans le trouver, ce centre commun que l’Église seule et sa langue pouvaient lui offrir. Mais retournons au Cénacle dont les portes ne se sont pas encore ouvertes, et continuons à y contempler les merveilles du divin Esprit.

Nos yeux tout d’abord cherchent respectueusement Marie, Marie plus que jamais « pleine de grâce ». Il eût semblé qu’après les dons immenses qui lui furent prodigués dans sa conception immaculée, après les trésors de sainteté que versa en elle la présence du Verbe incarné durant les neuf mois qu’elle le posséda dans son sein, après les secours spéciaux quelle reçut pour agir et souffrir en union avec son fils dans l’œuvre de la Rédemption, après les faveurs dont Jésus la combla au milieu des splendeurs de la résurrection, le Ciel avait épuisé la mesure des dons qu’il avait à répandre sur une simple créature, si élevée qu’elle pût être dans le plan éternel. Il n’en est pas ainsi. Une nouvelle mission s’ouvre pour Marie : à cette heure, la sainte Église est enfantée par elle ; Marie vient de mettre au jour l’Épouse de son Fils, et de nouveaux devoirs l’appellent. Jésus est monté seul dans les cieux ; il l’a laissée sur la terre, afin qu’elle prodigue à son tendre fruit ses soins maternels. Qu’elle est touchante, mais aussi qu’elle est glorieuse cette enfance de notre Église bien-aimée, reçue dans les bras de Marie, allaitée par elle, soutenue de son appui dès les premiers pas de sa carrière en ce monde ! Il faut donc à la nouvelle Ève, à la véritable « Mère des vivants », un surcroît de grâces pour répondre à une telle mission : aussi est-elle l’objet premier des faveurs de l’Esprit-Saint. Il la féconda autrefois pour être la mère du Fils de Dieu ; en ce moment il forme en elle la mère des chrétiens. « Le fleuve de la grâce, comme parle le Roi-prophète, submerge de ses eaux cette Cité de Dieu qui les reçoit avec délices » ; l’Esprit d’amour accomplit à ce moment l’oracle divin du Rédempteur mourant sur la croix. Il avait dit, en désignant l’homme : « Femme, voilà votre fils » ; l’heure est arrivée, et Marie a reçu avec une plénitude merveilleuse cette grâce maternelle qu’elle commence à appliquer dès aujourd’hui, et qui l’accompagnera jusque sur son trône de reine, lorsqu’enfin la sainte Église ayant pris un accroissement suffisant, sa céleste nourrice pourra quitter la terre, monter aux cieux et ceindre le diadème qui l’attend.

Contemplons cette nouvelle beauté qui éclate dans les traits de celle en qui le Seigneur vient de déclarer une seconde maternité : cette beauté est le chef-d’œuvre de l’Esprit-Saint en cette journée. Un feu divin transporte Marie, un amour nouveau s’est allumé dans son cœur ; elle est tout entière à cette autre mission pour laquelle elle avait été laissée ici-bas. La grâce apostolique est descendue en elle. La langue de feu qu’elle a reçue ne parlera pas dans les prédications publiques ; mais elle parlera aux Apôtres, les dirigera, les consolera dans leurs labeurs. Elle s’énoncera, cette langue bénie, avec autant de douceur que de force, à l’oreille des fidèles qui sentiront l’attraction vers celle en qui le Seigneur a fait l’essai de toutes ses merveilles. Comme un lait généreux, la parole irrésistible de cette mère universelle donnera aux premiers enfants de l’Église la vigueur qui les fera triompher des assauts de l’enfer ; et c’est en partant d’auprès d’elle qu’Étienne ira ouvrir la noble carrière des martyrs.

Regardons maintenant le collège apostolique. Ces hommes que quarante jours de relations avec leur Maître ressuscité avaient relevés, et que nous trouvions déjà si différents d’eux-mêmes, que sont-ils devenus depuis l’instant où l’Esprit divin les a saisis ? Ne sentez-vous pas qu’ils sont transformés, qu’un feu divin éclate dans leur poitrine, et que dans un moment ils vont s’élancer à la conquête du monde ? Tout ce que le Maître leur avait annoncé est accompli en eux ; et c’est véritablement la Vertu d’en haut qui est descendue pour les armer au combat. Où sont-ils ceux qui tremblaient devant les ennemis de Jésus, ceux qui doutaient de sa résurrection î La vérité que le Maître leur a enseignée brille aux regards de leur intelligence ; ils voient tout, ils comprennent tout. L’Esprit-Saint leur a infus le don de la foi dans un degré sublime, et leur cœur brûle du désir de répandre au plus tôt cette foi dans le monde entier. Loin de craindre désormais, ils n’aspirent qu’à affronter tous les périls en prêchant, comme Jésus le leur a commandé, à toutes les nations son nom et sa gloire.

Contemplez Pierre. Vous le reconnaissez aisément à cette majesté douce que tempère une ineffable humilité. Hier son aspect était imposant mais tranquille ; aujourd’hui, sans rien perdre de leur dignité, ses traits ont pris une expression d’enthousiasme que nul n’avait encore vue en lui. L’Esprit divin s’est emparé puissamment du Vicaire de Jésus ; car Pierre est le prince de la parole et le maître de la doctrine. Près de Pierre, c’est André son frère aîné, qui conçoit en ce moment cette passion ardente pour la croix qui sera son type à jamais glorieux ; c’est Jean dont les traits semblaient naguère ne respirer que la douceur, et qui subitement ont pris l’expression forte et inspirée du prophète de Pathmos ; à ses côtés, c’est Jacques son frère, l’autre « fils du tonnerre », se dressant avec toute la vigueur du vaillant chevalier qui s’élancera bientôt à la conquête de l’Ibérie. Le second Jacques, celui qui est aimé sous le nom de « frère du Seigneur », puise dans la vertu du divin Esprit qui le transporte, un nouveau degré de charme et de béatitude. Matthieu est illuminé d’une splendeur qui fait pressentir en lui le premier des écrivains du nouveau Testament. Thomas sent en son cœur la foi qu’il a reçue au contact des membres de son Maître ressuscité, prendre un accroissement sans mesure : il est prêt à partir pour ses laborieuses missions dans l’extrême Orient ; tous, en un mot, sont un hymne vivant à la gloire de l’Esprit tout-puissant, qui s’annonce avec un tel empire dès les premiers instants de son arrivée.

Dans un rang inférieur apparaissent les disciples, moins favorisés dans cette visite que les douze princes du collège apostolique, mais pénétrés du même feu ; car eux aussi marcheront à la conquête du monde et fonderont de nombreuses chrétientés. Le groupe des saintes femmes n’a pas moins ressenti que le reste de l’assemblée la descente du Dieu qui s’annonce sous l’emblème du feu. L’amour qui les retint au pied de la croix de Jésus et qui les conduisit les premières à son sépulcre au matin de la Pâque, s’est enflammé d’une ardeur nouvelle. La langue de feu s’est arrêtée sur chacune d’elles, et elles seront éloquentes à parler de leur Maître aux Juifs et aux gentils. En vain la synagogue expulsera Madeleine et ses compagnes ; la Gaule méridionale les écoutera à son tour, et ne sera pas rebelle à leur parole.

Cependant, la foule des Juifs qui avait entendu le bruit de la tempête annonçant la venue de l’Esprit divin, s’est amassée en grand nombre autour du mystérieux Cénacle. Ce même Esprit qui agit au dedans avec tant de magnificence, les pousse à faire le siège de cette maison qui contient dans ses murs l’Église du Christ dont la naissance vient d’éclater. Leurs clameurs retentissent, et bientôt le zèle apostolique qui vient de naître pour ne plus s’éteindre, ne peut plus tenir dans de si étroites limites. En un moment l’assemblée inspirée se précipite aux portes du Cénacle, et se met en rapport avec cette multitude avide de connaître le nouveau prodige que vient d’opérer le Dieu d’Israël.

Mais, ô merveille ! La foule composée de toutes les nations, qui s’attendait à entendre le parler grossier des Galiléens, est tout à coup saisie de stupeur. Ces Galiléens n’ont fait encore que s’énoncer en paroles confuses et inarticulées, et chacun les entend parler dans sa propre langue. Le symbole de l’unité apparaît dans toute sa splendeur. L’Église chrétienne est montrée à tous les peuples représentés dans cette multitude. Elle sera une, cette Église ; car les barrières que Dieu plaça autrefois, dans sa justice, pour isoler les nations, viennent de s’écrouler. Voici les messagers de la foi du Christ ; ils sont prêts, ils vont partir, leur parole fera le tour de la terre.

Dans la foule cependant, quelques hommes, insensibles au prodige, se scandalisent de l’ivresse divine dans laquelle ils voient les Apôtres : « Ces hommes, disent-ils, sont pleins de vin. » C’est le langage du rationalisme qui veut tout expliquer par des raisons humaines. Et pourtant ces Galiléens prétendus ivres abattront à leurs pieds le monde entier, et l’Esprit divin qui est en eux, ils le communiqueront avec son ivresse à toutes les races du genre humain. Les saints Apôtres sentent que le moment est venu ; il faut que la seconde Pentecôte soit proclamée en ce jour anniversaire de la première. Mais dans cette proclamation de la loi de miséricorde et d’amour qui vient remplacer la loi de la justice et de la crainte, quel sera le Moïse ?

L’Emmanuel, avant de monter au ciel, l’avait désigné : c’est Pierre, le fondement de l’Église. Il est temps que tout ce peuple le voie et l’entende ; le troupeau va se former, il est temps que le pasteur se montre. Écoutons l’Esprit-Saint qui va s’énoncer par son principal organe, en présence de cette multitude ravie et silencieuse ; chaque mot que va dire l’Apôtre qui ne parle qu’une seule langue est compris de chacun des auditeurs, à quelque idiome, à quelque pays de la terre qu’il appartienne. Un tel discours est à lui seul la démonstration de la vérité et de la divinité de la loi nouvelle.

« Hommes juifs, s’écrie dans la plus haute éloquence le pêcheur du lac de Génésareth, hommes juifs et vous tous qui habitez en ce moment Jérusalem, apprenez ceci et prêtez l’oreille à mes paroles. Non, ces hommes que vous voyez ne sont pas ivres comme vous l’avez pensé ; car il n’est encore que l’heure de tierce ; mais en ce moment s’accomplit ce qu’avait prédit le prophète Joël : « Dans les derniers temps, dit le Seigneur, je répandrai mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront, et vos jeunes gens seront favorisés de visions, et vos vieillards auront des songes prophétiques. Et dans ces jours, je répandrai mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes, et ils prophétiseront ». Hommes Israélites, écoutez ceci. Vous vous rappelez Jésus de Nazareth, que Dieu même avait accrédité au milieu de vous par les prodiges au moyen desquels il opérait par lui, ainsi que vous le savez vous-mêmes. Or, ce Jésus, selon le décret divin résolu à l’avance, a été livré à ses ennemis, et vous-mêmes vous l’avez fait mourir par la main des impies. Mais Dieu l’a ressuscite, en l’arrachant à l’humiliation du tombeau qui ne pouvait le retenir. David n’avait-il pas dit de lui : « Ma chair reposera dans l’espérance ; car vous ne permettrez pas, Seigneur, que celui qui est votre Saint éprouve la corruption du tombeau » ? Ce n’était pas en son propre nom que David parlait ; car il est mort, et son sépulcre est encore sous nos yeux ; mais il annonçait la résurrection du Christ qui n’a point été laissé dans le tombeau, et dont la chair n’a pas connu la corruption. Ce Jésus, Dieu lui-même l’a ressuscité, et nous en sommes tous témoins. Élevé à la droite de Dieu, il a, selon la promesse qu’en avait faite le Père, répandu sur la terre le Saint-Esprit, ainsi que vous le voyez et l’entendez. Sachez donc, maison d’Israël, et sachez-le avec toute certitude, que ce Jésus crucifié par vous, Dieu en a fait le Seigneur et le Christ. »

Ainsi fut accomplie la promulgation de la loi nouvelle par la bouche du nouveau Moïse. Comment les auditeurs n’eussent-ils pas accueilli le don inestimable de cette seconde Pentecôte, qui venait dissiper les ombres de l’ancienne et produire au grand jour les divines réalités ? Dieu se révélait, et, comme toujours, il le faisait par les miracles. Pierre rappelle les prodiges de Jésus dont la Synagogue n’a pas voulu tenir compte, et qui rendaient témoignage de lui. Il annonce la descente de l’Esprit-Saint, et en preuve il allègue le prodige inouï que les auditeurs ont sous les yeux, dans le don des langues départi aux habitants du Cénacle.

Poursuivant son œuvre sublime, l’Esprit-Saint qui planait sur cette foule, féconde par son action divine ces cœurs prédestinés. La foi naît et se développe tout d’un coup dans ces disciples du Sinaï accourus de tous les points du monde pour une Pâque et une Pentecôte désormais stériles. Saisis de crainte et de regret d’avoir demandé la mort du Juste, dont ils confessent la résurrection et l’ascension au ciel, ces Juifs de toute nation poussent un cri pénétrant vers Pierre et ses compagnons : « Qu’avons-nous donc à faire, ô vous qui êtes nos frères ? » Admirable disposition pour recevoir la foi ! Le désir de croire, et le dessein arrêté de conformer ses actes à sa croyance. Pierre reprend son discours : « Repentez-vous, leur dit-il, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, et vous aurez part, vous aussi, au don du Saint-Esprit. La promesse a été faite pour vous et pour vos fils et également pour ceux qui sont loin, c’est-à-dire les gentils : en un mot, pour tous ceux qu’appelle le Seigneur notre Dieu ».

A chaque parole du nouveau Moïse, la Pentecôte judaïque s’efface, et la Pentecôte chrétienne resplendit d’une lumière toujours plus splendide à l’horizon. Le règne de l’Esprit divin est inauguré dans Jérusalem, à la face du temple condamné à s’écrouler sur lui-même. Pierre parla encore ; mais le livre sacré des Actes n’a recueilli que ces paroles qui retentirent comme le dernier appel au salut : « Sauvez-vous, enfants d’Israël, sauvez-vous de cette génération perverse ».

Il fallait rompre, en effet, avec les siens, mériter par le sacrifice les faveurs de la nouvelle Pentecôte, passer de la Synagogue dans l’Église. Plus d’un combat se livra dans les cœurs de ces hommes ; mais le triomphe de l’Esprit-Saint fut complet en ce premier jour. Trois mille personnes se déclarèrent disciples de Jésus, et furent marquées aujourd’hui même du sceau de l’adoption. O Église du Dieu vivant, qu’ils sont beaux vos progrès sous le souffle du divin Esprit ! D’abord vous avez résidé en Marie l’immaculée, pleine de grâce et mère de Dieu ; votre second pas vous a donné les cent vingt disciples du Cénacle ; et voici que le troisième vous dote de trois mille écus, nos ancêtres, qui vont bientôt quitter Jérusalem la répudiée, et porter dans les pays d’où ils sont partis les prémices du peuple nouveau. Demain c’est au temple même que Pierre parlera, et à sa voix cinq mille personnes se déchireront à leur tour disciples de Jésus de Nazareth. Salut donc, ô Église, noble et dernière création de l’Esprit-Saint, société immortelle qui militez ici-bas, en même temps que vous triomphez dans les cieux. O Pentecôte, jour sacré de notre naissance, vous ouvrez avec gloire la série des siècles que doit parcourir en ce monde l’Épouse de l’Emmanuel. Vous nous donnez l’Esprit divin qui vient écrire, non plus sur la pierre, mais dans nos cœurs, la loi qui régira les disciples de Jésus. O Pentecôte promulguée dans Jérusalem, mais qui devez étendre vos bienfaits à ceux « qui sont au loin », c’est-à-dire aux peuples de la gentilité, vous venez remplir les espérances que nous fit concevoir le touchant mystère de l’Épiphanie. Les mages venaient de l’Orient ; nous les suivîmes au berceau de l’Enfant divin, et nous savions que notre tour viendrait. Votre grâce, ô Esprit-Saint, les avait secrètement attirés à Bethléem ; mais dans cette Pentecôte qui déclare votre souverain empire avec tant d’énergie, vous nous appelez tous ; l’étoile est transformée en langues de feu, et la face de la terre va être renouvelée. Puissent nos cœurs conserver les dons que vous nous apportez, ces dons que le Père et le Fils qui vous envoient nous ont destinés !

L’importance du mystère de la Pentecôte étant si principale dans l’économie du christianisme, on ne doit pas s’étonner que l’Église lui ait assigné dans la sainte Liturgie un rang aussi distingué que celui qu’elle attribue à la Pâque elle-même. La Pâque est le rachat de l’homme par la victoire du Christ : dans la Pentecôte l’Esprit-Saint prend possession de l’homme racheté ; l’Ascension est le mystère intermédiaire. D’un côté, elle consomme la Pâque en établissant l’Homme-Dieu, vainqueur de la mort et chef de ses fidèles, à la droite du Père ; de l’autre, elle détermine l’envoi de l’Esprit-Saint sur la terre. Cet envoi ne pouvait avoir lieu avant la glorification de Jésus, comme nous dit saint Jean, et de nombreuses raisons alléguées par les Pères nous aident à le comprendre. Il fallait que le Fils de Dieu, qui avec le Père est le principe de la procession du Saint-Esprit dans l’essence divine, envoyât personnellement aussi cet Esprit sur la terre. La mission extérieure de l’une des divines personnes n’est qu’une suite et une manifestation de la production mystérieuse et éternelle qui a lieu au sein de la divinité. Ainsi le Père n’est envoyé ni par le Fils ni par le Saint-Esprit, parce qu’il n’est pas produit par eux. Le Fils a été envoyé aux hommes par le Père, étant engendré par lui éternellement. Le Saint-Esprit est envoyé par le Père et par le Fils, parce qu’il procède de l’un et de l’autre. Mais pour que la mission du Saint-Esprit s’accomplit de manière à donner plus de gloire au Fils, il était juste qu’elle n’eût lieu qu’après l’intronisation du Verbe incarné à la droite du Père, et il était souverainement glorieux pour la nature humaine qu’au moment de cette mission elle fût indissolublement unie à la nature divine dans la personne du Fils de Dieu, en sorte qu’il fût vrai de dire que l’Homme-Dieu a envoyé le Saint-Esprit sur la terre.

Cette auguste mission ne devait être donnée à L’Esprit divin que lorsque les hommes auraient perdu la vue de l’humanité de Jésus. Ainsi que nous l’avons dit, il fallait désormais que les yeux et les cœurs des fidèles poursuivissent le divin absent d’un amour plus pur et tout spirituel. Or, à qui appartenait-il d’apporter aux hommes cet amour nouveau, sinon à l’Esprit tout-puissant qui est le lien du Père et du Fils dans un amour éternel ? Cet Esprit qui embrase et qui unit est appelé dans les saintes Écritures le « don de Dieu » ; et c’est aujourd’hui que le Père et le Fils nous envoient ce don ineffable. Rappelons-nous la parole de notre Emmanuel à la femme de Samarie, au bord du puits de Sichar : « Oh ! Si tu connaissais le don de Dieu ! » Il n’était pas descendu encore ; il ne se manifestait jusqu’alors aux hommes que par des bienfaits partiels. A partir d’aujourd’hui, c’est une inondation de feu qui couvre la terre : l’Esprit divin anime tout, agit en tous lieux. Nous connaissons le don de Dieu ; nous n’avons plus qu’à l’accepter, qu’à lui ouvrir l’entrée de nos cœurs, comme les trois mille auditeurs fidèles que vient de rencontrer la parole de Pierre.

Mais voyez à quel moment de l’année l’Esprit divin vient prendre possession de son domaine. Nous avons vu notre Emmanuel, Soleil de justice, s’élever timidement du sein des ombres du solstice d’hiver et monter d’une course lente à son zénith. Dans un sublime contraste, l’Esprit du Père et du Fils a cherche d’autres harmonies. Il est feu, feu qui consume ; il éclate sur le monde au moment où le soleil brille de toute sa splendeur, où cet astre contemple couverte de fleurs et de fruits naissants la terre qu’il caresse de ses rayons. Accueillons de même la chaleur vivifiante du divin Esprit, et demandons humblement qu’elle ne se ralentisse plus en nous. A ce moment de l’Année liturgique, nous sommes en pleine possession de la vérité par le Verbe incarné ; veillons à entretenir fidèlement l’amour que l’Esprit-Saint vient nous apportera son tour.

Fondée sur un passé de quatre mille ans quant aux figures, la Pentecôte chrétienne, le vrai quinquagénaire, est du nombre des fêtes instituées par les Apôtres eux-mêmes. Nous avons vu qu’elle partagea avec la Pâque, dans l’antiquité, l’honneur de conduire les catéchumènes à la fontaine sacrée, et de les en ramener néophytes et régénérés. Son Octave, comme celle de Pâques, ne dépasse pas le samedi par une raison identique. Le baptême se conférait dans la nuit du samedi au dimanche, et pour les néophytes la solennité de la Pentecôte s’ouvrait au moment même de leur baptême. Comme ceux de la Pâque, ils revêtaient alors les habits blancs, et ils les déposaient le samedi suivant, qui était compté pour le huitième jour.

Le moyen âge donna à la fête de la Pentecôte le gracieux nom de Pâque des roses ; nous avons vu celui de Dimanche des roses imposé dans les mêmes siècles de foi au Dimanche dans l’Octave de l’Ascension. La couleur vermeille de la rose et son parfum rappelaient à nos pères ces langues enflammées qui descendirent dans le Cénacle sur chacun des cent vingt disciples, comme les pétales effeuillés de la rose divine qui répandait l’amour et la plénitude de la grâce sur l’Église naissante. La sainte Liturgie est entrée dans la même pensée en choisissant la couleur rouge pour le saint Sacrifice durant toute l’Octave. Durand de Mende, dans son rational si précieux pour la connaissance des usages liturgiques du moyen âge, nous apprend qu’au treizième siècle, dans nos églises, à la Messe de la Pentecôte, on lâchait des colombes qui voltigeaient au-dessus des fidèles en souvenir de la première manifestation de l’Esprit-Saint au Jourdain, et que l’on répandait de la voûte des étoupes enflammées et des fleurs en souvenir de la seconde au Cénacle.

A Rome, la Station est dans la Basilique de Saint-Pierre. Il était juste de rendre hommage au prince des Apôtres en ce jour où son éloquence inspirée par l’Esprit-Saint conquit à l’Église les trois mille chrétiens dont nous sommes les descendants. Actuellement, la Station demeure toujours fixée à Saint-Pierre avec les indulgences qui s’y rapportent ; mais le Souverain Pontife et le sacré Collège se rendent pour la Fonction à la Basilique du Latran, Mère et Chef de toutes les églises de la ville et du monde.

ÉPÎTRE.

Quatre grands événements signalent l’existence de la race humaine sur la terre, et tous les quatre témoignent de la bonté infinie de Dieu envers nous. Le premier est la création de l’homme et sa vocation à l’état surnaturel, qui lui donne pour fin dernière la vision et la possession éternelle de Dieu. Le second est l’incarnation du Verbe divin qui, unissant la nature humaine à la nature divine dans le Christ, élevé l’être créé à la participation de la divinité, et fournit en même temps la victime nécessaire pour racheter Adam et sa race de leur prévarication. Le troisième événement est la descente du Saint-Esprit, dont nous célébrons l’anniversaire en ce jour. Enfin le quatrième est le second avènement du Fils de Dieu qui viendra délivrer l’Église son épouse, et l’emmènera au ciel pour célébrer avec elle les noces éternelles. Ces quatre opérations divines, dont la dernière n’est pas accomplie encore, sont la clef de l’histoire humaine ; rien n’est en dehors d’elles ; mais l’homme animal ne les voit même pas, il n’y songe pas. « La lumière a lui dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas comprise »

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